Beaulieu et Métro Richelieu inc. (Supermarché de Cabano) |
2013 QCCLP 564 |
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[1] Le 4 mai 2012, madame Marielle Beaulieu (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 30 avril 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 10 avril 2012. Elle déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le ou vers le 25 mars 2012, soit plus particulièrement une épicondylite du coude gauche, et qu’ainsi, elle n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] La travailleuse est présente et représentée à l’audience qui s’est tenue à Rivière-du-Loup le 3 décembre 2012. L’employeur est également présent et représenté à cette audience. Le dossier a été mis en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande au tribunal de déclarer qu’elle a subi une lésion professionnelle dont le diagnostic est une épicondylite au coude gauche et qu’elle a droit en conséquence aux prestations prévues par la loi.
LES FAITS
[5] La travailleuse, actuellement âgée de 40 ans, occupe un poste de commis aux fruits et aux légumes chez l’employeur au moment où elle allègue avoir été victime d’une lésion professionnelle, soit plus particulièrement une maladie professionnelle dont le diagnostic est une épicondylite au coude gauche. En effet, elle déclare dans son formulaire produit à la CSST que depuis plusieurs mois, elle a commencé à ressentir des douleurs au coude gauche qui augmentaient progressivement, douleurs qu’elle relie aux mouvements répétitifs effectués à son travail.
[6] Le 25 mars 2012, la travailleuse consulte la docteure Catherine Caron qui diagnostique une épicondylite externe secondaire à des mouvements répétés. Elle lui prescrit des anti-inflammatoires et la met également en arrêt de travail. Dans sa note clinique, elle souligne que la travailleuse éprouve des douleurs depuis octobre ou novembre au coude, douleurs qu’elle prétend être reliées au travail. Elle ajoute que la travailleuse aurait consulté son médecin il y a deux semaines, lequel lui aurait prescrit des anti-inflammatoires, une radiographie ainsi que des traitements de physiothérapie sans arrêt de travail.
[7] Le 6 avril 2012, la travailleuse est examinée par le docteur Jacques-Christian Brault qui maintient un diagnostic d’épicondylite du coude gauche avec tendinite de l’extenseur du poignet gauche qu’il relie à des mouvements répétitifs effectués à son emploi de commis aux fruits et aux légumes. Il lui prescrit des traitements de physiothérapie ainsi que de la médication et maintient l’arrêt de travail.
[8] Le 10 avril 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la réclamation de la travailleuse. Elle retient alors qu’il ne s’agit ni d’une maladie professionnelle ni d’une autre catégorie de lésion professionnelle. Cette décision est contestée par la travailleuse le 16 avril 2012 et maintenue à la suite d’une révision administrative le 30 avril 2012, d’où le présent litige.
[9] Le 20 septembre 2012, la travailleuse est examinée par la docteure Emmanuelle Dudon, orthopédiste, à la demande de son syndicat. Elle conclut après examen que l’ensemble des mouvements réalisés par la travailleuse dans le cadre de son emploi de commis aux fruits et aux légumes chez l’employeur, à savoir des mouvements répétés de flexion-extension et de prosupination du poignet lors des périodes d’emballage en plus de la manutention régulière de charges, ont pu occasionner une épicondylite latérale de son coude gauche. Ainsi, retenant un diagnostic d’épicondylite latérale du coude gauche, elle ajoute que plusieurs facteurs de risques sont présents dans le milieu de travail de la travailleuse. Elle note qu’elle réalise des activités nécessitant de la force puisqu’elle soulève des boîtes et des caisses dont le poids dépasse 50 livres. Elle doit également manipuler des charges dans des positions inconfortables et parfois à des hauteurs au-delà des épaules avec nécessité de travailler avec l’extension complète du coude ou à la hauteur du sol au fur et à mesure que la pile s’amenuise. Lors de l’emballage des produits, la travailleuse doit effectuer des mouvements de flexion-extension du poignet avec supination, et ce, de façon prépondérante à gauche.
[10] Conséquemment, après analyse des tâches décrites, la docteure Dudon est d’avis qu’il y a une relation probable entre le diagnostic d’épicondylite latérale que présente la travailleuse et le travail qu’elle doit réaliser. Elle ajoute que bien qu’il ne soit pas exclu qu’elle présentait une condition personnelle dégénérative, cette dernière était demeurée asymptomatique jusqu’à ce moment. Ainsi, elle consolide la lésion de la travailleuse en date de son examen et estime qu’il y a lieu de retenir une atteinte permanente, sans toutefois prévoir de limitations fonctionnelles. Elle annexe également à son expertise de la littérature médicale[2].
[11] Le 7 novembre 2012, la travailleuse est examinée par le docteur Michel Blanchet, orthopédiste, à la demande de la représentante de l’employeur. Après examen, ce dernier observe des signes cliniques subjectifs et objectifs d’une épicondylite résiduelle au niveau du coude gauche qui a régressé depuis le mois de mars 2012. Il considère que cette pathologie est une condition d’origine purement personnelle. Il consolide par ailleurs la lésion en date de son examen, soit le 7 novembre 2012 vu l’état stationnaire de sa condition depuis plusieurs mois. Il estime que le travail de la travailleuse est varié malgré le fait qu’il comporte un certain degré de force, mais note que le soulèvement des caisses de fruits et de légumes est effectué sur de brèves périodes avec un repos compensatoire suffisant. Par ailleurs, il ajoute que l’emballage effectué à raison de 2 heures par jour est réalisé sans cadence imposée. Il est d’avis que les gestes effectués ne sont pas répétitifs et bien que le travail décrit demande une certaine application de force, les structures musculaires des deux membres supérieurs sont sollicitées de façon générale et les muscles épicondyliens le sont aussi dans le rôle de stabilisateur des poignets. Il n’identifie qu’un seul facteur de risque, soit l’application de force dans le soulèvement des caisses. Cependant, vu le nombre de caisses soulevées sur une période donnée, soit sur 4 heures, cette tâche permet un repos compensatoire qui semble suffisant pour éviter les lésions musculosquelettiques.
[12] Il se dit finalement en désaccord avec l’opinion de la docteure Dudon puisqu’en l’espèce, il ne peut établir de relation avec le travail. Il note par ailleurs que la travailleuse est droitière et que l’épicondylite est à gauche, ce qui renforce selon lui la notion d’absence de relation entre le diagnostic et le travail de la travailleuse.
[13] La travailleuse est venue témoigner à l’audience. D’entrée de jeu, elle vient préciser qu’elle ne pratique aucun sport ni aucune activité et qu’elle est en très bonne santé. Elle fait par ailleurs la description de l’ensemble des tâches qu’elle doit réaliser à titre de commis aux fruits et aux légumes chez l’employeur. Elle effectue de 35 à 40 heures par semaine, soit 8 heures par jour, et ce, normalement sur 5 jours.
[14] Elle doit réaliser diverses tâches, dont le soulèvement et la manipulation de caisses de fruits et de légumes, la mise en comptoir et l’emballage de la marchandise. Elle décrit plus amplement chacune des tâches.
[15] Dans un premier temps, elle doit se rendre à la chambre froide afin d’aller chercher les caisses de fruits et de légumes. Elle décrit la façon dont sont disposées ces caisses et appuie son témoignage à l’aide de photographies prises dans ce département. Plusieurs boîtes ont un poids variant de 50 à 70 livres et certaines d’entre elles sont munies de poignées permettant de les manipuler plus facilement. Par ailleurs, régulièrement, les caisses sont emboîtées les unes sur les autres et atteignent facilement de 5 à 6 pieds de hauteur. La travailleuse doit ainsi dépiler les caisses en débutant par celle qui est la plus haute, ce qui exige parfois de se positionner sur la pointe des pieds, exigeant forcément qu’elle prenne les premières à bout de bras et à l’occasion, elle doit même débloquer certaines boîtes qui restent coincées, rencontrant ainsi une certaine résistance. Elle prend une boîte à pleine main pour ensuite la déposer sur un chariot. Elle relate également que régulièrement, les poignées des boîtes cèdent lorsqu’elle les tire vers elle. Le tribunal apprécie que lorsque la travailleuse manipule les caisses par les poignées, une position de déviation radiale résistée est observée. Elle décrit qu’à cette étape, son travail requiert une force importante et des amplitudes variables des poignets.
[16] Outre les boîtes empilées, elle doit aussi manipuler des sacs de légumes tels les oignons ou les pommes de terre, et précise que cela exige aussi une certaine force. Elle explique qu’occasionnellement, elle éprouve des difficultés à manipuler de tels sacs, entre autres ceux de blés d’Inde puisqu’ils sont très lourds. Elle indique qu’elle retourne les sacs, ce qui permet au tribunal d’apprécier qu’il y a supination avec force et extension résistée des poignets. Malgré leur poids, elle doit les tirer vers elle en les soulevant pour les déposer sur les chariots. Elle mentionne qu’elle peut déposer l’équivalent de 13 à 15 caisses sur un chariot et que cela lui demande environ 7 à 8 minutes pour effectuer cette tâche. Elle confirme qu’elle doit manipuler environ 100 caisses par jour, donc 13 à l’heure, exigence requise par l’employeur. Pour effectuer cette tâche, elle note qu’elle utilise plus particulièrement ses avant-bras et ses biceps. Elle confirme également que le gérant pouvait l’aider à l’occasion, mais cette aide n’était qu’occasionnelle.
[17] Une fois le chariot rempli, elle doit le pousser sur une distance de 75 à 80 pieds, les mains en pronation, fermées, les paumes appuyées sur la poignée du chariot. Par la suite, elle doit faire la mise en comptoir des différents fruits et légumes. Elle mime la façon dont elle se prend pour remplir les comptoirs. Elle empoigne les fruits et les légumes et en vérifie la qualité et la fraîcheur : elle les saisit à pleine main, les soulève et les tourne. Le tribunal apprécie un mouvement dynamique complexe des poignets, soit l’extension résistée lorsque la travailleuse soulève le fruit, puis dans un mouvement continu, la supination, la flexion puis l’extension, enfin la pronation avant de redéposer le fruit. Aussi, certains fruits comme les raisins sont ensachés, et les sacs doivent être pliés avec ses deux mains, geste réalisé avec une prise en pince et une rotation des poignets, soit un mouvement complexe de circumduction des poignets, lequel comporte successivement flexion, déviation radiale, extension et déviation cubitale, le tout pendant le maintien de la prise en pince. Elle tient aussi de sa main gauche certains fruits ou légumes sur lesquels elle doit retirer des parties à l’aide d’un couteau, comme lors de l’effilochage d’un céleri. Enfin, la tâche de mise en comptoir requiert environ 4 heures sur 8.
[18] Elle décrit également les tâches réalisées lors de l’emballage. Ainsi, elle mentionne qu’elle doit déposer dans des contenants de styromousse les fruits et les légumes, les emballer de papier Saran, les peser et y apposer une étiquette. Pour exécuter cette tâche, elle a les deux mains dans une position de pronation et de prise en pince. Elle tire ainsi le papier Saran vers le bas pour le refermer en dessous.
[19] La travailleuse explique qu’elle a commencé à éprouver des douleurs vers le mois d’octobre 2011 alors qu’elle faisait la mise en comptoir. Les soirs, après une journée de travail, ses douleurs étaient intenses. C’est pourquoi elle appliquait de la glace, prenait de l’Advil et des médicaments anti-inflammatoires. Elle croyait que ses douleurs étaient reliées à son travail. Cependant, elle espérait qu’avec le temps, cela diminuerait. Le 23 mars 2012, ses douleurs deviennent de plus en plus intolérables et son sommeil en est même perturbé les nuits suivantes. Elle décide finalement de consulter un médecin.
[20] Elle explique que la première infiltration ne l’a pas vraiment soulagée contrairement à la deuxième. Elle aurait repris le travail le 2 juillet 2012 et à son retour, les caisses étaient disposées différemment. En fait, elles atteignaient une hauteur beaucoup moins importante. De plus, les tables ont été changées et c’est maintenant le gérant qui manipule et dépose les boîtes sur le chariot. La travailleuse confirme en outre que la CSST est venue évaluer le poste de travail de l’un de ses collègues qui effectue sensiblement les mêmes tâches qu’elle.
[21] En contre-interrogatoire, elle confirme que le poids des caisses et des boîtes peut être variable. Certaines pèsent 2 à 3 kilos alors que d’autres peuvent atteindre régulièrement 50 livres. Elle confirme également qu’elle doit faire le nettoyage de son poste à la fin de son quart de travail. Elle doit ainsi laver les comptoirs et le lavabo avec des produits nettoyants en plus de passer le balai. Elle ajoute qu’elle portait effectivement une attelle avant son arrêt de travail du 25 mars 2012, et ce, depuis environ 15 jours. Elle la porte d’ailleurs encore lorsqu’elle travaille.
[22] Le gérant des fruits et des légumes, monsieur Bossé, est également venu témoigner à l’audience. Il précise qu’il occupe ce poste depuis un peu plus de 10 ans et qu’il a cinq employés sous sa charge. Il ajoute que 60 % de son temps est réparti aux tâches sur le plancher alors que 40 % l’est pour les tâches de gestion. Il décrit par ailleurs une journée type du travail d’un commis de fruits et de légumes et confirme pour l’ensemble les tâches déjà énumérées par la travailleuse. Il indique que certains produits doivent être déballés et réemballés avec de nouvelles dates pour être déposés sur un chariot afin de les remettre sur les comptoirs. Il confirme qu’avant le mois d’octobre 2011, il ne mettait pas tout le temps lui-même les caisses sur le chariot. Par contre, il estime qu’il le faisait environ à 60 % du temps alors qu’aujourd’hui, il effectue cette tâche 80 % du temps. Il confirme que les tâches sont variées et que les commis doivent voir aux priorités. Il mentionne aussi qu’il demande aux employés de placer environ 13 caisses à l’heure, soit le standard requis par le magasin. Cet aspect est d’ailleurs vérifié régulièrement. Il précise que de façon générale, la travailleuse a toujours respecté les standards requis par le magasin, soit la manipulation de 13 caisses à l’heure. Il note aussi qu’une certaine force est requise lors de la manipulation des boîtes qui atteignent un poids de 50 livres, surtout lorsque les employés ont à les manipuler en allant les chercher à bout de bras. Monsieur Bossé explique qu’il mesure 6’2" alors que la taille de la travailleuse est de 5’4" selon lui.
[23] Il mentionne que le poste a été aménagé différemment à la suite d’une visite effectuée par un employé de la CSST. Ainsi, les boîtes des fruits et des légumes atteignent une hauteur moins importante et un escabeau est aussi disponible sur les lieux lorsque nécessaire. Il confirme qu’un travailleur qui occupe sensiblement le même emploi que la travailleuse a effectivement eu des problèmes à une épaule.
[24] Le directeur du supermarché est également venu témoigner à l’audience. Il indique qu’il est directeur à ce magasin depuis 12 ans. Préalablement, il a occupé divers postes dont entre autres celui de commis aux fruits et aux légumes, de gérant d’épicerie, etc. Il confirme qu’à sa connaissance, aucune réclamation pour maladie professionnelle en lien avec une telle pathologie n’aurait été déposée jusqu’à maintenant dans son magasin ou dans les autres supermarchés affiliés.
L’AVIS DES MEMBRES
[25] Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a demandé et obtenu l’avis des membres qui ont siégé avec elle sur la question faisant l’objet de la contestation ainsi que sur les motifs de cet avis.
[26] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête de la travailleuse devrait être rejetée. Il considère que la travailleuse exécute des tâches variées permettant un repos compensatoire suffisant pour la structure anatomique visée. Il estime que la preuve prépondérante ne permet pas de conclure à une relation entre le travail et la lésion diagnostiquée. Il s’en remet par ailleurs à l’opinion émise par le docteur Michel Blanchet pour conclure de la sorte. Ainsi, l’absence de cadence imposée et soutenue ainsi que la fréquence peu élevée des mouvements considérés à risques ne permettent pas selon lui d’établir de relation entre la maladie diagnostiquée et les tâches effectuées par la travailleuse.
[27] Pour sa part, le membre issu des associations syndicales considère que la requête de la travailleuse devrait être accueillie. Il retient que malgré le fait que la travailleuse effectue des tâches variées, plusieurs de celles-ci sollicitent de façon importante et soutenue les structures anatomiques blessées, soit le coude gauche. Il estime que la preuve prépondérante démontre l’existence de facteurs de risques compatibles avec l’apparition de l’épicondylite du coude gauche diagnostiquée. Il note également que depuis son retour au travail, l’aménagement des lieux du département a été quelque peu modifié puisque le poste de travail a été en partie adapté à la demande de la CSST. Ainsi, il y avait selon lui des facteurs de risques et il s’en remet à l’opinion émise par la docteure Dudon pour conclure que la travailleuse a démontré que sa lésion est reliée aux risques particuliers de son travail.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[28] Le tribunal doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle et si elle a droit aux prestations prévues par la loi.
[29] L’article 2 de la loi définit ainsi la notion de lésion professionnelle :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[30] Dans le présent dossier, il n’est nullement prétendu ni soutenu en preuve que la lésion de la travailleuse puisse résulter d’une récidive, rechute ou aggravation ou d’un accident du travail.
[31] La représentante de la travailleuse soutient que le tribunal doit analyser la réclamation sous l’angle d’une maladie professionnelle, laquelle est ainsi définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[32] En l’espèce, la douleur est apparue plutôt graduellement et la travailleuse invoque ici l’ensemble de ses tâches comme étant à l’origine de sa lésion professionnelle.
[33] Le tribunal retient que le diagnostic à retenir est celui d’une épicondylite du coude gauche. Il s’agit du diagnostic établi par le médecin traitant et c’est ce dernier qui lie le tribunal aux fins de rendre sa décision sur l’admissibilité de la réclamation.
[34] En outre, comme il n’est aucunement prétendu que la présomption de l’article 29 de la loi s’applique dans le présent dossier. D’ailleurs, le diagnostic retenu n’est pas visé spécifiquement à la section IV de l’annexe 1 de la loi. La travailleuse doit démontrer par une preuve prépondérante que le diagnostic posé par son médecin est caractéristique de son travail ou relié directement aux risques particuliers de ce travail, tel que le prévoit l’article 30 de la loi :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[35] Or, pour établir que sa maladie est caractéristique du travail, la travailleuse doit démontrer qu’un nombre significatif de personnes travaillant dans des conditions semblables en sont également affectées ou que la maladie est davantage présente chez ce type de travailleurs ou dans un groupe témoin.
[36] En l’occurrence, une telle preuve n’a pas été présentée et la travailleuse demande plutôt au tribunal de reconnaître que le diagnostic d’épicondylite du coude gauche est relié directement aux risques particuliers de son travail, soit celui de commis aux fruits et aux légumes.
[37] Le tribunal rappelle que la reconnaissance de la relation causale entre un diagnostic émis et les risques particuliers du travail repose sur une analyse de l’ensemble des éléments de preuve, et ce, plus particulièrement relativement :
- aux structures anatomiques atteintes;
- aux facteurs biomécaniques, physiques ou organisationnels sollicitant ces structures;
- aux caractéristiques personnelles s’il en est;
- à l’importance de l’exposition en termes de durée, d’intensité ou de fréquence;
- à la relation temporelle[3].
[38] Le tribunal convient qu’afin d’établir une relation, il y a lieu d’identifier les mouvements qui sont susceptibles de solliciter ou de mettre à contribution les structures anatomiques visées. En ce qui a trait au diagnostic d’épicondylite, il est établi médicalement que les mouvements qui sollicitent les muscles épicondyliens sont ceux de pronation, de supination de l’avant-bras, d’extension, de déviation radiale ou cubitale du poignet ainsi que de préhension avec force ou en pince digitale[4].
[39] Qu’en est-il dans le présent dossier?
[40] L’employeur soutient que malgré le fait que certaines tâches soient à risques, il doit exister une répétition de mouvements, une certaine force ainsi que des postures contraignantes et non simplement des mouvements répétés comme retrouvés en l’espèce.
[41] Or, de l’avis du tribunal, la travailleuse a démontré par une preuve prépondérante que l’épicondylite du coude gauche diagnostiquée est directement reliée aux risques particuliers de son travail et constitue ainsi une maladie professionnelle.
[42] En effet, bien que le travail exercé par la travailleuse puisse être varié, la preuve révèle toutefois que la description des gestes posés, décrits et mimés, soit les mouvements qu’elle a eu à réaliser dans le cadre de son travail, ont certainement pu mettre à contribution la structure anatomique atteinte, soit l’épicondyle du coude gauche.
[43] Aussi, malgré l’opinion émise par le docteur Blanchet ainsi que les conclusions auxquelles il en arrive, à savoir que l’épicondylite du coude gauche est reliée à une condition personnelle, le tribunal estime que la travailleuse a fait la démonstration de manière prépondérante que les tâches qu’elle avait à accomplir dans son travail l’exposaient suffisamment en termes d’intensité, de force et de fréquence. Au surplus, des facteurs de risques coexistaient, favorisant ainsi l’apparition de l’épicondylite du coude gauche diagnostiquée, et ce, particulièrement dans un contexte où l’on observe une condition personnelle préalable du site lésé. À cet effet, le tribunal rappelle qu’il y a en l’espèce une sollicitation de la structure anatomique visée. Ainsi, les mouvements décrits par la travailleuse au niveau du poignet, soit l’extension, la déviation radiale ou la supination, ne sont pas des mouvements semblables, mais ont en commun de solliciter les muscles se rattachant à l’épicondyle.
[44] Par ailleurs, certains mouvements décrits et mimés à l’audience, notamment ceux exécutés lors de la manipulation des boîtes et des sacs de légumes, sont réalisés de l’avis du tribunal avec répétition et force. Les structures anatomiques visées sont impliquées régulièrement, avec une certaine cadence. On retrouve de nombreux mouvements complexes du poignet gauche, des mouvements de supination et de pronation, d’extension résistée du poignet gauche, parfois associés à des postures en déviation radiale et des mouvements de prise en pince digitale, le tout régulièrement en force (levage de caisses, emballage de produits, vérification des fruits et des légumes, manipulation de chariot, etc.) Ainsi, il n’apparaît pas approprié de regarder isolément chacun des facteurs de risques connus comme pouvant causer une épicondylite; il convient plutôt de les apprécier dans leur réelle complexité puisqu’une combinaison de ces facteurs a été décrite, lesquels sont d’ailleurs présents en l’espèce.
[45] De plus, même si les mouvements exécutés par la travailleuse ne sont pas nécessairement faits avec une cadence imposée et qu’elle peut bénéficier d’un temps de récupération après certains gestes ou certaines tâches effectués, les efforts réalisés à l’intérieur d’un même cycle et la durée d’exposition du quart de travail sont suffisants pour avoir occasionné l’épicondylite au coude gauche diagnostiquée chez elle.
[46] La soussignée note au surplus la modification de l’aménagement du poste de travail de la travailleuse à la suite d’une intervention de la CSST, et ce, plus particulièrement en lien avec la manipulation de caisses placées en hauteur et qui nécessitaient certainement de la part de la travailleuse des postures contraignantes des poignets avec déviation radiale résistée.
[47] Enfin, même si on est en présence d’une lésion du côté gauche, la soussignée note qu’il ne s’agit pas du membre dominant de la travailleuse, quoiqu’il soit tout de même sollicité autant que son membre supérieur droit.
[48] En définitive, le tribunal considère que la travailleuse a démontré par une preuve prépondérante que l’épicondylite du coude gauche a été contractée par le fait de son travail et est directement reliée aux risques particuliers de son travail. La soussignée préfère retenir l’opinion de la docteure Dudon à celle produite par le docteur Blanchet, cette dernière étant biaisée quant aux tâches réellement réalisées par la travailleuse dans son emploi de commis aux fruits et aux légumes.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Marielle Beaulieu, la travailleuse;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 30 avril 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’épicondylite du coude gauche dont est atteinte la travailleuse constitue une lésion professionnelle;
DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en regard de ce diagnostic.
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Manon Séguin |
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Me Jeanne Labrie |
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C.S.N. |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Audrée Dufresne |
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MÉTRO RICHELIEU INC. SERVICE DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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Représentante de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] HAAHR, J.P. et J.H. ANDERSEN, 2003, Physical and psychosocial risk factors for lateral epicondylitis: a population based case-referent study, Occupational and Environmental Medecine, vol. 60, pp. 322-329; SHIRI, R., E. Viikari-Juntura, H. Varonen, et M. Heliövaara, Prevalence and Determinants of Lateral and Medial Epicondylitis: A Population Study, American Journal of Epidermiology, September 12, 2006; BERGERON, Y., L. FORTIN et R. LECLAIRE, Pathologie médicale de l’appareil locomoteur, 2e édition, Edisem, Maloine.
[3] Les Industries de moulage Polytech inc. et Pouliot, C.L.P. 144010-62B-0008, 20 novembre 2001, N. Blanchard; Bouchard et ministère de la Justice, [2006] C.L.P. 913 .
[4] Verreault et Groupe Compass ,C.L.P. 283025-31-0602, 15 septembre 2006, G. Tardif; Prestolam inc. et Godbout, C.L.P. 313119-03B-0703, 3 mars 2008, M. Racine; Thellend et Corporation de gestion de la voie maritime du Saint-Laurent, C.L.P. 353411-62-0807, 20 mai 2010, L. Couture; Légaré et Construction C.R. Bolduc inc. et Rénovations Cris-Tal, 393068-31-0910, 9 mars 2010, C. Lessard; Boulay et Commission scolaire de la région de Sherbrooke, C.L.P. 383825-05-0907, 12 janvier 2010, M.-C. Gagnon.
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