Décision

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Dolbeau-Mistassini (Ville de)

2010 QCCLP 1429

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay :

Le 19 février 2010

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

390302-02-0910

 

Dossier CSST :

132536384

 

Commissaire :

Jean Grégoire, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

Ville de Dolbeau-Mistassini

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]                Le 1er octobre 2009, la Ville de Dolbeau-Mistassini (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 août 2009 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 15 avril 2009 et déclare que le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par monsieur Gilles Gravel (le travailleur), le 5 mars 2008, doit être imputé au dossier financier de l’employeur.

[3]                Une audience devait avoir lieu le 1er février 2010 à Roberval.  Cependant, le 29 janvier 2010, le représentant de l’employeur a renoncé à la tenue de cette audience et il a demandé au tribunal un délai, afin de lui faire parvenir une argumentation écrite au soutien de ses prétentions.  La cause a été mise en délibéré le 9 février 2010, soit à la date où le tribunal a reçu l’argumentation écrite du représentant de l’employeur.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit à un transfert des coûts imputés à son dossier financier pour la période du 24 mars 2008 au 15 décembre 2008, et ce, au motif qu’il est obéré injustement au sens de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]                La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au transfert de coût qu’il réclame.

[6]                Le premier alinéa de l’article 326 de la loi établit le principe général en matière d’imputation des coûts découlant d’un accident du travail :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

(…)

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

[7]                D’autre part, le second alinéa de l’article 326 de la loi prévoit certaines exceptions au principe général d’imputation.  Ce deuxième alinéa est ainsi libellé :

(…)

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

(…)

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

[8]                Finalement, le troisième alinéa de cette disposition législative prévoit le délai à l’intérieur duquel l’employeur doit soumettre sa demande de transfert de coût :

(…)

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

[9]                En l’espèce, la preuve documentaire révèle que l’employeur a soumis sa demande de transfert de coût à la CSST, le 23 octobre 2008, alors que la lésion professionnelle survenue au travailleur s’est produite le 5 mars 2008.  Il y a donc lieu de conclure que la demande de transfert de coût présentée par l’employeur respecte le délai prévu à la loi.

[10]           Le tribunal doit maintenant analyser si, en fonction des critères indiqués au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, l’employeur a droit à un transfert de coût.

[11]           À ce sujet, le représentant de l’employeur n’invoque aucunement que l’accident du travail subi par le travailleur le 5 mars 2008 est attribuable à un tiers.  Il fait plutôt valoir que la notion « d’obérer injustement » trouve application, car le travailleur a interrompu, à compter du 24 mars 2008, une assignation temporaire qu’il avait débutée, afin d’aller suivre une formation de technicien ambulancier.

[12]           Cette notion « d’obérer injustement » a fait l’objet d’une abondante jurisprudence de la part du tribunal au cours des dernières années et plusieurs interprétations de ces termes ont eu cours.

[13]           Dans l’affaire Location Procam inc. et CSST[2], le tribunal retenait l’interprétation suivante de la notion « obérer injustement » :

[22] De l’avis de la soussignée, l’employeur sera « obéré injustement » dans la mesure où le fardeau financier découlant de l’injustice alléguée est significatif par rapport au fardeau financier découlant de l’accident du travail. Ainsi, la notion « d’obérer », c’est-à-dire « accabler de dettes », doit être appliquée en fonction de l’importance des conséquences monétaires de l’injustice en cause par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail lui-même. La notion d’injustice, pour sa part, se conçoit en fonction d’une situation étrangère aux risques que l’employeur doit assumer, mais qui entraîne des coûts qui sont rajoutés au dossier de l’employeur.

 

[23] Donc, pour obtenir un transfert des coûts basé sur la notion « d’obérer injustement », l’employeur a le fardeau de démontrer deux éléments :

 

Ø une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter;

 

Øune proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice qui est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause.  (sic)

 

[14]           Pour sa part, le soussigné adhère entièrement à cette dernière interprétation, puisque celle-ci respecte à la fois la volonté du législateur de ne pas imputer à un employeur des coûts qui découlent d’une situation étrangère aux risques qu’il assume et d’autre part, elle permet de s’assurer que les coûts découlant de cette situation sont significatifs, justifiant ainsi l’emploi du terme « obérer » par le législateur, à cette disposition.

[15]           D’autre part, la jurisprudence du tribunal[3] a déjà reconnu que l’interruption d’une période d’assignation temporaire pour des motifs autres que la présence d’une maladie intercurrente, pouvait créer une situation d’injustice pour un employeur et rendait possible un transfert de coût en vertu de l’article 326 de la loi.

[16]           En l’espèce, la preuve révèle que le travailleur occupait, en 2008, un emploi de pompier volontaire à temps partiel chez l’employeur.

[17]           Le 5 mars 2008, lors d’une intervention sur les lieux d’un incendie, le travailleur glisse dans les marches d’un escalier glacé et subit une blessure au genou gauche.

[18]           Le 8 mars 2008, le travailleur consulte le docteur Alain-Paul Lalonde qui pose le diagnostic d’entorse ligamentaire au genou gauche. Un arrêt de travail est alors recommandé au travailleur.

[19]            Le 12 mars 2008, le travailleur rencontre la docteure Sylvie Robitaille qui pose le diagnostic d’entorse du ligament collatéral interne du genou gauche.  Le même jour, elle complète un formulaire d’assignation temporaire dans lequel elle autorise le travailleur à effectuer une assignation temporaire. Elle précise toutefois que le travailleur ne doit pas effectuer de déplacement, ni de travail en station debout.  Finalement, la docteure Robitaille écrit que cette assignation temporaire est autorisée pour la période du 12 mars au 24 mars 2008.

[20]           Le 13 mars 2008, le travailleur débute une assignation temporaire chez l’employeur.

[21]           Le 19 mars 2008, le travailleur rencontre le docteur Alain Castonguay qui pose le diagnostic d’entorse au genou gauche.  De plus, ce médecin écrit, sur une attestation médicale pour la CSST, qu’il prescrit au travailleur des traitements de physiothérapie et que ce dernier peut faire des travaux légers.

[22]           Le 24 mars 2008, le travailleur cesse son assignation temporaire chez l’employeur, puisqu’il déménage dans la Ville de Chibougamau, afin de débuter une formation à temps complet de technicien ambulancier. Il est alors prévu que cette formation se termine au mois de février 2009.

[23]           Le 18 juin 2008, le travailleur passe une imagerie par résonance magnétique au genou gauche qui révèle, notamment, la présence d’une déchirure du ménisque interne ainsi qu’une déchirure du ligament collatéral interne.

[24]           Le 31 juillet 2008, le travailleur rencontre à nouveau le docteur Castonguay qui pose les diagnostics de déchirure méniscale et de déchirure du ligament collatéral interne.  De plus, il écrit que le travailleur est actuellement au repos et qu’il est en attente d’un rendez-vous en orthopédie.

[25]           Le 17 novembre 2008, le travailleur voit en consultation le docteur François De La Huerta (orthopédiste) qui pose les diagnostics de déchirure méniscale récente et d’ancienne déchirure ligamentaire du croisé antérieur. Ce médecin indique alors que le travailleur va bien et recommande un retour au travail, mais avec le port d’une orthèse.

[26]           Le 15 décembre 2008, le docteur De La Huerta complète un rapport final pour la CSST sur lequel il écrit la date de consolidation du 15 décembre 2008 et que le travailleur ne conserve aucune séquelle permanente, ni limitation fonctionnelle.

[27]           Le 16 décembre 2008, la CSST envoie une lettre au travailleur par laquelle elle confirme qu’elle lui a versé, pour la période du 24 mars 2008 au 15 décembre 2008, des indemnités de remplacement du revenu qui représentent une somme de 16 353,77 $.

[28]           Le 17 décembre 2008, la CSST avise le travailleur qu’il n’a plus droit aux indemnités de remplacement du revenu, puisqu’il est capable, depuis le 16 décembre 2008, de refaire son emploi prélésionnel.

[29]           Le 15 avril 2009, la CSST rejette la demande de transfert de coût présentée par l’employeur le 23 octobre 2008, au motif que l’assignation temporaire du travailleur n’a pas été interrompue pour une raison de nature médicale.  L’employeur demande alors la révision de cette décision de la CSST.

[30]           Le 26 août 2009, à la suite d’une révision administrative, la CSST maintient sa décision initiale du 15 avril 2009.  Le 1er octobre 2009, l’employeur conteste devant la Commission des lésions professionnelles la décision rendue par la CSST le 26 août 2009, d’où le présent litige.

[31]           De ces éléments de preuve documentaire, le tribunal retient que dès le 12 mars 2008, la docteure Robitaille a autorisé le travailleur à effectuer une assignation temporaire chez son employeur. D’ailleurs, la preuve démontre que le travailleur a débuté cette assignation temporaire, dès le 13 mars 2008.

[32]           Par ailleurs, bien que cette assignation temporaire ait d’abord été autorisée pour la période du 12 au 24 mars 2008, le tribunal constate que le docteur Castonguay autorisait, le 19 mars 2008, la poursuite des travaux légers. La preuve démontre d’ailleurs que le travailleur a poursuivi, après cette visite médicale avec le docteur Castonguay, son assignation temporaire chez l’employeur.

[33]           La Commission des lésions professionnelles tient à rappeler que la jurisprudence[4] du tribunal a déjà spécifié que la présence d’un formulaire spécifique d’assignation temporaire, complété par le médecin traitant du travailleur, n’était pas indispensable pour conclure à une assignation temporaire valide au sens de la loi lorsque, comme en l’espèce, il y a tout lieu de croire que les travaux légers autorisés par le docteur Castonguay le 19 mars 2008, répondaient aux 3 conditions prévues à l’article 179 de la loi.

[34]           D’autre part, la preuve démontre que le travailleur a cessé son assignation temporaire le 24 mars 2008, car il a débuté un cours de technicien ambulancier à Chibougamau.  Le travailleur a d’ailleurs déménagé dans cette localité.

[35]           Or, le tribunal constate que cette interruption de l’assignation temporaire ne survient aucunement à la suite d’un avis médical, mais plutôt à la suite d’un choix personnel du travailleur, qui a décidé de débuter une formation à l’extérieur de sa région.

[36]           Par conséquent, il a lieu de conclure qu’il y a bel et bien eu, à compter du 24 mars 2008, une interruption d’une assignation temporaire pour des motifs totalement étrangers à la lésion professionnelle subie par le travailleur.

[37]           Cette interruption de l’assignation temporaire représente donc une situation étrangère au risque que l’employeur doit supporter et constitue une situation d’injustice au sens de l’article 326 de la loi.

[38]           Le tribunal doit maintenant déterminer si cette situation d’injustice a pour effet d’obérer l’employeur.  Il faut donc analyser si la proportion des coûts qui est attribuable à cette situation d’injustice est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause.

[39]           À cet effet, le tribunal constate que l’employeur n’a pu assigner temporairement le travailleur durant la période du 24 mars 2008 au 15 décembre 2008.  Il s’agit donc d’une période de temps très importante, compte tenu que l’accident du travail est survenu le 5 mars 2008.

[40]           De plus, le tribunal tient à préciser qu’il retient cette période du 24 mars 2008 au 15 décembre 2008, puisqu’il ne dispose d’aucune preuve à l’effet que, n’eût été du départ du travailleur, l’employeur n’aurait pu continuer à lui offrir une assignation temporaire durant toute cette période.  D’autre part, le tribunal est d’avis que même si le docteur Castonguay indiquait sur l’attestation médicale du 31 juillet 2008 que le travailleur était au repos, cela ne constitue pas une preuve que la condition du travailleur s’était détériorée et qu’il ne pourrait plus effectuer de travaux légers chez l’employeur.  D’ailleurs, sur l’attestation médicale complétée par le docteur De La Huerta le 17 novembre 2008, ce dernier écrit que le travailleur va bien.

[41]           Finalement, en tenant compte que la CSST a versé au travailleur, durant la période du 24 mars au 15 décembre 2008, des indemnités de remplacement du revenu qui représentent une somme de 16 353,77 $, il y a lieu de conclure que des coûts significatifs, pour l’employeur, découlent de cette situation d’injustice.  L’employeur est par conséquent obéré  par cette situation d’injustice.

[42]           La Commission des lésions professionnelles conclut donc que l’employeur a droit à un transfert des coûts se rapportant aux indemnités de remplacement du revenu versées au travailleur durant la période du 24 mars 2008 au 15 décembre 2008.  Toutefois, les coûts se rapportant à l’assistance médicale reçue par le travailleur, durant cette période, doivent demeurer imputés au dossier financier de l’employeur, puisqu’il n’y a aucun lien entre ceux-ci et l’interruption de l’assignation temporaire du travailleur.

[43]           Par conséquent, la requête de l’employeur doit être partiellement accueillie.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE  en partie la requête de la Ville de Dolbeau-Mistassini, l’employeur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 26 août 2009 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que les coûts se rapportant aux indemnités de remplacement du revenu versées au travailleur, durant la période du 24 mars 2008 au 15 décembre 2008, doivent être imputés à l’ensemble des employeurs.

 

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Jean Grégoire

 

Me Simon Kearney

LANGLOIS, KRONSTRÔM, DESJARDINS

Représentant de la partie requérante

 



[1]          L.R.Q. c. A-3.001

[2]           C.L.P. 114354-32-9904, 18 octobre 2002, M-A. Jobidon

[3]           Collège Notre-Dame de l’Assomption, C.L.P. 126608-04B-9911, 25 mai 2000, A. Gauthier; Hôpital la Providence, C.L.P. 158140-05-0104, 12 novembre 2001, L. Boudreault; Clermont Chevrolet Oldsmobile inc., C.L.P. 361349-71-0810, 21 octobre 2009, C. Racine; Pavillons St-Vincent, St-Joseph, Murray, C.L.P. 372086-05-0903, 26 novembre 2009, M-C. Gagnon.

[4]           Voir notamment à cet effet : C.H.U.Q. (Pavillon Hôtel-Dieu), C.L.P. 349341-31-0805, 7 mai 2009, Monique Lamarre; CSSS Québec-Nord et CSST, C.L.P. 369830-31-0902, 30 juillet 2009, J-L. Rivard.

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