Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Parenteau et Centre éducatif Les Mini-mousses

2013 QCCLP 2336

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

10 avril 2013

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

492440-62-1301

 

Dossier CSST :

139917397

 

Commissaire :

Carmen Racine, juge administrative

 

Membres :

Bertrand Delisle, associations d’employeurs

 

Suzanne Caron, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Josée Parenteau

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Centre éducatif Les Mini-Mousses

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 11 janvier 2013, madame Josée Parenteau (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 30 novembre 2012 à la suite d’une révision administrative (la révision administrative).

[2]           Par celle-ci, la CSST maintient une décision qu’elle a initialement rendue le 20 septembre 2012 et, en conséquence, elle détermine que la travailleuse n’a pas été victime d’une lésion professionnelle le 27 août 2012 et qu’elle n’a donc pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           L’audience dans cette affaire a lieu à Longueuil, le 2 avril 2013, en présence de la travailleuse.

[4]           Le 28 mars 2013, l’employeur, le Centre éducatif Les Mini-Mousses, avise la Commission des lésions professionnelles de son absence à celle-ci. La Commission des lésions professionnelles a donc tenu l’audience sans ce dernier.

[5]           Par ailleurs, comme la travailleuse n’est pas représentée, la Commission des lésions professionnelles s’assure de sa volonté de procéder seule dans son dossier et elle lui explique le rôle du tribunal et la façon dont se déroulera l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a été victime d’une lésion professionnelle puisque ses problèmes à l’épaule droite découlent de son travail de cuisinière chez l’employeur.

L’AVIS DES MEMBRES

[7]           Conformément à ce qui est prévu à l’article 429.50 de la loi, la soussignée recueille l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sur la question soulevée par le présent litige.

[8]           La membre issue des associations syndicales est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête de la travailleuse, d’infirmer la décision rendue par la révision administrative et de déclarer que cette dernière a été victime d’une lésion professionnelle le 27 août 2012 et qu’elle a droit aux prestations prévues à la loi.

[9]           En effet, la membre issue des associations syndicales estime que le travail de cuisinière de la travailleuse implique des mouvements préjudiciables à l’épaule droite puisque celle-ci doit brasser des préparations de gâteaux ou de muffins, à la main, sans bénéficier de l’équipement approprié et puisque plusieurs de ses tâches nécessitent de travailler le bras droit étiré et en hauteur durant tout son quart de travail. La membre issue des associations syndicales considère donc qu’une maladie professionnelle peut être reconnue puisque la tendinite et la bursite diagnostiquées à l’épaule droite sont reliées aux risques particuliers du travail de cuisinière exercé chez l’employeur.

[10]        Le membre issu des associations d’employeurs est plutôt d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête déposée par la travailleuse, de confirmer la décision rendue par la révision administrative et de déclarer que cette dernière n’a pas été victime d’une lésion professionnelle le 27 août 2012 et qu’elle n’a donc pas droit aux prestations prévues à la loi.

[11]        En effet, le membre issu des associations d’employeurs estime que le travail de cuisinière effectué par la travailleuse implique des tâches variées, sans sollicitation répétitive avec charges, et que les quelques mouvements nécessitant l’élévation du bras droit plus haut que l’épaule ne sont pas suffisants pour justifier le développement d’une tendinite ou d’une bursite à cette épaule.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[12]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle le 27 août 2012.

[13]        L’article 2 de la loi énonce qu’une lésion professionnelle est une blessure ou une maladie, qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, rechute ou aggravation.

[14]        L’article 2 de la loi précise qu’un accident du travail est un événement imprévu et soudain, survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail, et qui entraîne pour elle une blessure ou une maladie.

[15]        La maladie professionnelle est aussi décrite à l’article 2 de la loi. Ainsi, une maladie contractée par le fait ou à l’occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée aux risques particuliers de celui-ci est considérée une telle maladie professionnelle.

[16]        Enfin, le législateur prévoit des présomptions afin d’alléger le fardeau de la preuve qui repose sur les épaules de la travailleuse.

[17]        L’article 28 de la loi édicte qu’une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que la travailleuse est à son travail est présumée une lésion professionnelle alors que l’article 29 de la loi indique que la travailleuse souffrant d’une maladie énumérée à l’annexe I de la loi et ayant exercé un travail correspondant à cette maladie dans cette annexe est présumée atteinte d’une maladie professionnelle.

[18]        Ceci étant établi, qu’en est-il du présent dossier ?

[19]        Il ressort des documents au dossier, de ceux déposés et du témoignage de la travailleuse, que l’employeur offre des services de garde à une clientèle de 77 enfants et que la travailleuse exerce l’emploi de cuisinière pour ce dernier depuis octobre 2011.

[20]        La travailleuse travaille 35 heures par semaine, de 7h45 à 15h15, et elle bénéficie d’une pause repas de 30 minutes.

[21]        La travailleuse est droitière. Elle décrit le travail accompli quotidiennement.

[22]        Ce travail comporte diverses tâches, soit le lavage des débarbouillettes utilisées, la préparation des collations, des desserts et du dîner, et la préparation du matériel nécessaire pour le repas du lendemain.

[23]        La travailleuse détaille ces tâches.

[24]        Le lavage consiste à faire le tour des locaux, à ramasser les débarbouillettes, à les ramener à la salle de lavage et à laver le fruit de sa cueillette ainsi que les paniers déjà remplis. Elle dispose d’une laveuse et d’une sécheuse superposées de telle sorte que le remplissage de la sécheuse exige un va-et-vient du bras droit, de la laveuse vers la sécheuse, et une élévation de ce bras plus haut que l’épaule afin d’accéder à la porte de celle-ci. La vidange de la sécheuse implique également un tel mouvement de va-et-vient dans les mêmes amplitudes afin d’y prendre le linge séché et de le déposer aux endroits appropriés. Cette opération de lavage peut être effectuée de deux à trois fois par quart de travail.

[25]        La préparation de la collation du matin implique de laver et de couper des fruits sur un plan de travail situé à la hauteur de la taille de la travailleuse, de placer ces fruits sur un plat et de distribuer ces portions dans chaque local. La Commission des lésions professionnelles observe que l’épaule droite n’est pas sollicitée de façon préjudiciable durant ce travail. Toutefois, la travailleuse doit aussi aller chercher des verres en plastique, de diverses couleurs selon les groupes, et les apporter dans les locaux. Ces verres sont remisés sur de hautes tablettes ce qui oblige la travailleuse à élever le bras droit plus haut que l’épaule, à plusieurs reprises, afin de les atteindre.

[26]        La préparation des desserts, des gâteaux ou des muffins implique des mouvements similaires. La travailleuse rappelle d’abord qu’elle doit nourrir 77 enfants et que les mélanges qu’elle doit brasser sont assez imposants. Elle utilise un plat d’un pied et demi de diamètre et d’un pied de hauteur dans lequel elle verse les ingrédients nécessaires au dessert planifié. Ensuite, elle brasse le tout à la main car elle ne dispose d’aucun appareil électrique de type mixette ou robot culinaire pour faire un tel travail. La travailleuse précise que le mélange est assez épais et que le brassage exige un effort considérable.

[27]         La travailleuse mime ce mouvement et la Commission des lésions professionnelles remarque que l’épaule droite est sollicitée au-delà de 90° étant donné la hauteur et la dimension du plat. La travailleuse fait ce travail de brassage durant près de 10 minutes.

[28]        Ensuite, elle soulève ce plat afin de verser le mélange dans un moule ce qui, une fois de plus, implique un mouvement du bras droit plus haut que l’épaule, et elle place ce moule, qui pèse une dizaine de livres, au fond du four. Pour atteindre le fond du four, la travailleuse doit étirer les bras vers l’avant de telle sorte que ce mouvement génère une amplitude de l’épaule droite avoisinant les 90°.

[29]        La sortie du moule du four entraîne un mouvement similaire. La travailleuse coupe alors le dessert et elle le place dans des bols séparés prêts à être servis aux enfants. La travailleuse fait de tels desserts pratiquement à tous les jours.

[30]        La travailleuse parle aussi de la préparation d’autres types de desserts.

[31]        Elle monte des assiettes de fruits en conserve et de compote. Ces produits sont reçus dans des contenants gros comme des gallons de peinture, plutôt lourds, et ils sont entreposés sur de hautes tablettes. Elle doit s’étirer le bras droit, plus haut que l’épaule, afin de saisir ces contenants, en descendre environ cinq, les ouvrir, et en mettre le contenu en portions pour les enfants. Comme ces contenants sont assez hauts, la mise en portions exige un positionnement de l’épaule droite dans une amplitude d’environ 90°.

[32]        La travailleuse détaille la préparation du dîner. Les gestes nécessités par cette préparation varient selon le menu. La travailleuse mentionne que la confection de spaghetti exige la manutention d’un très gros chaudron et elle mime un mouvement combiné d’élévation et d’abduction des épaules, à plus de 90°, afin de déposer celui-ci sur la cuisinière.

[33]        Elle explique aussi que les repas sont souvent placés dans de gros moules de 12 pouces par 24 pouces, pesant environ 8 livres, qu’elle doit enfourner en s’étirant les deux bras vers l’avant.

[34]        La confection des pommes de terre pilées est aussi faite à la main. Les pommes de terre sont cuites dans un gros chaudron aux parois élevées de telle sorte que la travailleuse doit les écraser et les mélanger en élevant le bras droit plus haut que l’épaule. La travailleuse indique que ce brassage est encore plus exigeant que celui des desserts car les pommes de terre sont plus consistantes. Elle signale qu’elle fait de telles pommes de terre d’une à trois fois par semaine.

[35]        De même, certains repas nécessitent des sauces ou des épices qui sont reçues en pots plus volumineux que des pots de peinture et qui sont entreposées sur des tablettes plus hautes que les épaules de la travailleuse. Elle doit donc d’étirer le bras droit pour les prendre et les descendre.

[36]        La travailleuse s’occupe également du lavage de la vaisselle. Elle récure à la main les gros chaudrons et les gros moules, ce qui implique divers mouvements des deux bras et des épaules, selon la dimension du contenant. La travailleuse place aussi les assiettes au lave-vaisselle et elle range la vaisselle propre. Elle mentionne que ces assiettes sont déposées sur une haute tablette ce qui l’oblige à soulever le bras droit plus haut que l’épaule afin de l’atteindre et de les remiser. Elle lave ainsi la vaisselle de deux à trois fois par quart de travail.

[37]        La travailleuse souligne que, quand le temps le lui permet, elle s’avance pour le lendemain en faisant un dessert, en coupant des fruits ou des légumes ou en préparant une sauce.

[38]        Enfin, la travailleuse signale que, quand la femme de ménage est en congé ou en vacances, elle doit aussi balayer et laver le plancher et les salles de bains.

[39]        La travailleuse remarque que, vers le mois de mai 2012, elle commence à ressentir des douleurs à l’épaule droite. Elle consulte un médecin qui lui prescrit des anti-inflammatoires et qu’il l’invite à consulter de nouveau, au besoin, si sa condition s’aggrave.

[40]        La travailleuse soutient que, malgré la prise d’analgésiques, son épaule droite est toujours douloureuse, mais comme elle a des vacances prévues du 30 juillet au 19 août 2012, elle se dit qu’elle pourra se reposer et que cette douleur se résorbera. Effectivement, sa condition connaît une légère amélioration durant cet arrêt du travail, mais la reprise des activités de travail entraîne une résurgence des douleurs. Vient un moment où elle ne peut plus se vêtir seule tellement la douleur est forte.

[41]        Le 28 août 2012, la travailleuse consulte un médecin qui diagnostique une tendinite à l’épaule droite et qui prévoit des traitements pour cette condition.

[42]        Le 11 septembre 2012, la travailleuse reçoit une première infiltration à l’épaule droite sans amélioration notable. Le 19 décembre 2012, une seconde infiltration est effectuée sous scopie et, dans son rapport, le docteur Cauchon note la présence d’une tendinopathie du supra-épineux droit et d’une bursite sous-acromio-deltoïdienne droite.

[43]        La travailleuse indique que cette seconde infiltration amène une diminution de ses douleurs de 80 %. Elle est donc en mesure de reprendre son travail le 17 janvier 2013.

[44]        La travailleuse soutient que tous ses problèmes commencent en mai 2012 et qu’ils découlent de son travail de cuisinière. Elle souligne que son retour au travail ne se passe pas très bien et que, depuis mars 2013, ses douleurs réapparaissent. Elle aimerait recevoir les soins appropriés à son état. Elle dépose un extrait d’un recueil intitulé Sans pépins[2] dans lequel il est fait mention du cas d’une cuisinière souffrant de douleurs à l’épaule droite en raison des mélanges faits à la main et des étirements nécessités afin d’atteindre de lourdes boîtes sur de hautes tablettes. La travailleuse conclut qu’elle n’est pas la seule dans son état et elle demande à la Commission des lésions professionnelles d’accepter sa réclamation.

[45]        La Commission des lésions professionnelles doit donc se prononcer sur l’existence d’une lésion professionnelle le 27 août 2012.

[46]        Les seuls diagnostics retenus dans ce dossier sont ceux de tendinite et de bursite à l’épaule droite. L’apparition progressive des douleurs à l’épaule droite ne permet pas à la Commission des lésions professionnelles de conclure que ces diagnostics sont assimilables à des blessures dans le présent dossier. Leur mode de développement correspond davantage à une maladie. La travailleuse ne peut donc bénéficier de l’application de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi.

[47]        Par ailleurs, la travailleuse ne décrit aucun événement imprévu et soudain à l’origine de sa tendinite et de sa bursite à l’épaule droite. Un accident du travail ne peut donc être reconnu dans un tel contexte.

[48]        La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si la travailleuse a été victime d’une maladie professionnelle le 27 août 2012.

[49]        La Commission des lésions professionnelles note, d’abord, que les diagnostics de tendinite et de bursite sont énumérés à l’annexe I de la loi. Cependant, pour pouvoir bénéficier de l’application de la présomption de maladie professionnelle décrite à l’article 29 de la loi, la travailleuse doit aussi démontrer qu’elle exerce un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées. Or, le travail de la travailleuse exige certes de nombreux mouvements de l’épaule droite, mais ils ne sont pas répétitifs ou accomplis sur des périodes de temps prolongées. Ils sont exécutés, sans rythme imposé, et entrecoupés d’autres tâches sollicitant peu l’épaule droite et, dès lors, la Commission des lésions professionnelles ne peut appliquer la présomption de maladie professionnelle en l’espèce.

[50]        Toutefois, une maladie professionnelle peut être reconnue lorsque la preuve démontre que la maladie diagnostiquée est reliée aux risques particuliers du travail effectué par la travailleuse.

[51]        Ici, le travail de cuisinière de la travailleuse exige de nombreux mouvements sollicitant l’épaule droite, avec force, dans des amplitudes avoisinant ou dépassant les 90° en raison de la configuration des lieux, des endroits où sont rangés les contenants ou la vaisselle, de la superposition de la laveuse et de la sécheuse et de l’absence d’équipement approprié afin de procéder aux différents mélanges et brassages.

[52]        Toutes ces sollicitations sont susceptibles d’engendrer la tendinite et la bursite à l’épaule droite diagnostiquées chez la travailleuse et, en conséquence, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’une maladie professionnelle peut être reconnue en vertu des articles 2 et 30 de la loi.

[53]        La Commission des lésions professionnelles infirme donc la décision rendue par la révision administrative.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée par la travailleuse, madame Josée Parenteau;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 30 novembre 2012 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle le 27 août 2012, à savoir une maladie professionnelle ayant entraîné une tendinite et une bursite à l’épaule droite de celle-ci;

DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

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Carmen Racine

 

 

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           ASSTASS, vol. 15, no. 1, mars 2013.

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