Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Modèle de décision CLP - avril 2013

Nolin et Chemins de fer nationaux du Canada

2014 QCCLP 1152

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

21 février 2014

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

507696-03B-1304

 

Dossier CSST :

101739647

 

Commissaire :

Geneviève Marquis, juge administratif

 

Membres :

Normand Beaulieu, associations d’employeurs

 

Pierre de Carufel, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Denis Nolin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Chemins de fer Nationaux du Canada

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 8 avril 2013, monsieur Denis Nolin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative le 27 février 2013.

[2]           Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur d’une décision qu’elle a rendue le 7 décembre 2012 lui refusant le droit au paiement des travaux d’entretien courant du domicile, soit le débroussaillage du terrain, le nettoyage des gouttières, le déneigement des accès et du patio ainsi que le grand ménage.

[3]           Par une décision rendue le 3 octobre 2013, le tribunal infirme la décision précitée rendue le 27 février 2013, déclare recevable la demande de révision du travailleur et convoque de nouveau les parties à une audience portant sur le fond du litige.

[4]           Une nouvelle audience est tenue par le tribunal, le 22 janvier 2014 à Lévis. Seul le travailleur y est présent et représenté par procureur. L’affaire est mise en délibéré le 30 janvier 2014, après réception des représentations complémentaires du procureur du travailleur.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           Le travailleur demande au tribunal de lui reconnaître le droit au paiement des travaux d’entretien courant du domicile à la lumière de la preuve testimoniale et documentaire incluant un récent rapport émis par son médecin le 13 décembre 2013.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]           Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales considèrent en partie fondée la contestation du travailleur. Celui-ci présente des limitations fonctionnelles plus importantes que celles déjà décrites en 1992  en lien avec l’amputation tibiale gauche qu’il a subie en raison de sa lésion professionnelle.

[7]           En fonction des limitations fonctionnelles documentées à ce jour, le travailleur a droit au paiement des frais engagés pour le nettoyage et le débroussaillage du fossé, le nettoyage des gouttières et le lavage des vitres extérieures à titre de travaux d’entretien courant du domicile qu’il aurait effectués lui-même n’eût été les conséquences de sa lésion professionnelle à la jambe gauche.

[8]           Une réévaluation des frais admissibles à ce titre pourra être demandée par le travailleur auprès de la CSST à la lumière des limitations fonctionnelles à être précisées par le docteur Roberge après la consolidation de la récidive, rechute ou aggravation en cours depuis le 6 juin 2013.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[9]           Le tribunal doit décider si le travailleur a droit au paiement de frais reliés à des travaux d’entretien courant du domicile.

[10]        L’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) stipule ce qui suit :

165.  Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

 

[11]        La preuve révèle que le travailleur œuvre à titre de conducteur serre-freins lorsque son membre inférieur gauche est écrasé par un wagon le 24 septembre 2011. Il en résulte des fractures du tibia et du péroné de même qu’une atteinte artérielle. À la suite d’interventions chirurgicales visant à réparer ses lésions, le travailleur subit une amputation tibiale gauche le 28 octobre 1991.

[12]        En sus de l’atteinte permanente totalisant 88,4 %, le travailleur conserve de sa lésion professionnelle des limitations fonctionnelles qui consistent à ne pas monter ou descendre les escaliers à répétition, ne pas porter des charges lourdes sur de grandes distances et ne pas non plus se déplacer sur de grandes distances.

[13]        Le travailleur occupe l’emploi convenable de conducteur de train pour le compte de l’employeur depuis.

[14]        Le 15 juin 1993, le travailleur subit une récidive, rechute ou aggravation sous la forme d’une hyperkératose avec eczéma au moignon d’amputation tibiale gauche .Il y a consolidation de cette lésion professionnelle le 1er août 1993, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles supplémentaires. Le travailleur reprend l’exercice de son emploi de conducteur de train.

[15]        Il en est de même à la suite d’une récidive, rechute ou aggravation, du 7 juin 2011 au 22 mars 2012, soit une plaie au moignon d’amputation secondaire à la prothèse tibiale devenue trop usée ou trop grande.

[16]        Une nouvelle récidive, rechute ou aggravation sous forme de plaie au moignon d’amputation au tibia gauche survient du 7 juin au 4 octobre 2012. Le travailleur, qui est désormais âgé de 51 ans, reprend le travail alors que le docteur Roberge, en tant que médecin en ayant charge, consolide de nouveau la lésion professionnelle sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles supplémentaires.

[17]        Le 29 octobre 2012, le travailleur produit à la CSST une demande d’aide financière pour les travaux d’entretien courant de son domicile dont le libellé se lit comme suit :

Bonjour,

 

La présente donne suite à notre rencontre du 24 septembre dernier concernant les demandes d’aide financière pour des travaux d’entretien non recommandables pour ma condition en tenant compte de mes limitations.

 

La demande a été faite dans le but d’éviter une détérioration de ma condition physique ce qui viendrait entraver mes capacités à donner le maximum de rendement à mon travail. Mon travail est ma priorité et je tiens à me rendre fièrement et dignement à ma retraite.

 

Malgré toute ma bonne volonté, vous comprendrez j’en suis sûr, que je ne peux m’acquitter de toutes les tâches domestiques qu’impliquent l’entretien d’une maison ainsi que de fournir une pleine prestation à mon travail. Les conditions de ce travail étant particulières par le fait que je réponds sur appel à toute heure du jour et de la nuit et que les quarts de travail sont très souvent inégaux.

Je vous rappelle qu’une prothèse n’est pas une pantoufle… je dois donc éviter toute autre activité qui pourrait m’empêcher d’être en mesure de répondre à un appel de mon employeur. Je ne bénéficie d’aucun accommodement de ce dernier advenant une incapacité temporaire d’une journée ou deux de mettre ma prothèse (en cas de saignement, d’irritation, ou blessure au moignon) pour me rendre à mon travail. (à moins de me rendre chez un médecin ou d’embourber d’avantage l’urgence d’un hôpital!!!!) et les congés de maladie n’existent pas selon ma convention collective du CN.

 

Lors de notre rencontre, vous nous avez refusé verbalement l’accès à une aide financière pour des travaux tels que :

 

·         Débroussaillage de talus sur le terrain

·         Nettoyage des gouttières et lavage des fenêtres extérieurs (nécessite de monter et descendre d’une échelle à répétitions)

·         Entretien général du terrain hiver comme été (déneigement, pelouse...)

·         Grand ménage intérieur 2 fois / année

 

Tous ces travaux nécessitent trop d’efforts physiques et de mouvements néfastes pour ma condition. Comme nous vous l’avions mentionné, ma conjointe assumait tous ces travaux depuis plusieurs années, l’âge faisant et quelques problèmes de santé nous ont amené à vivre une réalité beaucoup plus difficile à assumer. Nous croyons que notre demande est légitime et sans abus.

 

Nous avions convenu d’attendre que j’ais rencontré des médecins spécialistes avant que vous rendiez votre décision officielle. Ces consultations médicales ne seront qu’en 2013 et pendant ce temps nous ne bénéficierons encore d’aucune d’aide de ce genre comme dans les 20 dernières années. Pour nous, c’est incompréhensible.

 

De plus, vous nous avez laissé entrevoir un danger, une menace que je me retrouve sans emploi (ou emploi convenable comme celui de travailler dans un dépanneur!!!!!) si mes limitations devaient augmenter. Après 33 ans de carrière au CN, et après 20 années comme accidenté du travail en ayant toujours donné le maximum de moi-même malgré tout, je considère que j’ai certains droits qui ne me sont pas accordé. Par ailleurs, je ne peux passer ici sous silence que lors de mes arrêts de travail, selon la loi de la CSST, je suis déjà hautement pénalisé financièrement par rapport à un autre travailleur, tout emploi confondu.

 

Il est important de comprendre que les tâches d’ingénieur de locomotive ne sont aucunement comparables ni similaires à celles qu’exigent l’entretien d’une maison et d’un terrain.

Je suis en mesure d’occuper mon emploi mais pas en mesure de faire tout ce qu’une personne qui a ses deux jambes est en mesure de faire.

 

En conséquence, pour les raisons évoquées ci-haut et après discussions avec différents intervenants impliqués, nous vous demandons de nous émettre une lettre de décision officielle concernant mes demandes à partir de notre rencontre et des renseignements que vous détenez actuellement.

 

En vous remerciant de votre compréhension et de l’attention que vous porterez à notre demande, je vous souhaite une excellente journée. [sic]

 

 

[18]        Le 4 décembre 2012, la CSST procède à l’analyse de la demande du travailleur à la suite d’un appel de ce dernier.

[19]        La CSST rapporte en ces termes les constats effectués à la suite d’une visite à domicile effectuée le 26 septembre 2012 :

Nous avions rencontré le T à ce sujet avec sa conjointe le 26 septembre dernier alors que le travailleur était dans l’attente d’une consolidation de sa rechute. T nous avait alors mentionné certaines problématiques en lien avec les travaux d’entretien de son domicile.

 

T avait été avisé à ce moment-là que nous devions attendre une nouvelle expertise médicale dans son dossier avant de nous prononcer sur son admissibilité à ces mesures. Les LF au dossier datant de 1992. Le T n’a donc eu aucune limitation fonctionnelle additionnelle depuis cette date et la dernière rechute e été consolidée sans limitation fonctionnelle.

 

T a été avisé que les demandes relatives au remboursement de travaux d’entretien sont étudiées en regard des LF retenues au dossier. Dans le cas présent, l’expertise produite en 1992 par le Dr Normand sera utilisée. Nous avions regardé avec T les LF retenues à son dossier à l’époque. Les limitations sont très légères et T a été informé qu’il n’est pas admissible pour le moment au remboursement de travaux d’entretien. J’avais également mentionné au T que les LF émises à l’époque étaient possiblement moins sévères que les LF réelles possiblement pour favoriser le RAT.

 

T nous demande en date du 29 octobre 2012 de rendre décision sur son admissibilité aux travaux d’entretien. Les données en lien avec cette demande n’ont pas été recueillies puisque nous nous attendions à revoir le travailleur pour l’analyse en lien avec une augmentation des LF.

 

 

[20]        Dans son évaluation de la capacité du travailleur à effectuer certains travaux, à la lumière de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles établies en 1992, la CSST constate ce qui suit concernant l’entretien du terrain :

T utilise tracteur à gazon pour tondre son gazon […] ce qui ne va pas à l’encontre de ses LF. En ce qui concerne l’utilisation du coupe-bordures dans le fossé, le tout respecte des LF retenues au dossier du T. Ce travail est effectué sur une courte durée et T peut prendre pauses si il juge nécessaire dans le respect des LF. [sic]

 

 

[21]        En ce qui a trait au grand ménage qui comprend, entre autres, le lavage des fenêtres, la CSST indique :

Le lavage des fenêtres est inclus dans cette activité. Le tout ne va pas à l’encontre des LF retenues au dossier du T. Ce travail peut se faire au rythme du travailleur et ce, pièce par pièce et peut être étalé sur plusieurs journées selon le niveau de tolérance du travailleur dans le respect des LF retenues au dossier.

 

 

[22]        Pour ce qui est du nettoyage des gouttières, la CSST note :

Cette activité respecte les LF retenues au dossier du T. Ce travail nécessite l’utilisation d’une échelle mais non de façon répétitive ou fréquente. T peut faire ce travail à son rythme en prenant des pauses au besoin dans le respect des LF retenues en 1992.

 

 

[23]        Enfin, l’analyse de capacité portant sur le petit déneigement se lit comme suit :

T demande aide pour le déneigement des voies d’accès et du patio. Cette activité ne va pas à l’encontre des LF retenues au dossier du T. T. peut faire ce travail à son rythme en prenant des pauses au besoin et peut même étaler au besoin (pour le patio) cette tâche sur plusieurs journées dans le respect des LF retenues. T peut également contrôler le poids de la neige à manipuler selon son niveau de tolérance.

 

 

[24]        La CSST conclut au refus de la demande d’aide pour le petit déneigement, le grand ménage, le taille-bordure et le nettoyage des gouttières.

[25]        Lors d’un entretien téléphonique avec la conjointe du travailleur, le 5 décembre 2012, l’agent d’indemnisation de la CSST apporte les précisions suivantes :

Titre: Appel de la conjointe du T

 

- ASPECT PSYCHOSOCIAL:

Me dit qu’elle aimerait avoir une décision écrite suite à la lettre datée du 29 octobre 2012. Je l’avise que nous allons rendre une décision à ce sujet dans les prochains jours. Le déneigement demandé concerne les voies d’accès car le déneigement de l’entrée principale est donné à contrat depuis plusieurs années. Je lui mentionne également que le lavage des fenêtres fait partie des travaux de grand ménage. Je lui souligne que l’évaluation de la demande sera effectuée sur la base des LF datant de 1992 et que nous ne pouvons considérer d’autres aspects. Nous sommes bien conscients par contre que les LF reliées à une telle lésion auraient possiblement dû être plus sévères.

 

 

[26]        La décision rendue par la CSST à ce sujet, le 7 décembre 2012, fait l’objet du litige dont le tribunal est actuellement saisi.

[27]        Il appert du témoignage du travailleur que celui-ci s’est procuré sa résidence actuelle en 1998. Il s’agit d’une maison de plain-pied, munie de 17 fenêtres dont plusieurs situées en hauteur par rapport au sol, sur un terrain de 32 000 pi2  à demi-boisé. À l’avant de la maison, il y a un fossé (160 pi de longueur par 12 pi de largeur et 4 ½ pi de profondeur). Le travailleur doit à la fois le débroussailler et le nettoyer des feuilles qui s’y accumulent. L’entrée se situe à environ 50 pi de la route. Le déneigement de cette voie d’accès est effectué à contrat, à l’exception de la première année. Celui de la toiture est aussi donné à contrat. Le déneigement de la galerie (5 x 7 pi) et des 5 marches (6 pi de largeur) de l’entrée doit être accompli manuellement. Il en est de même de l’entretien autour de la maison avec le taille-bordure pour les plates-bandes alors que la tonte du gazon est réalisée avec un tracteur. Le travailleur souligne, en outre, la présence d’une longue haie de cèdres de cinq pieds de hauteur qui devra être taillée éventuellement.

[28]        Le travailleur soutient qu’il a droit au remboursement des frais pour faire exécuter les divers travaux d’entretien tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son domicile. Sa prothèse tibiale lui causant de plus en plus de difficultés au niveau du membre inférieur gauche, le travailleur affirme qu’il ne peut aider sa conjointe et que celle-ci ne peut assumer seule l’ensemble des travaux.

[29]        Le travailleur, qui est de nouveau traité par le docteur Roberge pour une  récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle depuis le 6 juin 2013, dépose au tribunal les précisions suivantes émises par son médecin le 13 décembre 2013 : 

Maître Savoie,

 

Les limitations fonctionnelles actuelles de M. Nolin dépassent celles déjà émises suite à son accident de travail de septembre 1991. Il a beaucoup de difficulté à monter et descendre les escaliers à répétition, à utiliser un escabeau ou une échelle, à marcher sur un terrain accidenté. Il doit limiter ses distances de marche et ne pas transporter de charge lourde sur une longue distance. Depuis 3 ans, il a de nombreux problèmes avec sa prothèse :

plaie du moignon d’amputation, ajustement difficile de la prothèse ayant comme conséquences de nombreux arrêts de travail et une incapacité croissante à effectuer les travaux d’entretien de sa résidence et de son terrain. Il ne peut plus utiliser d’escabeau ni d’échelle pour accéder à la toiture lors d’activité de déneigement ou pour nettoyer les gouttières ou laver les vitres. Ses limitations à la marche l’empêchent d’effectuer la tonte du gazon, le ramassage des feuilles et le déneigement des entrées et du patio. Il a de plus en plus de difficulté à effectuer également l’entretien intérieur de la maison. Ses nouvelles limitations fonctionnelles l’empêchent d’effectuer l’entretien de sa maison et de son terrain. Ces activités supplémentaires risquent d’aggraver son état de santé et de limiter sa capacité de travail professionnel. Il doit éviter les travaux lourds répétitifs de façon à garder sa capacité à effectuer son travail de conducteur de train qui est très exigeant : horaires variables, longues heures, disponibilité pour heures supplémentaires.

 

Nous recommandons que M. Nolin obtienne de l’aide pour l’entretien de sa maison et de son terrain en raison des limitations fonctionnelles croissantes à cause des séquelles de son accident du travail le 24 septembre 1991.

 

 

[30]        Le travailleur n’ayant pas de reçus attestant de frais engagés pour l’exécution de tels travaux, il demande au tribunal de rendre une décision de principe en la matière à partir de la preuve actuellement disponible.

[31]        Le tribunal considère qu’il y a lieu d’acquiescer à cette demande afin de permettre au travailleur d’engager les frais pour faire exécuter les travaux d’entretien courant du domicile jugés admissibles et d’en demander par la suite le remboursement à la CSST jusqu’à concurrence du montant maximum prévu à l’article 165 de la loi, lequel est revalorisé annuellement[2].

[32]        À la lumière de la preuve soumise, le tribunal constate que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle un pourcentage d’atteinte permanente évalué à 88,4 %. Bien que ce pourcentage soit élevé, ce sont plutôt les limitations fonctionnelles incompatibles avec l’exécution des travaux d’entretien courant du domicile qu’il y a lieu de prendre en compte pour conclure à une atteinte permanente grave donnant ouverture au droit prévu à l’article 165 de la loi.

[33]        À l’instar de la CSST, le tribunal constate que les limitations fonctionnelles établies en lien avec la lésion professionnelle du travailleur s’avèrent très peu sévères au regard de l’amputation tibiale gauche que ce dernier a subie en 1991. Le travailleur présente une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison de cette lésion, ce qui n’est pas remis en cause par la CSST lors de son analyse de la demande en vertu de l’article 165 de la loi. Il en est de même de la nature des travaux d’entretien courant alors invoqués, lesquels ont pour but de maintenir le domicile du travailleur en bon état.

[34]        Comme l’a expliqué le travailleur à la CSST, les limitations fonctionnelles établies à l’époque ont été maintenues, sans plus, au cours des dernières années par le docteur Roberge de manière à lui permettre de poursuivre l’exercice de l’emploi de conducteur de train qu’il occupe à raison de 40 heures et plus par semaine depuis 1992.

[35]        Dans sa note du 13 décembre 2013, le docteur Roberge invoque l’existence de limitations fonctionnelles supplémentaires dont le travailleur demeure porteur au fil des récidives, rechutes ou aggravations de sa lésion professionnelle à la jambe gauche où sa prothèse engendre des problèmes récurrents et lui cause des plaies au moignon d’amputation incapacitantes par période depuis 2011.

[36]        Le tribunal estime qu’il doit tenir compte, en l’espèce, des limitations fonctionnelles émises en rétrospective par le docteur Roberge, en sus des limitations initiales qui consistent à ne pas monter ou descendre les escaliers à répétition, ne pas porter des charges lourdes sur de grandes distances et ne pas non plus se déplacer sur de longues distances. Ce médecin qui a charge du travailleur affirme que celui-ci ne peut plus utiliser d’escabeau et/ou d’échelle étant donné qu’il a beaucoup de difficulté à les monter et les descendre. Il a également beaucoup de difficulté à marcher en terrain accidenté. Le travailleur doit limiter ses distances de marche. Il ne peut transporter de charge lourde sur une longue distance.

[37]        Si les limitations fonctionnelles se rapportant à la marche et au transport de charge demeurent imprécises, celle concernant l’incapacité à utiliser une échelle ou un escabeau est sans équivoque et tout à fait compatible, de surcroît, avec les séquelles d’amputation tibiale gauche dont le travailleur est porteur depuis nombre d’années.

[38]        À même l’état de la preuve soumise, le tribunal considère que le travailleur ne peut plus effectuer le nettoyage des gouttières ni le lavage des fenêtres extérieures dont plusieurs sont situées en hauteur. Ces tâches contreviennent à la limitation fonctionnelle qui implique de ne pas utiliser une échelle ou d’un escabeau. Il en sera de même, éventuellement, pour la taille de la haie de cèdres.

[39]        De plus, le tribunal estime que le nettoyage et le débroussaillage du grand et long fossé (talus) nécessitent de marcher avec le matériel requis en terrain non seulement accidenté, mais aussi en pente, ce qui contrevient à l’esprit de la limitation fonctionnelle qui consiste à limiter les distances de marche, plus particulièrement en terrain accidenté. Le travailleur a donc droit au paiement des frais engagés pour faire exécuter ces tâches d’entretien courant du domicile qu’il aurait effectuées lui-même n’eût été sa lésion.

[40]        Malgré la grandeur de son terrain, le travailleur n’a pas à marcher longtemps pour tondre son gazon et ramasser les feuilles alors qu’il dispose d’un tracteur pour ce faire. Il a recours à des entrepreneurs, depuis nombre d’années, pour le déneigement de la longue entrée et de la toiture. Il n’a pas été établi de façon probante qu’il aurait effectué ce déneigement lui-même n’eût été sa lésion professionnelle. Quant au déneigement manuel des cinq marches et de la petite galerie (patio), ce travail n’implique pas de marche prolongée ni de manipulation de charge sur une longue distance. De telles exigences ne sont pas non plus présentes lors de l’entretien autour de la maison, incluant les plates-bandes, avec le taille-bordure. Il s’agit, en outre, d’une tâche que le travailleur peut faire à son rythme. Il en est de même lors de sa participation au grand ménage annuel, comme le précise la CSST lors de son évaluation.

[41]        L’affirmation très générale de la part du docteur Roberge voulant que les nouvelles limitations fonctionnelles du travailleur l’empêchent d’effectuer l’entretien de sa maison et de son terrain ne saurait en soi justifier que la CSST assume des coûts reliés à l’entretien du domicile dans sa globalité. Encore faut-il que les limitations fonctionnelles soient suffisamment précises de manière à pouvoir en apprécier la compatibilité avec chacun des travaux d’entretien courant du domicile qu’aurait effectué le travailleur lui-même, n’eût été sa lésion professionnelle.

[42]        Le même constat s’impose au regard de l’opinion de ce médecin quant au risque d’aggravation de la lésion professionnelle que comporte l’exercice par le travailleur de l’ensemble des activités se rapportant à l’entretien intérieur et extérieur de son domicile, en sus de son emploi déjà très exigeant en termes d’horaire variable et de disponibilité pour faire des heures supplémentaires. Rappelons que le risque d’aggravation doit être relié à l’exercice d’une activité d’entretien courant du domicile incompatible avec les limitations fonctionnelles établies.

[43]        Les informations au soutien d’une analyse complémentaire pourront être fournies à la CSST par le docteur Roberge dans le cadre de son rapport d’évaluation médicale à être produit après la consolidation de la récidive, rechute ou aggravation en cours depuis juin 2013. Ce médecin pourra préciser davantage la nature et l’étendue des limitations fonctionnelles dont le travailleur demeure porteur à la suite de cette dernière lésion professionnelle. Il pourra également expliquer en quoi ces limitations fonctionnelles sont incompatibles avec les exigences propres à l’exécution des différents travaux d’entretien courant du domicile de la part du travailleur.

[44]        À même la preuve actuellement disponible, le tribunal conclut que les limitations fonctionnelles établies en rétrospective par le docteur Roberge justifient l’octroi d’une aide financière pour faire exécuter le nettoyage des gouttières, le lavage des vitres extérieures de même que le nettoyage et le débroussaillage du fossé et, éventuellement, la taille de la haie de cèdres. Il s’agit de travaux d’entretien courant du domicile qui contreviennent aux limitations fonctionnelles reliées à la lésion professionnelle, travaux que le travailleur n’est plus en mesure d’effectuer lui-même et dont les coûts peuvent lui être remboursés, moyennant la production de preuves justificatives, jusqu’à concurrence du montant maximal prévu annuellement en vertu de l’article 165 de la loi.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Denis Nolin, le travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative, le 27 février 2013;

DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais engagés pour faire exécuter les travaux d’entretien courant de son domicile suivants, soit le nettoyage des gouttières, le lavage des fenêtres extérieures, le débroussaillage et nettoyage du fossé et, éventuellement, la taille de la haie de cèdres.

 

 

 

__________________________________

 

Geneviève Marquis

 

 

 

 

Me Martin Savoie

TEAMSTERS QUÉBEC (C.C. 91)

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Benoît et Produits électriques Bezo ltée, C.L.P 144924-62-0008, 01-02-13, R.-L. Beaudoin.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.