Décision

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Barreau du Québec (syndique adjoint) c. Petrolito

2018 QCCDBQ 040

 

CONSEIL DE DISCIPLINE

 

BARREAU DU QUÉBEC

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N° :

06-16-03018

 

 

 

DATE :

 20 avril 2018

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE CONSEIL :

Me GEORGES LEDOUX

Président

Me AWATIF LAKHDAR

Membre

Me JEAN-FRANÇOIS MALLETTE

Membre

______________________________________________________________________

 

 

 

Me MARIE-CLAUDE THIBAULT, avocate, en sa qualité de syndique adjointe du Barreau du Québec

 

Partie plaignante

 

c.

 

« Me » ANTONELLA PETROLITO

 

Partie intimée

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT AU DEUXIÉME ALINÉE DE L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL A PRONONCÉ UNE ORDONNANCE DE NON-DIVULGATION, DE NON-PUBLICATION ET DE NON-DIFFUSION DU NOM DES CLIENTS MENTIONNÉS DANS LA PLAINTE, LORS DE L’AUDIENCE OU DANS LES PIÈCES PRODUITES AINSI QUE DE TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT DE LES IDENTIFIER, ET CE, AFIN D’ASSURER LA PROTECTION DE LEUR VIE PRIVÉE.

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL A AUSSI PRONONCÉ UNE ORDONNANCE DE NON-DIVULGATION, DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-ACCÈS DES PIÈCES SP-7, SP-8, SP-13, SP-14, SP-19, SP-24, SP-27, SP-34, SP-35, SP-37, SP-39 ET SP-41, ET CE, AFIN D’ASSURER LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DES CLIENTS DE L’INTIMÉE.

I - INTRODUCTION

[1]          Le Conseil de discipline s’est réuni pour procéder à l’audition de la plainte portée par la plaignante, Me Marie-Claude Thibault, contre l’intimée, « Me » Antonella Petrolito.

[2]          La plainte portée contre l’intimée est libellée ainsi:

1.            À Montréal, entre le ou vers le 11 avril 2016 et le 19 août 2016, date à laquelle elle est devenue inhabile à exercer la profession d’avocat, a utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles elle lui a été remise, une partie de la somme de 75 000 $ qui lui avait été confiée par son client, M. F.D, suite au jugement de l’honorable juge Sylviane Borenstein, daté du 10 décembre 2015, dans le dossier de la Cour supérieure portant le numéro [],, ordonnant le dépôt de 75 000 $ comme sûreté, contrevenant ainsi aux dispositions des articles 94 du Code de déontologie des avocats et 59.2 du Code des professions;

2.               À Montréal, entre le ou vers le 23 juin 2015 et le 19 août 2016, date à laquelle elle est devenue inhabile à exercer la profession d’avocat, a utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles elle lui avait été remise, la somme ou partie de la somme de 85 000 $ qui lui avait été confiée par l’ancien procureur de sa cliente, Mme C.P., et qui devait être conservée en fidéicommis jusqu’au règlement du dossier de la Cour supérieure portant le numéro [], ou jusqu’à ce que jugement soit rendu dans ce dossier, contrevenant ainsi aux dispositions des articles 94 du Code de déontologie des avocats et 59.2 du Code des professions;

3.               À Montréal, entre le ou vers le 12 août 2016 et le 19 août 2016, date à laquelle elle est devenue inhabile à exercer la profession d’avocat, a utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles elle lui avait été remise, la somme ou partie de la somme de 15 000 $ qui lui avait été confiée par son client M. A. D., à titre de provision pour frais payable à Mme A.F., suite au jugement rendu par l’honorable juge Jerry Zigman, le 13 mai 2016, dans le dossier de la Cour supérieure portant le numéro [],, contrevenant ainsi aux dispositions des articles 94 du Code de déontologie des avocats et 59.2 du Code des professions;

4.               À Montréal, entre le ou vers le 15 août 2016 et le 19 août 2016, date à laquelle elle est devenue inhabile à exercer la profession d’avocat, a utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles elle lui avait été remise, la somme ou partie de la somme de 6 618,56 $, à même le montant de 9 927,87 $ qui lui avait été confié par l’étude d’avocats Watson Goepel Maledy, suite au jugement rendu par l’honorable juge Wong le 29 mars 2010, dans le dossier de la Cour suprême de la Colombie-Britannique portant le numéro [], contrevenant ainsi aux dispositions des articles 94 du Code de déontologie des avocats et 59.2 du Code des professions;

5.               À Montréal, entre le ou vers le 20 avril 2016 et le 19 août 2016, date à laquelle elle est devenue inhabile à exercer la profession d’avocat, a fait preuve de négligence dans l’exécution du mandat qui lui avait été confié par ses clients, Mme A.F. et M. A.M., d’entreprendre des procédures judiciaires pour l’obtention d’un divorce conjoint, contrevenant ainsi aux dispositions des articles 39 du Code de déontologie des avocats et 59.2 du Code des professions;

6.               À Montréal, entre le ou vers le 20 avril 2016 et le 19 août 2016, date à laquelle elle est devenue inhabile à exercer la profession d’avocat, n’a pas rendu à ses clients, Mme A.F. et M. A.M., des services professionnels d’une valeur d’au moins 4 000$, soit la somme qu’elle a réclamée et perçue à titre d’avances d’honoraires et/ou déboursés, dans le cadre du mandat qui lui avait été confié d’entreprendre des procédures judiciaires pour l’obtention d’un divorce conjoint, s’appropriant ainsi la somme susdite ou une partie importante de celle-ci, contrevenant aux dispositions des articles 94 du Code de déontologie des avocats et 59.2 du Code des professions.

[3]          Lors de l’audience du 22 septembre 2017, l’intimée enregistre un plaidoyer de culpabilité relativement aux six chefs de la plainte. Considérant ce plaidoyer, le Conseil la déclare coupable de ces six chefs suivant les modalités plus amplement décrites au dispositif de la présente décision.

[4]          L’audition pour déterminer les sanctions devant être imposées à l’intimée a lieu le 25 janvier 2017. La plaignante demande au Conseil d’imposer à l’intimée une radiation temporaire de dix ans sur chacun des chefs 1 à 4, d’un an sur le chef 5 et de deux ans sur le chef 6, lesdites périodes de radiation devant être purgées concurremment.

[5]          Elle demande que le Conseil ordonne également à l’intimée de rembourser aux clients et/ou au Fonds d’indemnisation du Barreau du Québec les sommes visées par les diverses appropriations. Les modalités de ces ordonnances de remboursement sont reproduites dans le cadre la présente décision.

[6]          De plus, elle suggère qu’un avis de la décision soit publié et que les frais de publication de cet avis soient assumés par l’intimée ainsi que les déboursés prévus par le quatrième alinéa de l’article 151 du Code des professions.

[7]          Pour sa part, l’intimée demande au conseil de lui imposer une période de radiation temporaire de cinq ans sur chacun des chefs 1 à 4 et qu’une amende lui soit imposée sur chacun des chefs 5 et 6.

[8]          Relativement aux amendes pouvant lui être imposées, l’intimée n’a aucune représentation à faire quant au montant minimal de l’amende applicable même si elle a été informée de l’entrée en vigueur le 8 juin 2017 de modifications aux amendes prévues aux articles 156 c) du Code des professions et à l’interprétation préconisée quant à l’application immédiate de ces dispositions[1]. Elle laisse au Conseil le soin de décider du montant de cette amende pour chacun des chefs 5 et 6.

[9]          L’intimée s’en remet à la discrétion du Conseil relativement aux ordonnances de remboursement aux clients et/ou au Fonds d’indemnisation du Barreau du Québec des sommes visées par les diverses appropriations ainsi que concernant le paiement des déboursés prévus par le quatrième alinéa de l’article 151 du Code des professions.

[10]       Elle demande toutefois au Conseil de dispenser la secrétaire du Conseil de l’obligation de publier l’avis de la décision pour les motifs plus longuement exposés dans la présente décision.

II - QUESTIONS EN LITIGE

[11]       Le Conseil doit répondre aux questions en litige suivantes :

A)   Quelle est la sanction que le Conseil doit imposer à l’intimée pour chacun des six chefs d’infraction de la plainte, et ce, en tenant compte des circonstances propres à ce dossier ?

B)   Le Conseil doit-il accorder une dispense de publication de l’avis de la décision prévu par le cinquième alinéa de l’article 156 du Code des professions ?

C)   Le Conseil doit-il émettre une ordonnance de remboursement des diverses sommes à l’endroit de l’intimée concernant les chefs 1, 2, 3, 4 et 6 de la présente plainte ?

D)    Le Conseil doit-il dispenser l’intimée du paiement des déboursés prévus par le quatrième alinéa de l’article 151 du Code des professions ?

III - CONTEXTE

Preuve de la plaignante

[12]       La plaignante produit, de consentement, diverses pièces[2]. Le statut de l’intimée est inchangé depuis l’audition du 22 septembre 2017[3].

[13]       Elle est devenue inhabile à exercer la profession depuis 19 août 2016 à la suite d’une cession de biens.

[14]       L’intimée est membre du Barreau du Québec depuis le 13 janvier 1989 et a été inscrite au tableau pour les diverses dates prévues à la plainte.

[15]       La plaignante dépose un précis des faits concernant les chefs 1 à 6[4].

[16]       Pour chacun des chefs 1 à 6, la preuve peut être résumée ainsi.

Chef 1

[17]       L’intimée reçoit le 14 décembre 2015 un chèque de 75 000 $ de son client, la somme devant être utilisée pour le paiement d’une pension alimentaire et le paiement de frais particuliers pour l’enfant.

[18]       Entre le mois de mars 2016 et le mois de juillet 2016, l’intimée émet des chèques pour la somme totale de 39 241,91 $ pour les fins décrites précédemment[5].

[19]       Le 13 juillet 2016, le solde du compte en fidéicommis (CEF) de l’intimée, soit la somme de 21 071,77 $, est transféré dans un compte particulier en fidéicommis (CPF) détenu pour un autre client.

[20]       À cette date, l’intimé aurait dû détenir la somme de 35 758,09 $. Or, le 20 juillet 2016, le solde du compte en fidéicommis de l’intimée est de 0 $ et il est fermé par l’intimée.

[21]       Le 4 août 2016, l’intimée émet deux chèques de son CPF pour des sommes respectives de 6 597 $ et de 1 854,98 $.

[22]       Le 19 août 2016, l’intimée fait cession de ses biens et devient inhabile à exercer la profession[6].

[23]       Le 23 septembre 2016, le CPF de l’intimée est fermé et le solde s’élève alors à la somme de 45,85 $.

[24]       En résumé, à cette date, une somme de 27 306,11 $ aurait dû être détenue en fidéicommis pour le compte du client de l’intimée. Aucune somme n’a été remise à l’autre partie ni à son avocate.

Chef 2

[25]       L’intimée représente une cliente dans un dossier de la Cour supérieure.

[26]       Le 25 janvier 2015, les parties conviennent qu’une somme de 85 000 $ sera détenue en fidéicommis par l’intimée.

[27]        Cette somme lui est remise le 22 juin 2015, laquelle est déposée dans son CEF.

[28]       Le 23 juin 2015, l’enquête révèle que le solde du CEF de l’intimée était inférieur à la somme de 85 000 $.

[29]       Le 13 juillet 2016, le solde du CEF de l’intimée qui est de 21 071,77 $ est transféré dans un CPF détenu par l’intimée pour un tout autre client.

[30]       Entre le 22 juin 2015 et le 20 juillet 2016, date de fermeture du CEF de l’intimée, aucune somme n’est remise au client de l’intimée, à l’autre partie ou à son avocat.

[31]       Au mois de juillet 2016, l’intimée aurait dû détenir la somme de 85 000 $ dans le dossier de son client.

[32]       Le 19 août 2016, l’intimée devient inhabile à exercer la profession à la suite de sa cession de biens.

[33]       Le 23 septembre 2016, le CPF est fermé et le solde de ce compte à sa fermeture s’établit à la somme de 45,85 $.

[34]       Ainsi, le dossier révèle qu’aucune somme n’a été remise par l’intimée à sa cliente, à l’autre partie ou à son avocat.

Chef 3

[35]       L’intimée représente un client dans des procédures familiales devant la Cour supérieure.

[36]       Suite à l’ordonnance rendue par la Cour supérieure, son client doit payer une provision pour frais de 15 000 $, en deux versements de 7 500 $ chacun.

[37]       Le 14 juin 2016, le client de l’intimée lui remet un chèque de 7 500 $ qu’elle dépose dans son CEF. Le 12 juillet 2016, un second chèque de 7 500 $ lui est remis et est aussi déposé dans ce compte.

[38]       Le 13 juillet 2016, le solde du CEF de l’intimé est transféré dans un CPF détenu par l’intimée pour un client qui n’a pas de lien avec le client visé par le chef 3.

[39]       Le 20 juillet 2016, le CEF de l’intimée est fermé alors que le solde est de 0 $.

[40]       Le 19 août 2016, l’intimée devient inhabile à exercer la profession à la suite de sa cession de biens.

[41]       Le 9 septembre 2016, à la suite de la saisie des comptes bancaires du client de l’intimée par l’avocate de l’autre partie, une somme de 5 452,74 $ a été remise à cette avocate par le client de l’intimée.

[42]       Considérant le défaut de l’intimée de remettre les sommes qu’elle devait détenir, le 20 septembre 2016, le client est dans l’obligation de remettre à l’avocate de l’autre partie, une traite bancaire de 9 547,26 $ représentant le solde de la provision pour frais qu’il devait verser à la suite de l’ordonnance de la Cour supérieure ainsi que les frais de saisie.

[43]       Le 23 septembre 2016, le CPF de l’intimée est fermé et le solde de ce compte à sa fermeture est de 45,85 $.

[44]       En résumé, aucune somme n’a été remise par l’intimée à son client, à l’autre partie ou à l’avocate de ce dernier.

Chef 4

[45]       À la suite d’un jugement rendu par la Cour suprême de la Colombie-Britannique le 29 mars 2010, il est ordonné que des montants forfaitaires soient déposés dans le CEF de l’intimée pour chacun des enfants des parties[7].

[46]       Ces montants devaient être utilisés pour le paiement des études de ces enfants.

[47]       Ainsi, l’intimée devait les conserver et les remettre à chaque enfant dès qu’il atteindrait l’âge de 22 ans.

[48]       Au mois de mai 2010, l’intimée a ouvert deux CPF pour chacun des enfants et a déposé pour chacun d’eux la somme de 9 927,87 $.

[49]       Au 30 juin 2016, le CPF de l’un des enfants s’élevait à la somme de 6 618,56 $.

[50]       Le 13 juillet 2016, l’intimée a transféré dans le CPF de cet enfant la somme de 21 071,77 $ représentant le solde de son compte général en fidéicommis[8].

[51]       Le 28 juillet 2016, l’avocat de l’enfant a écrit à l’intimée pour lui demander de libérer les sommes détenues pour l’un des enfants ayant atteint l’âge de 22 ans, demande à laquelle l’intimée n’a pas donné suite[9].

[52]       Le 19 août 2016, l’intimée devient inhabile à exercer la profession à la suite de sa cession de biens.

[53]       Le 23 septembre 2016, le CPF détenu par l’intimée pour l’enfant est fermé et à cette date, le solde est de 45,85 $.

[54]       En conclusion, aucune somme n’a été remise à l’enfant ni à une autre personne au profit de l’enfant.

Chefs 5 et 6

[55]       Le 20 avril 2016, une cliente de l’intimée lui remet un chèque de 4 000 $ pour entreprendre des procédures conjointes en divorce.

[56]       Ce chèque est déposé le même jour dans le compte d’affaires de l’intimée.

[57]       Le 29 avril 2016, le solde de ce compte d’affaires s’élevait à la somme de 5,34 $.

[58]        Le 19 août 2016, l’intimée devient inhabile à exercer la profession à la suite de sa cession de biens.

[59]       Le 30 août 2016, la cliente de l’intimée ainsi que son conjoint écrivent au Bureau du syndic du Barreau du Québec pour récupérer leur dossier et connaître l’évolution de celui-ci.

[60]       À la suite de la prise de possession des dossiers de l’intimée par le Bureau du syndic, il n’est pas possible prendre possession du dossier de la cliente de l’intimée.

[61]       Ce n’est que le 9 janvier 2017 que l’intimée se présente au Bureau du syndic et remet le dossier de sa cliente dans lequel elle devait entreprendre une demande conjointe en divorce.

[62]       Aucune procédure de divorce n’a été entreprise au nom de la cliente de l’intimée et de son conjoint.

[63]       L’intimée n’a jamais donné suite à la lettre qui lui a été transmise par la plaignante le 2 septembre 2016.

[64]       De même, l’intimée n’a jamais transmis de compte d’honoraires à sa cliente et  aucune somme d’argent ne lui a été remboursée par l’intimée.

PREUVE DE L’INTIMÉE

[65]       L’intimée produit une preuve documentaire[10], témoigne également et fait entendre un témoin.

Témoignage de l’intimée

[66]       L’intimée mentionne qu’elle est avocate depuis 1990. Elle maitrise cinq langues suite à l’obtention de divers baccalauréats, dont en biologie et en langues.

[67]       Elle a exercé en pratique privée depuis 2007, notamment en droit familial. Elle pouvait compter sur une bonne clientèle rentable et fidèle.

[68]       Elle relate qu’elle a connu des nombreuses difficultés personnelles et financières qu’elle a décrites avec beaucoup d’émotions lors de l’audience. Le Conseil ne croit pas utile de reproduire la trame de ces évènements dans le cadre de la présente décision.

[69]       L’intimée reconnaît toutefois que ces difficultés l’ont amenée à utiliser les sommes détenues en fidéicommis pour ses clients.

[70]       Ensuite, elle a connu des ennuis de santé qui font en sorte qu’elle décide de consulter des professionnels. Elle veut obtenir de l’aide et consulte une première fois dès le mois de mars 2016[11].

[71]       À la suite de sa faillite, elle a dû renoncer à son titre d’avocate et à sa profession qu’elle aimait.

[72]       Ses difficultés financières l’ont obligée à faire cession de ses biens.

[73]       Elle travaille actuellement à temps partiel comme assistante légale pour un avocat, et ce, depuis le printemps 2017. Elle a aussi fait de nombreuses démarches dans le but de se trouver un emploi, lesquelles sont cependant demeurées infructueuses[12].

[74]       Elle exprime des remords et des regrets pour les gestes qu’elle a posés et dit avoir pris conscience des conséquences de ceux-ci pour les clients qui ont été affectés.

[75]       L’intimée indique qu’elle a reconnu les faits en signant un plaidoyer de culpabilité dès le mois de février 2017[13].

[76]       Enfin, elle doute pouvoir retourner un jour à la pratique du droit.

Témoignage de Me Nadia Petrolito

[77]       Le témoin est la sœur de l’intimée. Elle est avocate depuis 1998 et occupe le poste de vice-présidente Affaires juridiques et Communications dans une grande société.

[78]       Elle a donné quelques entrevues dans les médias montréalais en raison des fonctions qu’elle occupe. Elle a beaucoup d’amis et de collègues qui sont avocats et avocates.

[79]       Elle affirme cependant qu’elle n’a jamais discuté avec eux de la situation de sa sœur ni avec les personnes qu’elle connait dans son milieu de travail.

[80]       Elle relate que depuis 2015, l’intimée a connu des difficultés personnelles et financières et que celles-ci ont mené à sa faillite et aux démêlées qu’elle a actuellement avec le Barreau du Québec.

[81]       En soutien à la demande de l’intimée visant à dispenser la secrétaire du Conseil de l’obligation de procéder à la publication de l’avis de la décision dans un journal, le témoin mentionne que seulement elle et sa sœur portent le même patronyme.

[82]       Elle est d’avis que cette publication de l’avis de la décision dans un journal aura des effets négatifs tant pour sa sœur que pour elle.

Position de la plaignante

[83]       La plaignante suggère des périodes de radiation temporaires de dix ans sur chacun des chefs 1 à 4, d’un an sur le chef 5 et de deux ans sur le chef 6.

[84]       Elle demande aussi qu’en raison de la nature des infractions d’appropriation, le Conseil prononce des ordonnances de remboursement en faveur des clients lésés ou du Fonds d’indemnisation du Barreau du Québec.

[85]       Pour les divers chefs de la plainte, la plaignante demande au Conseil d’émettre une ordonnance de remboursement aux personnes lésées pour les sommes suivantes :

a)    Chef 1 : 27 306,11 $;

b)    Chef 2 : 85 000 $;

c)    Chef 3 : 15 000 $;

d)    Chef 4 : 6 618,50 $;

e)    Chef 6 : 4 000 $.

[86]       La plaignante insiste sur les critères que doivent posséder les sanctions réclamées en pareilles circonstances et présente les facteurs qui ont été pris en compte dans l’élaboration des suggestions de sanctions.

[87]        La plaignante demande de tenir compte notamment de la nature et de la gravité objective des six chefs infractions pour lesquels l’intimée a plaidé coupable.

[88]        Cinq de ces chefs visent de l’appropriation. Dans de tels cas, une radiation temporaire doit être imposée selon la loi[14].

[89]        Les manquements commis par l’intimée se situent au cœur de la profession d’avocat. De plus, il y a pluralité d’infractions de même nature commises entre juin 2015 et août 2016, les sommes visées par l’appropriation sont substantielles (plus de 100 000 $) et six clients, et même des tiers, ont été directement affectés par les manquements reprochés à l’intimée. Dans un cas, l’un a été l’objet d’une saisie et dans l’autre cas une pension alimentaire n’a pas été versée.

[90]        Dans les facteurs subjectifs, la plaignante demande de tenir compte de l’âge de l’intimée. Elle a 51 ans et compte 14 ans d’expérience au moment des faits.

[91]        La plaignante demande aussi de tenir compte des antécédents de l’intimée[15].

[92]        L’intimée a fait l’objet de trois plaintes disciplinaires pour des infractions commises en 1997. Elle a été radiée temporairement pour six mois le 9 février 1999 par le Conseil de discipline pour s’être approprié une somme de 350 $ appartenant à son client[16].

[93]        Le 8 mai 1999, le Conseil de discipline lui a imposé une radiation temporaire de deux mois pour s’être approprié sans droit une somme de 1 000 $ qu’elle avait illégalement réclamée et obtenue de son client[17].

[94]        Enfin, le 6 juillet 1999, le Conseil de discipline lui a imposé une radiation temporaire de deux ans pour appropriation d’une somme de 2 000 $ appartenant à son client[18].

[95]        La plaignante se montre également préoccupée par la situation qui a conduit l’intimée a fait cession de ses biens une seconde fois.

[96]        Sans affirmer qu’il s’agit en partie des sommes qu’elle s’est appropriées, les documents déposés dans le cadre de sa cession de biens[19] permettent de constater que l’intimée a retiré du Casino de Montréal, une somme de 287 195 $ de son compte d’affaires entre mai 2014 et mars 2016.

[97]        La plaignante tient également à souligner que la collaboration de l’intimée n’a pas été entièrement acquise, puisqu’elle n’a pas offert une pleine collaboration avant le 3 février 2017.

[98]        La plaignante juge également le risque de récidive de l’intimée est très élevé.

[99]        La plaignante produit des autorités au soutien de sa position[20], lesquels sont abordés par le Conseil dans son Analyse.

Position de l’intimée

[100]    L’intimée plaide que les sanctions réclamées par la plaignante sont sévères et indument punitives.

[101]    Elle reconnait qu’elle a trois antécédents, mais qu’il s’agit d’évènements qui se sont produits alors qu’elle était une jeune avocate et qu’elle n’avait pas beaucoup d’expérience.

[102]    Elle ajoute que ce sont des difficultés personnelles qui l’ont conduite à sa faillite et qu’elle a tout perdu. Du jour au lendemain, le Barreau a saisi tous ses dossiers.

[103]    Elle ne peut plus exercer la profession d’avocate qu’elle aimait. De plus, elle vit des problèmes de santé importants.

[104]    Elle soutient qu’elle a offert sa collaboration au Bureau du syndic dès le mois de février en signant un plaidoyer de culpabilité[21].

[105]    L’intimée ajoute que sa situation financière précaire ne lui a permis de rembourser même en partie les sommes qu’elle s’est appropriées.

[106]    Elle estime que les circonstances de la présente affaire, et en particulier les faits invoqués dans le cadre du témoignage de sa sœur, justifient sa demande de ne pas publier l’avis de la décision dans un journal.

[107]    En terminant, elle produit des autorités au soutien de son argumentation[22], lesquelles sont aussi examinées par le Conseil dans son Analyse.

IV - ANALYSE

[108]    L’intimée a été reconnue coupable de six chefs d‘infraction dont cinq ont comme disposition de rattachement l’article 94 du Code de déontologie des avocats[23] :

94. L’avocat conserve en fidéicommis les sommes ainsi que les autres biens qu’un client ou un tiers lui a confiés. Il ne peut notamment les prêter ou les utiliser à d’autres fins que celles pour lesquelles ils lui ont été confiés.

[109]    Quant au chef 5, il est en lien avec l’article 39 dudit Code.

39. L’avocat fait preuve d’une disponibilité et d’une diligence raisonnables pour la réalisation des diverses tâches professionnelles reliées au mandat.

[110]     L’intimée a été déclarée coupable d’actes contraires à des dispositions importantes régissant la profession d’avocate. Ces manquements minent la confiance du public à l’égard de cette profession.

[111]     La sanction vise non pas à punir le professionnel fautif, mais à assurer la protection du public.

[112]     Le Conseil rappelle l’enseignement de la Cour d’appel[24] en regard des divers critères devant le guider lors de l’imposition d’une sanction.

[113]     Il est acquis qu’au cours de cet exercice d’évaluation et d’analyse, le Conseil doit considérer que la sanction qu’il entend imposer doit être proportionnelle à la gravité du manquement qui est reproché à la partie intimée et être individualisée, en ce qu’elle doit correspondre aux circonstances propres à sa situation.

[114]     « Chaque cas est un cas d’espèce[25] ». Comme l’a enseigné la Cour d’appel, le Conseil doit imposer une sanction seulement après avoir pris en considération tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier.

Les facteurs objectifs

[115]     Dans le présent dossier, l’intimée a porté atteinte à la protection du public.

[116]     En matière de gravité objective, les gestes reprochés à l’intimée constituent des infractions parmi les plus sérieuses pouvant être commises par une avocate et portent ombrage à l’ensemble de la profession.

[117]     L’intimée a contrevenu à ses obligations qui se situent au cœur même de l’exercice de sa profession d’avocate.

[118]     Le volet d’exemplarité doit être reflété par les sanctions que le Conseil doit imposer. Il s’agit de l’un des objectifs reconnus dans le cadre de l’imposition d’une sanction en droit disciplinaire.

[119]     Cette notion d’exemplarité trouve son fondement dans la gravité des infractions commises par l’intimée et dans la nécessité d’assurer la protection du public.

[120]     La sanction à être imposée doit être significative afin d’avoir un caractère dissuasif. En effet, une sanction qui se veut généralement dissuasive est celle qui vise à décourager ou à empêcher les autres membres de la profession de poser les mêmes gestes que ceux qui ont été reprochés à l’intimée[26].

Les facteurs subjectifs

[121]     L’intimée présente des facteurs atténuants que le Conseil considère dans la détermination de la sanction.

[122]     L’intimée a reconnu les faits et a plaidé coupable dès le mois de février 2017.

[123]     Elle a aussi exprimé des remords et des regrets.

[124]     Cependant, le dossier de l’intimée présente plusieurs facteurs aggravants.

[125]     L’intimée a posé des gestes graves mettant directement en cause les qualités d’honnêteté et d’intégrité dont doit faire preuve tout avocat.

[126]     Le Conseil doit aussi considérer la durée et la pluralité des infractions ainsi que les conséquences de celles-ci pour les clients de l’intimée et même pour des tiers.

[127]     Par ailleurs, l’intimée a trois antécédents disciplinaires et le Conseil est d’avis que le risque de récidive de l’intimée est élevé.

[128]     En dépit des trois décisions rendues à son endroit en 1999, dont l’une lui imposait une radiation temporaire de deux ans, l’intimée n’a pas modifié sa conduite et fait toujours fi de ses obligations déontologiques.

L’examen des autorités produites par les parties

[129]     Le Conseil aborde en premier lieu les autorités soumises par la plaignante.

[130]     Dans Bourget[27], l’avocat fait l’objet de trois plaintes dans trois dossiers distincts, dont l’une en lien avec une appropriation d’une somme de 28 000 $.

[131]     À la suite d’une recommandation conjointe et en l’absence d’antécédents, une radiation temporaire de cinq ans lui est imposée. Une ordonnance de remboursement est prononcée par le Conseil de discipline.

[132]     Dans l’affaire Thomas[28], l’avocat s’approprie une somme de 75 000 $. Le Conseil lui impose une radiation temporaire de dix ans. Le Conseil émet aussi une ordonnance de remboursement.

[133]     Dans la décision Rhéaume-Lightner[29], une avocate s’approprie une somme de plus de 100 000 $  de ses clients pendant une période de deux ans (chefs 3 et 4). Pour chacun de ces chefs, le Conseil lui impose une radiation temporaire de dix ans.

[134]     Dans Malamud[30], une radiation temporaire de sept ans est imposée à l’avocat pour l’appropriation d’une somme de 212 000 $.

[135]     Dans l’affaire Morin[31], l’avocat fait l’objet d’une plainte pour deux chefs d’appropriation pour des sommes de 134 000 $ et 65 000 $. Pour le premier chef, une radiation temporaire de douze ans est imposée et de dix ans pour le second chef.

[136]     Dans Maloney[32], le Conseil impose une radiation temporaire de dix ans à l’avocat qui s’est approprié une somme de plus de 76 000 $. L’avocat n’a pas antécédents disciplinaires et avait remboursé en partie les sommes visées.

[137]     Dans l’affaire Pomminville[33], le Tribunal des professions confirme la radiation temporaire de huit ans imposée par le conseil de discipline sur chacun des 4 chefs impliquant au total une appropriation de plus de 180 000 $. L’avocat n’avait pas d’antécédents et avait remboursé certaines sommes à ses clients.

[138]     Dans l’affaire Dion[34], le conseil de discipline impose une radiation temporaire de trois ans dans un cas d’appropriation de 5 000 $.

[139]     L’examen des autorités de l’intimée permet de faire les constats suivants. Dans une décision récente, l’avocat Chahwan[35] est radié temporairement pour 18 mois sur chacun des 9 chefs suivant lesquels il s’est approprié des sommes variant pour chacun de ces chefs, entre 900 $ et 1 750 $.

[140]     Le Conseil précise que les autres décisions soumises par l’intimée, soit celles rendues par le conseil de discipline du Barreau du Québec dans les affaires Constantine[36] et Bacon[37] ne peuvent pas être retenues par le Conseil en raison des circonstances différentes prévalant dans ces affaires.

[141]     En effet, les actes reprochés à l’avocat Constantine ne sont pas de même nature. Le chef 2 vise une infraction jugée la plus grave, soit d’avoir fait une déclaration qu’il savait fausse devant un juge de la Cour supérieure. Le Conseil impose à l’avocat une radiation temporaire de trois mois et un jour.

[142]     Dans le dossier Bacon, la trame factuelle est différente ainsi que les sommes en cause. La notaire doit répondre de deux chefs d’appropriation (chefs 1 et 2) pour une somme d’environ 42 000 $. Elle rembourse une somme de 25 000 $ à ses clients. Une recommandation conjointe est présentée par les parties et le Conseil l’accepte. Le Conseil impose à la notaire des radiations temporaires de six mois sur chacun de ces chefs.

[143]     Après un examen attentif des autorités soumises, le Conseil est d’avis que les sanctions proposées par l’intimée pour les chefs 1 à 4, soit une radiation temporaire de cinq ans et une amende de 2 500 $ sur chacun des chefs 5 et 6 ne prennent pas suffisamment en considération la gravité objective des infractions qu’elle a commises et la présence de nombreux facteurs aggravants, notamment ses trois antécédents disciplinaires. En résumé, cette suggestion de sanctions n’assure pas adéquatement la protection du public.

[144]     Le Conseil retient les autorités produites par la partie plaignante et juge que la protection du public du public doit être assurée par l’imposition de périodes de radiations temporaires plus longues, soit des radiations temporaires respectives de dix ans, d’un an et de deux ans.  

[145]     De l’avis du Conseil, les sanctions proposées par la plaignante s’inscrivent davantage dans le spectre des sanctions qui ont été imposées dans des cas semblables.

[146]     Pour le Conseil, il s’agit de sanctions justes et raisonnables qui s’inscrivent dans l’objectif de la protection du public.

[147]     Considérant les conclusions auxquelles il en arrive et qui écartent le recours à l’imposition d’une amende pour les chefs 5 et 6, le Conseil décide qu’il n’est pas nécessaire d’aborder et d’analyser la question de l’application immédiate des nouvelles dispositions de l’article 156 du Code des professions.

[148]    Concernant l’application des diverses périodes de radiation, le Conseil a pris acte que l’intimée n’était pas inscrite au tableau de l’Ordre lors de l’audience sur sanction.

[149]     Pour les motifs exprimés dans l’affaire Guillaume[38], le Conseil décide que les diverses périodes de radiation temporaire imposées dans le cadre de la présente décision seront purgées et que toutes les modalités de la présente décision seront applicables dès que celle-ci deviendra exécutoire.

LA DISPENSE DE PUBLICATION DE L’AVIS DE LA DÉCISION

B - Le Conseil doit-il accorder une dispense de publication de l’avis de la décision prévu par le cinquième alinéa de l’article 156 du Code des professions 

[150]     Sur la base de la preuve présentée et en particulier selon le témoignage de sa sœur, l’intimée a demandé au Conseil d’accorder une dispense de publication de l’avis de la décision dans un journal.

[151]     Le Conseil comprend la préoccupation de l’intimée concernant cette publication. Toutefois, le Conseil estime que la preuve présentée au soutien de sa demande n’est pas suffisante pour obtenir une dispense.

[152]     L’effet d’une telle publication pour l’intimée et pour sa sœur est une conséquence que l’intimée doit assumer. Il s’agit d’une modalité qui est directement liée aux sanctions devant être imposées à l’intimée à la suite des infractions qu’elle a commises.

[153]    Le Conseil rappelle que la publication de l’avis de la décision est destinée à la protection et à l’information du public.

[154]    Le Conseil a examiné les autorités soumises par l’intimée à l’appui de sa demande de dispense[39].

[155]    Toutefois, le Conseil rappelle que selon les enseignements du Tribunal des professions[40], une telle dispense n’est accordée qu’exceptionnellement et que chaque dossier doit faire l’objet d’un examen en fonction des circonstances qui lui sont propres.

[156]     Selon les enseignements du Tribunal des professions, le Conseil doit examiner attentivement les motifs invoqués et s’assurer qu’ils sont suffisants pour ordonner une telle dispense.

[157]     Dans le présent dossier et selon la preuve présentée, le Conseil juge que l’intimée n’a pas fait la démonstration de circonstances exceptionnelles pouvant justifier une dispense de publication.

[158]     Ainsi, le Conseil ordonne la publication d’un avis de la décision dans un journal où l’intimée avait son domicile professionnel, le tout conformément au cinquième alinéa de l’article 156 du Code des professions. Les frais de cette publication seront assumés par l’intimée.

C - Le Conseil doit-il émettre une ordonnance de remboursement des diverses sommes à l’endroit de l’intimée concernant les chefs 1, 2, 3, 4 et 6 de la présente plainte ?

[159]    Le Conseil a examiné les autorités soumises par la plaignante à ce sujet.

[160]    Comme le soulignait la plaignante, l’intimée a été déclarée coupable d’appropriation ou d’utilisation à d’autres fins de sommes d’argent qu’elle détenait ou devait détenir pour une personne.

[161]    À l’appui de sa demande, la plaignante plaide les dispositions de l’article 156 d) du Code des professions qui est libellé ainsi :

156. Le conseil de discipline impose au professionnel déclaré coupable d’une infraction visée à l’article 116, une ou plusieurs des sanctions suivantes sur chacun des chefs contenus dans la plainte:

d) l’obligation de remettre à toute personne à qui elle revient une somme d’argent que le professionnel détient ou devrait détenir pour elle.

[Nos soulignements]

[162]    L’objectif de cette disposition est énoncé dans le jugement rendu en 2008 par le Tribunal des professions dans Hébert[41] où il écrit :

[51] Il est évident que ces deux dispositions législatives (156 d) et 159 du Code des professions) visent à permettre la restitution des prestations et assurer une remise en état des parties. L’objectif de cette sanction est d’accorder aux personnes lésées la possibilité de récupérer les sommes d’argent confiées au professionnel, mais détournées par celui-ci.

[Nos soulignements]

[163]    Dans un autre jugement, le Tribunal des professions[42] précise l’interprétation à donner à l’article 156 d) du Code des professions :

« […] le paragraphe d) doit viser généralement la situation du professionnel qui s’est vu confier une somme d’argent utilisée à une autre chose que celle pour laquelle elle lui avait [été] remise.

[50] On y détermine que l’ordonnance de remboursement s’applique même si le professionnel ne détient plus la somme d’argent pour le client, mais on n’y précise pas les critères justifiant d’émettre ladite ordonnance. D’ailleurs, le législateur n’en prévoit pas non plus.

[51]  Il est évident que ces deux dispositions législatives (156 d) et 159 du Code des professions) visent à permettre la restitution des prestations et assurer une remise en état des parties. L’objectif de cette sanction est d’accorder aux personnes lésées la possibilité de récupérer les sommes d’argent confiées au professionnel, mais détournées par celui-ci.

[52]  Cette sanction n’est pas subordonnée à la capacité financière du professionnel d’effectuer le remboursement sinon, elle ne pourrait probablement jamais être imposée. D’ailleurs, ce sont généralement les difficultés financières du professionnel qui entraînent l’utilisation des sommes détenues pour des clients et l’impossibilité de les rembourser.

[53]  Le Tribunal estime que l’ordonnance de « remettre à toute personne à qui elle revient » doit être envisagée si la preuve établit que la somme d’argent confiée au professionnel n’est plus en sa possession, au motif qu’il l’aurait versée à un tiers, détournée à son profit ou utilisée à une autre fin que celle pour laquelle il la détenait.

[54]  S’agissant d’une sanction imposable par le Comité de discipline, elle demeure assujettie à la grande discrétion confiée aux membres le constituant et comme toute discrétion judiciaire, elle doit être exercée judiciairement en respect des principes développés par la jurisprudence.

[Nos soulignements]

[164]    En 2014 et plus récemment en 2017, le Tribunal des professions a rendu deux autres jugements sur les conditions d’ouverture à une telle ordonnance[43].

[165]    Selon ces enseignements, le Conseil estime qu’il est opportun, dans les circonstances de la présente affaire, de donner suite à la demande de la plaignante et d’émettre une ordonnance de remboursement en vertu de l’article 156 d) du Code des professions concernant les chefs 1, 2, 3, 4 et 6 de la plainte, les sommes visées par ces ordonnances de remboursement étant reproduites dans le dispositif de la présente décision.

LES DÉBOURSÉS

D)   Le Conseil doit-il dispenser l’intimée du paiement des déboursés prévus par le quatrième alinéa de l’article 151 du Code des professions ?

[166]     Le Conseil doit décider des déboursés devant être imposés à l’intimée selon la demande de la plaignante.

[167]     Pour sa part, l’intimée s’en remet à la discrétion du Conseil.

[168]     Le Conseil rappelle la règle suivant laquelle la partie qui succombe doit supporter les déboursés du dossier.

[169]     Dans son arrêt Murphy c. Chambre de la sécurité financière, la Cour d’appel réitère le principe général que la partie qui succombe assume les frais du dossier[44], lequel a été repris par différents conseils de discipline[45].

[170]     L’intimée n’a pas présenté une preuve au soutien d’une dispense ou d’une mitigation des déboursés pouvant lui être imposés. En l’absence de motifs suffisants, le Conseil décide de ne pas dispenser l’intimée du paiement des déboursés.

[171]     Conséquemment, l’intimée est condamnée au paiement de tous les déboursés prévus par le quatrième alinéa de l’article 151 du Code des professions.

POUR CES MOTIFS, LE CONSEIL, UNANIMEMENT :

LE 22 SEPTEMBRE 2017 :

SOUS LE CHEF 1

[172]    A DÉCLARÉ l’intimée coupable à l’égard de l’infraction fondée sur l’article 94 du Code de déontologie des avocats (RLRQ, c. B-1, r.3.1).

[173]    A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 59.2 du Code des professions.

SOUS LE CHEF 2

[174]    A DÉCLARÉ l’intimée coupable à l’égard de l’infraction fondée sur l’article 94 du Code de déontologie des avocats (RLRQ, c. B-1, r.3.1).

[175]    A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 59.2 du Code des professions.

[176]    CHEF 3

[177]    A DÉCLARÉ l’intimée coupable à l’égard de l’infraction fondée sur l’article 94 du Code de déontologie des avocats (RLRQ, c. B-1, r.3.1).

[178]    A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 59.2 du Code des professions.

CHEF 4

[179]    A DÉCLARÉ l’intimée coupable à l’égard de l’infraction fondée sur l’article 94 du Code de déontologie des avocats (RLRQ, c. B-1, r.3.1)

[180]    A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 59.2 du Code des professions.

CHEF 5

[181]    A DÉCLARÉ l’intimée coupable à l’égard de l’infraction fondée sur l’article 39 du Code de déontologie des avocats (RLRQ, c. B-1, r.3.1).

[182]    A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 59.2 du Code des professions.

CHEF 6

[183]    A DÉCLARÉ l’intimée coupable à l’égard de l’infraction fondée sur l’article 94 du Code de déontologie des avocats (RLRQ, c. B-1, r.3.1).

[184]    A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 59.2 du Code des professions.

ET CE JOUR:

SOUS LE CHEF 1 :

[185]    IMPOSE à l’intimée une radiation temporaire de 10 ans.

[186]    ORDONNE à l’intimée de rembourser à M. F.D. la somme de 27 306,11 $.

SOUS LE CHEF 2 :

[187]    IMPOSE à l’intimée une radiation temporaire de 10 ans.

[188]    ORDONNE à l’intimée de rembourser à Mme C.P. la somme de 85 000 $.

SOUS LE CHEF 3 :

[189]    IMPOSE à l’intimée une radiation temporaire de 10 ans.

[190]    ORDONNE à l’intimée de rembourser à M. A.D. la somme de 15 000 $.

SOUS LE CHEF 4 :

[191]    IMPOSE à l’intimée une radiation temporaire de 10 ans.

[192]    ORDONNE à l’intimée de rembourser à l’étude Watson, Goepel et Maledy la somme de 6 618,50 $.

SOUS LE CHEF 5 :

[193]    IMPOSE à l’intimée une radiation temporaire d’un an.

[194]    SOUS LE CHEF 6 :

[195]    IMPOSE à l’intimée une radiation temporaire de deux ans.

[196]    ORDONNE à l’intimée de rembourser à Mme A.F. et M. A.M. la somme de 4 000 $.

[197]    ORDONNE que ces périodes de radiation temporaire soient purgées de façon concurrente.

[198]    ORDONNE qu’un avis de la présente décision soit publié dans un journal circulant dans le lieu où l’intimée avait son domicile professionnel.

[199]    CONDAMNE l’intimée au paiement des déboursés prévus par le quatrième alinéa de l’article 151 du Code des professions, incluant les frais de publication de l’avis de la décision.

 

 

__________________________________

Me GEORGES LEDOUX

Président

 

 

 

 

__________________________________

Me AWATIF LAKHDAR

Membre

 

 

 

 

__________________________________

Me JEAN-FRANCOIS MALLETTE

Membre

 

 

 

Me Marie-Claude Thibault

Partie plaignante

 

« Me » Antonella Petrolito

Partie intimée

 

Dates d’audience :

12 juin, 22 septembre 2017 et 25 janvier 2018

 

 



[1] Loi modifiant diverses lois concernant principalement l’admission aux professions et la gouvernance du système professionnel, c.11, LQ, 2017.

[2] Pièces SP-1 à SP- 47.

[3] Pièce P-1.

[4] Pièce SP-47.

[5] Pièces SP-4, SP-5 et SP-7.

[6] Pièce SP-45.

[7] Pièce SP-30.

[8] Pièce SP-34.

[9] Pièce SP-33.

[10] SI-1 à SI-8.

[11] Pièces SI-1 à SI-3.

[12] Pièces SI-5 à SI-8.

[13] Pièce SI-4.

[14] Code des professions, art. 156 al. 1., paragr. d).

[15] Pièces SP-42 à SP-44 : Louise Comeau c. Antonella Petrolito, 06-98-01261, 6 juillet 1999; Louise Comeau c. Antonella Petrolito, 06-98-01286, 6 juillet 1999; Louise Comeau c. Antonella Petrolito, 06-99-01333, 6 juillet 1999.

[16] Louise Comeau c. Antonella Petrolito, supra, note 15.

[17] Louise Comeau c. Antonella Petrolito, supra, note 15.

[18] Louise Comeau c. Antonella Petrolito, supra, note 15.

[19] Pièce SP-46.

[20] Comeau c. Bourget, 2002 CanLII 46823 (QC CDBQ) ; Thibault c. Thomas, 2003 CanLII 54646 (QC CDBQ) ; Comeau c. Rhéaume-Lightner, 2004 CanLII 72463 (QC CDBQ) ; Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Malamud, 2009 QCCDBQ 133 (CanLII) ; Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Morin, 2010 QCCDBQ 35 (CanLII) ; Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Maloney, 2011 QCCDBQ 34 (CanLII) ; Pomminville c. Avocats (Ordre professionnel des), 2011 QCTP 8 (CanLII) ; Barreau du Québec (syndic) c. Dion, 2011 QCCDBQ 67 (CanLII).

[21] Pièce SI-4.

[22] Notaires (Ordre professionnel des) c. Bacon, 2016 CanLII 44930 (QC CDNQ) ; Brosseau c. Lemieux, 2004 CanLII 57084 (QC CDBQ) ; Malouin c. Notaires, 2002 QCTP 15 (CanLII) ; Pellerin c. Avocats (Ordre professionnel des), 2009 QCTP 120 (CanLII) ; Barreau du Québec (syndique ad hoc) c. Constantine, 2008 QCCDBQ 120 (CanLII); Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Chahwan, 2017 QCCDBQ 71 (CanLII).

[23] RLRQ, c. B-1. R. 3.1.

[24] Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA).

[25] Pigeon c. Daigneault, supra, note 24.

[26] Cartaway Ressouces Corp. (Re), [2004] 1 R.C.S., 672.

[27] Comeau c. Bourget, supra, note 20.

[28] Thibault c. Thomas, supra, note 20.

[29] Comeau c. Rhéaume-Lightner, supra, note 20.

[30] Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Malamud, supra, note 20.

[31] Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Morin, supra, note 20.

[32] Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Maloney, supra, note 20

[33] Pomminville c. Avocats (Ordre professionnel des), supra, note 20.

[34] Barreau du Québec (syndic) c. Dion, supra, note 20.

[35] Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Chahwan, supra, note 22.

[36] Barreau du Québec (syndique ad hoc) c. Constantine, supra, note 22.

[37] Notaires (Ordre professionnel des) c. Bacon, supra, note 22.

[38] Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Guillaume, 2016 QCCDBQ 35 (CanLII).

[39] Brosseau c. Lemieux, 2004 CanLII 57084 (QC CDBQ) ; Malouin c. Notaires, 2002 QCTP 15 (CanLII) ; Pellerin c. Avocats (Ordre professionnel des), 2009 QCTP 120 (CanLII).

[40] Belliard c. Avocats (Ordre professionnel des), 2017 QCTP 16 (CanLII) ; Notaires (Ordre professionnel des) c. Bourassa, 2016 QCTP 148 (CanLII).

[41] Hébert c. Notaires (Ordre professionnel des), 2008 QCTP 40 (CanLII).

[42] Garneau c. Notaires, 2002 QCTP 68 (CanLII). Dans ce jugement, le Tribunal cite l’affaire Beaulieu c. Chambre des notaires du Québec, 1996 CanLII 12212 (QC TP).

[43]Sproule c. Avocats (Ordre professionnel des), 2017 QCTP 76 (CanLII); Lemire c. Avocats (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 119 (CanLII).

[44] Murphy c. Chambre de la sécurité financière, 2010 QCCA 1079 (CanLII).

[45] Dallaire c. Agronomes (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 137 (CanLII); Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Gavrilovic, 2016 CanLII 78381 (QC OIIA); Ergothérapeutes (Ordre professionnel des) c. Gagné, 2016 CanLII 22785 (QC OEQ) ; Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c Harrazi, 2016 CanLII 79311 (QC OIIA) ; Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Routhier, 2018 CanLII 8964 (QC OIIA).

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