Décision

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Pratt & Whitney Canada

2011 QCCLP 6708

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

17 octobre 2011

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

423933-62-1011

 

Dossier CSST :

133962365

 

Commissaire :

Carmen Racine, juge administratif

 

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Pratt & Whitney Canada

 

Partie requérante

 

 

 

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DÉCISION

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[1]           Le 11 novembre 2010, l’employeur, Pratt & Whitney Canada, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 4 novembre 2010 à la suite d’une révision administrative (la révision administrative).

[2]           Par celle-ci, la CSST maintient une décision qu’elle a initialement rendue le 19 juillet 2010 et, en conséquence, elle refuse d’octroyer à l’employeur le transfert des coûts qu’il réclame en vertu du second alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et elle impute 100 % des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par monsieur Jean-Pierre Bouchard (le travailleur) le 24 octobre 2008 au dossier d’expérience de ce dernier.

[3]           L’audience dans cette affaire a lieu à Longueuil, le 7 octobre 2011, en présence de monsieur Benoît Richard, coordonnateur en gestion des réclamations chez l’employeur, et de Me Francine Legault, représentante de celui-ci.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La représentante de l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’accident du travail subi par le travailleur le 24 octobre 2008 est attribuable à un tiers et qu’il est injuste que ce dernier en supporte les coûts. Elle suggère que ces coûts soient imputés aux employeurs de toutes les unités.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au transfert des coûts revendiqué.

[6]           L’employeur invoque le second alinéa de l’article 326 de la loi qui édicte que la CSST peut imputer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsqu’une imputation à son dossier d’expérience a pour effet de lui faire supporter injustement le coût de celles-ci.

[7]           En conséquence, pour pouvoir bénéficier du transfert d’imputation prévu à cette disposition législative, l’employeur doit démontrer que le travailleur est victime d’un accident du travail, que cet accident du travail est attribuable à un tiers et qu’il est injuste d’imputer les coûts découlant de cet accident du travail à son dossier d’expérience.

[8]           L’ordre dans lequel cette démonstration est faite importe peu; ce qui importe c’est que chacun de ces éléments soit mis en preuve.

Le travailleur est victime d’un accident du travail

[9]           L’article 326 de la loi est clair à ce sujet. La seule lésion professionnelle dont les coûts peuvent faire l’objet d’un transfert d’imputation selon cette disposition est l’accident du travail.

[10]        Or, il ressort des documents au dossier et du témoignage de monsieur Benoît Richard, coordonnateur en gestion des réclamations, que l’employeur fabrique des moteurs d’avions.  Il est classé dans l’unité 36160 : « Fabrication d’aéronefs ». Le travailleur travaille à titre de machiniste pour celui-ci.

[11]        Ce travail est exécuté dans l’établissement de l’employeur et le travailleur n’a pas à effectuer de déplacements à l’extérieur dans le cadre de ses fonctions.

[12]        Cet établissement est situé sur la rue D’Auvergne à Longueuil. L’employeur met à la disposition des travailleurs un stationnement situé de l’autre côté de cette même rue, en face de l’établissement. Les travailleurs doivent donc traverser la rue D’Auvergne, au passage rayé de jaune prévu à cette fin par la municipalité, pour accéder au stationnement. De plus, un arrêt obligatoire se trouve à cette intersection.

[13]        Toutes les rues sises autour de l’établissement ou du stationnement sont publiques de telle sorte que des véhicules y circulent à leur guise.

[14]        Le 24 octobre 2008, le travailleur est victime d’une lésion professionnelle dans les circonstances suivantes. À la fin de son quart de travail, il traverse la rue D’Auvergne, à l’intersection, dans le but de se rendre au stationnement et il est happé par un véhicule qui omet de faire son arrêt obligatoire.

[15]        Il fait l’objet d’un suivi médical et de traitements pour divers traumatismes et, le 26 janvier 2009, ces lésions sont consolidées avec un déficit anatomo-physiologique de 3 %, mais sans limitations fonctionnelles.

[16]        Cette lésion est d’abord refusée par la CSST, mais au terme du processus de contestation, elle est acceptée par la Commission des lésions professionnelles[2] à titre d’accident du travail. L’employeur a donc prouvé ce premier élément à l’article 326 de la loi.

L’accident du travail est attribuable à un tiers

[17]        Il ressort du libellé de l’article 326 de la loi et du sens ordinaire de ce terme qu’un « tiers » est toute personne, physique ou morale, qui n’est pas le travailleur victime d’un accident du travail ou l’employeur de ce dernier. Cette définition est d’ailleurs entérinée par une formation de trois juges administratifs dans l’affaire Ministère des transports et CSST[3] où, après avoir fait une étude exhaustive de la jurisprudence en cette matière, ceux-ci en viennent à la conclusion « qu’est donc un « tiers » au sens de l’article 326 de la loi, toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier ».

[18]        Dans ce dossier, l’employeur identifie, à titre de tiers, l’automobiliste responsable de l’accident dont le travailleur est victime. Cette personne est effectivement un tiers au sens de l’article 326 de la loi.

[19]        Or, l’accident du travail du travailleur est-il attribuable à ce tiers ?

[20]        Pour répondre à cette question, il importe de bien identifier le sens du mot « attribuable ». Le « Petit Larousse » suggère les définitions suivantes des termes « attribuable » et « attribuer ». Ainsi, est « attribuable » ce « qui peut être attribué ». Or, « attribuer » signifie « considérer comme auteur, comme cause ». L’accident est donc « attribuable à un tiers » lorsque la preuve révèle que le tiers est l’auteur ou la cause de cet accident.

[21]        Par ailleurs, le simple fait qu’un tiers participe d’une quelconque façon à l’arrivée d’un accident est insuffisant pour conclure que cet accident lui est attribuable. En effet, la jurisprudence précise que le tiers doit être majoritairement « responsable » ou doit avoir majoritairement contribué aux événements qui ont entraîné l’accident[4] pour permettre à l’employeur d’obtenir le transfert d’imputation réclamé.

[22]        Cette notion de participation majoritaire est également approuvée par la formation de trois juges administratifs s’étant prononcée dans l’affaire Ministère des transports précitée. En effet, ceux-ci rappellent cette règle et ils indiquent qu’ils « endossent cette interprétation retenue de longue date par la CALP et la Commission des lésions professionnelles ». Ils ajoutent que, « en somme, l’accident est attribuable à quiconque s’en trouve être le principal auteur pour avoir joué un rôle déterminant dans les circonstances qui l’ont provoqué ».

[23]        Appliquant ces principes au présent dossier, la Commission des lésions professionnelles constate que le tiers est l’unique responsable des blessures subies par le travailleur. L’employeur a donc établi que l’accident du travail du travailleur est attribuable à un tiers, à savoir l’automobiliste ayant omis d’effectuer un arrêt obligatoire.

[24]        Il reste donc à déterminer s’il est injuste que l’employeur supporte le coût des prestations reliées à cet accident.

L’injustice de l’imputation

[25]        La Commission des lésions professionnelles remarque que la formation de trois juges administratifs appelée à statuer sur le sens à donner aux termes retrouvés à l’article 326 de la loi, dans l’affaire Ministère des transports précitée, approuve le courant jurisprudentiel très fortement majoritaire voulant que l’injustice de l’imputation ne découle pas nécessairement de l’implication d’un tiers dans l’événement et qu’elle doive faire l’objet d’une preuve particulière.

[26]        En outre, après avoir passé en revue un grand nombre de décisions, elle en vient à la conclusion que cette injustice doit être appréciée selon certains paramètres, à savoir les risques inhérents à l’ensemble des activités exercées par l’employeur, les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenue du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, et les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et par les conditions d’exercice de l’emploi.

[27]        Dans ce dossier, la CSST reconnaît que l’accident du travail subi par le travailleur est attribuable à un tiers. Cependant, elle estime qu’il n’est pas injuste que l’employeur en supporte les coûts puisqu’il fait partie des risques inhérents aux activités exercées par ce dernier. Or, la Commission des lésions professionnelles ne peut suivre la CSST sur cette voie.

[28]        En l’espèce, le travail du travailleur est limité à l’établissement exploité par l’employeur. Ses tâches et les conditions dans lesquelles il exerce son emploi ne l’exposent donc pas au risque concrétisé dans le présent dossier, à savoir un accident de la route.

[29]        De plus, les activités exercées par l’employeur sont la fabrication de moteurs d’avions. Les accidents survenant sur la voie publique semblent donc fort éloignés des risques assumés par celui-ci.

[30]        Enfin, il est vrai que le stationnement vers lequel se rend le travailleur est mis à sa disposition par l’employeur. Toutefois, bien que cette situation permette à ce dernier de bénéficier des prestations prévues à la loi, cela ne fait pas automatiquement basculer cet incident dans les risques inhérents aux activités exercées par l’employeur surtout lorsque, comme en l’espèce, l’accident arrive sur la voie publique, et non sur le terrain de l’employeur, et que les activités de ce dernier n’impliquent pas de déplacement en véhicule automobile de la part du travailleur.

[31]        Une telle situation ne fait donc pas partie des risques inhérents aux activités exercées par l’employeur et, en conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut qu’il est injuste que ce dernier supporte les coûts de l’accident du travail survenu le 24 octobre 2008.

[32]        Par ailleurs, comme l’accident subi par le travailleur relève d’un phénomène de société, à savoir la conduite imprudente d’une automobile par un tiers, la Commission des lésions professionnelles croit opportun d’imputer les coûts relatifs à cette lésion professionnelle aux employeurs de toutes les unités.

[33]        La Commission des lésions professionnelles infirme donc la décision rendue par la révision administrative.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée par l’employeur, Pratt & Whitney Canada;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 4 novembre 2010 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que les coûts reliés à la lésion professionnelle subie par le travailleur, monsieur Jean-Pierre Bouchard, le 24 octobre 2008 doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités.

 

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Carmen Racine

 

 

 

 

Me Francine Legault

HEENAN BLAIKIE

Représentante de la partie requérante

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Bouchard et Pratt & Whitney Canada, C.L.P. 374872-62-0904, le 26 avril 2010, D. Beauregard.

[3]           C.L.P. 288809-03B-0605, le 28 mars 2008, J.F. Clément, J.-F. Martel et D. Lajoie.

[4]           Voir à titre d’exemples : Équipement Germain inc. et Excavations Bourgoin et Dickner inc., C.A.L.P. 30997-03-9203, le 4 août 1994, le commissaire Jean-Guy Roy; CSST et Hilton International, C.A.L.P. 92945-03-9712, le 4 mars 1998, le commissaire Jean-Marc Dubois; Banque Nationale du Canada et Centre commercial Place Saint-Jean, C.A.L.P. 82829-62-9607, le 18 novembre 1997, la commissaire Santina Di Pasquale.

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