Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Cloutier c. Familiprix inc.

2014 QCCA 1959

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-007728-121

(200-17-012994-109)

 

DATE :

23 septembre 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

GUY GAGNON, J.C.A.

MANON SAVARD, J.C.A.

 

 

YVES CLOUTIER
9132-4343 QUÉBEC INC.

APPELANTS - Défendeurs

c.

 

FAMILIPRIX INC.

INTIMÉE - Demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelants portent en appel un jugement de la Cour supérieure[1], district de Québec (l’honorable J. Roger Banford) qui, le 3 mai 2012, les a condamnés solidairement à payer à l’intimée Familiprix une somme de 500 000 $, avec intérêts et indemnité additionnelle.

* * * * *

[2]           Les faits, sommairement décrits, sont les suivants.

[3]           L’appelant Cloutier est un pharmacien et exploite, depuis 2003, une pharmacie sous la bannière Familiprix. Il devient à cette date actionnaire de l’intimée et signe la convention d’actionnaires intervenue entre cette dernière et ses actionnaires. Celle-ci comprend notamment un droit de premier refus en faveur de la première en cas de vente « […] des actions ou des actifs constituant son entreprise de pharmacie […] », assorti d’une clause pénale en cas de contravention. L’immeuble où est située sa pharmacie (« l’Immeuble ») est la propriété de la compagnie appelante, 9132-4343 Québec inc. (« 9132 inc. »), dont l’appelant Cloutier est l’actionnaire principal, sa fiducie familiale étant l’autre actionnaire. La clinique médicale exploitée par son épouse est également située au sein de l’Immeuble.

[4]           Entre 2003 et 2008, des modifications sont apportées aux clauses relatives au droit de premier refus et à la clause pénale de la convention d’actionnaires, conformément aux modalités prévues à cette dernière qui requièrent l’approbation d’au moins 75 % des actionnaires de l’intimée détenant des droits de vote.

[5]           En septembre 2009, l’appelante 9132 inc. vend l’Immeuble à un concurrent de l’intimée, le Groupe Jean Coutu (PJC) inc. (« PJC »), qui au même moment consent à l’appelant Cloutier un bail d’une durée d’un an, non renouvelable. Un mois plus tard, en octobre 2009, PJC offre aux appelants[2] d’acheter tous les actifs de la partie commerciale de la pharmacie et de l’officine pour près de 4 M$.

[6]           L’appelant Cloutier transmet cette offre à l’intimée aux fins de l’exercice de son droit de premier refus, tout en l’informant l’avoir déjà acceptée. L’intimée Familiprix lui répond que l’offre reçue de PJC n’est pas conforme aux stipulations de la convention d’actionnaires et dénonce la vente de l’Immeuble, faite à son insu, comme étant en contravention de cette dernière. Elle se déclare malgré tout désireuse d’exercer son droit de premier refus sur tous les actifs de la pharmacie, tant mobiliers qu’immobiliers, aux mêmes prix et conditions que ceux offerts à PJC. Ne partageant pas cet avis quant à la violation de la convention, l’appelant Cloutier informe PJC du refus de l’intimée d’exercer son droit de premier refus. En février 2010, les appelants vont de l’avant avec la vente annoncée.

[7]           L’intimée recherche une condamnation solidaire des appelants au montant de 1 000 000 $, c’est-à-dire le double de la pénalité de 500 000 $ prévue à la clause pénale de la convention d’actionnaires, plaidant l’existence de deux contraventions à cette dernière. Le juge fait droit en partie à sa demande, estimant que l’intimée ne peut réclamer plus que l’indemnité stipulée à la clause pénale.

* * * * *

[8]           Le premier grief des appelants porte sur la validité de l’une des modifications apportées à la convention d’actionnaires après sa signature en 2003 voulant que l’immeuble abritant les opérations d’une pharmacie soit visé par le droit de premier refus. Cette modification serait abusive et dénaturerait le sens des obligations contractées à l’origine (art. 1379 et 1437 C.c.Q.), de sorte qu’elle ne serait pas opposable à l’appelant Cloutier, seul signataire de la convention d’actionnaires.

[9]           Le juge reconnaît que, de façon générale, les modifications apportées aux clauses relatives au droit de premier refus entre 2003 et 2008 sont sans contredit plus contraignantes et coercitives pour l’actionnaire. Si leur libellé en 2003 pouvait porter à interprétation, les précisions apportées en 2008 à la définition de « pharmacie » que l’on retrouve à l’article 19.3 confirment qu’aux fins de la clause relative au droit de premier refus (article 4), cette expression vise aussi l’immeuble dans lequel elle se trouve, si celui-ci est, directement ou indirectement, la propriété de l’actionnaire ou de toute personne qui lui est liée.

[10]        Le juge retient que ces précisions se veulent une mesure préventive et qu’elles visent à clarifier les intentions des actionnaires signataires et à protéger leurs intérêts et ceux de l’intimée, la valeur commerciale d’une pharmacie étant intimement liée à l’ensemble de ses actifs et à son emplacement. L’achat des actifs de la partie commerciale de la pharmacie et de l’officine, sans l’immeuble dans lequel elle est exploitée, présente peu d’intérêts pour l’intimée si, par ailleurs, elle ne peut poursuivre les activités au même endroit. Aux yeux du juge, le cas d’espèce en est d’ailleurs un exemple éloquent.

[11]        Malgré leur caractère plus contraignant, le juge estime que les modifications poursuivent les mêmes buts et objectifs que ceux recherchés par le libellé de 2003, soit la protection des intérêts des actionnaires et de l’intimée. La convention d’actionnaires telle qu’elle se lit en 2008 ne crée donc pas, selon lui, d’obligations essentielles si éloignées de celles contractées en 2003 au point de déclarer ces nouvelles dispositions excessives ou déraisonnables. Il conclut ainsi que l’appelant Cloutier est lié par la convention, telle que modifiée, dont le respect exigeait que l’intimée Familiprix puisse exercer son droit de premier refus également sur l’Immeuble.

[12]        Il n’est pas nécessaire, aux fins du pourvoi, de déterminer si la convention d’actionnaires, qui permet sa modification avec l’approbation d’au moins 75 % des actionnaires détenant un droit de vote, répond à la définition d’un contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 C.c.Q.; les parties n’ont d’ailleurs pas insisté sur cette question dans leur mémoire respectif. Même si tel était le cas, les appelants ne démontrent pas ici l’existence d’une erreur de la part du juge justifiant l’intervention de la Cour.

[13]        Le caractère abusif ou non d’une clause contractuelle est essentiellement une question de fait. C’est donc avec réserve et déférence que la Cour doit aborder cette question. Or, l’analyse à laquelle le juge de première instance s’est livré est détaillée et cohérente. Les appelants ont choisi de ne pas fournir à la Cour la preuve testimoniale présentée au juge de première instance, à l’exception de l’interrogatoire avant défense d’un représentant de l’intimée. Il faut donc s’en tenir à ce seul extrait de preuve et aux constatations de fait du juge, qui supportent sans contredit ses conclusions.

[14]        Lors de l’audition du pourvoi, les appelants proposent une nouvelle lecture de la clause de premier refus, non soumise au juge de première instance, qui justifierait l’intervention de la Cour. Puisque l’article 4.1 oblige l’actionnaire à aviser l’intimée de toute offre reçue portant sur « […] [l]es actions ou [l]es actifs de l’une ou l’autre ou de l’ensemble de ses pharmacies sous bannière de [l’intimée], […] », seuls les immeubles « sous bannière » seraient soumis à la clause de droit de premier refus, c'est-à-dire un immeuble où est exclusivement exploitée une pharmacie « sous bannière ». L’Immeuble des appelants ne répondant pas à cette définition en ce qu’il abrite également une clinique médicale, l’offre reçue de PJC visant uniquement la partie commerciale de la pharmacie et l’officine serait donc conforme à la convention d’actionnaires, contrairement à ce que le juge de première instance a retenu. Conclure autrement pourrait donner lieu à des abus, si par exemple la pharmacie est exploitée dans un centre commercial dont le pharmacien est également propriétaire.

[15]        Un tel argument doit échouer.

[16]        D’abord, l’interprétation d’une ou plusieurs clauses contractuelles, tout comme la détermination le cas échéant de leur caractère abusif, est une question de fait, ou à la rigueur une question mixte de fait et de droit[3], qui ne sera infirmée en appel qu’en présence d’une erreur évidente[4]. Or, rien dans le texte de l’article 19.3 ne justifie l’interprétation restrictive du terme « immeuble » proposée par les appelants, d’autant plus que l’expression « immeuble sous bannière » n’est aucunement utilisée dans la convention. La précision apportée par l’article 19.3 in fine voulant que l’immeuble où se trouve la pharmacie soit inclus dans la définition de « pharmacie » aux fins de l’article 4 s’applique en tout temps, qu’il s’agisse de définir une pharmacie « sous bannière » ou « non sous bannière ».

[17]        Ensuite, le juge de première instance devait apprécier le caractère abusif de la clause de premier refus à la lumière des faits entourant la vente par l’appelant Cloutier de sa pharmacie, et non dans un contexte purement théorique et spéculatif. Or, à la lumière des éléments de preuve versés au dossier, celui-ci pouvait conclure que l’offre reçue par l’appelant Cloutier de PJC visait, de fait, sa pharmacie dans son entièreté (tant la pratique commerciale et l’officine que l’immeuble l’abritant) et que la mise en exécution de la clause de premier refus n’avait ici rien d’abusif. Qu’il suffise à cet égard de souligner la concomitance entre la vente de l’Immeuble à PJC et l’offre d’achat de la pratique commerciale et l’officine, les contraintes stipulées au bail conclu avec PJC rendant pour l’essentiel impossible la poursuite des activités par l’intimée au même emplacement et le comportement de l’appelant qui, dans les mois précédant les transactions contestées, avait été clairement informé de la portée du droit de premier refus en faveur de l’intimée.

[18]        Vu l’absence d’erreur manifeste et déterminante de la part du juge de première instance, ce premier grief doit dès lors échouer.

* * * * *

[19]        Le second grief concerne la condamnation solidaire de l’appelante 9132 inc. au paiement de la pénalité de 500 000 $ prescrite à la clause pénale stipulée à la convention d’actionnaires liant l’appelant Cloutier et l’intimée.

[20]        Sur ce point, avec égards, le juge de première instance commet une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

[21]        Le juge retient la responsabilité de l’appelante 9132 inc. sans en préciser par ailleurs le fondement juridique. Il réfère à la fois aux règles de la responsabilité extracontractuelle (art. 1457 C.c.Q.) et à celles relatives à la levée du voile corporatif (art. 317 C.c.Q.).

[22]        Il n’est pas contesté que l’appelant Cloutier, qui connaissait l’étendue de ses obligations contractuelles envers l’intimée, est l’âme dirigeante de l’appelante 9132 inc. Bien que n’étant pas partie ni intervenante à la convention d’actionnaires, cette dernière commet néanmoins une faute extracontractuelle envers l’intimée lorsqu’elle aide sciemment son dirigeant à enfreindre ses propres obligations contractuelles[5]. La responsabilité de l’appelante 9132 inc. est ici de nature extracontractuelle et il n’est pas nécessaire de recourir à l’article 1397 C.c.Q., comme le plaide l’intimée à l’audience, pour arriver à cette conclusion.

[23]        Qu’en est-il alors de l’appréciation du quantum du préjudice découlant de cette faute? Dans Dostie c. Sabourin[6], le juge Dussault, au nom de la majorité, écrit qu’une tierce partie qui a sciemment aidé le débiteur d’une clause de non-concurrence à violer ses obligations contractuelles n’est pas liée par la pénalité qui y est stipulée vu le principe de l’effet relatif des contrats. Ces propos ont été repris par la Cour suprême dans Prévost-Masson c. Trust Général du Canada[7]. La pénalité pourra cependant être utilisée comme élément d’appréciation du préjudice causé par ce tiers si la preuve démontre par ailleurs son caractère purement compensatoire. Autrement, si celle-ci vise également à punir le cocontractant fautif, le tiers ne peut être tenu au montant de cette pénalité et le tribunal doit s’en tenir au principe du dommage compensatoire[8]. Les mêmes principes s’appliquent ici.

[24]        En l’espèce, le juge de première instance estime que le montant de la clause pénale correspond aux dommages réellement subis par l’intimée en raison de la violation de la clause de droit de premier refus. Il écrit :

[99] Comme le tribunal ne possède aucune raison de croire que la clause pénale de la Convention est conçue à d’autres fins que de compenser les dommages découlant de la contravention à la clause de premier refus, dans les circonstances et à défaut d’autre preuve, la même base d’appréciation du préjudice causé par la conduite de 9132 inc. s’applique.

(nous soulignons)

[25]        Une telle affirmation est cependant contraire à ce que le juge conclut alors qu’il discute de la modification apportée au montant de la clause pénale entre 2003 et 2008 :

[69] Les mêmes conclusions s’appliquent à l’égard de la clause pénale, dont l’envergure est passée de 10 % du total des ventes brutes à 500 000 $ par contravention. Selon la preuve, il s’agit d’une mesure dictée par le souci de rendre les dispositions plus dissuasives, compte tenu de la valeur croissante des actifs d’une pharmacie par rapport au montant des ventes annuelles.

[26]        La seule preuve déposée au dossier de la Cour supporte cette dernière conclusion. Dans ce contexte, il faut donc s’en remettre à l’affirmation du juge énoncée au paragraphe 99 de ses motifs voulant que l’intimée ne lui a pas fait la preuve du quantum du préjudice découlant de la faute de l’appelante 9231 inc., alors que le dossier devant nous ne contient aucun élément factuel nous permettant d’arbitrer le montant des dommages.

[27]        Le recours à l’égard de l’appelante 9132 inc. doit donc échouer faute de preuve quant au quantum du préjudice.

[28]        POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[29]        ACCUEILLE en partie l’appel;

[30]        INFIRME pour partie le jugement de première instance et REMPLACE les paragraphes [102], [103] et [105] de son dispositif par les paragraphes suivants :

[102] ACCUEILLE en partie la requête introductive d’instance de la demanderesse;

[103A] REJETTE la requête introductive d’instance contre 9132-4343 Québec inc., avec dépens;

[103B] CONDAMNE le défendeur Yves Cloutier à payer à la demanderesse la somme de 500 000 $, avec intérêts et indemnité supplémentaire prévue par la loi, à compter de la mise en demeure du 19 avril 2010;

[105] AVEC DÉPENS, contre le défendeur Yves Cloutier.

[31]        Chaque partie payant ses frais en appel, vu le sort mitigé du pourvoi.

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

 

 

 

MANON SAVARD, J.C.A.

 

Me Nathalie-Anne Béliveau

Me Vincent Cérat Lagana

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN

Pour les appelants

 

Me Sylvain Trudel

BEAUVAIS TRUCHON AVOCATS

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

Le 11 septembre 2014

 



[1]     Familiprix inc. c. Cloutier, 2012 QCCS 2140.

[2]     L’appelant Cloutier exploite l’officine de la pharmacie en son nom personnel et effectue ses achats de type commercial par l’entreprise de l’appelante 9132 inc.

[3]     Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, notamment aux paragr. 42 à 55.

[4]     Compagnie de chemin de fer du littoral nord de Québec et du Labrador inc. c. Sodexho Québec Ltée, 2010 QCCA 2408, paragr. 211.

[5]     Dostie c. Sabourin, [2000] R.J.Q. 1026, J.E. 2000-712 (C.A.), paragr. 36 à 39 (motifs du juge Chamberland, dissident sur un autre point). Voir également :Trudel c. Clairol du Canada inc., [1975] 2 R.C.S. 236; Sobeys Québec inc. c. 3764681 Canada inc., J.E. 2002-415, paragr. 26 (C.A.); Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 2e éd., Les Éditions Thémis, 2012, p. 1446, # 2456; Jean Pineau, Danielle Burman et Serge Gaudet, Théorie des obligations, 4e éd., par Jean Pineau et Serge Gaudet, Montréal, Les Éditions Thémis, 2001, p. 541-542.

[6]     Dostie c. Sabourin, supra, note 5 paragr. 80 à 83.

[7]     [2001] 3 R.C.S. 882, paragr. 32 et 33. Voir également : Bourque c. Poudrier, 2013 QCCA 1663, paragr. 48, plus précisément la note de bas de page 26; D. Luelles et B. Moore, Droit des obligations, supra, note 5, p. 1446, # 2457.

[8]     Dostie c. Sabourin, supra, note 5, paragr. 81 à 83.

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