Gaudreau c. R. |
2021 QCCA 461 |
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COUR D'APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE |
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No : |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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L’ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION RENDUE LE 14 MARS 2018 PAR L’HONORABLE HÉLÈNE FABI, J.C.Q., EN VERTU DE L’ARTICLE 486.4 C.CR. EST TOUJOURS EN VIGUEUR.
DATE : Le 19 mars 2021 |
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FORMATION : LES HONORABLES |
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PARTIE APPELANTE |
AVOCAT |
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Par visioconférence
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PARTIE INTIMÉE |
AVOCAT |
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(Directeur des poursuites criminelles et pénales) Absent
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En appel d’un jugement sur la culpabilité rendu le 24 octobre 2018 par l’honorable Hélène Fabi de la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Saint-François. |
NATURE DE L’APPEL : |
Salle : Antonio-Lamer |
AUDITION |
9 h 06 |
Début de l’audience. Continuation de l'audience du 15 mars 2021. Les parties ont été dispensées d’être présentes à la Cour. PAR LA COUR : Arrêt - voir page 3. Fin de l’audience. |
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Anne Dumont, Greffière-audiencière |
ARRÊT |
L’ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION RENDUE LE 14 MARS 2018 PAR L’HONORABLE HÉLÈNE FABI, J.C.Q., EN VERTU DE L’ARTICLE 486.4 C.CR. EST TOUJOURS EN VIGUEUR.
MISE EN GARDE : Ordonnance limitant la publication : Il est interdit de publier ou diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité d’un témoin mineur (article 486.4 C.cr.).
[1] L’appelant Tim Gaudreau se pourvoit contre des verdicts de culpabilité prononcés le 24 octobre 2018 par une juge de la Cour du Québec (l’honorable Hélène Fabi) pour des accusations d’introduction par effraction dans une maison d’habitation (al. 348(1)b)d) C.cr.), de voies de fait causant des lésions corporelles (al. 267b) C.cr.) et de harcèlement criminel (al. 264(3)a) C.cr.) commis dans un contexte de violence conjugale, faut-il le préciser[1].
[2] Les moyens d’appel se résument à soulever le caractère déraisonnable des verdicts de culpabilité et l’absence d’une preuve hors de tout doute raisonnable des éléments constitutifs de l’infraction d’introduction par effraction dans une maison d’habitation pour ensuite y commettre un acte criminel.
*
[3] L’appelant et la plaignante ne vivent pas ensemble. Ils entretiennent une relation tumultueuse marquée de chicanes, de propos violents, de ruptures et de réconciliations. C’est dans ce contexte, après avoir été informé par la plaignante de la fin de leur relation par messagerie texte le matin du 26 mai 2017 que l’appelant surgit dans la maison de cette dernière vers les 8 h, prétendument pour obtenir des explications.
[4] L’appelant avait fait précéder son arrivée par ce message texte :
Attache ta tuque
Ma petite tabarnak
Tu veu jouer à Ca
T’aime ca être méchante
Check
Bin Ca
Ta meme fais
Du vendalisme
Chez
Nous
Répond moe donc caliss[2]
[Transcription textuelle]
[5] La juge décrit ainsi la suite des choses :
[21] Il y entre à l’intérieur par la porte du garage, porte qu’il n’utilise jamais.
[22] Pendant qu’elle est dans le portique avant, assise sur le banc d’entrée pour y attacher ses souliers, l’accusé l’agrippe par les cheveux et en s’approchant très près de son visage, lui demande « pourquoi tu me fais ça? ». La plaignante dira que le regard de l’accusé lui fait vraiment peur et elle sait que la situation va dégénérer.
[23] Devant son enfant, elle le supplie d’arrêter, et lui mentionne qu’elle doit quitter pour se rendre à l’école de ce dernier.
[24] Immédiatement l’accusé la projette au sol et se place sur elle à califourchon. Il agrippe à nouveau ses cheveux pour lui frapper à plusieurs reprises la tête sur le plancher de céramique. La plaignante se débat et réussit à lui cracher au visage (voir pièce P-2, photo 1).
[25] L’enfant implore de « lâcher sa mère » en ajoutant « tu vas la tuer ». La plaignante, tant bien que mai, réussit à se libérer de son emprise en courant vers la porte arrière dans le but d’y sortir (voir pièce P-2, photo 2).
[26] L’accusé l’en empêche, en lui assenant un coup de poing en arrière de la tête. Ce faisant, elle se frappe sur la fenêtre de cette même porte (voir pièce P-2, photo 2).
[27] Une deuxième fois, il la projette au sol et monte sur elle pendant qu’elle est sur le dos. Elle parvient à prendre un tournevis qui se trouve dans une petite boîte à proximité, et le brandit vers l’accusé.
[28] Elle dira à la cour :
« J’avais vraiment peur pour ma vie à ce moment-là. »[3]
[29] Son enfant se rapproche avec un téléphone brisé à la main et au même moment l’accusé, s’adressant à la plaignante lui dit :
« Stague moi, stague moi. »
[30] Cette dernière laisse tomber le tournevis et lui déclare qu’elle ne serait jamais capable de poser ce geste à quelqu’un qu’elle aime.
[31] Elle requiert à son enfant d’aller chercher de l’aide, et ce dernier se dirige vers la porte avant suivi de l’accusé qui tente de l’en empêcher.
[32] La plaignante réussit à sortir par la porte arrière pour traverser la galerie, descendre les escaliers menant au logement du bas, dans le but d’alerter ses voisins qui malheureusement sont absents. Elle contourne alors la maison pour apercevoir son enfant sur le balcon avant et l'accusé assis dans son véhicule.
[33] Elle rejoint son enfant et voit l’accusé quitter rapidement en voiture le stationnement de son entrée de cour.
[34] Lorsqu’elle entre dans la maison, celle-ci se trouve dans un fouillis complet.
[35] D’abord, quelques meubles sont brisés, dont une petite table ronde. Un morceau de cette table se trouve dans la salle à dîner et un autre dans le salon, tel qu’il appert sur la pièce P-1, photographies 6 et 12. Des photographies ont été prises par les policiers, démontrant l’état des lieux.
[36] Sur un mur de l'entrée principale il y a un trou, occasionné par l’accusé qui a lancé un tableau qu’il a arraché au même endroit. Ce dernier, lors du procès, fait un aveu à cet effet, illustré sur la pièce P-1, photographies 5 et 7.
[37] À 8 h 52, la plaignante appelle le 911 pour obtenir de l’aide. L’enregistrement est entendu à la cour. En pleurs, elle donne ses coordonnées à la répartitrice, qui à son tour transmet les informations aux policiers. Lorsque cette dernière reparle à la plaignante, celle-ci est cachée dans son garde-robe de chambre à coucher puisque l’accusé a pénétré à nouveau dans le domicile. Elle a la voix apeurée et elle est en panique, respirant de façon saccadée.
[38] À un certain moment on entend la voix de l’accusé et la plaignante lui exhorter de quitter les lieux.
[39] Ces derniers discutent en se criant un après l’autre, et l’accusé, constatant que la plaignante est au téléphone à appeler du secours, mentionne qu'elle est celle qui l’a violenté.
[40] À 8 h 53, les agentes Amélie Demers et Geneviève Allaire arrivent sur les lieux. Elles sont accueillies par le jeune enfant qui appelle sa maman, et au même instant elles entendent crier la plaignante. L'agente Demers pousse plus avant sa vérification, et en entrant dans la chambre à coucher, elle aperçoit l’accusé face à la garde-robe.
[6] Lors de son intervention, l’agente Amélie Demers constate une marque rouge au cou de la plaignante. Cette dernière sera ensuite l’objet d’un diagnostic fait par l’urgentologue Poitras qui conclut à un traumatisme crânien cérébral léger accompagné de contusions multiples[4].
[7] L’appelant explique s’être retrouvé devant une personne en crise, avoir tenté de la calmer, « de la raisonner » sans succès[5], ne pas l’avoir frappée et, au contraire, avoir été violenté par elle. Il ajoute ne pas connaître l’origine du désordre constaté par les policiers à leur arrivée dans la maison. La juge n’a pas cru son témoignage.
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[8] La question de droit soulevée par l’appelant selon laquelle les verdicts sont déraisonnables repose sur une application si extensible de cette notion que ce pourvoi est en réalité un appel sur les faits formé sans autorisation préalable.
[9] L’appelant soutient que la juge a apprécié sa crédibilité et celle de la plaignante selon un double standard. Sans jamais pointer d’erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve retenue par la juge, il invite la Cour à un exercice de comparaison entre sa version et celle de la plaignante, ce qui, à ses dires, devrait conduire à la conclusion inéluctable que les verdicts entrepris sont déraisonnables.
[10] Une erreur de type Sinclair[6] ou de type Beaudry[7] est de nature à conduire à une ordonnance de nouveau procès. Cependant, la partie qui allègue une erreur de cette nature doit pointer dans le jugement entrepris une inférence ou une conclusion de fait tirée par le juge clairement contredite par la preuve retenue au soutien de cette conclusion ou de cette inférence ou encore, soulever une incompatibilité quelconque avec une preuve non contredite ni rejetée par le juge.
[11] Les griefs de l’appelant sont ici d’un tout autre ordre. Ils se résument à soutenir que la crédibilité de la plaignante, appréciée selon les mêmes standards que ceux qui lui ont été appliqués, ne pouvait être supérieure à la sienne et n’était donc pas de nature, à la troisième étape de W. (D.)[8], à convaincre la juge hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité. L’appelant ajoute que la juge aurait insuffisamment motivé son choix de croire la plaignante.
[12] Au moment de décider si un verdict de culpabilité est raisonnablement possible[9], lorsque l’enjeu porte essentiellement sur l’appréciation de la crédibilité des témoins, il importe pour notre Cour de faire montre d’un grand respect envers les conclusions du juge compte tenu de sa position privilégiée lors du procès[10]. Comme le soulignait la Cour suprême dans R. c. R.P. :
[10] Si le caractère raisonnable d’un verdict est une question de droit, l’appréciation de la crédibilité des témoins constitue elle une question de fait. L’appréciation de la crédibilité faite en première instance, lorsqu’elle est revue par une cour d’appel afin notamment de déterminer si le verdict est raisonnable, ne peut être écartée que s’il est établi que celle-ci « ne peut pas s’appuyer sur quelque interprétation raisonnable que ce soit de la preuve ».
[Renvois omis]
[13]
En ce qui a trait à l’argument basé sur - deux poids deux mesures -,
le simple fait de trancher une question de crédibilité ne permet pas de
conclure à un déséquilibre dans l’appréciation de la preuve ou à un
renversement du fardeau de la preuve au détriment de la présomption d’innocence
et de la charge qui incombe toujours à la poursuite de prouver la culpabilité
de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Dans Stevens c. R., la Cour
écrit :
[131] Il importe de rappeler que la présence d’un double standard dans l’évaluation de la crédibilité nécessite une démonstration qui doit être convaincante. Il faut « pointer où, dans son raisonnement, le juge applique un double standard, étant convenu que le simple fait de trancher une question de crédibilité ne suffit pas ».[11]
[Renvois omis]
[14] Dans Figaro c. R., le juge Healy rappelle en des termes différents le niveau de démonstration élevé requis en appel lorsque l’enjeu porte sur le double standard prétendument appliqué par le juge à l’étude de versions contradictoires :
[19] C’est une évidence qu’une évaluation soignée des témoignages contradictoires n’exige pas un examen ou des motifs égaux sur un plan quantitatif et il s’ensuit qu’une évaluation inégale ne démontre pas une erreur si la partie qui s’y attaque ne peut cibler précisément une faille ou une lacune déterminante. La jurisprudence rappelle clairement qu’un moyen d’appel de cette nature exige une démonstration convaincante de l’application d’un double standard inéquitable dans l’appréciation de la preuve contradictoire. Il s’agit d’un seuil exigeant. En l’absence d’une telle démonstration, cette question relève de l’appréciation de la crédibilité des témoignages et mérite une grande déférence.[12]
[Soulignement ajouté; renvois omis]
[15] Il ne s’agit pas ici de l’un de ces rares cas où un juge prend prétexte d’une faiblesse mineure dans le témoignage d’un accusé pour en faire le motif central au soutien du rejet de sa version tout en passant sous silence des faiblesses importantes dans le récit d’un témoin de la poursuite[13].
[16] En l’espèce, l’appréciation du témoignage de l’appelant a été faite en accord avec les principes applicables alors que la juge a justifié au long de 31 paragraphes les raisons qui ont conduit au rejet de sa version. On peut cependant convenir avec l’appelant que la motivation qui amène la juge à accepter la version de la plaignante est plus succincte :
[90] Or, ceci étant, après avoir analysé l’ensemble de la preuve, le Tribunal croit entièrement la version de la plaignante. Elle a témoigné de façon sobre et posée. Elle n’a pas tenté de dénigrer l’accusé. Clairement, elle a aimé profondément ce dernier.
[91] Son contre-interrogatoire ne l’a aucunement ébranlée. Son récit est fiable et crédible.
[92] Ainsi, la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l’accusé a commis les trois infractions reprochées, à savoir, de s’être introduit par effraction chez la plaignante pour y avoir commis un méfait, des voies de fait lésions à son égard et du harcèlement criminel, puisque la preuve démontre que le 26 mai 2017, elle a craint pour sa sécurité. Les propos de cette dernière, cités préalablement, sont éloquents à cet effet. Le Tribunal a eu le loisir d’observer la plaignante.
[93] Le Tribunal considère qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que la plaignante aurait entretenu, à la suite du comportement de l’accusé, une crainte pour sa sécurité.
[17] La Cour suprême dans l’arrêt Gagnon[14] rappelle, dans les cas où une erreur d’appréciation de la preuve ou du droit applicable ne ressort pas du dossier, que la réformation d’un verdict ne s’impose pas du seul fait que le juge du procès a omis d’indiquer expressément qu’il a tenu compte de tous les facteurs pertinents. C’est le cas en l’espèce.
[18] De plus, dans cet arrêt, les juges majoritaires, s’appuyant sur l’arrêt R. c. Braich[15], retiennent deux critères aux fins de décider de la suffisance des motifs. Le premier consiste à se demander si les motifs sont déficients et dans l’affirmative, s’ils font obstacle à l’examen en appel. Encore ici, rien de concluant.
[19] Quelques années plus tard, la Cour suprême précise en ces termes ce qu’il faut entendre par « motifs insuffisants » :
[16] Par conséquent, lorsqu’un tribunal d’appel examine les motifs pour déterminer s’ils sont suffisants, il doit les considérer globalement, dans le contexte de la preuve présentée, des arguments invoqués et du procès, en tenant compte des buts ou des fonctions de l’expression des motifs.[16]
[Renvois omis]
[20] Plus récemment, dans l’arrêt R. c. Vuradin, la juge Karakatsanis résume ainsi le critère applicable pour trancher cette question :
[15] Pour décider si les motifs du juge du procès sont suffisants, la question principale à trancher est la suivante : considérés dans leur contexte, les motifs indiquent-ils pourquoi le juge a rendu la décision qu’il a rendue relative aux chefs d’accusation concernant la plaignante? […][17]
[21] Dans la présente affaire, et quitte à le redire, l’appelant ne pointe dans le jugement entrepris aucune erreur dans l’appréciation de la preuve se rattachant à un élément déterminant de l’affaire ou une erreur de droit. Sa contestation réside plutôt dans cette prétention selon laquelle la crédibilité de la plaignante correctement appréciée ne permettait pas de conclure à sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.
[22] Or, cet aspect du débat a occupé une place importante en première instance. Comme le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt Gagnon, il importe en cette matière, d’autant plus lorsque nous sommes en présence de versions contradictoires comme c’est le cas en l’espèce, de « respecter les perceptions du juge de première instance, sauf erreur manifeste et dominante »[18].
[23] L’appelant soutient notamment que la preuve contredit nettement la conclusion de la juge selon laquelle sa relation avec la plaignante était terminée le matin du 26 mai 2017. Il a tort.
[24] L’analyse des messages textes échangés entre l’appelant et la plaignante à compter de 2 h 05, le 26 mai 2017, permettait à la juge de conclure à l’existence d’une rupture. Pour un exemple donné, il y a ce message de la plaignante à 5 h 34 dans lequel elle écrit « Adieu ». Dans un des messages textes subséquents, la plaignante termine l’échange ainsi : « Bye ». Par la suite, l’appelant transmettra à la plaignante une soixantaine de messages textes, tous demeurés sans réponse. Cette preuve est nettement compatible avec l’idée d’une rupture.
[25] Ensuite, l’appelant soutient que l’enfant de la plaignante aurait contredit sa mère venue affirmer avoir utilisé un tournevis pour se défendre contre l’attaque dont elle était victime. L’enfant a témoigné avoir entendu sa mère dire : « je vais te [l’appelant] tuer »[19].
[26] Or, la juge s’est déclarée incapable de retenir le témoignage de l’enfant comme étant « véridique et fiable », vu son jeune âge et sa tendance à répondre aux questions suggestives de la défense « sans donner de précisions »[20]. De plus, l’appelant n’a pas jugé bon de reproduire au dossier d’appel la déclaration vidéo de l’enfant (pièce P-5), ce qui prive la Cour de juger de la valeur de toute la preuve entourant les versions de ce témoin et sa capacité à témoigner.
[27] Cela dit, à partir du dossier d’appel, des observations des avocats et de la teneur du jugement entrepris, il s’en infère que la juge n’a pas cru l’appelant. Par ailleurs, sa défense n’a pas soulevé de doute raisonnable vu le manque de crédibilité de sa version au regard des faits objectivement révélés par la preuve. Finalement, les motifs de la juge et les verdicts de culpabilité font voir que la version de la plaignante a été crue et que cette conviction repose sur une démonstration hors de tout doute raisonnable de la part de la poursuite.
[28] Ce passage de l’arrêt Lemire-Tousignant c. R. s’applique intégralement à l’affaire à l’étude :
[30] En l’espèce, l’analyse du juge est minutieuse, méthodique et respectueuse des enseignements tirés de la jurisprudence. Le jugement entrepris, lorsque lu dans son intégralité, permet à l’appelant de comprendre les raisons qui ont conduit le juge à ne pas le croire. Il ressort de la lecture de cette décision que les verdicts de culpabilité reposent uniquement sur la force persuasive de la preuve présentée en première instance.[21]
[29] Ce qui précède suffit pour rejeter les moyens d’appel entourant la question du verdict déraisonnable.
[30] Ensuite, l’appelant soutient que la juge aurait dû s’interroger sur sa croyance sincère d’avoir toujours bénéficié du consentement implicite de la plaignante d’entrer en tout temps chez elle, et ce, avant de parvenir à la conclusion qu’il était coupable du crime d’introduction par effraction suivie de la commission d’un acte criminel[22].
[31] À ce sujet, l’appelant raconte qu’il avait l’habitude de rentrer dans la maison de la plaignante comme bon lui semblait. À ses dires, le matin des évènements, il jouissait toujours de ce consentement implicite, sa visite étant dans un but de réconciliation comme le couple avait l’habitude de faire après leurs nombreuses chicanes[23].
[32] Au regard des messages textes échangés par l’appelant et la plaignante, la juge retient, à raison d’ailleurs, que cette dernière avait rompu sa relation avec l’appelant avant son arrivée dans la maison le matin du 26 mai. Ce dernier avait de plus fait précéder sa visite par des messages textes hostiles, lesquels, selon la juge, étaient suffisamment révélateurs de son intention d’entrer par effraction dans la maison et d’y commettre un acte criminel :
[72] Le Tribunal ne croit pas l’accusé. Le message texte qu’il transmet à la toute fin, pièce P-6, page 33, de dire : « Attache ta tuque Ma petite tabarnak », démontre clairement dans quel état d’esprit il se trouve lorsqu’il quitte la maison pour aller rejoindre la plaignante. Le discours qu’il tient à la cour ne trouve pas écho avec ses écrits.
[33] Cette conclusion de la juge relève des faits et s’avère raisonnable au regard des circonstances de l’affaire et plus particulièrement de la chronologie des évènements. L’appelant se présente chez la plaignante vers 8 h sans frapper ni sonner et en accédant à l’intérieur de la maison par la porte du garage, ce qu’il n’a jamais fait auparavant selon le témoignage de la plaignante retenu en première instance. Dès lors que la juge considérait la preuve P-6 comme étant la manifestation d’une intention belliqueuse, elle pouvait raisonnablement conclure que l’état d’esprit de l’appelant ne l’autorisait pas à croire qu’il était le bienvenu dans la maison de la plaignante.
[34] Comme question de fait, la preuve a révélé que des actes de violence ont été commis dès l’arrivée de l’appelant dans la maison. Il s’agissait d’une preuve objective qui permettait à la juge d’être confortée dans son opinion selon laquelle les messages textes annonçaient bel et bien la suite des choses.
[35] De plus, en s’en remettant seulement à la version de l’appelant, la juge avait en main tous les éléments l’autorisant à conclure hors de tout doute raisonnable à une introduction par effraction suivie d’un acte criminel. Voici pourquoi :
- lorsque l’appelant surgit dans la maison, il ne peut ignorer ses messages textes (pièce P-6). La plaignante est sur son départ avec son fils de 5 ans. Selon la version de l’appelant, au moment de l’apercevoir, la plaignante se met à crier et lui dit « décrisse de ma vie »[24]. Manifestement, l’appelant n’est pas le bienvenu. Il persiste tout de même à imposer sa présence sur les lieux au motif, dit-il, qu’il veut « juste qu’on s’explique »;
- l’appelant témoigne que la plaignante le frappe et le menace avec un tournevis;
- « [p]uis j’étais fâché [l’appelant], j’ai pris un cadre, puis je l’ai lancé. Puis malencontreusement, y s’est ramassé dans le mur, puis y a fait une petite poque de rien dans le mur » [25], ce qui s’est avéré plutôt être un trou dans le mur.
[36] Qu’est-ce que l’appelant n’a pas compris dans ces paroles et gestes de la part de la plaignante? Tous ces évènements démontrent que l’appelant, au moment de commettre un méfait, devait savoir qu’il n’était pas le bienvenu dans la maison. Il était donc déraisonnable de sa part de croire qu’il bénéficiait ce jour-là d’un consentement implicite pour entrer dans la maison et persister à y demeurer.
[37] Au regard de ce contexte, il s’infère des motifs de la juge qu’elle a jugée déraisonnable la croyance de l’appelant selon laquelle il détenait un droit d’entrer dans la maison alors que cette intrusion est suivie d’une agression sur la plaignante et d’un méfait. Le passage suivant du jugement entrepris ne recèle donc aucune erreur révisable :
[73] Il se rend chez la plaignante indéniablement sans sa permission. Même si préalablement il peut y entrer comme bon lui semble, ce matin du 26 mai 2017, il n’est pas le bienvenu dans le contexte de la preuve que le tribunal retient. L’accusé commet alors une introduction par effraction chez la plaignante, puisqu’il a en tête de s’en prendre à elle et à ses biens.
[Soulignement ajouté]
[38] Ce second moyen d’appel doit également être rejeté.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[39] REJETTE l’appel.
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GUY GAGNON, J.C.A. |
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MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A. |
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MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. |
[1] R. c. Gaudreau, C.Q. Saint-François, no 450-01-102334-179, 24 octobre 2018, Fabi, j.c.q. [jugement entrepris].
[2] Pièce P-6, Messages textes échangés entre l’appelant et la plaignante les 25 et 26 mai 2017.
[3] CourtLog, 22 juin 2018, salle 5, 10 h 41.
[4] Témoignage de François Poitras, urgentologue, 14 mars 2018.
[5] Témoignage de Tim Gaudreau, 22 juin 2018.
[6] R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3.
[7] R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190.
[8] R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742.
[9] R. c. R.P., 2012 CSC 22, [2012] 1 R.C.S. p. 746, paragr. 9.
[10] R. c. R.P., supra, note 8; R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122, p. 132.
[11] Stevens c. R., 2019 QCCA 785, paragr. 131.
[12] Figaro c. R., 2019 QCCA 1557, paragr. 19.
[13] R. v. Rhayel, 2015 ONCA 377.
[14] R. c. Gagnon, 2006 CSC 17, [2006] 1 R.C.S. 621, paragr. 14.
[15] R. c. Braich, 2002 CSC 27, [2002] 1 R.C.S. 903.
[16] R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, paragr. 16.
[17] R. c. Vuradin, 2013 CSC 38, [2013] 2 R.C.S. 639, paragr. 15.
[18] R. c. Gagnon, supra, note 13, paragr. 20.
[19] Témoignage de l’enfant X, 14 mars 2018.
[20] Jugement entrepris, paragr. 58.
[21] Lemire-Tousignant c. R., 2020 QCCA 1065, paragr. 30.
[22] Acte d’accusation, 14 mars 2018. Par ailleurs, l’appelant admet avoir lancé un tableau sur un mur et avoir endommagé ce mur.
[23] En vertu de l’arrêt Lemieux v. The Queen, [1967] S.C.R. 492, l’appelant prétend en l’absence de mens rea concernant la commission de l’infraction d’introduction par effraction chez la plaignante.
[24] Témoignage de Tim Gaudreau, 22 juin 2018. Pour sa part, la plaignante témoigne lui avoir aussi dit « T’as pas d’affaire ici » : Témoignage de C... G..., 22 juin 2018.
[25] Témoignage de Tim Gaudreau, 22 juin 2018.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.