Favreau c. Cusson |
2018 QCCQ 7105 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
JOLIETTE |
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« Chambre civile » |
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N° : |
705-22-016584-177 |
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DATE : |
14 juin 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DU |
JUGE |
DENIS LE RESTE, J.C.Q. |
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LOUISE FAVREAU |
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Demanderesse |
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c. |
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NORMAND CUSSON |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] Louise Favreau réclame 83 965,69 $ à Normand Cusson à titre d’indemnité et de dommages-intérêts pour les déficiences et les malfaçons affectant la résidence rénovée par ce dernier.
[2] Elle soutient, d’une part, que le travail doit être refait en entier et, d’autre part, que les travaux initiaux ont apporté des problématiques nouvelles à l’immeuble, nécessitant des correctifs supplémentaires.
[3] Monsieur Cusson plaide qu’il n’a pas agi à titre d’entrepreneur et que ses travaux ne sont pas garantis.
LES QUESTIONS EN LITIGE:
[4] Les principales questions en litige sont les suivantes:
1. Normand Cusson a-t-il agi à titre d’inspecteur préachat? A-t-il engagé sa responsabilité à ce titre?
2. Le fait que les travaux soient payés comptant, sans taxe de vente, rend-il le contrat d’entreprise nul de nullité absolue? Si oui, quelle est la sanction applicable?
3. Les travaux effectués comportent-ils des déficiences ou des malfaçons?
4. Y a-t-il lieu à indemnisation? Et, si oui, pour combien?
LE CONTEXTE:
[5] Louise Favreau est retraitée de sa carrière de travailleuse sociale.
[6] Normand Cusson est un entrepreneur en construction aussi retraité, ayant œuvré plus de 30 ans dans ce domaine.
[7] Madame Favreau, voulant demeurer à proximité d’une amie, achète, le 19 mai 2015, un immeuble situé rue Riopel à Entrelacs pour 280 000 $. Cette vente est faite avec la garantie légale et comporte, notamment, deux immeubles d’habitation et une grange.
[8] Il est à noter que monsieur Cusson est le frère de l’amie d’enfance de madame Favreau près de laquelle elle désire habiter.
[9] Elle retient les services de monsieur Cusson afin que ce dernier la guide dans la décision d’acheter ou non l’immeuble en litige.
[10] En avril 2015, elle visite l’immeuble et l’inspecte avec monsieur Cusson. Il est de son intention d’y effectuer de multiples rénovations et c’est pourquoi elle demande son aide avant l’achat. Elle a confiance en ce dernier puisqu’il a été entrepreneur pendant plusieurs années.
[11] Elle décide de ne pas retenir les services d’un expert préachat puisque conseillée par monsieur Cusson.
[12] Dans ce secteur, il a d’ailleurs effectué plusieurs constructions et rénovations au fil des ans.
[13] Le 19 mai 2015, elle achète l’immeuble pour 280 000 $. Cette vente est faite avec la garantie légale.
[14] Elle demande à monsieur Cusson le coût approximatif pour certaines parties des travaux, notamment pour le changement de revêtement de la toiture du chalet principal, du petit chalet et de la grange ainsi que pour le changement de la fenestration.
[15] Dès la prise de possession, les travaux débutent. Selon madame Favreau, elle retient les services de monsieur Cusson à titre d’entrepreneur général à un taux horaire de 25 $.
[16] Il y travaille à temps plein avec l’aide d’un ouvrier jusqu’en octobre 2015, à l’exception de trois semaines de vacances pour la pêche.
[17] C’est elle qui choisit les matériaux et monsieur Cusson fait l’ensemble des travaux de rénovation.
[18] Elle admet qu’il a été payé entièrement en argent comptant. En fait, payé «au noir», de façon à ne pas assumer les taxes de vente T.P.S. et T.V.Q.
[19] À la fin de chaque semaine, il lui remet des petits «coupons de temps» et elle lui verse en argent comptant ses honoraires, sans taxes.
[20] Les travaux effectués sont :
1. La réfection de la toiture du hangar, du petit chalet et du chalet principal;
2. Le retrait des tapis dans la petite chambre et à la mezzanine pour y installer des lattes de bois;
3. La modification des ouvertures, portes intérieures et de la verrière;
4. Le remplacement du revêtement extérieur du chalet principal;
5. Le remplacement des fenêtres de la verrière et de la mezzanine;
6. La réfection de la galerie;
7. La construction d’une véranda d’été.
[21] Selon madame Favreau, elle débourse 20 215 $ en honoraires à monsieur Cusson et 41 880,36 $ en matériaux. Les travaux d’électricité et de plomberie sont effectués par des tiers et payés en argent comptant par madame Favreau.
[22] Un aide général assiste monsieur Cusson et madame Favreau lui paie directement son salaire chaque semaine, lui aussi en argent comptant.
[23] Madame Favreau ajoute bien connaître la famille de monsieur Cusson et de sa sœur. Il lui est présenté comme un «entrepreneur» par la famille.
[24] Après un dîner familial à la période des fêtes du Nouvel An, monsieur Cusson reconduit madame Favreau à son domicile. De grands barrages de glace se sont formés au rebord de la toiture. La désolation s’installe de part et d’autre.
[25] Selon la version offerte par madame Favreau à l’instruction, elle prétend que dès ce moment-là, monsieur Cusson la rassure et lui promet de ne pas la laisser tomber.
[26] Cependant, dans les semaines qui suivront et malgré des discussions, la situation est sans issue et monsieur Cusson refuse d’effectuer les réparations suggérées par l’expert de madame Favreau, Alain Corbeil, qui est technologue professionnel.
[27] Dans son rapport du 13 août 2016, il dresse les particularités et défectuosités de l’immeuble. Il prend pour acquis que monsieur Cusson a agi à titre d’inspecteur préachat et entrepreneur général à la réalisation des rénovations de l’immeuble. Voici ce que le Tribunal retient des principales observations de l’expert :
1. La fondation :
[28] La fondation, constituée de blocs de béton, montre un bombement et une dislocation vers l’intérieur. Il est urgent de corriger la situation. Cette situation est, pour lui, visible lors de l’inspection préachat.
2. La toiture de la résidence principale :
[29] Le revêtement de toiture en acier existant a été enlevé. Sous celui-ci, un autre revêtement de toiture constitué de bardeaux d’asphalte est présent. Ce dernier est conservé et le nouveau revêtement installé par-dessus. Cette façon de faire ne respecte pas les normes et recommandations du fabricant et cause de la pourriture au niveau de la structure puisque le bardeau est considéré comme pare-vapeur.
[30] La vérification de la structure et de l’isolation n’est pas corrigée afin de réponde aux normes de constructions actuelles.
[31] L’installation du nouveau bardeau d’asphalte ne respecte pas les spécifications du fabricant en ce que :
a) La bande de départ ou membrane installée sous l’aluminium du fascia est à haut risque d’infiltration d’eau;
b) Sur le pourtour de la cheminée, les solins métalliques sont installés de façon non étanche. Sur la section avant, le solin est manquant et seul le calfeutrage est présent en guise d’étanchéité. De l’eau s’infiltre sur le latéral droit de la cheminée et la finition de bois intérieure montre des signes de moisissure;
c) Des affaissements structuraux du pontage sont perceptibles sur tout le pourtour de la toiture;
d) Le revêtement de bardeaux est trop long au niveau de l’avant-toit. Celui-ci est déjà affaibli et cassé par endroits.
[32] Selon l’expert, le revêtement est installé de façon artisanale et des infiltrations d’eau se produisent, ce qui est à haut risque pour la structure. La formation de glace en période hivernale est attribuable au manque d’isolation dans l’entretoit et à l’installation du nouveau revêtement de toiture sur l’ancien.
[33] L’expert recommande la reprise en totalité des travaux de revêtement de toiture selon les normes et codes en vigueur actuellement.
3. Les fascias et les soffites :
[34] Les travaux de revêtement d’aluminium exécutés par monsieur Cusson doivent être repris dans leur totalité. Le revêtement ondule et n’est pas fixé adéquatement à plusieurs endroits. L’esthétisme dans sa généralité est déficient et le tout risque de permettre des infiltrations d’eau.
4. Le revêtement de déclin :
[35] À plusieurs endroits le déclin des murs est en contact avec le sol. Cette façon est à haut risque pour la formation de moisissures, de dégradation des matériaux et d’infiltration d’eau. On n’a pas respecté un minimum de huit pouces entre le sol et le revêtement. Sur le latéral droit, nous retrouvons la présence de carton fibre et du bois enfoui sous le niveau du sol. Cette façon de faire est à risque pour la formation de moisissures, la dégradation des matériaux et de la structure.
[36] Au périmètre du compteur électrique, la finition est de type artisanal et on retrouve la présence de mousse de polyuréthane, ce qui est à haut risque pour les incendies.
[37] À certains endroits la finition est manquante et des ouvertures sont présentes entre le revêtement de pierres et le nouveau revêtement de déclin. Ceci peut causer des infiltrations d’eau. Il n’y a pas eu d’ajout d’isolant au niveau des murs extérieurs. Il y a lieu de bonifier les travaux d’isolation, tels que requis au Code national du bâtiment. L’expert recommande l’enlèvement du revêtement, l’installation d’un isolant rigide avec joints scellés, d’un pare-vapeur, d’une nouvelle fourrure de bois et du nouveau revêtement de finition, le tout selon les normes actuelles.
5. Fenestration :
[38] Il y a absence d’un solin avec brise-goutte au-dessus et sous les ouvertures. Seule la présence d’un calfeutrage qui est déficient, par ailleurs, assure l’étanchéité. Il faut procéder à l’installation d’un solin souple sur le pourtour des ouvertures et insérer des solins avec lamiers, selon les normes actuelles.
6. Balcon :
[39] Les planches de revêtement du balcon ont été remplacées. Les planches de ce composite ne sont pas attachées entre elles à l’aide d’attaches conçues par le fabricant. L’espacement entre les planches est inégal, les joints entre les sections de plancher sont relevés et à risque pour la sécurité des occupants. Plusieurs joints entre les sections de planches sont égaux, ce qui ne respecte pas les normes en vigueur.
[40] Il n’y a pas de colonne sous le balcon afin d’appuyer convenablement celui-ci au sol. Il n’y a pas de rampe et de main-courante sur le pourtour du balcon et des marches d’accès. On recommande la reprise des travaux.
[41] À l’instruction, l’expert confirme les conclusions de son rapport. Même si l’immeuble a été construit en 1950 ou 1960 et qu’il a, au fil des ans, été agrandi ou modifié à plusieurs occasions, il est impératif de suivre les normes actuelles du Code national du bâtiment lorsqu’on procède à de tels travaux.
[42] À l’approche de l’hiver 2017 et 2018 et vu les problèmes d’isolation importants de l’immeuble, madame Favreau requiert les services de Construction Simpat inc. pour entreprendre les travaux correctifs les plus urgents.
[43] Elle débourse 12 865,70 $ en main-d’œuvre pour des travaux effectués en octobre 2017 pour la modification de la toiture, l’ajout d’isolation et de ventilation conformément aux normes actuelles.
[44] On retire aussi le balcon, ajoute des pieux et reconstruit ce dernier. On isole aussi les pignons. Les travaux sont dûment acquittés par chèque, comprenant les taxes.
[45] Madame Favreau débourse également 21 248,24 $ pour les matériaux auprès d’un centre de rénovation pour ces correctifs effectués en octobre 2017.
[46] Le 13 février 2018, le même entrepreneur remet à madame Favreau une estimation établissant à 44 851,75 $ le coût des travaux supplémentaires, tels que décrits précédemment par l’expert Alain Corbeil. Ceux-ci totalisent 78 965,69 $.
[47] Elle réclame aussi 5 000 $ pour stress, troubles, inconvénients et perte de temps liés à toute cette affaire.
[48] En contre-interrogatoire, madame Favreau précise que c’était connu de tous que monsieur Cusson est entrepreneur dans le domaine de la construction. Elle ajoute : «Il est à sa retraite, mais il travaille tout le temps.»
[49] Elle insiste sur le fait que monsieur Cusson, lors de la visite préachat, lui donne plusieurs conseils sur les rénovations éventuelles et une estimation des coûts, matériaux et main-d’œuvre. Jamais il n’est question entre eux de la garantie. C’est du travail «au noir».
[50] Les travaux effectués sur la grange et le petit chalet sont parfaits. Ils ne sont pas l’objet de réclamation de quelque nature.
[51] Elle admet avoir payé comptant pour les travaux de plomberie, d’électricité, de céramique et de sablage à des tiers également.
[52] Marie-Andrée Cusson, la sœur du défendeur, témoigne. À l’époque, elle est amie avec madame Favreau depuis environ 50 ans. Cette dernière veut une maison comportant un grand terrain avec vue sur le lac. Elles visitent l’immeuble en litige. Il est rustique et nécessitera plusieurs travaux.
[53] Madame Favreau rappelle que les maisons clés en main ne l’intéressent pas. Elle précise : «J’aime ça les grands travaux et la masse dans les murs.»
[54] Madame Cusson se rappelle bien de la visite préachat. Son frère, le défendeur, insiste sur le fait que personnellement, il n’achèterait pas cet immeuble puisqu’il y a trop de rénovations à y faire.
[55] Elle confirme qu’il est à sa retraite depuis 15 ans et qu’il travaille seulement à temps partiel.
[56] Mario Labrecque est locataire de monsieur Cusson depuis 10 ans à ce moment-là. Il ne travaille pas cet été-là et madame Favreau l’engage pour toute sorte de menus travaux tels que le gazon, la coupe de branches et l’entretien. Parce que monsieur Cusson a besoin d’une personne pour l’accompagner, madame Favreau lui demande de l’aider. Il négocie avec elle son salaire et elle le paie également en argent comptant chaque semaine.
[57] Pour sa part, Normand Cusson reprend chronologiquement tout le litige. Au départ, il sait que madame Favreau, en compagnie de sa sœur, visitent plusieurs résidences. Elle veut habiter dans ce secteur. Elle lui demande d’aller voir cette maison.
[58] Monsieur Cusson précise que dès son arrivée, avant même d’entrer à l’intérieur, il remarque que «la maison est tout croche» et que «la couverture est arquée de sept pouces».
[59] Il explique qu’on a fait au fil des ans quatre rallonges à l’immeuble. Il met en preuve une photo de 2010 démontrant la situation antérieure.
[60] Il n’agit jamais à titre d’inspecteur préachat. Il ne possède pas les qualifications pour le faire, selon ses dires.
[61] La première fois où il voit l’immeuble, il explique aussitôt à madame Favreau qu’il y a une multitude de travaux à faire. Une fois à l’intérieur, il ne fait pas plus que quelques pas et lui dit qu’il n’achèterait jamais cette maison puisqu’il y a trop d’investissement en temps et en argent à faire pour la remettre à niveau. Il ne conseille nullement madame Favreau dans cette affaire, bien au contraire, il tente de la dissuader de s’en porter acquéreuse.
[62] Malgré tout, elle acquiert la propriété et le lendemain de l’acte notarié, elle lui demande son aide. Il accepte de s’y rendre. Au départ, seul du travail de réaménagement intérieur est prévu. Il n’a jamais été question qu’il lui fournisse des estimations préalables pour quoi que ce soit.
[63] Ce n’est qu’après quelques jours de travail qu’elle lui demande s’il est en mesure de refaire les toitures. Elle lui demande de lui faire un prix. Il n’est pas en mesure de le faire et lui dit que, de toute façon, il travaille «à l’heure».
[64] Au départ, elle lui demande de changer la pente de la toiture. Monsieur Cusson explique qu’il n’a pas les compétences pour ce faire et lui suggère de retenir les services d’un entrepreneur licencié.
[65] Le lendemain, elle lui indique qu’elle retient plutôt ses services, puisqu’un couvreur est trop dispendieux.
[66] C’est elle qui décide d’enlever le revêtement d’aluminium de la toiture et d’installer le nouveau revêtement de bardeaux par-dessus les planches. Ce n’est pas lui qui décide s’il y aura réfection de l’isolation ou pas. Madame Favreau contrôle tout.
[67] À l’instruction, il affirme lui avoir bien expliqué que la main-d’œuvre ne comporte aucune garantie.
[68] Pour obtenir des travaux garantis, monsieur Cusson lui suggère, à plus d’une reprise, de faire affaire avec des entrepreneurs spécialisés et licenciés, puisque lui ne l’est plus. Elle refuse pour des questions d’économie.
[69] Monsieur Cusson témoigne qu’à plusieurs reprises, elle tente de lui faire effectuer des travaux dont il n’est pas qualifié. Par exemple, pour l’électricité, il lui demande d’engager un électricien dûment certifié. Elle veut plutôt, là aussi, économiser.
[70] Le premier électricien (Yoland) fait certains travaux. Il travaille les samedis et dimanches en l’absence de monsieur Cusson. À un certain moment, il apprend que madame Favreau l’a congédié pour vol de temps. On trouve un autre électricien. Les deux sont payés en argent comptant, directement par madame Favreau, qui discute avec eux de leurs tarifs et des travaux à faire.
[71] Monsieur Cusson n’est pas le maître d’œuvre et ne négocie nullement avec les sous-traitants sur le chantier. Ils prennent les ordres directement de madame Favreau, c’est elle qui planifie tout.
[72] Lorsqu’il est question d’isolation, monsieur Cusson rappelle à madame Favreau qu’il ne peut l’effectuer et de faire affaire avec un expert en ce sens. Elle y renonce et demande d’effectuer seulement le revêtement de la toiture, sans modifier l’isolation.
[73] Quant aux murs, il est évident qu’ils sont arqués. Tel que convenu avec madame Favreau et pour éviter des coûts, on décide d’y installer du nouveau revêtement sans corriger la structure. Ce n’est pas lui qui décide de la façon de faire.
[74] Même chose pour les travaux de céramique et de fils chauffants des planchers. Monsieur Cusson refuse de faire ce travail puisqu’il explique à madame Favreau qu’il ne considère pas en avoir les compétences. Madame Favreau retient les services de Pierre, un vendeur chez Rona. C’est lui qui effectue plusieurs travaux de plomberie et d’électricité.
[75] Quant au balcon extérieur, il remarque l’état de pourriture avancé de celui-ci. Cela affecte principalement les planches du dessus, en épinette.
[76] Monsieur Cusson suggère de remplacer le tout par du bois traité, mais madame Favreau opte plutôt pour des planches en PVC. En retirant les planches, monsieur Cusson l’informe que la structure doit être refaite à neuf. Elle refuse et dit à monsieur Cusson : «On va la toffer une couple d’années.» C’est pour cette raison que monsieur Cusson double certaines pièces de la structure afin d’y installer les nouvelles planches.
[77] Quant aux espacements inappropriés décrits par l’expert en demande, monsieur Cusson rappelle que c’est madame Favreau qui décide que ce soit effectué de cette façon, malgré les directives du fabricant dans un souci d’économie.
[78] Monsieur Cusson insiste pour rappeler que le maître d’œuvre dans toute cette affaire est madame Favreau. Contrairement à ses prétentions, elle connaît très bien le domaine de la construction. Il s’agit de la septième maison qu’elle achète, qu’elle rénove et qu’elle revend avec profit. Son but est d’y apporter des modifications et d’en tirer profit éventuellement. Lorsqu’il n’y a plus de défi avec un immeuble, elle le revend, selon ses propres paroles.
[79] Lorsqu’il est question de procéder à l’isolation à l’uréthane, elle dit à monsieur Cusson que les coûts sont trop exorbitants, qu’on laisse le tout tel quel.
[80] Il en est de même pour les fondations qu’elle refuse de redresser. En fait, monsieur Cusson explique que dès qu’un entrepreneur spécialisé est nécessaire, elle change d’idée et lui demande d’effectuer les travaux pour diminuer le plus possible les coûts. Elle préfère laisser telle quelle la situation plutôt que de verser des sommes supplémentaires pour la mise à niveau et le respect des normes actuelles de la construction.
[81] Monsieur Cusson admet qu’il débute les travaux le 20 mai et termine le 7 octobre 2015. Il soutient que ce ne sont pas 20 215 $ qu’il reçoit de madame Favreau. Selon lui, cette somme inclut celle versée à l’ouvrier qui l’accompagne.
[82] Ce ne sont pas 20 semaines de travail qu’il effectue, mais seulement 13 ou 14, selon lui, ajoutant à cela qu’il a pris plusieurs jours de vacances.
[83] En résumé, monsieur Cusson soutient qu’il n’a pas agi comme inspecteur préachat, qu’il n’est pas entrepreneur et que nullement sa responsabilité ne peut être retenue. Il n’a fait que se soumettre aux directives de madame Favreau.
[84] Il s’agit là de l’essentiel de la preuve retenue par le Tribunal.
LE DROIT APPLICABLE ET L’ANALYSE :
[85] Le Tribunal considère important de décrire les règles et critères applicables dans le cadre du fardeau de la preuve.
[86]
Le rôle principal des parties dans la charge de la preuve est établi aux
articles
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[87] Les justiciables ont le fardeau de prouver l'existence, la modification ou l'extinction d'un droit. Les règles du fardeau de la preuve signifient l'obligation de convaincre, qui est également qualifiée de fardeau de persuasion. Il s'agit donc de l'obligation de produire dans les éléments de preuve une quantité et une qualité de preuve nécessaires à convaincre le Tribunal des allégations faites lors du procès.
[88] En matière civile, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la partie demanderesse suivant les principes de la simple prépondérance.
[89] La partie demanderesse doit présenter au juge une preuve qui surpasse et domine celle de la partie défenderesse.
[90] La partie qui assume le fardeau de la preuve doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable.
[91] La probabilité n'est pas seulement prouvée par une preuve directe, mais aussi par les circonstances et les inférences qu'il est raisonnablement possible d'en tirer.
[92] Le niveau d'une preuve prépondérante n'équivaut donc pas à une certitude, ni à une preuve hors de tout doute.
[93] La Cour suprême du Canada, dans la décision de Parent c. Lapointe[1], sous la plume de l'honorable juge Taschereau, précise:
C'est par la prépondérance de la preuve que les causes doivent être déterminées, et c'est à la lumière de ce que révèlent les faits les plus probables, que les responsabilités doivent être établies.
1. Normand Cusson a-t-il agi à titre d’inspecteur préachat? A-t-il engagé sa responsabilité à ce titre?
[94] La prépondérance de la preuve ne démontre pas que madame Favreau a mandaté monsieur Cusson pour agir à titre d’inspecteur préachat.
[95] Le Tribunal conclut plutôt de la preuve prépondérante que monsieur Cusson a tenté de dissuader madame Favreau d’acquérir cet immeuble. Dès le départ, il est indéniable que plusieurs signes et indices précurseurs démontrent l’état de l’immeuble.
[96] Certes, monsieur Cusson accompagne à une reprise madame Favreau avant l’achat. Le Tribunal retient plutôt les dires de monsieur Cusson à l’effet qu’il n’aurait jamais acheté cet immeuble vu son état et qu’il en fait part à madame Favreau.
2. Le fait que les travaux soient payés comptant et sans taxe de vente rend-il le contrat d’entreprise nul de nullité absolue? Si oui, quelle est la sanction applicable?
[97] L’honorable Martin Tétreault dans Mario Lafrance c. Carl Carter[2] dresse un savant portrait de l’état de la législation et de la jurisprudence applicables sur la validité des contrats et l’effet du travail au noir. Il importe de citer les passages suivants :
[17] Plusieurs décisions de première instance affirment, souvent sans distinction, que toute entente impliquant du travail ou des transactions au noir est nulle de nullité absolue, celle-ci allant à l’encontre de l’ordre public. Parmi ces décisions, certaines vont jusqu’à conclure à la nullité intégrale du contrat dès qu’une partie du prix ou des travaux se fait sous la table.
[18] Avec égard, le Tribunal considère que cette conclusion n’est valable que lorsque des conditions précises sont rencontrées. Ces conditions seront énoncées plus loin. Il est à noter que, malgré ses recherches, le Tribunal n’a retracé aucun arrêt de la Cour d’appel du Québec ou de la Cour suprême du Canada portant directement sur cette question.
[…]
[19] L’article
[20] La
nullité absolue du contrat est soulevée d’office par le tribunal et le contrat
qui en est frappé ne peut être confirmé (art.
[21] Le
contrat nul est réputé n’avoir jamais existé et oblige, en principe, les
parties à restituer les prestations qu’elles ont reçues l’une de l’autre (art.
[22] Lors
de la formation du contrat, l’ordre public peut intervenir au niveau de sa
cause ou de son objet. Ainsi, selon les articles
[23] Il
faut donc examiner la loi pour déterminer si la cause du contrat, i.e. la
raison qui détermine chacune des parties à conclure le contrat (art.
[24] Par
ailleurs, l’article
[…]
[29] Comme la violation d’une loi, même d’intérêt général, n’entraîne pas automatiquement la sanction de la nullité absolue, lorsqu’un contrat semble contrevenir à une loi, le Tribunal doit tenter de « diagnostiquer » l’intention du législateur.
[30] Ainsi, si la loi énonce expressément que le contrat qui y contrevient est nul, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin : la nullité doit être prononcée.
[31] Si
la loi n’est pas explicite, le Tribunal devra tirer du texte des indices
formels de la volonté du législateur de permettre (ou non) d’y déroger. En
présence d’une rédaction de forme prohibitive, la présomption (ou directive) de
nullité édictée par l’article
[32] Après cette analyse, un tribunal peut également déclarer un contrat nul comme portant atteinte à l’ordre public si celui-ci va à l’encontre des principes généraux de droit.
[33] Par
ailleurs, la violation de l’ordre public n’atteint en principe que la clause
qui y contrevient (et non l’ensemble du contrat) à moins que celui-ci ne forme
un tout indivisible ou qu’elle n’en constitue un élément essentiel (de façon
objective ou subjective) pour les parties. Le même raisonnement s’applique à une
obligation qui contreviendrait à l’article
[34] Il faut se rappeler que la nullité absolue est une arme redoutable, aux effets radicaux qui peut produire des effets contraires à ceux recherchés.
[…]
[43] Enfin,
dans l’affaire Sperandio, la juge Richer écarte ainsi l’argument fondé
sur l’article
Le Tribunal est d'avis que le fait que
les taxes n'aient été ni chargées ni payées n'a pas pour effet de rendre les
services professionnels illégaux ou contraires à l'ordre public. L'article
[…]
[44] Les LTVAS ne contiennent aucune disposition à l’effet que les contrats au noir ou visant à éluder le paiement des LTVAS sont nuls.
[…]
[46] Doit-on en déduire que le fait d’éluder les taxes entraîne la nullité absolue des contrats? Une analyse législative permet de conclure que le législateur n’avait probablement pas l’intention d’imposer cette sanction radicale.
[…]
[48] Vu l’ampleur de ce fléau, on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles le législateur n’a pas jugé bon d’imposer la sanction de nullité absolue à l’ensemble du contrat lorsque des parties décident d’éluder le paiement des taxes. Pourtant, il lui arrive fréquemment de spécifier cette sanction civile lorsqu’il légifère.
[49] D’ailleurs, en matière de travaux impliquant un entrepreneur ne détenant pas de licence, le législateur a préféré prévoir que la nullité du contrat ne pouvait être invoquée que par le client qui ignorait que l’entrepreneur ne détenait pas la licence appropriée plutôt que d’édicter la nullité absolue. Pourtant, la licence a pour objet d’assurer la compétence des entrepreneurs, question d’intérêt public s’il en est une.
[50] Le fait que les LTVAS autorisent, sous certaines conditions, le fournisseur à récupérer des taxes impayées de l’acquéreur laisse entendre que le législateur n’entend pas s’attaquer à la validité de l’acte juridique à l’origine de la créance fiscale. En laissant le fournisseur assumer les taxes lorsqu’il n’a pas respecté les modalités législatives quant à l’indication des taxes, le législateur fait supporter le risque fiscal au fournisseur et non à l’acquéreur.
[51] Or,
en prononçant la nullité absolue du contrat, c’est principalement le client
(l’acquéreur) qui en supporte les conséquences. À titre d’exemple, dans le cas
d’un contrat d’entreprise, le client sera privé des garanties légales contre
les malfaçons (art.
[…]
[70] Les obligations découlant des LTVAS sont distinctes et indépendantes du contrat conclu entre les parties. Elles sont en fait un accessoire de celui-ci.
[71] De plus, les LTVAS font entrer artificiellement une autre partie au contrat : l’État. Selon les LTVAS, l’État est le créancier des taxes, l’entrepreneur (fournisseur) n’étant que le mandataire aux fins de les percevoir auprès du client (l’acquéreur).
[72] En éludant les taxes, les parties au contrat font défaut de respecter leurs obligations légales envers cette autre partie qu’est l’État. Ce manquement comporte des conséquences juridiques prévues aux LTVAS, lesquelles ne mentionnent pas la nullité du contrat. Cependant, en droit civil, un contrat ayant pour objet de frauder un tiers est d’une nullité absolue d’ordre public, nullité que le tribunal doit soulever d’office.
[73] Toutefois, sauf exception, on ne peut considérer que ces obligations légales sont la cause essentielle ou déterminante de l’engagement des parties au contrat.
[74] Si l’évitement des taxes constitue la cause déterminante de l’engagement des parties, le contrat sera alors nul dans son intégralité. Sinon, seule la clause illicite sera nulle et le reste du contrat restera valable.
[…]
[79] Que la nullité soit partielle ou intégrale, elle emporte l’obligation de restitution.
[…]
[86] Dans l’affaire Peter c. Fiasche, la Cour supérieure accorde le remboursement du prix de vente d’une franchise, et ce, malgré la nullité du contrat en raison du fait que la transaction était entièrement fondée sur une combine visant à frauder le fisc.
[87] La doctrine québécoise majoritaire partage cette vision tout en soulignant la grande discrétion accordée aux juges en la matière et son caractère exceptionnel.
[…]
[91] Le paiement en argent comptant n’a rien d’illégal. Au contraire, le paiement « en monnaie légale ayant cour légal » demeure le principe.
[…]
[108] Après avoir exposé les motifs qui incitent le Tribunal à adopter une approche plus nuancée à l’égard de l’impact du travail au noir sur le contrat, il convient d’en faire la synthèse.
[109] Ainsi,
lorsqu’il y a apparence de transactions impliquant du travail au noir, le
tribunal, à titre de gardien de l’intérêt général, devrait intervenir d’office
(art.
1. S’agit-il d’une transaction taxable au sens des lois fiscales?
2. Si oui, les parties ont-elles éludé les taxes?
3. Si oui, l’exclusion des taxes avait-elle pour objet ou était-elle un élément essentiel ou déterminant de l’engagement des parties?
4. a)
si oui, le contrat est nul de nullité absolue (art.
b) si non, seule la
clause d’exclusion des taxes est nulle et le reste du contrat est valide (art.
[110] En cas de réponse négative aux questions 1 et 2, il n’y a pas lieu de se préoccuper du travail au noir.
[111] Avant
de prononcer la nullité intégrale, le tribunal devra s’assurer qu’il a toujours
juridiction puisque c’est la valeur du contrat qui détermine la compétence en
matière d’annulation (art.
(Références omises)
[98] Le Tribunal suggère donc d’effectuer le test en quatre étapes prévu au paragraphe 109 du jugement de notre collègue Martin Tétreault.
1. S’agit-il d’une transaction taxable au sens de la loi fiscale?
[99] La preuve prépondérante démontre que monsieur Cusson a reçu 20 2015 $ pour les travaux effectués chez madame Favreau.
[100] Le Tribunal retient les explications de madame Favreau qui sont plus probantes et précises à cet égard. Elle met en preuve certains des coupons de travail de monsieur Cusson et ses relevés bancaires qui démontrent qu’elle a retiré ces sommes au moment pertinent.
[101] Le Tribunal conclut que monsieur Cusson a reçu 20 215 $ pour le travail effectué chez elle.
[102] La preuve non contredite démontre aussi que monsieur Cusson a d’autres clients. À l’instruction, il n’a pas contredit l’affirmation démontrant que ses revenus annuels sont d’au moins 30 000 $ pour ses travaux de rénovation. Ainsi, le Tribunal considère que l’exécution des travaux par monsieur Cusson constitue une fourniture taxable au sens des lois fiscales applicables.
2. Les parties ont-elles éludé les taxes?
[103] Madame Favreau a une façon de faire précise et constante dans le cadre des rénovations de cet immeuble. Elle paie chacun des intervenants en argent comptant, sans facture. La preuve prépondérante démontre qu’elle refuse de retenir les services d’entrepreneurs spécialisés fort probablement si elle doit payer les taxes de vente.
[104] Le Tribunal conclut que les parties ont effectivement éludé les taxes qui devaient être payables.
3. L’exclusion des taxes avait-elle pour objet ou était-elle un élément essentiel ou déterminant de l’engagement des parties?
[105] Madame Favreau et monsieur Cusson se sont engagés dans de tels travaux sans discussion très élaborée à ce sujet. Monsieur Cusson accepte de faire les travaux parce qu’il est payé au noir. En l’espèce, contrairement aux enseignements de notre collègue le juge Tétreault, le Tribunal est convaincu que madame Favreau a retenu les services de monsieur Cusson parce qu’il accepte de travailler au noir, sans facture. C’est le motif principal qui fait en sorte qu’elle retient ses services.
[106] En
l’espèce et pour les raisons très particulières de cette affaire, le travail au
noir est l’élément essentiel et déterminant de l’engagement des parties pour
conclure ce contrat. L’entente va à l’encontre de l’ordre public et ainsi, le
Tribunal la soulève d’office en vertu de l’article
[107] C’est donc
l’intégralité du contrat qui est déclarée nulle de nullité absolue par le
Tribunal. Il y a lieu d’ordonner la restitution des prestations, telle que
prévue aux articles
4. Les travaux effectués comportent-ils des déficiences ou des malfaçons?
[108] Considérant
les conclusions auxquelles le Tribunal en arrive sur les questions précédentes,
madame Favreau ne peut se prévaloir des garanties des articles
[109] En d’autres termes, parce que l’objet principal du contrat est de retenir les services de monsieur Cusson dans le cadre d’un travail au noir, en l’absence du paiement des taxes et sans facture, la cliente, madame Favreau, ne peut parallèlement recevoir les protections habituelles pour les garanties offertes au Code civil du Québec.
[110] Madame Favreau ne peut, d’un côté, bénéficier d’un rabais substantiel dans le paiement des travaux de rénovation effectués sur ses immeubles et, de l’autre, une garantie pour des travaux qu’elle estime mal exécutés.
[111] En l’espèce, la preuve prépondérante démontre que madame Favreau sait que monsieur Cusson ne possède pas les licences appropriées et qu’il travaille sans facture officielle.
[112] Ainsi, la jurisprudence consultée à souvent discuté de la contravention à ce type de loi incluse dans celle d’ordre public.
[113] Traitant de cette question, l’honorable Georges Massol, dans Dion c. Soucy[3] écrit :
[95] Quant
à l'application des maximes frustra legis et nemo auditur, même
si un certain courant de jurisprudence supporte la non-intervention des
tribunaux en cas de fraude aux lois fiscales, d'autres sont d'avis que la règle
énoncée au deuxième alinéa de l'article
[96] Dans les commentaires du ministre de la Justice, publiés à l'occasion de l'adoption de cet article, on y lit :
« Ce principe de la restitution des prestations, applicable dans toutes les situations visées, exclut ainsi un courant jurisprudentiel qui tend à refuser aux parties le droit à la restitution ou à la remise en état lorsque l'acte en cause est immoral. Une telle tendance, qui s'appuie, entre autres, sur l'adage que nul ne peut invoquer sa propre turpitude, n'a pas paru devoir être conservée, car elle conduit bien souvent à ajouter une seconde immoralité à la première, en provoquant l'enrichissement indu de l'une des parties. » (soulignements du soussigné)
[97] Les professeurs Langevin et Vézina confirment cette interprétation :
« Ces articles peuvent s'appliquer même dans le cas où la remise en état des parties découle de l'annulation d'un acte immoral. En effet, le Code civil n'a pas retenu l'adage « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans » (personne n'est entendu lorsqu'il invoque sa propre turpitude), puisqu'il « conduit bien souvent à ajouter une seconde immoralité à la première, en provoquant l'enrichissement indu de l'une des parties » (soulignement du soussigné)
[98] Les auteurs Baudouin, Vézina et Jobin vont dans le même sens :
« 841 - Exeptions - […] Enfin, le tribunal, aux termes du nouvel article 1699, [L.Q. 1991, c. 64alinéa 2] alinéa 2, obtient un vaste pouvoir discrétionnaire. Il peut refuser la restitution lorsqu'elle a pour conséquence d'accorder un avantage indu à l'une des parties ; il peut aussi dans ce cas changer l'étendue et les modalités de la restitution pour parvenir à un résultat équitable. Les tribunaux recourent de plus en plus souvent à ce pouvoir modérateur ; ils l'étendent même aux accessoires de la restitution, tel le remboursement des impenses. »
[99] Traitant spécifiquement de la maxime nemo auditur, ces auteurs ajoutent :
« 842 - L'ancienne maxime nemo auditur - Depuis longtemps, la jurisprudence sanctionne sévèrement les contrats qui dénotent une conduite immorale, spécialement si elle est prohibée par le Code criminel ou une loi de cette nature (tel le trafic d'influence en vue d'obtenir un avantage d'une autorité publique), voire simplement une conduite illicite (contrat qui contrevient à une interdiction légale quelconque, qui n'a pas de connotation morale) : dans certaines affaires, les tribunaux ont alors refusé la restitution des prestations qui était demandée. Nemo auditur propriam turpitudinem allegans, disait-on. […] Selon une certaine tendance jurisprudentielle et comme l'enseignent certains auteurs, il convient de distinguer les cas de véritable immoralité et ceux où les parties ont uniquement violé une loi d'ordre public, mais qui ne vise pas à protéger la moralité. L'immoralité ne doit pas être confondue avec la simple illicéité. Le refus de restituer les prestations doit se limiter aux premiers cas ; ailleurs, on est en présence d'un comportement certes illégal, mais qui n'appelle pas de réprobation particulière. Il ne faut pas interpréter largement la règle nemo auditur, qui n'a toujours été qu'une exception à la règle générale de la remise en l'état. Or, la règle nemo auditur est implicitement abrogée, d'après nous, depuis la réforme du Code civil et l'adoption de la disposition accordant au juge une très grande discrétion en matière de restitution des prestations : selon les circonstances propres à chaque espèce, s'il y a immoralité, le juge doit dorénavant utiliser sa discrétion pour ordonner la restitution normale des prestations ou au contraire pour la refuser, en tout ou en partie, ou même pour en fixer des modalités particulières. Cette nouvelle disposition est susceptible de s'appliquer à une situation qualifiée de nemo auditur comme à toute autre situation, et avec toute la souplesse qu'elle comporte. » (soulignements du soussigné)
[100] La Cour d'appel a appliqué ces principes dans l'affaire Amusements St-Gervais inc. c. Legault :
« [29] St-Gervais soutient que si le contrat d'approvisionnement exclusif est nul, il en est autrement pour le contrat de vente. Elle ajoute que dans cette hypothèse, le premier juge a commis une erreur en ordonnant la remise en état des parties. Elle prétend que suivant la doctrine et la jurisprudence, un contrat passé en violation des lois criminelles ou pénales ne peut être la base d'un recours. Elle prétend trouver appui à sa prétention dans l'arrêt Bouchard c. Bluteau de notre Cour. Dans cette affaire notre Cour a conclu qu'il ne saurait y avoir remise en état à la demande non pas d'une victime mais d'un complice.
[30] La nullité du contrat
étant absolue, le contrat est réputé ne jamais avoir existé. Aussi, dans les
cas de nullité absolue, toute personne ayant un intérêt réel, né ou actuel peut
la demander. La nullité absolue a pour effet la remise en état des parties.
Cette remise en état souffre une exception. En effet, le tribunal a maintenant
discrétion de modifier les modalités ou l'étendue de la restitution des
prestations lorsque la restitution aurait pour effet d'accorder un avantage
indu à une partie. Il est vrai qu'un certain courant jurisprudentiel tend à
différencier le contrat allant à l'encontre de l'ordre public de celui qui va à
l'encontre des bonnes mœurs. Toutefois, l'article
La restitution des prestations a lieu chaque fois qu'une personne est, en vertu de la loi, tenue de rendre à une autre des biens qu'elle a reçus sans droit ou par erreur, ou encore en vertu d'un acte juridique qui est subséquemment anéanti de façon rétroactive ou dont les obligations deviennent impossibles à exécuter en raison d'une force majeure.
Le tribunal peut, exceptionnellement, refuser la restitution lorsqu'elle aurait pour effet d'accorder à l'une des parties, débiteur ou créancier, un avantage indu, à moins qu'il ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l'étendue ou les modalités de la restitution.
[31] En l'espèce, le tribunal a discrétion afin de déterminer s'il doit y avoir une remise en état des parties. Il n'y a donc plus lieu de faire une distinction entre les cas où on a violé une loi visant à protéger la moralité et ceux où la loi violée est d'ordre public sans viser spécifiquement la protection de la moralité. Le premier juge s'est bien dirigé en droit. » (soulignement du soussigné)
[101] Quelques mois plus tard, la Cour supérieure, dans Peter c. Fiasche, se prononce dans le même sens. Il s'agissait d'un achat d'un restaurant dans lequel la rentabilité proposée était soumise à la continuation par l'acheteur d'un système d'évasion fiscale. Le juge Fraiberg note qu'il ne fait aucun doute que le système de comptabilité du restaurant avait pour but d'éviter le paiement de la majorité des taxes et que la rentabilité du commerce dépendait de la bonne marche de ce système. L'acheteuse était au courant de ce fait et a même appris le fonctionnement dudit système. Elle a donc eu une conduite imprudente en se fiant uniquement à la parole du vendeur quant à la rentabilité du restaurant.
[…]
[104] Dans
Allard c. Socomar International (1995) inc., le juge Frappier prend acte
du pouvoir discrétionnaire qui lui est attribué aux termes de l'article
[105] Ainsi,
même si on conclut que le contrat est frappé de nullité, il y a lieu de mettre
en application le principe posé à l'article
« Le contrat frappé de nullité est réputé n'avoir jamais existé.
Chacune des parties est, dans ce cas, tenue de restituer à l'autre les prestations qu'elle a reçues. »
[106] L'article
« La restitution des prestations se fait en nature, mais si elle ne peut se faire ainsi en raison d'une impossibilité ou d'un inconvénient sérieux, elle se fait par équivalent.
L'équivalence s'apprécie au moment où le débiteur a reçu ce qu'il doit restituer. »
[107] Aux
termes de l'article
[114] Le
Tribunal conclut qu’il a lieu à restitution des prestations en vertu de l’article
[115] Usant de sa discrétion judiciaire, le Tribunal fixe celle-ci à l’équivalent des sommes versées par madame Favreau à monsieur Cusson de 20 215 $.
[116] Compte tenu des circonstances particulières de cette affaire, le Tribunal accueille en partie la réclamation, sans intérêt, sans pénalité, ni frais d’expert, ni frais de justice.
[117] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[118] ACCUEILLE en partie la réclamation.
[119] CONDAMNE Normand Cusson à payer à Louise Favreau 20 215 $, sans intérêt, sans pénalité ni frais de justice.
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__________________________________ DENIS LE RESTE, J.C.Q. |
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Me Rémi Bastarache |
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BASTARACHE AVOCATS |
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Avocat de la demanderesse |
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Me Benoît Guérin |
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GUÉRIN LAVALLÉE & ASSOCIÉS |
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Avocat du défendeur |
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Dates d’audiences : |
21 et 22 mars 2018 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.