Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Côté et Station-service G.R. St-Laurent inc.

2014 QCCLP 6873

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

Rimouski

16 décembre 2014

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte - Nord

 

Dossier :

537297-01B-1403

 

Dossier CSST :

102072550

 

Commissaire :

Louise Guay, juge administrative

 

Membres :

Marcel Beaumont, associations d’employeurs

 

François Pilon, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

Madelyne Côté

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Station-service G.R. St-Laurent inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 21 mars 2014, madame Madelyne Côté (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) par laquelle elle conteste une décision rendue le 18 mars 2014 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme deux décisions initialement rendues le 23 décembre 2013, déclare que la travailleuse a droit au remboursement des aides techniques suivantes : couteau à bascule, chariot standard, éponge pivotante, planche à découper, Kitchen roll about, tasse Thermos 12 oz, ouvre-bocal, ouvre-boîte One Touch Drive et « enfile-boutons » et qu’elle n’a plus droit à une allocation d’aide personnelle à domicile à compter du 27 décembre 2013.

[3]           Une audience est tenue le 7 octobre 2014 à Sainte-Anne-des-Monts en présence de la travail­leuse et de son représentant. La Station-service G.R. St-Laurent (l’employeur)  ne s’est pas présenté pour l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La travailleuse demande au tribunal de déclarer que la CSST n’était pas justifiée de mettre fin à son droit à une allocation d’aide personnelle à domicile et qu’il soit rétabli.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations syndicales et celui issu des associations d’employeurs sont d’avis que la requête de la travailleuse devrait être accueillie. Tout d’abord, ils notent qu’aucun changement dans la situation familiale de la travailleuse n’est survenu ni aucune preuve médicale ne démontre la détérioration ou l’amélioration de sa condition. Ils considèrent que malgré les aides techniques suggérées et accordées par la CSST, quoique potentiellement utiles, la preuve prépondérante ne démontre pas qu’elles sont de nature à rendre la travailleuse autonome. Cela étant, ils estiment qu’il n’est pas démontré qu’à compter du 27 décembre 2013, la travailleuse est capable de prendre soin d’elle-même ou d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’elle effectuerait normalement, ce qui ferait échec à son droit à une allocation d’aide personnelle à domicile. Comme elle est incapable de prendre soin d’elle-même et d’effectuer les tâches domestiques, elle a droit à une allocation d’aide personnelle à domicile.

[6]           Quant au pointage, la preuve démontre que la nouvelle évaluation le fixe dans la même tranche que celle qui est reconduite depuis 2003, soit entre 12.5 et 16/48 points. Indépendamment de ce chacun d’eux retient comme pointage à chaque item, le résultat se situe dans cette tranche. Les membres issus des associations considèrent que la CSST n’était pas justifiée de mettre fin au versement de l’allocation d’aide à domicile à compter du 27 décembre 2013 et qu’il y a lieu de le rétablir.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           Le tribunal doit déterminer si la CSST pouvait cesser de verser à la travailleuse l’allocation d’aide personnelle à domicile à compter du 27 décembre 2013.

[8]           Le versement d’une allocation d’aide personnelle à domicile découle d’abord du droit à la réadaptation prévue à l’article 145 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui prévoit :

145.  Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

[9]           Cette disposition reconnaît à la travailleuse qui subit une atteinte permanente à son intégrité physique en raison d’une lésion professionnelle, le droit à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

[10]        La loi prévoit que le programme de réadaptation sociale peut comprendre le paiement de frais d’aide personnelle à domicile, et ce, dans le but d’aider la travailleuse à surmonter, dans la mesure du possible, les conséquences de la lésion professionnelle, à s’adapter à sa nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles. Selon les dispositions de la loi, une travailleuse a droit à une telle allocation si, en raison de sa lésion professionnelle, elle est incapable de prendre soin d’elle-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’elle effectuerait normalement, si cette aide s’avère nécessaire à son maintien ou son retour à domicile.

[11]        Il est opportun ici de citer les dispositions pertinentes prévues à la loi en cette matière :

151.  La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.

__________

1985, c. 6, a. 151.

 

 

152.  Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :

 

1° [...]

 

3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;

 

[...]

 

5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.

__________

1985, c. 6, a. 152.

 

 

160.  Le montant de l'aide personnelle à domicile est déterminé selon les normes et barèmes que la Commission adopte par règlement et ne peut excéder 800 $ par mois.

__________

1985, c. 6, a. 160; 1996, c. 70, a. 5.

 

 

[12]        Le règlement adopté en vertu de l’article 160 prévoit notamment : 

SECTION I
AIDE PERSONNELLE À DOMICILE

 

1.  Conformément aux articles 145 et 158 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q. c. A-3.001), l'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, satisfait aux conditions suivantes:

 

1°      il a une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;

 

2°    il est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches  domestiques qu'il effectuerait normalement;

 

3°    cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.

 

Décision 97-12-03, a. 1.


[...]

SECTION  II
ÉVALUATION DE L'AIDE PERSONNELLE À DOMICILE

 

5.  Les besoins d'aide personnelle à domicile sont évalués par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en tenant compte de la situation du travailleur avant la lésion professionnelle, des changements qui en découlent et des conséquences de celle-ci sur l'autonomie du travailleur.

 

Ces besoins peuvent être évalués à l'aide de consultations auprès de la famille immédiate du travailleur, du médecin qui en a charge ou d'autres personnes-ressources.

 

Cette évaluation se fait selon les normes prévues au présent règlement et en remplissant la grille d'évaluation prévue à l'annexe 1.

 

Décision 97-12-03, a. 5.



SECTION  IV
RÉÉVALUATION DE L'AIDE PERSONNELLE À DOMICILE

 

7.  L'aide personnelle à domicile est réévaluée périodiquement, conformément à l'article 161 de la loi, pour tenir compte de l'évolution de l'état de santé du travailleur et des besoins qui en découlent.

 

Décision 97-12-03, a. 7.


8.  Cette réévaluation se fait selon les normes prévues au présent règlement et en remplissant la grille d'évaluation prévue à l'annexe 1.

 

Décision 97-12-03, a. 8.


[...]

 

ANNEXE 1

 

[...]

 

2. GRILLE D’ÉVALUATION DES BESOINS D’ASSISTANCE PERSONNELLE À DOMICILE

 

 

2.1 Tableau d’évaluation des besoins d’assistance:

 

 

 

     Encercler le pointage correspondant au

     besoin d’assistance pour l’exécution de

     chacune des activités ou tâches suivantes                    

A- Besoin d’assistance complète

 

B- Besoin d’assistance partielle

 

C- Aucun besoin d’assistance

 

D- Aucun pointage

Inscrire D-1, D-2 ou D-3

Le lever

3

1.5

0

 

Le coucher

3

1.5

0

 

Hygiène corporelle

5

2.5

0

 

Habillage

3

1.5

     0

 

Déshabillage

3

1.5

0

 

Soins vésicaux

3

1.5

0

 

Soins intestinaux

3

1.5

0

 

Alimentation

5

2.5

0

 

Utilisation des commodités du domicile

4

2

0

 

Préparation du déjeuner

2

1

0

 

Préparation du dîner

4

2

0

 

Préparation du souper

4

2

0

 

Ménage léger

1

0.5

0

 

Ménage lourd

1

0.5

0

 

Lavage du linge

1

0.5

0

 

Approvisionnement

3

1.5

     0

 

 

Total

 

 

 

 

                   

                    /48 points

 

 

[13]        Le montant de l’allocation d’aide personnelle à domicile est établi selon le pointage obtenu à la grille de l’évaluation des besoins d’assistance transposé à la table de montant correspondant. Cette table fixe le montant alloué à chaque tranche de pointage, le montant augmentant graduellement à chacune des tranches allant d’un pointage de 0 à 2; de 2.5 à 4; de 4.5 à 8; de 8.5 à 12; de 12.5 à 16; de 16.5 et ainsi de suite jusqu’à 44.5 à 48 points.

[14]        Les articles 161 et 162 de la loi prévoient d’une part, la réévaluation périodique du montant de l’aide, afin de tenir compte de l’évolution de l’état de santé de la travailleuse et des besoins qui en découlent et d’autre part, la cessation du paiement de l’aide lorsqu’elle redevient capable de prendre soin d’elle-même ou d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’elle ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle. Le dernier alinéa de l’article 163 précise que l’allocation d’aide personnelle à domicile peut être annulée :

161.  Le montant de l'aide personnelle à domicile est réévalué périodiquement pour tenir compte de l'évolution de l'état de santé du travailleur et des besoins qui en découlent.

__________

1985, c. 6, a. 161.

 

 

162.  Le montant de l'aide personnelle à domicile cesse d'être versé lorsque le travailleur :

 

1° redevient capable de prendre soin de lui-même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou

 

2° est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5).

__________

1985, c. 6, a. 162; 1992, c. 21, a. 79; 1994, c. 23, a. 23.

 

 

163.  Le montant de l'aide personnelle à domicile est versé une fois par deux semaines au travailleur.

 

Ce montant est rajusté ou annulé, selon le cas, à compter de la première échéance suivant l'événement qui donne lieu au rajustement ou à l'annulation.

__________

1985, c. 6, a. 163.

 

[15]        Avant de vérifier l’application de ces dispositions au présent dossier, il y a tout d’abord lieu de faire un bref rappel des principaux faits à l’origine du présent litige.

[16]        Le 27 juillet 1994, la travailleuse occupe un emploi de pompiste chez l’employeur et subit une lésion professionnelle en chutant sur une flaque d’huile. La lésion reconnue à titre professionnel est une entorse cervicale et dorsale. Elle est consolidée le 27 octobre 1994, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.

[17]        Une récidive, rechute ou aggravation survenue le 4 avril 1995 est acceptée en lien avec l’événement d’origine pour un diagnostic d’épicondylite au coude droit. Par le biais d’une entente entérinée par la Commission des lésions professionnelles[2], il est convenu entre les parties qu’à la suite de cette lésion professionnelle, la travailleuse conserve des limitations fonctionnelles qui la rendent incapable d’exercer son emploi et qu’elle a droit à la réadaptation que requiert son état.  

[18]        Le 16 février 2000, la CSST rend une décision reconnaissant la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation le 7 janvier 2000 en lien avec l’événement d’origine du 27 juillet 1994, soit une algodystrophie réflexe qui affecte le membre supérieur droit de la travailleuse. En lien avec cette lésion, le membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis motivé portant sur l’évaluation des séquelles en découlant. Il octroie les déficits anatomophysiologiques suivants : 2 % pour atteinte des tissus mous du membre supérieur droit, 2 % pour perte d’abduction à 140° de l’épaule droite et 1,5 % pour perte d’élévation antérieure à 140° de l’épaule droite et dresse la liste des limitations fonctionnelles qu’il retient.

[19]        La reconnaissance d’une lésion de nature psychologique s’ajoute à compter du 17 août 2000 par une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 1er février 2002[3]. Un déficit anatomophysiologique de 5 % découle de cette lésion.  

[20]        Le 5 mars 2003, alors que la travailleuse est âgée de 57 ans, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare être dans l’impossibilité de lui déterminer un emploi qu’elle serait capable d’exercer à temps plein. Ainsi, le droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu lui est octroyé jusqu’à ce qu’elle atteigne 68 ans, selon les modalités indiquées à cette décision.

[21]        Une grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile est complétée le 26 mars 2003. Il y est rappelé la nature des lésions professionnelles acceptées au dossier, soit une entorse cervicale et dorsale, une épicondylite au coude droit, une algodystrophie réflexe qui affecte le membre supérieur droit et une lésion psychologique. Il est également dressé la liste des limitations fonctionnelles :

·         Éviter les endroits froids et/ou humides;

·         Éviter de serrer, porter;

·         Éviter de travailler avec des outillages électriques;

·         Éviter de travailler avec des outils vibratoires;

·         Ne peut faire de préhensions donc, ne peut porter d’objets avec la main droite;

·         Éviter de travailler avec le bras plus élevé que la hauteur de l’épaule;

·         Éviter les gestes répétitifs du membre supérieur droit;

·         Éviter la manipulation de charges de plus de 5 kilos.

 

 

[22]        Selon cette évaluation du 26 mars 2003, un pointage total de 12.5/48 est retenu. La répartition des pointages octroyés démontre que la travailleuse est incapable de prendre soin d’elle-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'elle effectuerait normalement. Au sommaire de cette grille, il est consigné que les besoins d’assistance de la travailleuse se situent dans la tranche de 12.5 à 16/48 points et est indiqué le montant correspondant auquel la travailleuse a droit. Cette évaluation couvre la période du 13 mars 2003 au 12 mars 2006.

[23]        Une note évolutive consignée au dossier le 10 mars 2006 dont le titre est « Réévaluation aide personnelle » rapporte une communication téléphonique à la travailleuse en ces termes : « Aucun changement concernant son état de santé. Donc, poursuivons aide personnelle au même pointage. Prolongation de l’aide personnelle du 13 mars 2006 au 12 mars 2009 ». Le 13 mars 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle octroie à la travailleuse une allocation d’aide personnelle à domicile à compter de cette date jusqu’au 12 mars 2009.

[24]        Comme aucune note évolutive ni décision en lien avec l’aide personnelle à domicile n’apparaît après cette décision du 13 mars 2006 à la copie de dossier dont le tribunal dispose, force est de constater que cette aide personnelle à domicile s’est poursuivie sur les mêmes bases après mars 2009.

[25]        En effet, à la note évolutive consignée au dossier le 26 août 2013, il est fait état que la travailleuse demande une augmentation de son allocation d’aide personnelle à domicile, c’est donc qu’elle en reçoit encore. Il est fait mention que les doléances invoquées par la travailleuse comme étant la source de sa demande d’augmentation de son allocation sont toutes des éléments pris en considération dans l’évaluation des besoins et pour lesquels elle reçoit une allocation d’aide personnelle à domicile. Il est aussi noté que la travailleuse vit toujours en couple avec son conjoint et qu’il n’y a aucun changement dans sa situation ou en lien avec sa santé. Un résumé du dossier est rédigé et à la suite, il est consigné ceci :

Rappelons nous les éléments justifiant une réévaluation de l’aide personnelle :

 

-Un changement de situation familiale

-Suite à une preuve médicale, une détérioration de la condition physique du T

 

Malgré le fait qu’il n’y a pas de changement de situation familiale et de détérioration de la condition physique du T, nous mandatons un ergothérapeute pour une réévaluation des besoins de l’aide personnelle. Cette réévaluation permettra de compléter une nouvelle grille puisque la dernière a été complétée en 2003. Lors de la réévaluation fait en 2006 une nouvelle grille aurait due être complétée. (vu avec chef d’équipe).

 

Nous avons contacté Mme Marie-Claude Alain, ergothérapeute de l’Équilibre [...]. 

 

[sic]

 

 

[26]        Ainsi, la CSST indique elle-même qu’il n’y a aucun élément justifiant une réévaluation de l’aide personnelle, le fondement de la démarche entreprise est probablement pour vérifier si la travailleuse obtient un plus grand pointage, puisqu’elle demande une augmentation de son allocation. La démarche est donc initiée à la demande de la travailleuse.

[27]        L’évaluation est réalisée le 19 octobre 2013 et madame Alain produit son rapport le 28 novembre 2013. Elle décrit les lieux physiques de la résidence de la travailleuse et cette dernière confirme au tribunal que c’est la même maison qu’elle habite avec son conjoint depuis 47 ans. Ensuite, chaque item des soins personnels, des tâches domestiques et des activités de loisirs sont passés en revue et l’ergothérapeute indique en détail ce que la travailleuse est capable de faire ou pas. À son analyse, madame Alain note que la travailleuse nécessite de l’aide pour accomplir les activités bilatérales ou impliquant un soulèvement de charge. Les activités impliquant un mouvement de l’épaule et du membre supérieur droit sont difficiles à accomplir en raison de la douleur, du manque de force et de mobilité. Un impact est aussi noté pour ses activités de loisirs. Toutefois, en lien avec la demande d’augmentation d’aide personnelle à domicile, madame Alain estime qu’il lui est difficile d’objectiver des besoins qui n’étaient pas comblés.

[28]        Madame Alain, recommande l’acquisition de diverses aides techniques pour permettre d’améliorer l’autonomie fonctionnelle de la travailleuse et sa participation aux activités. Elle dresse la liste des outils et équipements recommandés soit :

·         Couteau à bascule

·         Desserte

·         Planche à découper

·         Plateau roulant

·         Tasse Thermos

·         Ouvre-pot

·         Ouvre-boîte électrique

·         Brosse à long manche

·         Plateau de lecture

·         Enfile-boutons

 

 

[29]        La travailleuse décrit au tribunal par son témoignage que cette rencontre a été très brève, s’est déroulée sous forme de questionnaire assis autour de la table. Il n’y a eu aucune simulation des situations auxquelles elle est confrontée comme dans sa douche, lorsqu’elle se coiffe, s’habille ou effectue des tâches domestiques.

[30]        Le 10 décembre 2013, l’agente de la CSST remplit la grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile. Elle obtient un pointage de 15/48 points comprenant des besoins tant dans la sphère pour prendre soin d’elle-même que dans celle pour effectuer des tâches domestiques. De façon plus précise, 2.5 points sont accordés pour l’hygiène corporelle, 1.5 point pour l’habillage et 2.5 points sont octroyés pour l’alimentation. Au sommaire, elle indique le montant de l’allocation d’aide personnelle à domicile correspondant à ce pointage, soit un montant mensuel de 492 $ étant dans la tranche de 12.5 à 16/48 points. L’agente de la CSST constate ensuite que le pointage obtenu de 15/48 correspond au montant qui est déjà attribué à la travailleuse étant dans la même tranche de pointage, soit de 12.5 à 16/48 points.

[31]        À la note évolutive qu’elle consigne le 10 décembre 2013, l’agente de la CSST  rapporte une conversation téléphonique tenue avec madame Alain afin de clarifier certains éléments et elle indique, entre autres, ceci :

Hygiène corporelle- L’ergothérapeute nous confirme qu’avec l’attribution d’une brosse à long manche, madame Côté sera autonome pour son hygiène. Elle sera en mesure de laver son dos et d’atteindre son bras gauche. (Donc complètement autonome pour son hygiène personnelle quand elle aura reçu sa brosse à long manche).

 

Habillage- L’ergothérapeute recommande un enfile boutons pour facilité l’autonomie de Madame Côté à l’habillage. 2013-12-10 Lors de la conversation téléphonique, l’ergothérapeute confirme qu’avec l’attribution de cette aide technique, madame sera complètement autonome pour l’habillage quand elle aura reçu son enfile boutons.

 

Alimentation -L’ergothérapeute confirme que Madame Côté deviendra autonome pour trancher ses aliments avec l’attribution d’un couteau à bascule. ( Donc complètement autonome pour l’alimentation quand elle aura reçu son coutau à bascule).

 

[sic]

 

[32]        L’agente de la CSST indique ensuite qu’elle complète une deuxième grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile pour tenir compte de l’autonomie de la travailleuse par l’attribution des aides techniques recommandées par madame Alain.

[33]        Selon cette seconde grille complétée le 11 décembre 2013, elle n’octroie aucun point pour l’hygiène corporelle, pour l’habillage et pour l’alimentation estimant la travailleuse autonome, selon madame Alain, en lui fournissant une éponge à long manche, un enfile-bouton et les articles de cuisine suggérés. À cette grille il n’y a aucun point attribué dans la section des besoins pour prendre soin d’elle-même. L’agente de la CSST conclut, comme la travailleuse est capable de prendre soin d’elle-même avec l’attribution des aides techniques que sa situation ne répond plus aux exigences de la loi donc elle n’a plus droit à une allocation d’aide personnelle à domicile.

[34]        Le 23 décembre 2013, la CSST rend deux décisions distinctes, la première accorde à la travailleuse le droit aux aides techniques suggérées par l’ergothérapeute et la seconde est essentiellement rédigée en ces termes :

À la suite de la réévaluation de vos besoins d’aide personnelle à domicile, nous constatons que votre état de santé et votre situation personnelle se sont améliorés. Veuillez donc prendre note que votre allocation prend fin le 27 décembre 2013.

 

 

[35]        Ces décisions sont confirmées par celle rendue le 18 mars 2014 à la suite d’une révision administrative et qui fait l’objet du présent litige.

[36]        La travailleuse témoigne longuement en audience pour expliquer les problèmes auxquels elle est confrontée en raison des conséquences de sa lésion professionnelle. Elle confirme au tribunal qu’aucun changement dans sa situation familiale n’est survenu ni de modification de son état de santé, aucune amélioration ni détérioration, et ce, depuis les dix dernières années, elle ne comprend pas pourquoi la CSST lui retire toute l’aide personnelle à domicile qui lui est attribuée sans changement dans sa situation. Elle exprime qu’il est étonnant qu’elle soit considérée totalement autonome par l’attribution des quelques « bidules » suggérés par madame Alain qui n’ont même pas été testés avec elle et qui sont, selon elle, de faible utilité mise à part peut-être l’enfile-bouton.

[37]        À la demande de son représentant, un rapport d’évaluation indépendante portant sur ses besoins d’aide personnelle à domicile est produit par madame Mylène Fortier, ergothérapeute, à la suite de la rencontre du 21 mars 2014. La travailleuse explique que cette visite a duré près de deux heures et qu’elle a pris la peine de regarder son membre supérieur droit. Ensuite madame Fortier a pris des mesures, calculé sa force, a visité toute la maison incluant le sous-sol où sont rangés les chaudrons et les cannages de même les installations pour la lessive. Elle lui a fait faire de nombreuses simulations comme ouvrir les armoires, embarquer dans la douche, mettre une blouse avec des boutons, mettre un manteau avec fermeture éclair et bouton à pression, mettre ses bottes.

[38]        Madame Fortier rempli à son rapport la grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile de la travailleuse et obtient un total de 16/48 points dont 2.5 pour l’hygiène corporelle, 1.5 pour l’habillage et 2 pour l’utilisation des commodités du domicile dans la sphère des besoins pour prendre soin d’elle-même, le reste des points étant des besoins attribués dans la sphère des tâches domestiques.

[39]        Le tribunal note qu’à la grille d’évaluation des besoins remplie en 2003, 2 points sont attribués pour l’utilisation des commodités du domicile alors qu’aux grilles remplies par la CSST les 10 et 11 décembre 2013 aucun point n’est attribué pour cet item, sans explication ou justification. La soussignée estime que cet élément fait aussi partie de la catégorie des items pour prendre soin d’elle-même. Cette position est aussi retenue dans l’affaire Medeiros Melo[4], alors que la Commission des lésions professionnelles explique avec justesse ce qui fait partie d’un « soin » par rapport à ce que constituent des « tâches domestiques ». Il est considéré que les activités suivantes sont reliées aux soins de la travailleuse : le lever, le coucher, l’hygiène corporelle, l’habillage, le déshabillage, les soins vésicaux et intestinaux et l’utilisation des commodités du domicile, s’exprimant en ces termes :

[49]      La Grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile contenue à l’annexe 1 du règlement énumère par ailleurs une série d’activités qui doivent être évaluées afin de déterminer les besoins d’un travailleur en matière d’aide personnelle à domicile.

[50]      Le tribunal considère que les activités suivantes sont reliées aux soins du travailleur : le lever, le coucher, l’hygiène corporelle, l’habillage, le déshabillage, les soins vésicaux et intestinaux et l’utilisation des commodités du domicile.

 

[51]      Il considère toutefois que les activités reliées au ménage qu’il soit léger ou lourd, au lavage du linge et à l’approvisionnement correspondent à la catégorie des tâches domestiques.

 

 

[40]        Sans reprendre ici l’entièreté de son rapport, il est opportun de noter que madame Fortier formule des remarques tout à fait prépondérantes en lien avec l’hygiène corporelle, l’habillage et l’utilisation des commodités.

[41]        Contrairement à la CSST qui considère la travailleuse autonome pour son hygiène corporelle par fourniture d’une éponge à long manche, madame Fortier l’estime peu utile, puisque la travailleuse ne peut la tenir de sa main droite qu’elle soit longue ou courte, elle ne peut pas plus laver son membre supérieur gauche et son aisselle gauche. Elle souligne de plus un risque de chute dans la douche, puisque la travailleuse doit prendre une position unipodale pour laver ses pieds et qu’elle ne peut prendre appui avec ses membres supérieurs; le gauche étant occupé à laver le pied alors que le membre supérieur droit est non fonctionnel. Ces éléments sont corroborés par le témoignage de la travailleuse qui explique qu’elle a besoin de l’aide de son conjoint ou de sa femme de ménage pour prendre sa douche. Ces personnes le confirment aussi à l’audience. Au surplus, le tribunal rappelle qu’en 2003, les limitations fonctionnelles considérées inclut celle-ci : « Ne peut faire de préhensions donc, ne peut porter d’objets avec la main droite ». Cela étant, comment considérer la travailleuse complètement autonome pour son hygiène en lui fournissant une brosse qu’elle ne peut pas tenir?

[42]        Madame Fortier recommande une chaise de douche, mais qui ne rend pas la travailleuse autonome pour autant présentant toujours une incapacité à laver son membre supérieur gauche. Elle considère aussi que la travailleuse n’est pas autonome pour se coiffer et que le support à séchoir suggéré ne peut pallier diverses problématiques rencontrées dans cette activité qui exige l’utilisation des deux mains pour séparer, tenir les mèches de cheveux et manier la brosse.

[43]        Pour l’hygiène corporelle, madame Fortier conclut qu’une aide est requise pour teindre, sécher et coiffer les cheveux ainsi que pour laver, sécher, crémer le membre supérieur gauche et couper les ongles d’orteils. Les équipements qu’elle considère requis sont : une chaise de douleur, une barre d’appui à la douche, un tapis antidérapant et pour le bain une barre de rebord de bain et un tapis antidérapant. Le tribunal est d’avis que la preuve prépondérante permet de conclure que les aides techniques suggérés tant par madame Alain que par madame Fortier peuvent être d’une utilité certes, mais ne sont pas de nature à rendre la travailleuse autonome pour son hygiène corporelle. Il doit donc y avoir l’octroi d’un pointage pour cet item à la grille d’évaluation des besoins.  

[44]        Il en est de même pour l’habillage. Le tribunal considère que les témoignages entendus en audience et le rapport de madame Fortier sont prépondérants et permettent d’attribuer un pointage à cet item. En effet, pour avoir été en mesure d’observer la travailleuse au cours de l’audience, sa crédibilité n’est aucunement remise en doute lorsqu’elle explique ses difficultés pour l’habillage tant pour mettre des collants ou des bas-culottes que de réussir à monter une fermeture éclair d’un manteau, de mettre un vêtement avec des boutons ou attacher des lacets. Le tribunal ne croit pas qu’avec l’aide technique suggérée qu’elle devienne autonome pour l’habillage. C’est aussi ce que conclut madame Fortier qui considère qu’une aide est requise pour les fermetures éclair et pour les bas-culottes, mais que l’enfile-bouton serait une aide technique aidante.

[45]        Pour l’utilisation des commodités du domicile, madame Fortier octroie un pointage jugeant qu’une aide partielle est nécessaire, puisque l’accès au rangement est problématique pour les articles situés en hauteur qui nécessitent l’utilisation des deux mains.

[46]        Sans revoir chacun des items de la grille, le tribunal est en mesure de conclure que la preuve prépondérante, contrairement à ce qu’a considéré la CSST, démontre qu’il est opportun et justifié d’octroyer des pointages pour l’hygiène corporelle, l’habillage et l’utilisation des commodités du domicile. Ainsi, la travailleuse n’est pas capable de prendre soin d’elle-même. Comme tant la CSST que mesdames Alain et Fortier attribuent des pointages dans la sphère des tâches domestiques, il y a lieu de conclure que la CSST n’était pas justifiée de mettre fin au versement de l’allocation d’aide personnelle à domicile, puisque toutes les conditions prévues à la loi sont remplies. En outre, aucun changement dans sa situation ne justifiait de mettre fin à celle-ci.

[47]        Certes, les aides techniques suggérées par mesdames Alain et Fortier peuvent être utiles et sont fortement recommandées, mais elles ne rendent pas la travailleuse autonome. Il y a lieu de conclure que la travailleuse a droit aux aides techniques suggérées pour améliorer son autonomie fonctionnelle et qu’elle a aussi droit à une allocation d’aide personnelle à domicile.

[48]        Quant à la détermination de cette allocation, le tribunal est d’avis que la preuve prépondérante permet de conclure que la situation de la travailleuse demeure semblablement la même à ce qui prévalait avant la décision de la CSST d’y mettre fin. En effet, tant la CSST, à sa grille remplie le 10 décembre 2013, que madame Fortier, à celle apparaissant à son rapport, arrivent à un pointage dans la même tranche, soit de 12.5 à 16/48 points. Il y a donc lieu de déclarer que la travailleuse a droit à l’allocation d’aide personnelle à domicile correspondant à cette tranche jusqu’à la prochaine réévaluation.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de madame Madelyne Côté, la travailleuse;

MODIFIE la décision rendue le 18 mars 2014 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement des aides techniques suggérées;

DÉCLARE que la travailleuse a droit à une allocation d’aide personnelle à domicile depuis le 27 décembre 2013 correspondant au montant prévu pour un pointage se situant dans la tranche de 12.5 à 16/48 points.

 

 

 

 

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Louise Guay

 

 

Me Marc Bellemare

BELLEMARE, AVOCATS

Représentant de la partie requérante

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           C.L.P. 124881-01C-9910, 7 décembre 1999, C. Lessard.

[3]           C.L.P. 156470-01C-0103, 1er février 2002, J. Landry.

[4]           Medeiros Melo et Aluminium Varima inc., 2011 QCCLP 3356.

 

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