Décision

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Entreprise TRA (2011) inc. c. Québec (Procureure générale) (Ministère des Transports)

2015 QCCS 3938

JJ0379

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-020333-142

 

 

 

DATE :

 28 août 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE DENIS JACQUES, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

ENTREPRISE T.R.A. (2011) INC.

et

4078403 CANADA INC. faisant affaire sous le nom de ENTREPRISE ARTEC

 

Demanderesses

 

c.

 

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC agissant pour et aux droits du MINISTÈRE DES TRANSPORTS DU QUÉBEC

 

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR DEMANDE DE RADIATION D’ALLÉGATIONS

ET RETRAIT DE LA PIÈCE P-35

______________________________________________________________________

 

[1]       Dans le cadre de la réclamation des demanderesses, la défenderesse soulève avant défense un moyen préliminaire demandant la radiation d’allégations et le retrait de la pièce P - 35 qui, à son avis, sont non pertinentes au litige.

[2]       La demanderesse, Entreprise T.R.A. (2011) inc. « T.R.A. », à la suite de l’exécution d’un contrat au bénéfice de la défenderesse, s’est vu émettre un rapport de rendement insatisfaisant faisant en sorte qu’elle n’a pu obtenir pendant les deux années subséquentes des contrats même si elle affirme avoir été la plus basse soumissionnaire, le tout en application de l’article 8 du Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics[1] qui stipule ce qui suit :

8.  Un organisme public peut, à la condition qu'il en fasse mention dans les documents d'appel d'offres, se réserver la possibilité de refuser tout entrepreneur qui, au cours des 2 années précédant la date d'ouverture des soumissions, a fait l'objet de la part de cet organisme d'une évaluation de rendement insatisfaisant, a omis de donner suite à une soumission ou à un contrat, ou a fait l'objet d'une résiliation de contrat en raison de son défaut d'en respecter les conditions.

[3]       T.R.A. conteste l’évaluation de rendement insatisfaisant qui lui a été attribuée par le ministère des Transports qui a jugé insatisfaisante la qualité des services rendus tout comme le respect des échéances lors du contrat visé par la présente procédure.

[4]       T.R.A. s’est prévalue, sans succès, de son droit de demander une réévaluation de l’évaluation, le tout en conformité avec les articles 57 et 58 du même règlement :

57.  L'entrepreneur peut, dans un délai de 30 jours suivant la réception du rapport constatant le rendement insatisfaisant, transmettre par écrit à l'organisme public tout commentaire sur ce rapport.

58.  Dans les 30 jours suivant l'expiration du délai prévu à l'article 57 ou suivant la réception des commentaires de l'entrepreneur, selon le cas, le dirigeant de l'organisme public maintient ou non l'évaluation effectuée et en informe l'entrepreneur. S'il ne procède pas dans le délai prescrit, le rendement de l'entrepreneur est considéré satisfaisant.

[5]       T.R.A. soutient notamment que les critères sur lesquels se base l’évaluation faite par le ministère sont inconnus et que le processus d’évaluation a été partiel et subjectif :

61.   La défenderesse est responsable des pertes et dommages de T.R.A. en ce qu’elle a :

a)     Omis d’aviser en temps utile de son intention d’émettre un rapport de rendement insatisfaisant dans un délai raisonnable suivant la demande d’intervention de la caution;

b)     Omis d’aviser T.R.A. de son intention d’émettre un rapport de rendement insatisfaisant dans un délai raisonnable suivant la demande d’intervention de la caution;

c)     Omis d’établir et d’informer T.R.A., partie co-contractante, des critères et des règles d’application, le cas échéant, sur la base desquels elle se fonde pour l’émission d’un rapport de rendement insatisfaisant;

d)     A créé un processus d’évaluation partial et subjectif;

e)     S’est fondé sur des faits dont elle ne pouvait ignorer l’inexactitude;

f)       Omis de vérifier, inspecter ou procéder aux tests ou vérification permettant d’appuyer les prétentions sur la base desquelles elle a subséquemment tenté de justifier l’émission d’un rapport de rendement insatisfaisant;

g)     A refusée de réviser cette décision malgré les explications données;

h)     A unilatéralement établi les paramètres et a cumulé sans droits des pénalités pour de soi-disant retards équivalent à un refus de paiement requis, l’intervention de la caution et la production d’un rapport insatisfaisant;

i)       A utilisé et appliqué des critères purement subjectifs et inconnus de la demanderesse pour tenter de justifier à l’émission du rapport de rendement insatisfaisant;

Reproduction intégrale

[6]       T.R.A. allègue de plus dans sa requête introductive d’instance qu’elle a effectué, antérieurement au contrat visé par les présentes, plusieurs autres contrats où elle a obtenu des rapports satisfaisants :

62.   Il est utile de noter, afin d’appuyer les allégations qui précèdent, que T.R.A. a effectué plusieurs dizaines de contrats pour la défenderesse avant celui qui fait l’objet du litige et s’est ainsi vu attribuer de nombreux rapports qui ont tous été satisfaisants;

63.   À titre d’exemple, T.R.A. dénonce au soutien des présentes des rapports de rendement satisfaisants émis dans la période concernée par les présentes et ce, accompagnés du marché correspondant, le tout tel qu’il appert desdits rapports dénoncés en liasse au soutien des présentes comme pièce P-35;

64.   Il est à noter que pour certains de ces contrats, T.R.A. s’est vue imposée des pénalités mais jamais la défenderesse n’a cumulé les pénalités à un rapport de rendement insatisfaisant;

65.   Qui plus est, certains des rapports de rendement satisfaisants (P-35) contiennent pourtant des critères individuellement insatisfaisants, ce qui n’a pas empêché l’auteur d’émettre un rapport globalement satisfaisant;

66.   Il appert donc que la défenderesse permet à ses préposés une latitude complète dans la décision d’émettre un rapport globalement satisfaisant qui laisse la partie co-contractante dans l’impossibilité de connaître ou d’évaluer les critères sur la base desquels un rapport sera émis;

67.   La défenderesse a l’obligation d’agir de bonne foi et de faire connaître à T.R.A. les paramètres sur la base desquels elle compte agir relativement à l’émission des rapports d’insatisfaction;

Reproduction intégrale

[7]       Pour les fins de sa requête, la procureure générale soutient que les autres contrats allégués par T.R.A. ne sont pas pertinents au présent litige. À cet égard, sa demande en radiation d’allégations et retrait de la pièce P-35 est libellée comme suit :

5.      La Procureure générale du Québec soutient que les « dizaines de contrats » réalisés par la demanderesse T.R.A. pour le compte du MTQ ainsi que les rapports « satisfaisants » relatifs à ces contrats, dont huit (8) ont été communiqués sous la cote P-35, n’ont aucune pertinence en l’instance, considérant que seuls le Marché, pièce P-5, et l’évaluation de rendement de ce projet, pièce P-25, doivent être soumis au Tribunal et considérés par ce dernier aux fins du présent litige;

6.      En effet, l’évaluation de rendement insatisfaisant qui a été attribuée à la demanderesse T.R.A., pièce P-25, est uniquement fondée sur les travaux qu’elle a, ou non, réalisés ou complétés dans le cadre du Marché, pièce P-5, sans égard à quelques autres contrats et évaluations la concernant;

7.      Par ailleurs, la défenderesse soutient que la pièce P-35 obligerait les parties à mettre en preuve à tout le moins les huit (8) contrats dénoncés, ce qui serait, en l’absence de toute pertinence, manifestement contraire à la bonne administration de la justice et aux règles de la proportionnalité, la durée des interrogatoires au préalable de même que de l’audition au mérite s’en trouverait inutilement prolongée, et ce, de manière importante;

* * *

[8]       L’article 168 aliéna 2 du Code de procédure civile permet la présentation d’une demande en radiation d’allégations dans les termes qui suivent :

Le défendeur peut, de même, demander la radiation d'allégations non pertinentes, superflues ou calomnieuses.

[9]       L’article 2857 du Code civil du Québec prescrit pour sa part que la preuve de tout fait pertinent au litige est recevable et peut être faite par tout moyen.

[10]    Dans son ouvrage sur la preuve civile, le professeur Royer définit la pertinence comme suit :

Dans un procès civil, un fait est pertinent lorsqu’il tend à établir l’existence ou non d’un droit réclamé. La notion de pertinence s’apprécie par rapport à l’obligation des parties de faire la preuve de l’ensemble des éléments sur lesquels repose la réclamation. Un fait est notamment pertinent s’il s’agit d’un fait en litige, s’il contribue à prouver d’une façon rationnelle un fait en litige ou s’il a pour but d’aider le tribunal à apprécier la force probante d’un témoignage.[2]

[11]    Il est bien établi que le juge saisi, à plus forte raison à un stade aussi préliminaire, d’une requête en radiation d’allégations et retrait de pièces, doit agir avec grande prudence avant d’y donner suite.

[12]    Dans l’arrêt Desmarteau c. Ontario Lottery and Gaming Corporation[3], la Cour d’appel rappelle que la prudence commande qu’en cas de doute, celui-ci doit jouer en faveur du maintien de l’allégation :

[32]       En raison de cette méprise sur la jurisprudence applicable, le juge omet de tenir compte des enseignements de la Cour en matière de radiation d’allégations à un stade préliminaire comme ici. Ces enseignements rappellent que 1) la prudence est le mot d’ordre avant de procéder à de telles radiations, 2) il faut donner le bénéfice du doute à l’allégation dont la pertinence est contestée au stade d’une requête en radiation et 3) la radiation, faute de pertinence, ne s’accorde que dans les cas les plus évidents.

[13]    En l’espèce, T.R.A. allègue avoir effectué plusieurs contrats pour la défenderesse avant celui faisant l’objet du litige.

[14]    Dans le cadre de l’argumentation qu’elle entend faire valoir, ce fait est certainement pertinent pour établir sa connaissance ou non des critères applicables en matière de rendement.

[15]    À cette étape des procédures, avant même la production de la défense et la tenue des interrogatoires, le Tribunal ne peut conclure à la non-pertinence des allégations visées par le défendeur.

[16]    Il est possible que l’utilisation de ces allégations que veut en faire T.R.A. devienne impertinente, ce dont le juge du fond pourrait avoir à décider. Mais le Tribunal n’a pas à le présumer.

[17]    À cette étape des procédures, il serait imprudent pour le Tribunal d’empêcher T.R.A. d’alléguer à tout le moins son expérience passée afin de lui permettre de présenter ses arguments.

[18]    En regard à ce qui précède, la requête en radiation d’allégations et retrait de pièce doit être rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[19]    REJETTE la demande de radiation d’allégations et du retrait de la pièce P-35 déposée par la défenderesse;

[20]    AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________

DENIS JACQUES, j.c.s.

 

Me Patric Bélanger

Saraloi inc.

Place Val des Arbres

1600, boulevard St-Martin Est

Tour A, bureau 700

Laval (Québec)  H7G 4R8

Procureurs de la demanderesse

 

Me Stéphane Lepage

Chamberland Gagnon (casier 134)

Procureurs de la défenderesse

 

Date d’audience :

25 août 2015

 

 



[1]     Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics chapitre C-65.1, r.5.

[2]     Jean-Claude ROYER, La preuve civile, 3e édition, 2003, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., p. 741.

[3]     Desmarteau c. Ontario Lottery and Gaming Corporation, EYB 2013-230296 (C.A.).

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