Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

 

 

 

Regroupement des entrepreneurs et des camionneurs indépendants du Québec c. Légaré

2019 QCCS 87

COUR SUPÉRIEURE

(chambre civile)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

 

N° :

200-17-025319-179

 

 

DATE :

 11 janvier 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

PAUL CORRIVEAU, J.C.S. (JC 1227)

______________________________________________________________________

 

 

REGROUPEMENT DES ENTREPRENEURS ET DES CAMIONNEURS INDÉPENDANTS DU QUÉBEC, ayant sa place d’affaires au 4609, boul. Sainte-Anne, Québec, G1C 2J3, district de Québec

et

TRANSPORT LAVOIE LIMITÉE, ayant sa place d’affaires au 4568, boul. Ste-Anne, Québec, G1C 2H9, district de Québec

et

TRANPORBEC (9200-3466 QUÉBEC INC.), ayant sa place d’affaires au 2801, boul. St-Elzéar Ouest, Laval, H7P 4J8, district de Laval

et

CLAUDE LAVOIE, 4568, boul. Ste-Anne, Québec, G1C 2H9, district de Québec

et

MICHEL LORENT, 4609, boul. Ste-Anne, Québec, G1C 2J3, district de Québec

et

PATRICK LAJOIE, 2801, boul. St-Elzéar Ouest, Laval, H7P 4J8, district de Laval

et

ROGER LAJOIE, 2801, boul. St-Elzéar Ouest, Laval, H7P 4J8, district de Laval

et

JEAN-THOMAS PEDNEAULT, 2801, boul. St-Elzéar Ouest, Laval, H7P 4J8, district de Laval

et

 

 

MICHEL ROBITAILLE, 2801, boul. St-Elzéar Ouest, Laval, H7P 4J8, district de Laval

et

ANDRÉ TURCOTTE, 640, route du Président Kennedy, bureau 202, Pintendre, G6C 1K1, district de Lévis

          Partie demanderesse

c.

 

GAÉTAN LÉGARÉ, 670, rue Bouvier, Québec, G2J 1A7, district de Québec

et

 

ASSOCIATION NATIONALE DES CAMIONNEURS ARTISANS INC., ayant sa place d’affaires au 670, rue Bouvier, Québec, G2J 1A7, district de Québec

          Partie défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR DEMANDE EN DIFFAMATION

 ET ATTEINTE À LA RÉPUTATION

______________________________________________________________________

 

[1]        Les demandeurs oeuvrent au sein de l’industrie du transport et du camionnage en vrac.

[2]        Les défendeurs oeuvrent au sein d’une association qui regroupe des camionneurs artisans.

[3]         Les demandeurs reprochent à la défenderesse d’avoir, en novembre 2016, produit un document diffamant portant atteinte à leur réputation, dignité et honneur.

[4]         Ils réclament 200 000 $ pour dommages moraux, 20 000 $ pour paiement des frais extrajudiciaires et 1 000 000 $ à titre de dommages punitifs.

[5]         Les défendeurs nient avoir tenu quelque propos diffamatoire ni commis de faute pouvant engager leur responsabilité civile à l’endroit des demandeurs.

[6]         Michel Lorent est le directeur général du Regroupement des entrepreneurs et des camionneurs indépendants du Québec, ci-après appelé RECIQ, qui regroupe plusieurs coopératives qui oeuvrent dans le camionnage en vrac depuis 2011.

[7]         L’arrivée de RECIQ dans le transport en vrac a créé des frictions avec l’Association nationale des camionneurs artisans inc., ci-après appelée l’ANCAI qui existait déjà.

[8]         Le 14 novembre 2016, l’ANCAI a fait parvenir au député de Montmorency une lettre (D-1, p.1) dont il a rapidement été informé par un attaché politique du député.

[9]         Prenant connaissance du document qui lui a été remis, il a remarqué le titre de l’Annexe 3 qui porte la mention « Preuve en liasse concernant la fausse facturation et la corruption ». Ce seul titre, selon lui, « en dit beaucoup ».

[10]        Aux pages 35 et 36 de l’annexe, il a vu des photos de lui en compagnie d’Yves Germain et de Mario Dechene qui remontaient à mai 2012 où RECIQ avait donné de l’information sur ce qu’elle avait fait dans la région de Montréal.

[11]        Il a pensé qu’on le prendrait « pour un fraudeur, un collusionneur, un tricheur », ce qu’on semblait reprocher à Germain et Dechene.

[12]        Ailleurs dans l’Annexe 3, il retrouve des noms de camionneurs et de compagnies avec qui RECIQ fait affaire et qui peuvent aussi passer pour être à l’origine de fausse facturation et de corruption, alors qu’ils sont très honorables.

[13]        Un autre document, contenu à l’Annexe 3, reproduit une information donnée par la Presse Canadienne en date du 4 novembre 2013, à propos de Tony Accurso et dans un article du 28 septembre 2012, page 46, on cite Lino Zambito et Nicolo Milioto rendus célèbres par la Commission Charbonneau.

[14]        Il est certain que cela a créé beaucoup de torts à RECIQ.

[15]        Selon lui, l’ANCAI a remis sa lettre du 14 novembre (D-1) avec ses annexes au gouvernement dans le seul but d’obtenir le renouvellement de ses autorisations et de nuire à RECIQ qui s’y objectait.

[16]        Lui et d’autres membres de RECIQ ont été obligés de rencontrer de nombreux entrepreneurs pour les rassurer et pour continuer de faire affaire avec eux.

[17]        Il a eu pendant de nombreux mois « le stress au plafond » et réparer les dommages créés par la lettre de la défenderesse a été presque impossible.

[18]        Depuis août 2018, il travaille comme bénévole pour RECIQ qui n’a plus d’argent pour le payer.

[19]        RECIQ a perdu de nombreux membres et continue d’opérer avec beaucoup de difficultés.

[20]        Il a personnellement fait des crises de panique et a vu sa carrière personnelle affectée puisque son nom a été associé à de la fausse facturation et de la corruption, alors qu’il a toujours eu rien à se reprocher.

[21]        En contre-interrogatoire, il dit que le marché que peuvent se partager ANCAI et RECIQ correspond entre 400 et 500 millions de dollars. RECIQ et ANCAI peuvent opérer tous les deux dans cet espace disponible du transport, mais ANCAI fait tout pour les en empêcher.

[22]        André Turcotte travaille dans le domaine du transport en vrac depuis vingt ans.

[23]        Michel Lorent lui a remis la lettre de l’ANCAI du 14 novembre 2016 (D-1) dont il a pris connaissance.

[24]        À l’Annexe 3 (p.38), il a retrouvé son nom en citation.

[25]        Dans ce texte du président de l’ANCAI de juillet et août 2012, on lit à la page 38 :

Nous parlons souvent de Transporbec et de Gil Transport mais dans la même lignée, nous pouvons parler d’André Turcotte, dans la région de Lévis (…).

[26]        Il s’est demandé pourquoi son nom apparaissait dans l’Annexe 3 consacrée, selon son titre, à des preuves «concernant la fausse facturation et la corruption ».

[27]        Il n’a pas apprécié d’être associé à des entreprises ou des gens dont la réputation a été ternie d’une façon ou d’une autre.

[28]        Il n’a jamais travaillé à détruire quelqu’un et il ne comprend pas que la défenderesse ait essayé de le faire envers lui.

[29]        Le monde du camionnage en vrac est petit et après la lettre de la défenderesse, il s’est fait appeler par son propre frère, qui vit en Abitibi, qui lui a demandé ce qui se passait.

[30]        Sa fille et sa conjointe ont également souffert des conséquences créées par la lettre de l’ANCAI.

[31]        Il n’a jamais rencontré les Tony Accurso, Zambito ou Milioto dont l’Annexe 3 fait état.

[32]        Avant la lettre de la défenderesse, il travaillait pour certaines municipalités qu’il a perdues à la suite du document.

[33]        Patrick Lajoie travaille dans le domaine du camionnage dans la région de Montréal.

[34]        Il est propriétaire de Vrac 2000, une compagnie de transport et agit aussi comme directeur des opérations d’une COOP affiliée à RECIQ.

[35]        Après avoir pris connaissance de la lettre de l’ANCAI (D1) que Michel Lorent lui a remise, il a été fâché et déçu de voir son nom et celui de son entreprise dans cette annexe.

[36]        Il n’a pas trouvé « correct » de se faire dénigrer comme ça.

[37]        Son nom a été sali et il a perdu la confiance de plusieurs entrepreneurs avec qui il a fallu des rencontres pour conserver leur clientèle.

[38]        Après certains agissements de l’ANCAI en 2011, il a mandaté Me Chouinard de lui faire parvenir une mise en demeure (annexe 3, p.39) à laquelle il n’a jamais eu de suite.

[39]        Son grand-père Yves Germain, son père Roger Lajoie et lui sont actionnaires de Transporbec.

[40]        Lorsque Transporbec a été mêlé à des histoires de fausses factures, il n’a pas questionné Yves Germain qui contrôlait seul toute la compagnie.

[41]        Il a été informé d’un jugement rendu contre l’entreprise à la demande de Revenu Québec, mais, selon lui, cette affaire a fait l’objet d’un règlement. À cette époque, il n’était pas encore actionnaire de Transporbec.

[42]        Roger Lajoie est propriétaire de plusieurs camions qui travaillent avec RECIQ.

[43]        Après la publication par l’ANCAI de son document en 2016, il s’est fait traiter de « pirate, de hors-la-loi ».

[44]        Il est actionnaire de Transporbec depuis sa fondation.

[45]        Revenu Québec a fait des enquêtes sur Transporbec, a pris une hypothèque sur ses actifs, mais l’entreprise n’a jamais été accusé de rien.

[46]        Lorsqu’Yves Germain était président de Transporbec, il n’a jamais rien su de l’administration de celle-ci.

[47]        Honnête toute sa vie, il a été très incommodé de passer pour un tricheur, un voleur et un « crosseur » après la publication des documents de l’Annexe 3 fait par l’ANCAI.

[48]        En 2013, il a acquis avec son fils, les actions de trois autres actionnaires de Transporbec, dont celles d’Yves Germain.

[49]        Lui aussi faisait partie des clients de Me Chouinard qui a reçu le mandat d’envoyer une mise en demeure à l’ANCAI le 21 juin 2012.

[50]        Michel Robitaille est camionneur et a travaillé dans le transport en vrac comme indépendant.

[51]        Au début de 1980, avec plusieurs autres personnes, dont Patrick Lajoie et Yves Germain, il est devenu actionnaire de Transporbec.

[52]        Il a vendu ses actions récemment.

[53]        Après avoir lu les documents envoyés par l’ANCAI, ce fut épouvantable pour lui.

[54]        Sa réputation est tombée et il a connu « un vrai calvaire ».

[55]        Son fils, qui est également camionneur, s’en est fait parler autant que lui. Transporbec était dans toutes les bouches.

[56]        Il a toujours été un travailleur honnête et n’a jamais volé personne.

[57]        Il n’a jamais su qu’Yves Germain avait été à l’origine de fausse facturation faite chez Transporbec.

[58]        Lorsqu’il a entendu parler de cela, il a demandé à Yves Germain « s’il était vrai ou pas qu’il l’avait fait et Germain lui a répondu « que ce n’était pas vrai ». Il n’en a plus reparlé.

[59]        Claude Lavoie était parmi ceux qui ont fondé RECIQ en 2011.

[60]        À l’époque, l’ANCAI était un groupe syndical qui marchait « avec des menaces ». RECIQ n’avait aucun accès aux contrats à caractère public et il fallait que cela cesse.

[61]        Il ne comprend pas que son nom ait été associé par l’ANCAI à de la fausse facturation et à de la corruption, alors qu’il n’en a jamais fait.

[62]        À la suite de la parution de la lettre de l’ANCAI, certains surveillants d’entreprises pour lesquelles il travaillait ont commencé à lui dire qu’il était « un voleur ».

[63]         Selon lui, l’ANCAI traite les membres de RECIQ comme des « pourris ».

[64]        RECIQ et l’ANCAI sont en chicane depuis la création de RECIQ en 2011.

[65]        Jean-Pierre Garant est le président de l’ANCAI. En 2016, alors qu’il était sur le conseil d’administration de l’ANCAI, le document D-1 leur a été présenté par Gimaïel, Me Pierre Audet et le directeur général Gaétan Légaré.

[66]        Ce document a été préparé pour soutenir les revendications de l’ANCAI. Il n’a pas été fait dans le but de brimer ou d’offenser quiconque.

[67]        Pour lui, le titre de l’Annexe 3 correspond à l’intention de l’ANCAI de justifier, corroborer, démontrer, à partir de choses connues, ce qui était été avancé dans le document à propos de la collusion, corruption et même de la fausse facturation qui pourraient se développer dans le monde du transport en vrac, faute de la règlementation que voulait l’ANCAI.

[68]        Le rappel de noms comme ceux de Zambito, Milioto, connus par la Commission Charbonneau et les entreprises Gil Transport et Transporbec qui avaient fait l’objet de certains avis publics de Revenu Québec, démontrait qu’il se passait des choses « pas correctes » dans le monde du transport.

[69]        Revenant sur la photo de Michel Lorent (p.35 de l’Annexe 3), il précise que cette photo a été annexée aux documents parce qu’Yves Germain était visé dans l’article de l’ANCAI de mai et juin 2012.

[70]        Il ne voit aucune relation entre Michel Lorent et le titre de l’Annexe 3 référant à de la fausse facturation et de la corruption.

[71]        Il fait les mêmes commentaires pour la photo de Michel Lorent avec Mario Dechene, précisant qu’il aurait peut-être fallu faire du découpage pour enlever les photos de Lorent qui accompagnaient l’Annexe 3, car c’était d’autres personnes que lui qu’ils voulaient faire ressortir dans le journal de l’ANCAI.

[72]        En page 38 de l’Annexe 3, l’écrit dans lequel le nom d’André Turcotte apparait indique que celui-ci faisait du courtage à but lucratif, ce que dénonçait le président de l’ANCAI dans son article.

[73]        Le nom d’André Turcotte n’a aucun rapport avec de la fausse facturation et de la corruption.

[74]        Guy Breton, membre de l’ANCAI, n’a jamais eu connaissance de l’Annexe 3 avant d’être devant le Tribunal.

[75]        Lorsqu’il était au comité de négociations élargies en 2016, il a simplement été informé du contenu du document préparé par Gimaïel, rien de plus.

[76]        Le demandeur Jean-Thomas Pedneault n’a pas été entendu.

[77]        En défense, Pierre Gimaïel témoigne, qu’à la demande de l’ANCAI, il a écrit le document du 14 novembre 2016 (D-1) qui faisait suite à une lettre de Benoit Cayouette, directeur du transport routier des marchandises pour le gouvernement, qui avait été adressée à plusieurs destinataires le 18 avril  2016 (D-1, onglet 1).

[78]        Il explique que dans sa lettre du 18 avril, Benoit Cayouette posait des questions auxquelles l’ANCAI voulait répondre.

[79]        Plusieurs annexes ont été ajoutées à sa lettre de 18 pages (D-1).

[80]        Concernant l’Annexe 3 dont le titre est « Preuve en liasse concernant la fausse facturation et la corruption », il dit ne pas y avoir participé.

[81]        Avant de publier le document, celui-ci a fait l’objet de présentation et d’acceptation à un comité élargi de l’ANCAI qui s’est tenu le 7 novembre 2016 (EGLA1).

[82]        Il ne se souvient pas que les annexes accompagnaient le document à cette occasion.

[83]        Il savait que ce document devait être envoyé à tous les députés du gouvernement.

[84]        En aucun temps, il n’a voulu faire du tort à quiconque dans son document.

[85]        En examinant le contenu de l’Annexe 3, il y voit en pages 35 et 36 des photos ou apparait Michel Lorent. Il affirme n’avoir jamais pensé que monsieur Lorent pouvait être un corrompu ou l’auteur de fausse facturation.

[86]        Il ne voit aucun motif de corruption quant à la majorité des demandeurs qui pour lui, peuvent peut-être « jouer un peu avec les règlements », mais ne sont pas malhonnêtes.

[87]        Gaétan Légaré est directeur général de l’ANCAI depuis 2001.

[88]        L’association a environ 5 300 membres qui oeuvrent dans le transport en vrac.

[89]        En 2016, le gouvernement voulait orienter les mesures d’encadrement du courtage de camionnage en vrac qui devaient prendre fin le 31 mars 2017.

[90]        Aux fins de répondre aux interrogations manifestées par Benoit Cayouette dans sa lettre du 18 avril, l’ANCAI a engagé Pierre Gimaïel pour répondre au  ministère et faire valoir les objectifs de l’ANCAI pour la permanence des règles sur le courtage.

[91]        Lui et Me Pierre Beaudet ont rédigé l’Annexe 3 qui visait à démontrer qu’en l’absence de structure et d’encadrement, des risques de problèmes graves, tels que de la fausse facturation et de la corruption comme ce qui a été dévoilé à l’occasion de la Commission Charbonneau, pourraient ternir le monde du camionnage en vrac.

[92]        Le contenu des pages 46 à 49 de l’Annexe 3 concernant Zambito et autres servait à démontrer ses propos.

[93]        Aucun des demandeurs n’est concerné par ces pages. Aux pages 44 et 45, les noms de Gilles Gauthier et de ses sociétés sont reliés à des fausses déclarations de même que d’autres entreprises, mais rien ne concerne l’un des demandeurs.

[94]        Les pages 40 à 43 proviennent de communiqués de presse de Revenu Québec. Ces communiqués font état du nom de certains actionnaires où d’entreprises visées par Revenu Québec pour des stratagèmes de fausses facturations.

[95]        Aux pages 37 et 38, le commentaire du président à l’effet que  l’ANCAI maintient sa position contre le courtage à but lucratif inclut le nom d’André Turcotte parce que celui-ci aurait aussi fait du courtage à but lucratif, comme d’autres, sans plus.

[96]        Quant aux photos sur lesquelles apparait Michel Lorent (pp.35 et 36), elles ont été publiées pour accompagner le texte du président aux pages 33 et 34 dans lesquelles celui-ci parle d’Yves Germain et de Mario Dechene comme étant « des poids lourds du transport  en vrac » qui avaient rejoint les rangs de RECIQ et à qui l’ANCAI dirigeait des critiques, les traitant de tricheurs.

[97]        Il s’excuse auprès des demandeurs s’ils ont mal pris que leur image ou leur nom apparaissent à l’Annexe 3, car l’ANCAI n’a jamais voulu causer quelque tort à quiconque.

[98]        Il confirme l’envoi à tous les députés du Québec du document de l’ANCAI, car il y avait urgence de faire comprendre au gouvernement de conserver les mesures d’encadrement du système de courtage de camionnage en vrac qui devaient se terminer le 31 mars 2017.

[99]        Interrogé sur chacun des demandeurs, il précise que Claude Lavoie est actionnaire de Transport Lavoie et que messieurs Patrick Lajoie, Roger Lajoie, Jean-Thomas Pedneault et Michel Robitaille sont actionnaires de Transporbec ou l’ont été.

[100]      Cette compagnie a fait l’objet d’enquête de Revenu Québec à propos de fausses facturations.

[101]     Quant à André Turcotte, la seule raison que son nom apparaisse à l’Annexe 3 est qu’il a fait du courtage lucratif.

[102]     En argumentation, le procureur des demandeurs soumet que la diffamation dont se plaignent ses clients a eu une importance un peu hors de l’ordinaire étant donné que les documents à l’Annexe 3 ont été envoyés à tous les députés de la province.

[103]     Selon lui, l’ANCAI a agi pour faire adopter par le gouvernement ses propres objectifs qui allaient contre ceux du RECIQ qui prônaient une libre concurrence du marché public du camionnage en vrac.

[104]     L’ANCAI a cherché à nuire aux demandeurs en les incluant dans son annexe titrée « Preuve en liasse concernant la fausse facturation et la corruption ».

[105]     Rien dans la preuve ne démontre que l’un des demandeurs a quelques rapports que ce soit avec de la fausse facturation ou de la corruption.

[106]     Les représentants de l’ANCAI se sont excusés auprès des demandeurs et ont déclaré qu’il aurait été préférable de ne pas inclure certains éditoriaux et/ou commentaires du président de la défenderesse dans l’Annexe 3 à propos du RECIQ et de certains de ses membres.

[107]     Les excuses présentées par les représentants de l’ANCAI aux demandeurs lors du procès sont tardives et ne peuvent réparer les dommages causés aux demandeurs « à la grandeur de la province ».

[108]     Le procureur des défendeurs soumet que sa cliente n’a fait que répondre aux interrogations que se posait le ministère à propos du renouvellement des règles du transport en vrac lorsqu’elle a confié à Pierre Gimaïel la confection de son document.

[109]     En aucun endroit ce document ne réfère aux demandeurs pour leur porter atteinte.

[110]     Une partie de l’Annexe 3 ne fait que rapporter des avis de Revenu Québec ou de l’information sur des personnages entendus par la Commission Charbonneau.

[111]     Une autre partie porte sur des entreprises à l’égard desquelles le Ministère du Revenu a émis des avis qui réfèrent à des infractions dont on peut se servir pour illustrer ce que pourrait devenir le monde du courtage du camionnage en vrac, s’il n’y avait pas le genre de règlement que recherchait l’ANCAI.

[112]     Il n’est pas diffamatoire que l’ANCAI ait révélé le nom d’actionnaires de corporations associés à des fausses factures.

[113]     Aucune preuve que les corporations mentionnées en rapport avec des fausses factures ont été « blanchies » de quoi que ce soit suite aux informations et avis émis par Revenu Québec.

[114]     À la page 33 de l’Annexe 3, la désignation de Transport Claude Lavoie inc. aurait pu être caviardée, même si la lecture du texte permet de conclure à l’absence de relation de cette compagnie avec de la fausse facturation ou de la corruption.

[115]     Il en est de même pour André Turcotte à la page 38.

[116]     Quant aux photos montrant le directeur général de RECIQ, Michel Lorent aux pages 35 et 36, il admet que sa cliente n’a pas demandé de permission pour reproduire ces photos, mais il est d’avis que cela n’a causé aucun réel dommage à Lorent.

[117]     Les excuses du directeur général Gaétan Légaré et du président de l’ANCAI, Jean-Pierre Garant, démontrent l’absence totale de mauvaise foi de la part de l’ANCAI lorsqu’elle a fait l’Annexe 3 de son document. L’ANCAI n’a jamais eu l’intention de nuire aux demandeurs.

[118]     Quant à Gaétan Légaré, il soumet que celui-ci a agi dans l’exécution de ses fonctions, de bonne foi et n’a encouru aucune responsabilité à l’égard des dommages réclamés en demande.

[119]     Il plaide que certains des demandeurs, notamment de ceux qui ont participé à l’envoi d’une mise en demeure à l’ANCAI le 21 juin 2012, ont perdu leur droit par prescription à la suite des dispositions de l’article 2929 C.c.Q.

[120]     Les demandeurs impliqués dans cette mise en demeure devaient intenter des recours contre les propos diffamatoires reprochés à l’ANCAI dans l’année de leur connaissance des diffamations alléguées, de sorte qu’au moment où ils sont devenus partie demanderesse dans le recours contre l’ANCAI, leurs droits étaient prescrits.

[121]     Suite à la preuve et à l’argumentation des parties, il y a lieu de définir en quoi consiste la diffamation.

[122]     Dans l’affaire Prud’homme c. Prud’homme[1] [2002] 4 RCS, les juges l’Heureux-Dubé et Lebel écrivent sur la diffamation, p. 683 :

33         (…) Le concept de diffamation a fait l’objet de plusieurs définitions au fil des années. De façon générale, on reconnaît que la diffamation « consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscite à son égard des sentiments défavorables ou désagréables » (Radio Sept-Îles, précité, p. 1818).

34              La nature diffamatoire des propos s’analyse selon une norme objective (…). Il faut, en d’autres termes, se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers.  À cet égard, il convient de préciser que des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent. 

Et de poursuivre les juges de la Cour suprême, p. 685 :

(…)      Il faudra, en outre, que le demandeur démontre que l’auteur des propos a commis une faute. (…) La faute en matière de diffamation peut résulter de deux types de conduite, l’une malveillante, l’autre simplement négligente :

La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s’attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l’humilier, à l’exposer à la haine ou au mépris du public ou d’un groupe. La seconde résulte d’un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites constituent une faute civile, donnent droit à réparation, sans qu’il existe de différence entre elles sur le plan du droit. En d’autres termes, il convient de se référer aux règles ordinaires de la responsabilité civile et d’abandonner résolument l’idée fausse que la diffamation est seulement le fruit d’un acte de mauvaise foi emportant intention de nuire.

 À partir de la description de ces deux types de conduite, il est possible d’identifier trois situations susceptibles d’engager la responsabilité de l’auteur de paroles diffamantes.  La première survient lorsqu’une personne prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux.  De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l’intention de nuire à autrui.  La seconde situation se produit lorsqu’une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses.  La personne raisonnable s’abstient généralement de donner des renseignements défavorables sur autrui si elle a des raisons de douter de leur véracité.  Enfin, le troisième cas, souvent oublié, est celui de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers. 

(…)

Il importe de rappeler que le recours en diffamation met en jeu deux valeurs fondamentales, soit la liberté d’expression et le droit à la réputation.

[123]     En 2005, la Cour d’appel, dans l’affaire de la Confédération des Syndicats Nationaux c. Jetté[2] [2005] QCCQ 1228 rappelle ainsi les étapes de l’affaire Prud’homme, par.25, p.10 :

Dans un premier temps, il faut déterminer si les propos ou les écrits sont diffamatoires et cette détermination doit se faire selon une norme objective.

(…)

28.        La seconde étape de l’analyse consiste à déterminer si l’auteur des propos a commis une faute civile. Cette faute peut résulter d’une simple négligence ou d’une conduite malveillante engendrant une atteinte à la réputation de la victime.

29.        La troisième étape consiste à déterminer la réparation appropriée. Si la diffamation est le fruit d’un acte de mauvaise foi avec intention de nuire,  la cour peut alors accorder des dommages punitifs en plus des dommages compensatoires.

[124]     Conservant à l’esprit les principes énoncés quant à la diffamation, il y a lieu de faire une mise en contexte de la lettre envoyée par l’ANCAI qui est à l’origine du recours en diffamation.

[125]     Ce document doit être analysé selon des critères que pourrait utiliser un homme raisonnable confronté à un tel texte.

[126]     Au printemps 2016, un représentant de la direction des transports routiers a écrit une lettre (D-1) qu’il a adressée au président de l’ANCAI, G. Légaré et au directeur général de RECIQ, Michel Lorent, en plus de plusieurs autres intervenants.

[127]     Dans cette lettre, il rappelle que « les mesures d’encadrement du courtage en services de camionnage en vrac prendront fin le 31 mars 2017 puisque le règlement sur le courtage en services de camionnage en vrac prévoit l’échéance de tous les permis de courtage à cette date ».

[128]     Dans sa lettre, il pose plusieurs questions sur lesquelles les autorités ministérielles voulaient réfléchir en tenant compte « de l’ensemble des points de vue ».

[129]     Dans la lettre de transmission de l’opinion de l’ANCAI aux députés, le directeur général Légaré rappelle que le document et ses annexes expriment les raisons, qui selon l’ANCAI, militent en faveur du maintien de l’encadrement dans le camionnage en vrac qui, précise-t-il : « rend impossible toute collusion, toute corruption et toute fausse facturation ».

[130]     Monsieur Légaré ajoute « Au-delà de la position que nous exprimons, les annexes font la démonstration, preuve à l’appui, qu’il y va de l’intérêt public de maintenir l’encadrement du courtage en services de camionnage en vrac…

[131]     Dans son document, Pierre Gimaïel écrit :

Les postes de camionnage en vrac sont nés de la volonté des transporteurs et du gouvernement de faire disparaître le patronage (collusion et corruption) qui régnait dans les années 1960 et 1970 et de ramener de l’ordre dans le transport en vrac.

[132]     Et un peu plus loin, p.7 :

« le besoin qui a suscité la naissance de l’encadrement, soit d’empêcher la collusion et la corruption, est plus présent que jamais (…) ».

[133]     À la troisième question posée par Benoit Cayouette, l’ANCAI répond :

«Il a aussi été démontré que le marché complètement ouvert dans le domaine de la construction donne place à de multiples abus et irrégularités. Un tel marché dans lequel certaines grandes entreprises et certains courtiers privés en camionnage en vrac, non titulaire d’un permis délivré par la CTC, se sont autorisés à faire de la collusion, de la corruption et même de la fausse facturation, doit-être discipliné en permanence.

(…)

L’encadrement dans le transport en vrac s’est avéré un élément d’une grande efficacité pour rendre le service disponible à la grandeur du territoire, propre, discipliné tout en suscitant des retombées économiques permanentes dans chaque région du Québec.

Nous sommes d’avis, comme l’a montré la Commission Charbonneau, que le marché complètement ouvert doit être évité.

Le prochain encadrement législatif et réglementaire doit donc être permanent.

[134]     Dans le contexte d’une réponse donnée à la cinquième question du ministère, le document de l’ANCAI réfère à la position de RECIQ comme suit, p.13 :

Le vrai débat se fait entre la majorité des camionneurs en vrac du Québec qui ont accepté d’être strictement régis par la CTQ (les membres de l’ANCAI) et une infirme minorité de transporteurs qui veulent travailler dans les marchés publics sans être régis par la CTQ et sans être soumis à la discipline financière et opérationnelle qu’elle impose (membres RECIQ).

(…)

Selon nos estimations, ceux qui prônent l’ouverture de ces marchés et qui n’acceptent pas d’être soumis aux règles de la CTQ représentent moins de 10% du total des transporteurs disponibles. Leur nombre ne justifie pas qu’ils puissent obtenir jusqu’à 50 % des contrats de transport avec certains entrepreneurs.

Il est inéquitable qu’un aussi petit nombre de transporteurs puisse avoir accès à 50% du transport en vrac effectué dans les marchés publics et qu’en plus, certains d’entre eux soient représentés depuis plusieurs années à la table de concertation du ministère sur le courtage.

[135]     L’Annexe 3 et son contenu devaient, selon Légaré et Gimaïel, démontrer la rigueur du document lorsqu’il réfère à la collusion, la corruption et des fausses facturations auxquelles la position défendue par RECIQ pouvait conduire puisqu’elle allait contre celle de l’ANCAI qui elle, visait l’intérêt public.

[136]     Les références à Zambito, Accurso, Milioto, Rizzuto et autres sont là pour confirmer ce que le document décrit.

[137]     Il est évident, à la lecture du document D-1, que l’ANCAI a eu l’intention d’utiliser les références à la corruption ou des fausses facturations auxquelles son Annexe 3 réfère pour y associer RECIQ et certains de ses membres dans le but de discréditer la demanderesse pour faire accepter sa proposition de règlementation.

[138]      D’inclure les demandeurs avec les Zambito, Accurso et autres entendus par la Commission Charbonneau ou enquêtés par Revenu Québec ne peut faire autrement que de rendre les demandeurs sujets à la réprobation sociale que soulèvent la corruption et la fausse facturation auxquelles le document réfère souvent.

[139]     De l’aveu des défendeurs, la publication du nom d’André Turcotte (p.38), l’un des demandeurs dans l’article du président de l’ANCAI de juillet-août 2018, n’a aucun rapport avec la fausse facturation ou la corruption annoncée dans l’Annexe 3.

[140]      Il en va de même de Michel Lorent (pp.35-36) dont les photos apparaissent dans le Transport Magazine de mai 2012 en compagnie d’Yves Germain et de Mario Dechene qui venaient de rejoindre les rangs de RECIQ et contre qui l’ANCAI en avait beaucoup à  dire, les traitant de « tricheurs ».

[141]     En effet, pour justifier ces photos, l’Annexe 3 inclus un éditorial du président de l’ANCAI de mai-juin, 2012 intitulé « Le MTQ et la CTQ doivent sortir les tricheurs du marché » dans lequel le président réfère abondamment à RECIQ et aux entreprises d’Yves Germain à qui il associe Transporbec, Vrac 2000, Roger et Patrick Lajoie, leurs actionnaires.

[142]     L’histoire de fausses facturations reprochées à Transporbec, à propos desquelles Revenu Québec a pu enquêter, était connue dans le monde du camionnage et d’y faire référence en ciblant les demandeurs ne pouvait faire autrement que de causer préjudices à leur réputation.

[143]     Le sens commun du mot « preuve » réfère à quelque chose de juridiquement constaté. Que Revenu Québec ait exécuté des mandats de perquisition contre des entreprises à l’égard desquelles elle avait des « motifs raisonnables de croire que ces sociétés ont participé à un stratagème de fausse facturation » n’est pas une preuve de culpabilité, mais cela ne peut empêcher l’opinion publique de porter le jugement réprobateur souhaité par l’ANCAI malgré les affirmations contraires de ses représentants.

[144]     Une personne peut raisonnablement conclure que les personnes physiques ou morales qui sont associées à des entreprises mêlées à de la corruption ou de la fausse facturation sont rejetées par l’opinion publique et font l’objet de sa déconsidération.

[145]     La défenderesse a voulu attaquer la réputation de la demanderesse, de son directeur général et d’autres demandeurs en les associant à ce qu’elle a annoncé comme des preuves de corruption et de fausses déclarations qui, non seulement ne soutiennent pas ce qu’elles devraient prouver, mais sont sans lien avec les demandeurs, de son propre aveu.

[146]     La défenderesse aurait dû et pu s’abstenir d’inclure dans son Annexe 3, les noms de certains demandeurs qui n’ont aucun rapport avec des affaires de corruption ou de fausses déclarations.

[147]     En agissant comme elle l’a fait, la défenderesse a commis une faute et créé des dommages aux demandeurs en atteignant leur réputation, dignité et estime de soi.

[148]     Lors de l’audition, les procureurs ont informé le Tribunal avoir convenu que les dommages qui pourraient être accordés aux demandeurs devaient être octroyé de façon égale entre chacun d’eux.

[149]     Ils réclament des dommages et intérêts de 200 000 $ pour dommages moraux, 20 000 $ à titre de paiement de frais extrajudiciaires et 1 000 000 $ à titre de dommages punitifs.

[150]     Quant aux dommages moraux concernant des entreprises, le Tribunal rappelle ce qu’écrivait l’honorable Beaugé dans Experts-conseils RB inc. c. Ste-Marthe-sur-le-Lac (Ville de)[3] [2015] QCCS 3824 :

[49]       Majoritairement, les tribunaux se montrent moins généreux dans l’octroi de dommages intérêt moraux aux personnes morales, car ils estiment qu’elles n’ont pas de sensibilité, d’émotivité et de vie privée.

[151]     Le Tribunal accorde à Regroupement des entrepreneurs et des camionneurs indépendants du Québec (RECIQ), à Transport Lavoie Ltée et aux demandeurs Michel Lorent, Claude Lavoie, André Turcotte, Roger Lavoie, Patrick Lajoie et Michel Robitaille, 10 000 $ d’indemnité pour leurs dommages moraux.

[152]     Quant à Transporbec (9200-3466 Québec inc.), le Tribunal n’est pas satisfait par la preuve qui ne démontre pas de dommage subi par celle-ci.

[153]     Les demandeurs réclament aussi pour des dommages punitifs.

[154]     Notre collègue Marc Paradis écrit à ce sujet dans l’affaire Hammedi c. Cristea[4] [2014] QCCS 4564 :

[63]       En vertu de l’article 49 de la Charte québécoise, seule une atteinte illicite et intentionnelle à un droit ou à une liberté reconnue [sic] par la Charte donne ouverture à des dommages punitifs.

[64]       En fait, c’est le résultat de l’atteinte qui doit être intentionnel et non la faute ou, en d’autres termes, « c’est le caractère voulu de l’atteinte à un droit protégé ou une conduite à ce point téméraire que l’auteur de la faute ne pouvait en ignorer la survenance, qui ouvre la porte au remède ». C’est ce qui ressort des propos de la juge L’Heureux-Dubé, maintes fois repris :

En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il s’agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.

[155]     En l’espèce, la preuve établit le caractère intentionnel de la faute de la défenderesse dans la publication de l’Annexe 3 de son document dont le contenu fait conclure que certains des demandeurs sont reliés à de la collusion ou de la fausse facturation alors que de l’aveu même de l’auteur du document et du président de la défenderesse, ils ne pouvaient être reliés à  de tels reproches sujets à la réprobation sociale.

[156]     Pour atteindre ses fins, la défenderesse a rappelé des faits qui remontaient à plusieurs années. Il a fallu qu’elle soit déterminée pour trouver comment nuire à la demanderesse.

[157]     L’Annexe 3 qui réfère à la demanderesse et à certains des demandeurs a atteint sciemment leur réputation et leur intégrité alors qu’ils n’avaient rien à se reprocher au regard des fausses facturations et de corruption dont devait faire preuve le document.

[158]     Le Tribunal fixe à 5 000 $ l’indemnité à laquelle les demandeurs, touchés par la faute de la défenderesse, ont droit.

[159]     Quant aux frais extrajudiciaires réclamés par les demandeurs, le Tribunal ne « retenant aucun abus de droit d’ester en justice de la part des défendeurs », rejette cette réclamation.

[160]     Le recours entrepris par les demandeurs contre Gaétan Légaré à titre personnel doit être rejeté.

[161]     Il n’a commis aucune faute personnelle justifiant le recours entrepris contre lui.

[162]     Quant à la question de prescription du recours de certains des demandeurs qui ont été à l’origine de la mise en demeure envoyée en juin 2012 à l’ANCAI par Me Chouinard, il y a lieu de rejeter cet argument.

[163]     Le recours entrepris par les demandeurs en 2017 est sans rapport avec les propos diffamants allégués dans la mise en demeure de 2012 et la question de prescription est sans motif.

 

            POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[164]     ACCUEILLE en partie la demande;

[165]     CONDAMNE  la défenderesse à payer 15 000 $ à titre de dommages moraux et punitifs à Regroupement des entrepreneurs et des camionneurs indépendants du Québec (RECIQ), Transport Lavoie Limitée, André Turcotte, Claude Lavoie, Michel Lorent, Patrick Lajoie, Roger Lajoie et Michel Robitaille;

[166]     AVEC DÉPENS contre la défenderesse.

 

 

_____________________________________

PAUL CORRIVEAU, J.C.S.

 

Me Roger Joseph Le Blanc

2105, rue Holmes

Saint-hubert (Qc) J4T 3J3

Pour les demandeurs

 

 

Me Pierre Gourdeau

Me Jean Christophe Canuel

Carter Goudeau

Casier 124

Pour les défendeurs

 

 

Me Lucie Gauthier

670, rue Bouvier, bur. 235

Québec (Qc) G2J 1A7

Pour Gaétan Légaré et Association Nationale des Camionneurs Artisans inc.

 

 

Date d’audience : 2018-12-10

 



[1]     Prud’homme c. Prud’homme [2002] 4 RCS

[2]     Confédération des Syndicats Nationaux c. Jetté [2005] QCCQ 1228

[3]    Experts-conseils RB inc. c. Ste-Marthe-sur-le-Lac (Ville de), [2015] QCCS 3824 

[4]    Hammedi c. Cristea [2014] QCCS 4564

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.