Gingras c. Commission municipale du Québec |
2016 QCCS 3958 |
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JP-2304 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-088940-153 |
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DATE : |
23 août 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
SYLVAIN PROVENCHER, J.C.S. |
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JEAN-CLAUDE GINGRAS |
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Demandeur |
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c. |
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COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC |
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Défenderesse |
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et |
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VILLE DE L’ASSOMPTION |
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Intervenante |
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JUGEMENT Sur la requête pour condamner l’intervenante à assumer la représentation du demandeur |
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l’aperçu
[1] Un élu municipal sévèrement blâmé à la suite d’une enquête tenue par la Commission municipale du Québec (ci-après : CMQ) qui requiert la révision judiciaire du rapport de la CMQ, bénéficie-t-il de la protection contre certaines pertes financières liées à l’exécution des fonctions municipales telles que prévues à l’article 604.6 et suivants de la Loi sur les cités et villes[1] (LCV)?
[2] En d’autres mots, cet élu peut-il exiger de la municipalité qu’elle assume ses frais de représentation (frais d’avocat) dans le cadre de l’instance portant sur sa demande en révision judiciaire?
[3] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est d’avis que la Ville de l’Assomption (ci-après : la VILLE) devra assumer les frais de représentation raisonnables de M. Jean-Claude Gingras, maire, conformément aux modalités établies dans les conclusions du présent jugement.
le contexte
[4] Le 22 octobre 2014, le gouvernement du Québec adopte le décret 913-2014 et demande à la CMQ de mener une enquête sur certains aspects de l’administration de la VILLE dont :
- Le processus d’octroi des contrats;
- La gestion des ressources humaines, et
- Le respect des rôles et responsabilités dévolus, d’une part, aux élus et, d’autre part, aux gestionnaires et employés municipaux.
[5] L’enquête dure 24 jours répartis sur une période d’un peu plus de trois mois, soit du 15 décembre 2014 au 26 mars 2015, lors de laquelle 25 personnes témoignent.
[6] Monsieur Gingras, bénéficiant du statut de participant dans l’enquête publique, est tout au long de celle-ci présent et représenté par un avocat. Aussi, il présente sa version des événements.
[7] Le 30 avril 2015, la CMQ produit son rapport d’enquête, lequel conclut que M. Gingras a eu à multiples reprises un ou des comportements déraisonnables, inacceptables, inadmissibles, voire illégitimes. La CMQ le blâme sévèrement et émet plusieurs recommandations de poursuites judiciaires contre lui.
[8] Le 15 juin 2015, M. Gingras produit une requête introductive d’instance en révision judiciaire du rapport de la commission municipale du Québec sur l’administration de la Ville de l’Assomption, à la suite d’une enquête publique, requête modifiée le 22 octobre 2015.
[9] Les conclusions recherchées sont les suivantes :
« ACCUEILLIR la présente requête amendée;
ANNULER à toutes fins que de droit la Partie IV et la Partie 8.1 du Rapport de la Commission municipale du Québec sur l’administration de la Ville de l’Assomption, à la suite d’une enquête publique, et toute autre partie qui traite des gestes posés par le demandeur Jean-Claude Gingras;
ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à être rendu sur la présente requête, nonobstant appel;
LE TOUT avec dépens. »
[10] Tout au long de l’enquête menée par la CMQ, M. Gingras est représenté par avocat, les frais de celui-ci étant assumés par la VILLE. Cette dernière reconnaît que M. Gingras bénéficie alors du régime de protection contre certaines pertes financières liées à l’exercice des fonctions municipales prévues à l’article 604.6 et suiv. LCV.
[11] La VILLE refuse cependant d’assumer les frais de représentation de M. Gingras pour la demande en révision judiciaire puisqu’elle est d’avis qu’il ne remplit pas les conditions prévues à la Loi précitée pour y avoir droit.
[12] Vu le refus de la VILLE sur sa demande, M. Gingras signifie à celle-ci sa requête pour condamner l’intervenante Ville de l’Assomption à assumer la représentation du demandeur Jean-Claude Gingras, qu’elle modifie le 28 janvier 2016[2] pour que ses conclusions se lisent comme suit :
« ACCUEILLIR la présente requête;
ORDONNE de façon interlocutoire à la Ville de l’Assomption d’assumer les frais de représentation raisonnables de M. Jean-Claude Gingras dans le présent dossier, et ce, jusqu’à ce que jugement intervienne, sur présentation de comptes d’honoraires suffisamment détaillés pour indiquer la nature des services rendus tout en préservant le droit au secret professionnel de M. Jean-Claude Gingras, et ce, dans un délai de 90 jours de la réception de tels comptes d’honoraires par la Ville de l’Assomption;
RÉSERVE à la Ville de l’Assomption tous ses droits et recours en vertu des articles 604.7 de la Loi sur les cités et villes;
Le tout avec frais judiciaires. »
[13] La question à laquelle le Tribunal doit répondre est la suivante : Monsieur Gingras est-il en droit d’exiger que la VILLE assume ses frais de représentation (frais d’avocat) pour le travail effectué et à venir en lien avec sa demande en révision judiciaire du rapport de la CMQ?
l’analyse et la discussion
- droit applicable
[14] Les dispositions suivantes de la Loi précitée s’appliquent à la solution du présent litige. Elles sont édictées comme suit :
« 604.6 Toute municipalité doit:
(…)
2° assumer la défense ou la représentation, selon le cas, d’une personne qui est, soit le défendeur, l’intimé ou l’accusé, soit le mis en cause, dans une procédure dont est saisi un tribunal et qui est fondée sur l’allégation d’un acte ou d’une omission dans l’exercice des fonctions de la personne comme membre du conseil, fonctionnaire ou employé de la municipalité ou d’un organisme mandataire de celle-ci;
3o (…)
Si la personne assume, elle-même ou par le procureur de son choix, cette défense ou représentation, la municipalité doit en payer les frais raisonnables. La municipalité peut toutefois, avec l’accord de la personne, lui rembourser ces frais au lieu de les payer.
La municipalité est dispensée des obligations prévues aux deux premiers alinéas, dans un cas particulier, lorsque la personne renonce par écrit, pour ce cas, à leur application.
Pour l’application de la présente section, on entend par:
(…)
2° «tribunal» : outre son sens ordinaire, un coroner, un commissaire-enquêteur sur les incendies, une commission d’enquête ou une personne ou un organisme exerçant des fonctions quasi judiciaires.
604.7 La personne pour laquelle la municipalité est tenue de faire des dépenses, en vertu de l’article 604.6, doit, sur demande de la municipalité, lui rembourser la totalité de ces dépenses ou la partie de celles-ci qui est indiquée dans la demande, dans l’un ou l’autre des cas suivants:
1° l’acte ou l’omission de la personne, dont l’allégation a fondé la procédure, est une faute lourde, intentionnelle ou séparable de l’exercice des fonctions de la personne;
2° le tribunal a été saisi de la procédure par la municipalité ou par un tiers à la demande de cette dernière;
3° la personne, défenderesse ou accusée dans la procédure de nature pénale ou criminelle, a été déclarée coupable et n’avait aucun motif raisonnable de croire que sa conduite était conforme à la loi.
En outre, si la municipalité fait les dépenses visées au premier alinéa en remboursant les frais de la défense ou de la représentation que la personne assume elle-même ou par le procureur de son choix, l’obligation de la municipalité cesse, à l’égard de la totalité des frais non encore remboursés ou de la partie de ceux-ci que la municipalité indique, à compter du jour où il est établi, par une admission de la personne ou par un jugement passé en force de chose jugée, qu’est justifiée la demande de remboursement prévue au premier alinéa ou la cessation de remboursement prévue au présent alinéa.
Les premier et deuxième alinéas s’appliquent si la municipalité est justifiée d’exiger le remboursement prévu au premier alinéa et, le cas échéant, de cesser en vertu du deuxième alinéa d’effectuer des remboursements. Ils ne s’appliquent pas dans le cas visé au paragraphe 3° du premier alinéa de l’article 604.6. »
[15] L’intention législative derrière ces dispositions est bien connue : éviter aux élus municipaux de devoir supporter personnellement des frais associés à l’exercice de leurs fonctions.
[16] Cette intention législative a été à plusieurs reprises soulignée par les tribunaux dont récemment par la Cour d’appel dans la célèbre affaire Berniquez St-Jean c. Boisbriand (Ville de)[3]. Il est utile de reproduire les extraits suivants de cette décision :
« [14] En 1996, le législateur ajoute à la LCV, la section XIII.1, intitulée " Protection contre certaines pertes financières liées à l’exercice des fonctions municipales ". Ce titre est révélateur de l’intention législative : éviter aux élues municipales de devoir supporter personnellement des frais associés à l’exercice de leurs fonctions.
(…)
[16] La protection s’applique donc chaque fois, notamment, qu’une élue est poursuivie ou mise en cause, et ce, dans des procédures tant civiles que criminelles ou quasi judiciaires, incluant des enquêtes du coroner ou des commissions d’enquête, en raison d’un acte ou omission dans l’exercice des fonctions d’élue. L’éventail des situations visées est large.
[17] La jurisprudence a reconnu que le législateur conçoit cette protection comme d’application immédiate et automatique (Mont-Royal (Ville) c. Hrtschan, J.E. 2000-2186 (C.A.)). Le conseil municipal doit cependant autoriser son application et, à défaut, l’élue peut forcer la municipalité à y donner suite en s’adressant à la Cour supérieure pour une ordonnance appropriée ou encore en la poursuivant en remboursement des frais encourus.
(…)
[21] Manifestement le législateur a voulu un régime de protection des plus favorables aux élues, visant à leur éviter toute perte financière découlant des situations dans lesquelles les place l’exercice de ses fonctions (premier objectif du régime mentionné à l’art. 604.8(1) LCV). Il s’ensuit qu’en cas de doute, le régime de protection doit s’appliquer, sous réserve de la possibilité pour la municipalité de demander éventuellement un remboursement, total ou partiel. »
[17] Aussi, bien que ce régime de protection en soit un qui est exorbitant du droit commun, reste qu’il doit être interprété de façon large et libérale pour qu’il puisse remplir son objectif[4].
[18] L’article 604.6 LCV établit les conditions que doit satisfaire la personne qui demande la protection financière. Elles sont au nombre de trois :
1) Il doit s’agir d’un élu;
2) L’élu doit être défendeur, intimé, accusé ou mis en cause dans une procédure dont est saisi un tribunal; et
3) La procédure doit être fondée sur l’allégation d’un acte ou d’une omission dans l’exercice des fonctions de l’élu comme membre du conseil municipal.
[19] De plus, la personne concernée par la demande de protection financière ne doit pas être l’initiatrice du recours ou de la procédure[5].
[20] Enfin, la protection s’applique jusqu’au jugement final[6]. En d’autres mots, l’élu qui dès le départ a le droit à celle-ci en bénéficie tant que le jugement n’a pas acquis force de chose jugée. S’il est porté en appel, l’élu continuera de voir ses frais de représentation assumés par la municipalité, indépendamment de la partie qui le porte en appel.
[21] Les auteurs Hétu et Duplessis abondent également dans le même sens. Il est utile de reproduire un extrait de leur ouvrage à ce sujet [7]:
« L’obligation pour un conseil municipal d’assumer les frais pour assurer la défense juridique d’un élu municipal ne peut se limiter aux procédures de première instance. Comme le mentionne encore la jurisprudence, la protection conférée par la loi se termine avec le jugement final[8]. Selon les propos tenus par le juge dans Municipalité du village de St-Zotique c. Leroux[9], la procédure engagée contre un élu municipal forme un tout incluant l’instance d’appel. En d’autres termes, un membre du conseil a droit à une défense pleine et entière et le législateur n’a certes pas voulu que la municipalité puisse dicter à l’élu la façon dont il doit mener sa défense. Que le jugement de première instance soit favorable ou non à l’élu, il lui appartient seul de décider de soumettre la question à un tribunal d’appel. Encore une fois, rappelons que le droit au paiement de ses frais juridiques ne découle pas d’une résolution du conseil mais bien d’une obligation légale. La Loi sur les cités et villes, comme le Code municipal, ne restreint, aucunement la défense dont peut jouir un élu. Si on convient facilement qu’un conseil municipal ne pourrait dicter de ligne de conduite à un élu qui assumerait lui-même sa défense, il faut également reconnaître que le même principe s’applique lorsque c’est la municipalité qui assume la défense d’un élu. Comme le déclare la Cour supérieure, ce droit à la protection ne doit pas dépendre de l’appui politique sur lequel la personne qui a droit peut ou non compter au sein du conseil municipal[10].
[22] Cela dit, qu’en est-il en l’espèce?
décision
[23] La VILLE reconnaît le droit de M. Gingras à la protection financière pour la partie entière de l’enquête menée par la CMQ. Elle a d’ailleurs complètement remboursé M. Gingras de ses frais d’avocat ou est sur le point de le faire. Quant à l’instance portant sur la demande en révision judiciaire, la VILLE mentionne que M. Gingras ne remplit pas les conditions de l’art. 604.6 LCV. Elle prétend n’avoir aucune obligation d’assumer sa représentation.
[24] Plus particulièrement, elle avance que :
i) Monsieur Gingras n’est pas un défendeur, un intimé, un accusé ou un mis en cause dans une procédure dont est saisi un tribunal puisqu’il en est l’initiateur, voire le demandeur; et
ii) La demande en révision judiciaire du rapport de la CMQ n’est pas fondée sur l’allégation d’un acte ou d’une omission dans l’exercice des fonctions de M. Gingras à titre de membre du conseil, mais porte plutôt sur des questions d’excès de compétence, de partialité, de violation à la règle audi alteram partem, d’irrégularités de la procédure suivie par la CMQ.
- Monsieur Gingras n’est pas un défendeur, un intimé, un accusé ou un mis en cause dans une procédure dont est saisi un tribunal puisqu’il en est l’initiateur, voire le demandeur
[25] La VILLE mentionne que le rapport de la CMQ n’est pas un jugement ou une décision judiciaire. Il n’est que le résultat d’une enquête, ne fait que le constat de la situation en regard de plusieurs événements problématiques et suggère d’éventuelles actions à prendre. De plus, celui-ci n’est aucunement contraignant pour M. Gingras de sorte qu’il n’a pas à y répondre.
[26] Elle ajoute que M. Gingras cherche à obtenir l’annulation de parties du rapport d’enquête par sa demande en révision judiciaire, ce qui le place non pas en position de défense, mais plutôt dans celle de l’initiateur de la procédure, voire d’un demandeur.
[27] Cet argument de la VILLE ne peut réussir. Voici pourquoi.
[28] D’abord, il ne fait aucun doute que la protection financière s’applique à l’élu visé par des allégations d’actes ou d’omissions dans l’exercice de ses fonctions comme membre du conseil municipal dans le cadre d’une enquête menée par la CMQ.
[29] Force est de conclure qu’à la lecture du rapport d’enquête M. Gingras est la principale personne visée par celui-ci. Plusieurs comportements malveillants ou inappropriés lui sont reprochés et il fait l’objet de nombreux blâmes. Le volumineux rapport décrit dans ses moindres détails les comportements, les gestes posés et les décisions prises par M. Gingras que la CMQ a qualifiés dans de nombreux cas de fautifs.
[30] Il est vrai que le rapport ne contient que des recommandations, mais celui-ci est dévastateur pour la réputation de M. Gingras. Aussi, les conclusions que tirent les deux commissaires-enquêteurs des faits mis en preuve et les recommandations qu’elles font peuvent fort probablement mener à d’autres procédures judiciaires que M. Gingras devra affronter et qui dureront vraisemblablement de nombreuses années.
[31] Monsieur Gingras a tout intérêt à faire réformer des parties de ce rapport, non seulement pour rétablir sa réputation et sa crédibilité, mais surtout pour amenuiser l’effet de celui-ci et ainsi éviter, ou du moins limiter, d’autres procédures judiciaires.
[32] En résumé, bien que le rapport d’enquête ne soit pas par sa nature même contraignant pour M. Gingras, il est grandement porteur de messages négatifs et dépréciateurs en plus d’être la bougie d’allumage de multiples autres recours judiciaires contre M. Gingras.
[33] Bref, cela n’est pas banal.
[34] Aussi, contrairement à ce qu’avance la VILLE, le statut de M. Gingras ne passe pas de celui de défendeur ou d’intimé à celui de demandeur en raison qu’il requiert la révision judiciaire du rapport.
[35] Les principes dégagés par la jurisprudence quant à l’appel d’une décision judiciaire doivent s’appliquer à la situation de la révision judiciaire. L’élu qui demande la révision judiciaire ne devient pas pour autant demandeur et ne perd pas le bénéfice de la protection financière.
[36] Il faut considérer la situation de départ, c’est-à-dire celle qui prévaut au moment où se déclenche l’obligation pour la VILLE d’assumer de tels frais. L’obligation demeure par la suite tant que le jugement n’a pas acquis le stade final, l’état de la chose jugée.
[37] Penser autrement mènerait à des situations d’injustice puisque dépendamment de qui porte l’affaire en révision ou en appel, l’élu perdrait ou non son droit à la protection financière alors qu’au fond, l’analyse et la discussion portent sur les mêmes faits et circonstances du départ qui eux ont enclenché la protection financière.
[38] Aussi, il n’y a pas lieu de faire une distinction entre la décision qui elle peut être portée en appel de celle qui ne le peut pas, mais dont le seul recours disponible pour l’élu est la révision judiciaire.
[39] À titre d’exemple, nous pouvons penser à l’élu poursuivi en diffamation par deux citoyens, l’un pour la somme de 16 000 $ et l’autre pour 14 000 $. La première affaire serait entendue par la Cour du Québec alors que la deuxième, toujours par cette même cour le serait à la division des petites créances.
[40] L’affaire de 16 000 $, sous réserve de remplir les conditions d’appel, est susceptible à appel devant la Cour d’appel du Québec alors que celle de 14 000 $ n’est sujette qu’à la révision judiciaire.
[41] L’élu qui porterait l’affaire en appel verrait ses frais de représentation assumés par la ville alors que celui qui demanderait la révision judiciaire ne le pourrait pas?
[42] On ne peut logiquement soutenir sur la base d’une question de véhicule procédural (appel ou révision judiciaire) qu’un élu ait à faire face au lourd fardeau financier qu’est la prise en charge de ses frais de défense ou de représentation dans un cas, alors que la ville assumerait de tels frais dans l’autre, bien que la discussion sur le fond concerne dans les deux cas des actes ou des omissions dans l’exercice des fonctions de l’élu.
[43] L’objectif du législateur n’est certes pas de priver l’élu de la protection dans de telles circonstances d’autant plus qu’il a spécifiquement prévu que celle-ci s’applique dans le cadre d’une enquête d’un coroner, d’un commissaire enquêteur sur les incendies et dans le cadre d’une commission d’enquête, toutes des situations où un rapport est produit et non une décision judiciaire, ce qui n’ouvre la porte à une partie insatisfaite du résultat qu’à une demande en révision judiciaire.
[44] L’instance première en l’espèce est l’enquête menée par la CMQ. L’enquête porte principalement sur les actes ou les omissions de M. Gingras dans l’exercice de ses fonctions de maire de la VILLE. Le rapport comporte une analyse détaillée de l’ensemble des reproches adressés à M. Gingras, des conclusions et des recommandations spécifiques.
[45] La révision judiciaire est la suite de cette instance. Monsieur Gingras est en droit de présenter une demande en révision judiciaire du rapport de la CMQ. Peut-être n’aura-t-il pas gain de cause, au bout de la ligne, cela n’est pas pertinent dans l’analyse de son droit à la protection financière puisqu’elle est d’application immédiate et automatique.
[46] Monsieur Gingras a le droit à cette protection judiciaire jusqu’à ce que le jugement ait atteint le statut de jugement final.
[47] Considérant ce qui précède, le Tribunal est d’avis que M. Gingras n’est pas un demandeur dans l’instance visant la révision judiciaire, qu’il dispose dans le cadre de sa demande en révision judiciaire du même statut que celui qu’il détenait lors de l’enquête de la CMQ qui lui a permis de bénéficier de la protection financière.
- La demande en révision judiciaire du rapport de la CMQ n’est pas fondée sur l’allégation d’un acte ou d’une omission dans l’exercice des fonctions de M. Gingras à titre de membre du conseil, mais porte plutôt sur des questions d’excès de compétence, de partialité, de violation à la règle audi alteram partem, d’irrégularités de la procédure suivie par la CMQ
[48] La VILLE plaide que la demande en révision judiciaire n’est pas fondée sur les actes ou les omissions de M. Gingras dans l’exercice de ses fonctions de maire, mais plutôt sur des questions touchant la compétence de la CMQ, sa partialité, la violation à la règle audi alteram partem ainsi qu’à de prétendues irrégularités dans la procédure suivie, tous des éléments qui ne font pas l’objet de la protection financière prévue à l’article 604.6 LCV.
[49] Cela est un faux débat puisque la lecture de la demande en révision judiciaire démontre que ces éléments, bien que tous effectivement abordés, le sont à travers l’ensemble des faits et circonstances discutant spécifiquement des actes ou des omissions de M. Gingras dans l’exercice de ses fonctions de maire.
[50] À titre d’exemple, au paragraphe 21 et suivants de la requête amendée, sous la rubrique « l’illégalité relative au contenu du rapport » M. Gingras aborde la question de l’interprétation de la notion d’inconduite prévue à l’article 306 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités[11]. Il soutient que la CMQ a fait une interprétation erronée de cette notion, que cela a malheureusement mené à une qualification inadéquate de certains de ses faits et gestes, des conclusions et des recommandations erronées s’ensuivirent.
[51] Monsieur Gingras explique ce qui devait être considéré comme une inconduite et met ensuite cette notion en relation avec les circonstances ou les situations dont la CMQ a déterminé qu’il était dans une situation d’inconduite.
[52] Aussi, toujours sous la même rubrique M. Gingras aborde directement les sujets suivants, sur lesquels il a fait l’objet de reproches et de blâmes par la CMQ :
- L’abolition du poste de Stefany Chénier;
- Le recours aux services des firmes HDD Forensic et SIRCO;
- Indiscrétion de Dominique Valiquette au sujet des intentions du conseil;
- Le droit d’obtenir des documents et informations;
- Suspension sans solde imposée à Mathieu Lagacé;
- La mesure disciplinaire pour non-respect de l’horaire de travail;
- Suspension de Martin Lelièvre.
[53] Au risque de nous répéter, il est vrai que la demande en révision judiciaire aborde des questions de compétence, de partialité ou de violation des droits fondamentaux, mais cela toujours en relation avec les actes ou les omissions de M. Gingras dans l’exercice de ses fonctions de maire de la VILLE.
[54] De tels motifs sont d’ailleurs le propre d’une demande en révision judiciaire qui obéit à des règles différentes de celles de l’appel. L’objectif du législateur n’est certes pas de dépouiller l’élu de sa protection financière puisqu’ultimement, les moyens qu’il soulève visent à contrer ou repousser les reproches auxquels il fait face alors qu’il s’exécutait dans le cadre de l’exercice de ses fonctions comme membre d’un conseil municipal.
[55] Cet argument doit donc également échouer.
[56] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[57] ORDONNE de façon interlocutoire à la Ville de l’Assomption d’assumer les frais de représentation raisonnables de M. Jean-Claude Gingras dans le présent dossier, et ce, jusqu’à ce que jugement intervienne, sur présentation de comptes d’honoraires suffisamment détaillés pour indiquer la nature des services rendus tout en préservant le droit au secret professionnel de M. Jean-Claude Gingras, et ce, dans un délai de 90 jours de la réception de tels comptes d’honoraires par la Ville de l’Assomption;
[58] RÉSERVE à la Ville de l’Assomption tous ses droits et recours en vertu de l’article 604.7 de la Loi sur les cités et villes;
[59] ORDONNE aux procureurs du demandeur sur réception du présent jugement de convoquer les parties à une séance de gestion, dans les meilleurs délais;
[60] LE TOUT avec les frais de justice.
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__________________________________ SYLVAIN PROVENCHER, J.C.S. |
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Maître Pierre Éloi Talbot |
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Maître Fedor Jila |
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(Legault, Joly, Thiffault) |
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Procureurs du demandeur |
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Maître Yves Chaîné |
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(Bélanger, Sauvé) |
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Procureurs de l’intervenante |
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Date d’audience : |
15 janvier 2016 |
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[1] RLRQ, c. C-19.
[2] La procédure transmise au soussigné par courrier électronique le 28 janvier 2016, contient une erreur d’écriture quant à l’année alors qu’on aurait dû y lire 2016 et non 2015.
[3] 2013 QCCA 2197.
[4] Cyr c. Prévost (Ville de), J.E. 2002-1301, AZ-50132001; Mailhot c. Montréal (Ville de), 2014 QCCS 3803; Campbell c. Hrtschan, AZ-00021555, p. 6 appel rejeté C.A., 2000-11-13, AZ-50080736; Berniquez préc. note 3, paragr. 21.
[5] Roy c. Brossard (Ville de), 2015 QCCS 5854, paragr. 36; Mailhot préc. note 4, paragr. 36.
[6] Mailhot préc. note 4, paragr. 38; Roy préc. note 5, paragr. 40; Berniquez préc. note 3, paragr. 23.
[7] Jean hétu et Yvon duplessis avec la collab. de Lise vézina, Droit municipal. Principes généraux et contentieux, vol. 1, Brossard, Publications CCH, 2003, feuilles mobiles, à jour au 1er juillet 2010, ¶ 2.149.
[8] [Dans la citation] Campbell c. Hrtschan, J.E. 2000-1095 (C.S.), résumé à (2000) 7 B.D.M. 88-89, confirmé par Ville Mont-Royal c. Hurtschan, REJB 2000-20978 (C.A.); Bélanger c. Ville de Varennes, J.E. 2004-2083 (C.A.), REJB 2004-68377 (C.A.), résumé à (2004) 4 A.J.M. 159.
[9] [Dans la citation] J.E. 2000-1681 (C.S.).
[10] [Dans la citation] Municipalité du village de St-Zotique c. Leroux, J.E. 2000-1681 (C.S.), résumé à (2000) 7 B.D.M. 172); confirmé en partie par Leroux c. Municipaité du village de St-Zotique, J.E. 2004-347 (C.A.), REJB 2003-51805 (C.A.), résumé à (2004) 4 A.J.M. 50).
[11] RLRQ, c. E-2.2.
AVIS :
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