R. c. Rioux |
2016 QCCQ 6762 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE CHICOUTIMI |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
150-01-044630-144
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DATE : |
22 janvier 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE ROY, J.C.Q. |
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LA REINE
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Poursuivante |
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c. |
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JEAN-MICHEL RIOUX
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Accusé Défendeur si déclaration sommaire. |
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JUGEMENT |
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[1] M. Jean-Michel Rioux fait face à deux accusations pour des événements survenus le 26 octobre 2014.
[2] La première, plus rarement portée, est celle d’avoir, par la communication de déclarations en un endroit public, incité à la haine contre un groupe identifiable (art. 319(1) du Code criminel) et la seconde est d’avoir proféré des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles à des groupes ethniques (art. 264.1(1)a) (2)a) C.cr.).
[3] Les procureurs ont convenu de procéder par le seul dépôt de preuves documentaires, suivi de leurs observations respectives.
[4] Les déclarations visées ont été faites le 26 octobre 2014, alors que l’accusé, M. Jean-Michel Rioux, a partagé des commentaires sur la page Facebook de TVA Nouvelles, en participant à un forum d’échange.
[5] La preuve du poursuivant est constituée de deux éléments :
1) un CD comportant trois dossiers qui représentent et contiennent le profil Facebook de M. Rioux et les échanges et commentaires inscrits sur la page Facebook de TVA Nouvelles au cours de la journée du 26 octobre 2014, particulièrement entre 13h et 18h, et
2) une déclaration écrite de l’accusé, consentie et signée en présence des policiers, le 29 octobre 2014.
[6] Pour bien comprendre la trame factuelle, il convient de reproduire des extraits des commentaires inscrits sur la page Facebook de TVA Nouvelles.
[7] La première page montre la photo de deux hommes et le texte suivant[1]:
Des imams montréalais condamnent sans équivoque les meurtres des deux militaires canadiens.
«Une attaque lâche, par des personnes cruelles», ont-ils dit.
Ils veulent continuer de se faire entendre.
[8] Plusieurs mentions d’assentiment (J’aime) suivent le titre ainsi que des commentaires.
[9] Sans les relater exhaustivement, pour comprendre le sens des échanges, il convient d’en citer quelques-uns[2]:
- Les musulmans n’ont pas à se justifier pour des imbécils
- QUOII ?! Ce ne sont pas tout les musulmans qui sont des terroristes ?! Moi je pensais que les 1.6 milliards de musulmans, soit proche de 30% de tout les humains sur la planète, étaient des terroristes !!! Quel choc !!
non mais sérieux ceux qui croient que ils sont tous malades dans la tête ont un petit problème de jugement/d’éducation… Ou sont juste islamophobes…
- Pas besoin de preuve faut juste être inculte et raciste pour croire que tout lmonde est dans lmeme bateau! Les medias aident pas
- J’ai honte des québécois fermé d’esprit qui condamne tous les musulmans. Ce sont pas tous des radicaux avec des idées arrêtés. Voyons en 2014, on devrait être capable de faire preuve de jugement et plutôt s’allier pour combattre les radicaux.
[sic]
[10] Plusieurs commentaires de cette nature sont exprimés jusqu’à 13h39, heure à laquelle M. Rioux intervient dans l’échange[3]:
(J.-M.R.) j’ai tu asser hate qui nous delivre permis de chasse que jleu callis la tête sur mon hood de truck!!!!
[sic]
[11] Son propos donne lieu à un échange :
- Mmmmm belle menace de mort ton commentaire
- (J.-M.R.) À l’évidence tu ferrais pas la difference entre un pette sauce pi une trace de brake!
- Bien dit leurs tête sur un home de truck
Hood de truck parfait
- (J.-M.R.) c sa être quabecois ma chère! vien dans ma maison! va dans mon frigo! etc!! mais vient pas criez plus fort que moi che nous pck jte rammêne a ta maison a coup de pied au cul!! ont n’est rendu au coup de pied pour ton info en passant!!
- Calme toi lol
- T’es un vrai imbécile inculte et insignifiant.
- (J.-M.R.) lache inculte pi linsignifiant! toe te un mou pi un faible au pire! quand ont serra pu che nous pi que tes kid aillent a l’ecole avec une gang de turbant ta trouveras bien moins drole!!
- continue a etre victime des lois dans ton role desclave dépendant
- Menace de mort et un autre meurtrier a en devenir apres on parle des autre
- On s demande c’est qui l’extrémiste
- (J.-M.R.) nenon! j’attend le permis de chasse:)
[sic]
[12] D’autres commentaires sont formulés entre 16h47 et 17h33[4]:
- (J.-M.R.) ont va exterminez votre sous race:) merci bonsoir
- Jean Michel sous race pour l’instant ses eu qui ont inventer la science et les chiffre ducon
- (J.-M.R.) callis que jai hate davoir mon permis!!
- Avec se que tu écrit je peut dire que tu seras en prison bin avant d’avoir ton permit tu devrais te faire soigner
- (J.-M.R.) te pas trop nerveux mon pti puceaux a roullete hein!
- je fermerais ma gueule avec ta mentalité ducon
- Rayane, la science et les chiffres vous les avez volez à d’autres civilisations comme les Perses et les Grecs entre autre. Et pour ne pas dire que les gens sachent que vous êtes des imposteurs, vous avez brûlez la bibliothèque d’Alexandrie. Vous avez rien inventé à part l’urine de chameau qui pour vous est un antibiotique.
- (J.-M.R.) hahahahaha asti de peuple de couillons! juste sa des histoires du genre!!
[sic]
[13] M. Rioux fait une brève déclaration, le 29 octobre 2014[5]:
Q. : Qu’as-tu à dire concernant ces propos que tu as tenu [sic] sur Facebook le 26 oct. 2014 à propos d’un reportage sur TVA nouvelles ?
R. : C’est une niaiserie. Je suis tombé sur cette nouvelle par hasard et j’ai décidé d’émettre un commentaire que j’ai copié d’une autre personne et que je trouvais drôle que j’avais vu sur le même site. Quand j’ai vu les commentaires sur mon commentaire, j’ai paniqué. Pour mes autres commentaires qui ont suivi, ça vient de moi mais je ne le pensais pas. Je ne ferais pas de mal à une mouche. J’ai été dépassé par la tournure des événements. Jamais je ne commente sur Facebook, je ne suis pas l’actualité. J’ai pas réfléchi.
Q. : De quelle sous race parlais-tu ?
R. : J’en ai aucune idée, c’est une phrase lancée en l’air.
1. incitation publique à la haine, art. 319 C.cr.
[14] Le caractère inusité de cette disposition justifie qu’on la reproduise :
319. (1) Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix, est coupable :
a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
(2) Quiconque, par la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée, fomente volontairement la haine contre un groupe identifiable est coupable :
a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
1.1. LES Principes juridiques applicables
[15] L’accusation portée réfère au premier alinéa de la disposition, laquelle exige la démonstration des éléments essentiels suivants :
- la communication de déclarations qui incitent à la haine
- en un endroit public
- contre un groupe identifiable
- lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix.
[16] Dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), la Cour Suprême qualifie de moins grave l’infraction visée au premier alinéa que celle de la fomentation intentionnelle de la haine prévue au second paragraphe :
Dans un passage de l’arrêt R. c. Buzzanga and Durocher (1979), 49 C.C.C. (2d) 369 (C.A. Ont.), p. 384-385, que notre Cour a cité en l’approuvant dans Keegstra, le juge Martin a comparé les deux paragraphes de l’art. 319. Il a conclu que l’intention criminelle requise au par. (1) correspondait à une infraction moins grave que la fomentation intentionnelle de la haine et que, vu l’emploi du mot « volontairement », l’infraction prévue au par. (2) n’était perpétrée que si l’accusé avait le dessein conscient de fomenter la haine contre le groupe identifiable ou était certain que la communication aurait cet effet et qu’il communiquait néanmoins les déclarations. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de prouver le lien de causalité, l’auteur des déclarations doit vouloir que le message provoque la haine.[6]
[17] Pour décider si les déclarations incitent à la haine, le Tribunal doit tenir compte de divers éléments et procéder à l’analyse d’un point de vue objectif :
Pour déterminer s’il y a eu incitation à la haine, le juge des faits doit, comme pour l’incitation au génocide, considérer les déclarations d’un point de vue objectif, mais tenir compte des circonstances dans lesquelles elles sont faites, de la manière et du ton employés, ainsi que de leurs destinataires.[7]
[18] La conclusion que les déclarations comportaient une incitation à la haine n’exige pas d’établir que la communication a, dans les faits, suscité la haine[8].
[19] Les déclarations doivent viser un groupe identifiable dont la définition apparaît à l’alinéa 4 de l’art. 318 C.cr. :
[…] « groupe identifiable » s’entend de toute section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion, l’origine nationale ou ethnique, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle ou la déficience mentale ou physique.
[20] L’identification du groupe visé s’est posée dans R. c. Krymowski, permettant au plus haut tribunal de réitérer les éléments de preuve qui doivent être considérés :
Il incombait au juge du procès d’examiner la totalité de la preuve et de tirer les inférences appropriées pour déterminer si l’intention des intimés était de viser une « section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion ou l’origine ethnique », en l’occurrence les Rom. Plusieurs éléments de preuve pouvaient se rapporter à cette question.[9]
[21] Le concept de violation de la paix n’est pas défini au Code criminel et demeure un concept aux paramètres imprécis.
[22] Dans R. c. Kerr[10], la Cour suprême reprend la définition de paix publique de l’auteur Pierre Lapointe :
[…] Le concept de paix publique est pour le moins imprécis. Puisque le législateur mentionne cette notion en sus de celle de la perpétration d'une infraction, elle vise donc une situation plus large qu'une contravention au Code Criminel.[11]
[23] Plus récemment, les auteurs de JurisClasseur Québec tentent de circonscrire ce qui constitue une violation de la paix[12] :
d) Violation de la paix
15. Définition - En raison des nombreuses définitions retenues par la jurisprudence et du mutisme du Code criminel à ce sujet, il est malaisé de définir avec précision ce que constitue une violation de la paix. Certaines lignes directrices se dégagent toutefois de la jurisprudence. D'abord, les concepts d'infraction criminelle et de violation de la paix, bien que liés, ne sont pas interchangeables : toutes les infractions criminelles ne constitueront pas une violation de la paix et celle-ci ne se révélera pas inévitablement être un crime.
Selon la Cour d'appel de l'Ontario, la violation de la paix est une conduite causant ou qui est susceptible de causer un dommage à un individu; elle n'inclut toutefois pas les comportements simplement jugés choquants, inquiétants ou vaguement menaçants. S'appuyant sur la jurisprudence anglaise, d'autres instances ont retenu une gamme de comportements plus vaste. Ainsi, il pourrait y avoir, en outre, violation de la paix en présence d'une conduite causant ou qui est susceptible de causer un dommage aux biens d'un individu en sa présence ou lorsqu'une personne craint la survenance de tels préjudices dans le contexte d'une agression, d'une bagarre, d'une émeute, d'un attroupement illégal ou de toute autre perturbation. […]
[références omises]
1.2. L’Application au présent cas
[24] Les déclarations publiées par l’accusé constituent des propos qui incitent à la haine.
[25] Selon la Cour suprême :
Pour les besoins de l’art. 319, le mot « haine » désigne « une émotion à la fois intense et extrême qui est clairement associée à la calomnie et à la détestation » : Keegstra, p. 777. Seules les formes d’aversion les plus intenses sont en cause.[13]
[26] Les mots utilisés, les images proposées, la répétition des propos et le style de rédaction empreint de violence convainquent de la démonstration de cet élément.
[27] De toutes les interventions, celles exprimées par M. Rioux se distinguent nettement par l’expression d’un profond mépris, formulé sans ouverture, sans souci d’échange mais dans le seul but de dire en termes violents et à l’aide d’images brutales tout le ressentiment qu’il éprouve à l’égard du groupe visé.
[28] Les réactions spontanées des autres intervenants confirment les sentiments de crainte, de peur et de réprobation provoqués par les propos de l’accusé.
[29] D’un point de vue objectif, ces déclarations constituent une incitation à la haine.
[30] Les déclarations doivent être faites dans un «lieu public». Cette notion est définie au même article comme étant «tout lieu auquel le public a accès de droit ou sur invitation, expresse ou tacite»[14].
[31] La défense n’a pas contesté qu’un site d’échange public, ne comportant pas de restrictions d’accès, équivaut à la définition proposée.
[32] L’argument principal de la défense est que la preuve n’établit pas, hors de tout doute raisonnable, le groupe visé par les déclarations.
[33] Rappelons que l’accusé n’a aucun fardeau. La preuve de chacun des éléments essentiels incombe au poursuivant, et ce, hors de tout doute raisonnable.
[34] L’argument de la défense s’appuyant sur les assertions de la déclaration, le Tribunal doit les analyser, non pas de façon isolée, mais en tenant compte de l’ensemble de la preuve.
[35] Dans sa brève déclaration, l’accusé dit ne pas être informé de l’actualité, avoir, par hasard et sans habitude d’expression de ce genre, reproduit un commentaire copié, n’avoir aucune idée de la sous-race à laquelle il a fait allusion et avoir paniqué en lisant les commentaires provoqués par ses affirmations.
[36] Après l’analyse de l’ensemble de la preuve, le Tribunal ne retient pas la version de l’accusé.
[37] Avant l’intervention de l’accusé, les commentaires formulés désignent, pour la quasi-totalité, les personnes de confession musulmane, par la référence directe aux nom et adjectif musulman, à plusieurs reprises.
[38] Les textes incluent également des références à la religion et à la communauté musulmane, à l’Islam et à l’islamophobie.
[39] La lecture de ces nombreux commentaires ne crée aucune confusion quant au sujet traité, au cœur duquel se trouvent la religion musulmane et ses adeptes.
[40] Au surplus, ils découlent logiquement du titre et sujet de la nouvelle.
[41] La première affirmation de l’accusé et toutes celles qu’il exprime subséquemment sont cohérentes avec la chronologie des échanges et constituent, à chaque occasion, une réplique aux commentaires formulés, au fur et à mesure de ses interventions.
[42] La cohérence et la variété de ses propos viennent en contradiction avec sa déclaration à l’effet qu’il a copié le commentaire d’une autre personne, sans connaître l’actualité ni savoir de quoi il parlait.
[43] Si l’accusé n’avait pas connu le sujet qu’il exprimait, ce n’est pas un seul commentaire mais plusieurs qu’il aurait dû calquer puisqu’il en formule plus d’un, de différentes manières.
[44] La situation aurait pu être différente si l’accusé s’était limité à une intervention mais, entre 13h39 et 17h33, il intervient à dix occasions.
[45] Il admet être l’auteur des autres commentaires :
Pour mes autres commentaires qui ont suivi, ça vient de moi mais je ne le pensais pas.[15]
[46] Loin de témoigner d’un sentiment de panique, ses déclarations sont formulées avec hargne et insistance, en réitérant son sentiment d’intolérance, que l’accusé cherche à partager avec ses interlocuteurs.
[47] Aucun élément ne permet même de suspecter que l’accusé ait été, de quelque façon, intimidé par les critiques qui lui ont été adressées, en termes pourtant clairs.
[48] L’examen des différentes déclarations et la pertinence, au sens de cohérence, des interventions de l’accusé, interdisent de conclure à l’ignorance de l’accusé à l’égard du sujet traité, les musulmans.
[49] Son propos raciste à l’égard des gens qui viennent dans sa maison, se servent dans son réfrigérateur et mériteraient d’être ramenés à leur maison en utilisant la force comporte une référence précise à l’immigrant.
[50] L’utilisation de l’expression sous-race, en tenant compte de l’évolution des remarques et de la discussion, contribue à l’identification du groupe visé par les propos de l’accusé.
[51] Même si la référence au turban n’est pas exclusive aux musulmans, elle constitue un autre indice de la cible de l’accusé.
[52] L’ensemble de ces éléments, la référence directe faite par les interlocuteurs aux musulmans, l’inclusion de propos cohérents aux différentes remarques formulées et les déclarations incluant la référence au turban et à la sous-race éliminent tout doute quant au groupe visé par les déclarations de l’accusé.
[53] La défense a plaidé l’absence d’intention d’inciter à la haine qui puisse entraîner une violation de la paix.
[54] L’accusé ne nie pas avoir véritablement écrit ce qu’on lit ni ne propose une interprétation différente, il se limite à déclarer que les opinions publiées ne rejoignent pas ce qu’il pense et qu’il n’est pas une personne violente.
[55] La distinction que cherche à établir l’accusé aurait pu constituer un moyen de défense à l’infraction de fomenter volontairement la haine mais n’a pas d’effet sur l’intention requise à l’infraction qui lui est reprochée.
[56] Le Tribunal conclut que la violence des propos témoignés, l’insistance à partager un sentiment d’intolérance au point de proposer le recours à la force et les insultes clairement exprimées à l’égard de ceux plutôt d’avis d’accueillir avec ouverture et respect les membres de la communauté musulmane, sont susceptibles d’entraîner une violation de la paix.
[57] D’ailleurs, plusieurs des réponses faites à l’accusé témoignent d’un sentiment de violence et de menace éprouvé en relation avec les commentaires de l’accusé.
[58] Pour tous les motifs déjà exprimés, de façon objective, la forme du propos, l’insistance investie à convaincre et les images proposées par les remarques de l’accusé rencontrent l’ensemble des éléments essentiels constituant cette infraction.
[59] L’accusé est déclaré coupable de l’infraction décrite au premier chef d’accusation.
2. menace de causer la mort ou des lésions corporelles à des groupes ethniques
2.1. LES Principes juridiques applicables
[60] Dans R. c. O’Brien, arrêt de 2013, la Cour réitère ce qui constitue l’actus reus et la mens rea de l’infraction, en reprenant la définition exprimée dans l’arrêt Clemente[16] :
Sous le régime de la présente disposition, l’actus reus de l’infraction est le fait de proférer des menaces de mort ou de blessures graves. La mens rea est l’intention de faire en sorte que les paroles prononcées ou les mots écrits soient perçus comme une menace de causer la mort ou des blessures graves, c’est-à-dire comme visant à intimider ou à être pris au sérieux. [soulignement omis][17]
[61] Dans R. c. McRae, il est établi que la détermination du caractère des paroles prononcées par l’accusé est une question de droit qui doit être décidée en fonction du critère de la personne raisonnable :
[13] Par conséquent, la question de droit consistant à savoir si l’accusé a proféré une menace de mort ou de lésions corporelles tient uniquement au sens qu’une personne raisonnable donnerait aux mots, eu égard aux circonstances dans lesquelles ils ont été proférés ou transmis. […]
[14] Le critère de la personne raisonnable doit être appliqué à la lumière des circonstances particulières de l’espèce. […]
Il s’ensuit que la personne raisonnable qui étudie la question de savoir si les mots en cause équivalent à une menace en droit est une personne objective, bien renseignée, sensée, pratique et réaliste.[18]
[soulignement omis]
[62] La mens rea requise en est une d’intention spécifique, la Cour d’appel du Québec l’ayant réitéré dans Dulac c. R. :
Il faut donc que la personne accusée de cette infraction ait l’intention d’intimider, de susciter la crainte ou que la menace soit prise au sérieux. Il s’agit ici d’une intention spécifique par opposition à une intention générale.[19]
2.2. L’Application au présent cas
[63] La preuve ne démontre ni l’acte répréhensible ni le degré d’intention requis.
[64] Il y a une distinction fondamentale entre le fait de tenir des propos qui comportent un caractère haineux et incitent au partage de ce sentiment négatif et le fait de prononcer des paroles qui constituent une menace.
[65] L’image qu’utilise l’accusé de recourir à la décapitation et d’utiliser le démembrement de la victime comme s’il s’agissait d’un trophée, est un exemple de cette distinction.
[66] Le propos traduit un sentiment empreint de haine sans toutefois comporter une véritable menace, compte tenu de la façon d’exprimer l’idée dont la réserve quant à l’obtention d’un permis.
[67] Il faut toutefois admettre que le commentaire relatif à l’extermination de la sous-race s’approche davantage de l’acte répréhensible visé sans toutefois changer fondamentalement la portée du discours.
[68] La personne raisonnable, bien renseignée, devrait considérer l’ensemble des interventions ce qui, de l’avis du Tribunal, est davantage associable à l’expression de propos haineux qu’à la formulation de véritables menaces.
[69] Quant à l’intention, le Tribunal ne peut conclure, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé ait cherché à intimider ou à faire craindre.
[70] Ses propos tendent à insinuer et partager avec insistance une perception empreinte de détestation, sans pour autant traduire une volonté de semer la crainte et d’intimider.
[71] Conséquemment, l’accusé est acquitté de cette infraction.
[72] L’accusé est conséquemment déclaré coupable du premier chef et acquitté du second.
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Johanne Roy, Juge à la Cour du Québec
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Me Sébastien Vallée |
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Procureure aux poursuites criminelles et pénales |
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Me Julien Boulianne |
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Procureur de l'accusé |
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Date d'audition : 10 avril 2015 |
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[1] Pièce P-1, fichier conversations J.-M. Rioux.
[2] Id.
[3] Id.
[4] Id.
[5] Pièce P-2.
[6] Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, par. 104.
[7] Id., par. 106.
[8] Id., par. 102.
[9] R. c. Krymowski, [2005] 1 R.C.S. 101, par. 19.
[10] R. c. Kerr, [2004] 2 R.C.S. 371, par. 36.
[11] Pierre Lapointe, «Les infractions criminelles» dans Barreau du Québec, Collection de droit 2002-2003, vol. 11, Droit pénal : Infractions, moyens de défense et peine (2003), ch. II, 55, p. 75.
[12] Ariane Gagnon-Rocque et Jessy Héroux, «Fascicule 5 - Arrestation» dans JurisClasseur Québec - Preuve et procédure pénales (à jour au 15 octobre 2014), par. 15.
[13] Mugesera c. Canada, préc., note 6, par. 101; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 777.
[14] Art. 319 al. 7 C.cr.
[15] Préc., note 5.
[16] R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758, p. 763.
[17] R. c. O’Brien, [2013] 1 R.C.S. 7, par. 7.
[18] R. c. McRae, [2013] 3 R.C.S. 931, par. 13 et 14.
[19] Dulac c. R., 2015 QCCA 1625, par. 4.
AVIS :
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