Multi-E inc. et Placements Cambridge |
2009 QCCLP 2284 |
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[1] Le 29 mars 2007, l’employeur, Multi-E inc., dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 mars 2007, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 4 décembre 2006 et déclare lui imputer la totalité des coûts de la lésion professionnelle survenue le 18 août 2004 à monsieur Jean-Marc Collin, le travailleur. Bien que l’événement soit attribuable à un tiers, ce dernier n’est pas majoritairement responsable de l’événement et il n’est pas injuste qu’il en supporte les coûts puisque l’événement fait partie des risques inhérents à la nature de l’ensemble des activités de l’entreprise.
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Joliette le 13 mars 2009 à laquelle assistait le représentant de l’employeur. L’employeur, Placements Cambridge, était absent bien que dûment convoqué.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer, en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi), que le coût des prestations versées au travailleur, à la suite de l’événement dont il a été victime le 18 août 2004, doit être transféré aux employeurs de toutes les unités parce qu’il est entièrement attribuable à un tiers.
LA PREUVE
[5] La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier médico-administratif qui lui a été soumis et entendu le témoignage du travailleur. Elle retient les faits suivants.
[6] Monsieur Jean-Marc Collin est cimentier-applicateur chez l’employeur.
[7] Le 18 août 2004, alors qu’il travaille sur un chantier de construction de condominiums à étages de la compagnie Placements Cambridge à Ville Saint-Laurent, il subit une lésion professionnelle.
[8] Il travaillait debout sur un parapet, en train d’appliquer de l’uréthane quand, passant par-dessus un tas de briques pour continuer son travail, il met le pied dans un trou, perd l’équilibre et chute sur les échafauds des briqueteurs d’une hauteur de cinq pieds.
[9] Il appert que le trou était recouvert de toiles blanches tendues, sans avertissement ou indice permettant de constater sa présence. Monsieur Collin ne sait pas qui a mis les toiles par-dessus ce trou; il émet l’hypothèse que ce sont les briqueteurs qui travaillaient un peu plus bas qui ont pu le faire.
[10] En ce qui concerne la demande de transfert d’imputation, l’employeur a produit celle-ci le 12 mai 2005.
[11] Le 4 décembre 2006, la CSST a décidé que bien que la chute soit attribuable au fait que le travailleur ait posé le pied dans un trou non apparent puisqu’il était recouvert d’une toile, la preuve que Placements Cambridge, maître d’œuvre du chantier de construction et donc un tiers, était majoritairement responsable, n’a pas été établie.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[12] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur Multi-E inc. a droit à un transfert de l’imputation relativement à la lésion professionnelle survenue le 18 août 2004 à monsieur Jean-Marc Collin, le travailleur.
[13] Elle a attentivement analysé le dossier et pris en compte les arguments soumis par le représentant de l’employeur. Elle rend en conséquence la décision suivante.
[14] L’article 326 de la Loi se lit comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[15] La Commission des lésions professionnelles retient que le principe établi par le législateur est d’imputer le coût des prestations versées à un travailleur en raison d’une lésion professionnelle qu’il a subie au dossier financier de son employeur.
[16] Par contre, un transfert de l’imputation des coûts est toutefois possible lorsque l’événement est attribuable à un tiers ou que les coûts portés au dossier de l’employeur ont pour effet de l’obérer injustement.
[17] En l’espèce, la demande de l’employeur a été présentée dans le délai prévu au troisième alinéa de l’article 326 de la Loi.
[18] Certains paramètres ont été définis afin d’analyser chaque situation.
[19] Afin de bénéficier d’un transfert d’imputation des coûts, l’employeur doit démontrer la présence de certains éléments élaborés par la jurisprudence, notamment dans la décision de la Société immobilière du Québec et Centre Jeunesse de Montréal[2] :
[90] En conséquence, pour pouvoir bénéficier d’un transfert d’imputation conformément au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, un employeur doit démontrer :
- que le travailleur est victime d’un accident du travail; et
- que cet accident du travail est attribuable à un tiers; et
- qu’il est injuste d’imputer les coûts découlant de cet accident du travail à son dossier financier.
[91] L’ordre dans lequel cette démonstration est faite importe peu; ce qui importe c’est que chacun de ces éléments soit mis en preuve.
[20] Dans le présent dossier, monsieur Collin a sans conteste été victime d’une lésion professionnelle.
[21] Selon l’employeur, cet accident serait attribuable à un tiers, soit le responsable de la pose de toile sur le trou ou bien le maître d’œuvre du chantier, Placements Cambridge.
[22] La jurisprudence a établi qu’« un tiers est toute personne physique ou morale, qui n’est pas le travailleur accidenté ou l’employeur de ce dernier ou qui est étrangère aux rapports juridiques existant entre ces derniers »[3].
[23] Selon la jurisprudence[4], il a aussi été établi qu’il ne suffit pas qu’un tiers ait contribué à la survenance d’une lésion professionnelle pour automatiquement donner lieu à un transfert de l’imputation.
[24] L’expression « attribuable » a été interprétée comme indiquant qu’un tiers doit être majoritairement responsable de l’événement survenu, car le législateur aurait plutôt indiqué qu’un tiers doit être partie à la survenance de celui-ci.
[25] Quant à la notion d’injustice, divers critères d’appréciation ont été élaborés dans la décision rendue le 28 mars 2008 par un banc de trois commissaires, dans l’affaire Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail[5] :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, en autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple, les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art; et
- les probabilités qu’un semblable accident survienne compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[26] Il convient de rappeler que chaque cas est un cas d’espèce qui doit être analysé selon son mérite.
[27] Dans la décision Ministère des Transports, il est aussi écrit que[6] :
[244] Rien, non plus, n’interdit de conclure que l’accident est attribuable à une ou plusieurs personnes dont l’identité n’a pas pu être établie, en autant que le prochain élément de la condition préalable soit démontré, c’est-à-dire qu’il s’agit bel et bien d’un tiers.
[28] Il n’est pas contesté ici que l’événement est le fait d’un tiers, comme l’a indiqué la CSST dans sa décision. Est-ce le maître d’œuvre, responsable de la sécurité sur le chantier de construction, ou bien l’employeur des personnes responsables de la mise de la toile sur le trou?
[29] Dans le présent dossier, la preuve n’est pas claire à savoir qui est le tiers responsable. Il est possible que ce soit Placements Cambridge, agissant à titre de maître d’œuvre, et qu’il se devait de s’assurer que le chantier de construction était sécuritaire. Il est aussi possible que ce soit un groupe d’employés, par exemple des briqueteurs, qui ont posé cette toile sur le trou et qui ne peuvent être identifiés.
[30] En l’espèce, même s’il n’est pas possible d’identifier clairement qui est le tiers, il est évident que le fait d’avoir mis une toile sur un trou, qui a pour effet de le camoufler sans l’indiquer d’une quelconque manière, est la cause majoritaire de la survenance de l’événement.
[31] Le tribunal considère qu’il s’agit d’une situation de guet-apens. Il y avait absence d’avertissement ou d’indice qui aurait pu laisser croire à monsieur Collin qu’il y avait un trou, la toile étant plutôt tendue au-dessus du trou et le recouvrant parfaitement.
[32] Dans l’affaire Simon Grenier Construction[7], dont les faits s’apparentent au présent cas, la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi :
[14] Or, en l’espèce, le Tribunal estime que bien que le travailleur effectuait son travail régulier au moment de l’accident et que son travail fait partie des risques inhérents que doit assurer l’employeur, le trou sous le revêtement de plancher constitue un guet-apens ou un piège et il serait injuste que l’employeur soit imputé du coût de l’accident dans les circonstances. En effet, n’importe qui ayant marché à cet endroit aurait probablement fait une chute dans le trou. Il ne s’agit pas d’un trou comme ceux qui son présents sur les chantiers de construction en général, mais bien d’un trou recouvert d’un revêtement ne permettant pas de supporter le poids d’une personne. Aucun panneau ou indication de danger ne permettait de se méfier. Les probabilités étaient donc très fortes qu’un tel accident survienne par la faute de Revêtements de plancher Dynasty. Le tribunal conclut qu’il s’agit véritablement de circonstances inusitées, inhabituelles et exceptionnelles qui ne sont pas le reflet de l’expérience associée au risque découlant des activités de l’employeur cas [sic] elles se situent nettement en dehors de ce cadre.
(Nos soulignés)
[33] Ainsi, le tribunal est convaincu que l’employeur a réussi à démontrer par prépondérance qu’un tiers était majoritairement responsable de la survenance de la lésion professionnelle de monsieur Collin et qu’il serait injuste de lui imputer le coût des prestations versées comme le requiert le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. Le coût des prestations est donc transféré aux employeurs de toutes les unités.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Multi-E inc., l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 14 mars 2007, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle survenue le 18 août 2004 à monsieur Jean-Marc Collin, le travailleur, doit être transféré aux employeurs de toutes les unités.
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MANON GAUTHIER |
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Me Jean-François Beaumier |
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A.P.C.H.Q. - Savoie Fournier |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] C.L.P. 134526-71-0003, 23 octobre 2000, C. Racine.
[3] Hôpital St-Jude de Laval, C.L.P. 126535-64-9808, 21 novembre 2000, M. Montplaisir.
[4] Excavation Germain inc. et Excavation Bourgoin et Dickner inc., C.A.L.P. 36997-03-9203, 30 septembre 1994; Protection Incendie Viking ltée et Prairies, C.A.L.P. 51128-60-9305, 2 février 1995; General Motors du Canada ltée et CSST, [1996] C.A.L.P., 866; Northern Telecom Canada ltée et CSST, [1996] C.A.L.P. 1239 .
[5] C.L.P. 288809-03B-0605, J.-F. Clément, D. Lajoie, J.-F. Martel.
[6] Id.
[7] Simon Grenier Construction et Revêtements de plancher Dynasty, C.L.P. 298421-07-0609, 8 juillet 2002, M. Langlois.
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