Décision

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Gabarit EDJ

Hak c. Procureure générale du Québec

2019 QCCS 2989

JY0067

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N°:

500-17-108353-197

 

 

 

DATE :

Le 18 juillet 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MICHEL YERGEAU, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

ICHRAK NOUREL HAK

et

NATIONAL COUNCIL OF CANADIAN MUSLIMS (NCCM) /

CONSEIL NATIONAL DES MUSULMANS CANADIENS (CNMC)

et

CORPORATION OF THE CANADIAN CIVIL LIBERTIES ASSOCIATION (CCLA) /

ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES (ACLC)

Demanderesses

c.

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR UNE DEMANDE DE SURSIS

______________________________________________________________________

 

Table des matières

 

1.         La demande de sursis provisoire, un débat ciblé        2

2.         La laïcité de l’État n’échappe pas au pouvoir législatif       3

3.         Un survol de la Loi 4

4.         La clause dérogatoire ou clause d’exception 9

5.         Les critères en matière de demande de sursis de l’application d’une loi  11

6.         Analyse         12

6.1.      La question sérieuse          12

6.1.1.   Le partage des compétences       13

6.1.2.   La Rule of law         17

6.1.3.   La structure constitutionnelle  18

6.2.      Le préjudice sérieux ou irréparable      20

6.2.1.   Les déclarations sous serment  20

6.2.2.   Évaluation    26

6.3.      La prépondérance des inconvénients    27

6.4.      L’urgence     30

7.         Synthèse       30

8.         Conclusion   31

 

1.            La demande de sursis provisoire, un débat ciblé        

[1]         Le dimanche, 16 juin 2019, l’Assemblée nationale du Québec adopte la Loi sur la laïcité de l’État Loi sur la laïcité» ou «la Loi»)[1] dont le projet lui avait été présenté par le gouvernement le 28 mars 2019. La Loi reçoit la sanction royale et entre en vigueur dès après son adoption.

[2]         Le lendemain, la Procureure générale du Québec reçoit signification d’une demande de déclaration d’invalidité de la Loi[2] (Demande de révision judiciaire) accompagnée d’une demande de sursis pour valoir au cours de la période requise par les tribunaux pour décider au mérite du bien-fondé des conclusions recherchées par les demanderesses.

[3]         Ces conclusions sont de déclarer invalide et inopérante la Loi sur la laïcité aux termes de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982[3] ou à défaut de déclarer que les articles 5, 6 et 8 de la Loi sont inopérants en vertu de ce même article de la Constitution.

[4]         À cette étape-ci, le Tribunal n’est uniquement saisi que de la demande de sursis que les demanderesses formulent en ces termes :

stay the operation of Sections 6 and 8 of the Act respecting the laicity of the State, SQ 2019, c. 12, pending a final determination on the merits of the Application for Judicial Review, and notwithstanding appeal;

[5]         Cette étape préliminaire impose au juge qui l’entend un devoir de réserve pour éviter de disposer en partie du litige et d’empiéter sur le rôle dévolu au juge ou à la juge qui sera chargé(e) d’entendre le mérite de l’affaire. Ce jugement porte donc exclusivement sur la demande de sursis et n’a pas pour objectif de trancher les questions de droit et de fait que soulèvent les demanderesses dans ce dossier.

2.            La laïcité de l’État n’échappe pas au pouvoir législatif

[6]         La Loi sur la laïcité est la réponse de la législature du Québec à un débat de société qui perdure faute d’avoir trouvé au cours des dernières années un point d’équilibre entre des conceptions divergentes de ce qu’il est convenu d’appeler le vivre ensemble[4].

[7]         La Loi est à ce chapitre l’aboutissement le plus actuel d’un processus, engagé depuis longtemps, de mise à distance entre les institutions publiques et l’expression religieuse. L’Histoire nous apprendra probablement qu’elle n’en aura été à son tour qu’un jalon à l’intérieur d’une mouvance dont les tendances échapperont toujours à l’observateur du moment.

[8]         Cette matière, aussi éthérée fut-elle, n’échappe donc pas au pouvoir législatif qui demeure en tout temps libre de s’en saisir ou pas et, s’il choisit de le faire, d’en fixer les règles, à l’initiative du gouvernement, dans le respect de la Constitution. C’est ce que la collectivité est en droit d’attendre des pouvoirs législatif et exécutif dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[9]         Ces choix appartiennent aux élus et non pas aux juges. Comme le souligne en 1991 la Cour suprême dans l’arrêt Salituro[5], dans un régime de démocratie constitutionnelle comme le nôtre, c’est le législateur et non les tribunaux qui assume la responsabilité principale de modifier le droit.

[10]       En corollaire, les tribunaux doivent éviter de prendre position sur la sagesse d’une loi et se borner à se prononcer sur sa légalité[6]. La Cour suprême écrit à ce propos dans l’arrêt Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada ltée[7] :

[…] Dans les limites de la Constitution, les législatures peuvent définir le droit comme bon leur semble. Seuls les électeurs peuvent débattre de la sagesse et de la valeur des décisions législatives.

3.            Un survol de la Loi

[11]       Voyons avant d’aborder la demande de sursis proprement dite de quoi se compose la Loi en lien avec les questions que soulèvent les demanderesses. Cet exercice est nécessaire pour prendre la mesure exacte de ce qu’impose la Loi au chapitre de la laïcité.

[12]       La Loi sur la laïcité comprend 36 articles répartis en six brefs chapitres précédés d’un préambule et suivis de trois annexes.

[13]       Le préambule de la Loi affirme le caractère prépondérant de la laïcité de l’État dans l’ordre juridique québécois. Le législateur y précise «qu’il y a lieu d’établir un devoir de réserve plus strict en matière religieuse à l’égard des personnes exerçant certaines fonctions, se traduisant par l’interdiction pour ces personnes de porter un signe religieux dans l’exercice de leurs fonctions».

[14]       Le chapitre I de la Loi affirme la laïcité de l’État en termes explicites : l’État du Québec est laïque lit-on à l’article 1. Cette affirmation s’appuie sur quatre principes : la séparation de l’État et des religions, la neutralité religieuse de l’État, l’égalité de tous les citoyens et citoyennes, la liberté de conscience et de religion.

[15]       Fort de ces principes, l’article 3 se présente comme la conclusion de ce qui précède : dans le cadre de leur mission, les institutions de l’État, parlementaires, gouvernementales et judiciaires, doivent, en fait et en apparence, se plier à ces principes. Cet article comprend une définition de chacune de ces institutions. Les institutions gouvernementales couvrent une vaste gamme de services gouvernementaux, établissements et organismes, énumérés à l’annexe I, et comprennent entre autres les commissions scolaires et collèges d’enseignement général et professionnel.

[16]       L’article 4 précise que l’article qui précède exige le respect a) de l’interdiction de porter un signe religieux quel qu’il soit et b) du devoir de neutralité religieuse inscrit à la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodement pour un motif religieux dans certains organismes («Loi sur la neutralité religieuse»)[8].

[17]       En contrepartie, ce même article établit le droit de tous et toutes à des institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires laïques ainsi qu’à des services publics laïques dans la mesure prévue par la Loi sur la laïcité et par la Loi sur la neutralité religieuse.

[18]       Le chapitre II de la Loi, sous le titre Interdiction de porter un signe religieux, est formé du seul article 6. Il est constitué de trois éléments : l’interdiction elle-même, la liste des personnes frappées par cet interdit et la définition d’un signe religieux. Puisque cet article est au cœur du dossier, citons-le au texte :

6.   Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux personnes énumérées à l’annexe II.

Au sens du présent article, est un signe religieux tout objet, notamment un vêtement, un symbole, un bijou, une parure, un accessoire ou un couvre-chef, qui est :

1o  soit porté en lieu avec une conviction ou une croyance religieuse;

2 soit raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse.

[19]       La liste des personnes visées par cette interdiction dans l’exercice de leurs fonctions se retrouve à l’annexe II. Elle comprend, entre autres exemples, une personne exerçant à titre d’avocat, notaire ou procureur aux poursuites criminelles et pénales; un avocat ou un notaire qui agit devant un tribunal en vertu d’un mandat conclu avec le directeur des poursuites criminelles et pénales, avec l’Assemblée nationale ou avec une série d’organismes gouvernementaux y énumérés; un agent de la paix; un directeur, un directeur adjoint ou un enseignant dans un établissement d’enseignement du réseau public.

[20]       Le chapitre III de la Loi, aux articles 8 à 10, porte à la fois sur l’exercice à visage découvert des fonctions par un membre des organismes énumérés aux annexes I et III et sur la réception des services de l’État.

[21]       À ce chapitre, cette obligation est à géométrie variable. Les services doivent être prodigués par des employés de l’État qui doivent le faire à visage découvert. Par contre, il n’en va pas de même de celui ou celle qui recherche le service et dont le visage peut être couvert sauf s’il lui est demandé de se découvrir pour vérifier son identité ou pour des motifs de sécurité. Si la personne refuse d’obtempérer, elle ne pourra recevoir le service qu’elle réclame.

[22]       L’annexe III dresse la liste des personnes assimilées à un membre du personnel d’un organisme pour l’application du chapitre III. Les listes conjuguées des annexes I et III ratissent large et couvrent la quasi-totalité des services de l’État québécois, y compris, à titre d’exemples, les municipalités, les sociétés de transport en commun, la quasi-totalité des établissements de santé, les centres de la petite enfance, les services de garde en milieu familial subventionnés, les maisons d’enseignement du réseau public et celles du réseau privé qui sont agréées aux fins de subvention. Il en va de même, moyennant certaines restrictions spécifiques, de toute personne ou du personnel de toute société avec laquelle un organisme gouvernemental conclut un contrat ou à laquelle il octroie une aide financière.

[23]       La Loi impose donc à l’État, entendu au sens large du terme, une obligation de s’assurer que les services gouvernementaux, d’éducation et de santé sont donnés à visage découvert.

[24]       La Loi prévoit à l’article 11 que les articles 1 à 3 ne prévalent pas sur les lois antérieures qui lui sont contraires. Pour le futur, la Loi prévaudra sur toute loi qui lui serait contraire à moins que celle-ci énonce s’appliquer expressément malgré tout. Par ailleurs, en vertu de l’article 16, une disposition d’une convention collective ou d’un contrat de travail qui est incompatible avec les dispositions de la Loi est nulle de nullité absolue.

[25]       L’article 12 accorde un pouvoir de vérification de l’application de la Loi dans un ministère du gouvernement ou un autre organisme énuméré à l’annexe I ou auprès d’une personne visée par le paragraphe 11o de l’annexe III.

[26]       Ce pouvoir appartient au ministre responsable de l’organisme de concert avec le ministre responsable de la Loi. Une fois la vérification faite, le ministre concerné peut par la suite demander par écrit, dans les délais qu’il établit, que des mesures correctrices soient apportées, que des suivis soient effectués ou que des mesures de surveillance et d’accompagnement soient mises en place.

[27]       L’article 13 mérite une attention particulière puisqu’il est le seul à traiter directement de la mise en force de la Loi pour assurer le respect des mesures qui y sont prévues. Il couvre deux volets.

[28]       Le premier d’entre eux est la prise des moyens nécessaires par «la plus haute autorité administrative» de l’organisation, ou par la personne désignée à cette fin, pour assurer que soient respectées l’interdiction du port de signes religieux ainsi que l’obligation d’offrir les services à visage découvert.

[29]       Le second porte sur les mesures disciplinaires en cas de non-respect de l’article 6 et de l’article 8, alinéa 1. L’alinéa 2 de l’article 13 se lit ainsi :

13.   […]

La personne visée à l’article 6 ou au premier alinéa de l’article 8 s’expose, en cas de manquement aux mesures qui y sont prévues, à une mesure disciplinaire ou, le cas échéant, à toute autre mesure découlant de l’application des règles régissant l’exercice de ses fonctions.

[30]       C’est l’article 14 qui pourvoit aux mesures d’accommodement. En vertu de cet article, aucune mesure de ce type n’est permise relativement à l’interdiction du port de signes religieux ou à l’obligation de service à visage découvert. Par contre, la Loi n’abroge pas la Loi sur la neutralité religieuse mais y apporte quelques changements. Demeure donc en vigueur la section III du chapitre III de celle-ci, aux articles 11 à 14, intitulée Accommodements pour un motif religieux. Ces articles ont pour rôle d’encadrer les demandes fondées sur un motif religieux en application de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne Charte québécoise»)[9] qui demeure quant à lui inchangé. Cet article se lit ainsi :

10.   Toute personne a droit à une reconnaissance pleine et égale et à l'exercice de ses droits et libertés fondamentaux sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l'identité ou l'expression de genre, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, et l'âge ans par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, un handicap ou l'utilisation de tout moyen pour pallier un handicap.

La discrimination existe lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de porter atteinte à ce droit.

[31]       L’article 29 de la Loi sur la laïcité, en introduisant l’article 17.1 dans la Loi sur la neutralité religieuse, entend toutefois limiter les demandes d’accommodement aux seules demandes découlant de l’article 10 de la Charte québécoise. Ainsi, aucune demande d’accommodement ne peut donc être accordée portant sur le respect du devoir de neutralité religieuse.

[32]       Les autres Dispositions modificatives du chapitre V de la Loi apportent deux modifications à la Charte québécoise pour y introduire la notion de laïcité de l’État à la fois au préambule et à l’article 9.1. Dans ce dernier cas, cet article énonce dorénavant que les libertés et droits fondamentaux énumérés aux articles 1 à 9 de la Charte, dont la liberté de religion, s’exercent non plus seulement «dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec» mais aussi dans le respect de la laïcité de l’État.

[33]       À titre de mesures transitoires et finales, l’article 31 prévoit que l’interdiction de signes religieux ne s’applique pas aux personnes énumérées à l’annexe II soit jusqu’à la fin de leur mandat, soit tant qu’elles exercent la même fonction au sein de la même organisation. Dans le cas des professeurs, directeurs ou directeurs adjoints d’établissements d’enseignement du secteur public, cette interdiction ne s’applique pas à ceux et celles qui portaient un signe religieux le 27 mars 2019 dans la mesure où ils ou elles continuent d’exercer la même fonction au sein de la même commission scolaire.

[34]       Pour terminer, l’article 34 prévoit que la Loi et les modifications prévues au chapitre V ont effet indépendamment des articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne des droits et libertés Charte canadienne»)[10]. C’est l’application ab initio de la clause dérogatoire incluse à l’article 33 de cette dernière.

[35]       L’article 33 fait de même pour ce qui est des articles 1 à 38 de la Charte québécoise. La Loi applique de la sorte la clause dérogatoire prévue à l’article 52 de cette dernière.

[36]       En somme, la Loi inscrit la laïcité au rang des principes directeurs de l’État québécois. Elle introduit à cette fin dans le code de conduite des personnes dont le salaire émarge au budget de l’État à un titre ou à un autre, soit directement, soit par le biais du paiement ou du canal subventionnaire, une contrainte commune à tous les membres de toutes les confessions religieuses, soit celle de ne pas porter au travail de signes religieux dans un souci d’assurer la laïcité et la neutralité religieuse de l’État dans son interface avec les citoyens. Elle crée aussi, sauf dans les cas d’exceptions énumérées à l’article 9, l’obligation d’offrir les services publics à visage découvert sans pour autant que les bénéficiaires de ces services soient tenus de faire de même, à moins de motifs de sécurité ou d’identification.

[37]       Appuyée sur les principes énoncés au préambule et à l’article 2, la Loi est elle-même une loi de principe. Elle établit des paramètres généraux, sans se soucier des détails, ce dont les demanderesses lui font reproche. Dans sa forme, elle ne codifie pas tant qu’elle n’énonce.

[38]       Il ne s’agit pas pour autant d’une loi supra-législative intégrale puisque ses articles 1 à 3 ne prévalent pas sur les lois antérieures qui lui sont contraires. Par contre, les lois futures devront lui être conformes. De même, les dispositions des conventions collectives ou des contrats relatifs à des conditions de travail contraires à la Loi sur la laïcité sont tenues pour nulles de nullité absolue.

[39]       Enfin, aucune pénalité, amende ou conséquence pénale n’est associée au fait de ne pas se conformer à la prohibition de porter des signes religieux ou à l’obligation de servir à visage découvert. L’article 13 de la Loi prévoit qu’un manquement aux articles 6 et 8, al. 1 peut mener à une mesure disciplinaire ou, le cas échéant, à toute autre mesure découlant de l’application des règles régissant l’exercice des fonctions de la personne qui omet de se conformer à ces articles.

[40]       A contrario, la Loi ne prohibe pas le port de signes religieux à l’extérieur du cadre de son annexe II. Des emplois dans le service public québécois pourront donc continuer à être occupés par des personnes qui demeureront libres de porter des signes religieux au travail, y compris dans les établissements de santé. Par contre, les services publics devront être offerts à visage découvert, sauf des cas précis, sans égard aux convictions de ceux et celles qui servent l’État et les citoyens. Hors du cadre des services publics, les citoyens et citoyennes du Québec demeurent libres de porter et d’afficher les signes religieux qui leur conviennent, de la burqa au dastaar, de la kippa à la croix, du kufi au kirpan.

[41]       Voilà ce qui se dégage du texte même de la Loi. Sa lecture tranche avec certains articles de presse que les demanderesses ont choisi de verser au soutien de leur demande.

4.            La clause dérogatoire ou clause d’exception

[42]       On a vu que la Loi, à l’article 34, incorpore la clause d’exception inscrite à l’article 33 de la Charte canadienne avec pour effet que la Loi sur la laïcité s’applique malgré les articles 2 et 7 à 15 de cette dernière.

[43]       La clause dérogatoire se lit ainsi :

 (1) Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte.

Effet de la dérogation

(2) La loi ou la disposition qui fait l’objet d’une déclaration conforme au présent article et en vigueur a l’effet qu’elle aurait sauf la disposition en cause de la charte.

Durée de validité

(3) La déclaration visée au paragraphe (1) cesse d’avoir effet à la date qui y est précisée ou, au plus tard, cinq ans après son entrée en vigueur.

Nouvelle adoption

(4) Le Parlement ou une législature peut adopter de nouveau une déclaration visée au paragraphe (1).

Durée de validité

(5) Le paragraphe (3) s’applique à toute déclaration adoptée sous le régime du paragraphe (4).

[44]       Les articles de la Charte canadienne auxquels renvoie l’article 33 comprennent les libertés fondamentales que sont : la liberté de conscience et de religion; la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse; la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association. Ils comprennent aussi les garanties juridiques suivantes : le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives; la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraire; les droits en cas d’arrestation ou détention; les droits de l’inculpé dans les affaires criminelles et pénales; la protection contre les traitements et peines cruels ou inusités; le droit au silence en matière criminelle ou pénale et le droit à l’assistance d’un interprète. Ils incluent enfin le droit à l’égalité de tous devant la loi indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, l’origine ethnique ou nationale, la religion, la couleur de la peau, le sexe, l’âge ou les déficiences physiques ou mentales.

[45]       Tous ces droits peuvent être temporairement mis en veilleuse par le Parlement ou les législatures à condition que les exigences de forme soient respectées comme en a décidé la Cour suprême dans l’arrêt Ford, une affaire relative à la langue d’affichage et à la publicité commerciale en lien avec la Charte de la langue française[11] :

L'article 33 établit des exigences de forme seulement et il n'y a aucune raison d'y voir la justification d'un examen au fond de la politique législative qui a donné lieu à l'exercice du pouvoir dérogatoire dans un cas donné. L'exigence d'un lien ou d'un rapport apparent entre la loi dérogatoire et les droits ou libertés garantis auxquels on veut déroger semble ouvrir la voie à un examen au fond car il semble exiger que le législateur précise les dispositions de la loi en question qui pourraient par ailleurs porter atteinte à des droits ou à des libertés garantis spécifiés. Ce serait exiger dans ce contexte une justification prima facie suffisante de la décision d'exercer le pouvoir dérogatoire et non pas simplement une certaine expression formelle de cette décision. Rien dans les termes de l'art. 33 ne permet d'y voir une telle exigence. […][12]

(Le Tribunal souligne)

[46]       Les demanderesses, à l’étape de l’instruction de la demande de sursis, ne contestent pas l’usage que fait la Loi de la clause dérogatoire de la Charte canadienne. Même si elles réservent leurs droits à ce propos aux étapes subséquentes, les demanderesses ne fondent pas leur demande de sursis sur les libertés fondamentales ou le droit à l’égalité devant la loi pour asseoir leur conclusion. Cet élément est essentiel à la compréhension du jugement.

[47]       Leur approche s’avère plutôt essentiellement constitutionnelle, sans référence aux droits garantis par la Charte canadienne non plus que par la Charte québécoise.

[48]       Les demanderesses plaident que le recours par la législature à la clause d’exception de l’article 33 de la Charte canadienne ne met pas en veilleuse la Constitution canadienne. Si elle permet au législateur fédéral ou provincial de mettre une loi ou une disposition législative à l’abri d’une contestation fondée sur une des libertés ou des garanties précédemment énumérées, la clause dérogatoire, plaident-elles, laisse aux plaideurs le loisir de puiser au texte de la Constitution, à la Loi constitutionnelle de 1867[13] et aux principes constitutionnels qui lui sont inhérents[14].

[49]       Les demanderesses formulent ainsi trois propositions à l’appui de leur demande de sursis.

[50]       Elles plaident que la Loi sur la laïcité contrevient au partage constitutionnel des compétences puisqu’au vu de son caractère véritable, celle-ci échappe à l’autorité de la législature du Québec et relève plutôt du Parlement.

[51]       Elles soumettent en second lieu que la Loi est en porte-à-faux avec la règle de droit parce que trop vague.

[52]       Enfin, elles développent un argument selon lequel la Loi viole la structure constitutionnelle puisqu’en voulant assurer la neutralité religieuse de l’État et l’égalité de tous les citoyens et citoyennes face à l’État, la Loi prive les membres des minorités religieuses d’une participation pleine et entière aux institutions de l’État pour des motifs basés sur la religion.

[53]       C’est donc sur la base de ces trois propositions que les demanderesses demandent de suspendre pendant l’instance l’application des articles 6 et 8 de la Loi sur la laïcité de l’État.

5.            Les critères en matière de demande de sursis de l’application d’une loi

[54]       L’arrêt de principe à ce sujet demeure encore aujourd’hui l’arrêt Metropolitan Stores[15] de 1987. Même si, contrairement au présent cas, cette affaire  avait pour base la liberté d’expression prévue à l’alinéa 2b) de la Charte canadienne, la Cour suprême a formulé des critères applicables à tous les dossiers d’injonction interlocutoire, y compris ceux où une partie demande de surseoir à l’application ou à la mise en vigueur d’une loi validement adoptée mais contestée pour des raisons constitutionnelles. Ces critères ont été repris avec approbation et développés quelques années plus tard dans l’arrêt RJR-MacDonald[16]. Récemment, la Cour suprême y est revenue dans l’arrêt Google Inc. c. Equustek Solutions Inc.[17].

[55]       Ces critères, au nombre de trois, s’énoncent ainsi :

a)    dans une affaire constitutionnelle, il revient à la partie demanderesse d’établir[18] que son recours soulève une question sérieuse à trancher, c’est-à-dire une question qui n’est ni futile, ni vexatoire, ni frivole;

b)    la partie qui cherche à obtenir une injonction interlocutoire doit démontrer, si celle-ci n’est pas accordée, qu’elle en subira un préjudice soit irréparable, c’est-à-dire un préjudice qui n’est pas quantifiable du point de vue monétaire pour être compensé par des dommages-intérêts ou qui peut difficilement l’être, soit sérieux au sens de l’article 511 C.p.c.[19];

c)     enfin, c’est aux parties en présence de démontrer en faveur de qui penche le poids relatif des inconvénients selon que le tribunal accorde ou refuse l’injonction demandée en attendant une décision sur le fond, en tenant compte, dans les litiges de nature constitutionnelle, de l’intérêt public par rapport à celui des plaideurs individuels[20].

[56]       Enfin, dans le cas d’une demande de type injonction interlocutoire provisoire, comme c’est le cas dans ce dossier, s’ajoute aux critères précédents celui de l’urgence[21].

6.            Analyse

[57]       Voyons tour à tour chacun de ces critères en débutant par celui de la question sérieuse à juger.

6.1.        La question sérieuse

[58]       Comme le soulignait la Cour suprême dans l’arrêt Metropolitan Stores, les litiges constitutionnels ne se prêtent pas, sauf exception, à la procédure expéditive et informelle de l’injonction interlocutoire. Le droit à une instruction complète s’accommode mal de la précipitation comme le souligne le juge Beetz :

La plupart des difficultés susmentionnées auxquelles se heurte un juge de première instance au stade interlocutoire surgissent non seulement dans les affaires relevant de la Charte, mais aussi dans les autres cas où l'on conteste la constitutionnalité d'une loi. Donc, je souscris entièrement à ce que le professeur R. J. Sharpe a écrit, en particulier relativement aux affaires constitutionnelles, dans Injunctions and Specific Performance, à la p. 177, où il fait remarquer que [TRADUCTION]  "les tribunaux ont sagement tenu compte du fait qu'ils ne peuvent pas examiner à fond les allégations du demandeur au stade interlocutoire". À ce stade, même dans les affaires où le demandeur a soulevé une question importante à juger ou qu'il a même établi une apparence de droit suffisante, l'incertitude quant aux faits et au droit est généralement trop grande pour que le tribunal soit en mesure de rendre une décision sur le fond.[22]

(Le Tribunal souligne)

[59]       Par conséquent, conclure qu’il y a ou non une question sérieuse à juger à cette étape relève inévitablement d’une étude préliminaire. Dans l’arrêt RJR-MacDonald[23], la Cour suprême aborde ainsi ce critère :

Quels sont les indicateurs d’une «question sérieuse à juger»? Il n’existe pas d’exigences particulières à remplir pour satisfaire à ce critère. Les exigences minimales ne sont pas élevées. Le juge saisi de la requête doit faire un examen préliminaire du fond de l’affaire.

[60]       Le corollaire en est exprimé dans les termes suivants par la Cour suprême dans Harper c. Canada (P.G.)[24] :

Les tribunaux n'ordonneront pas à la légère que les lois que le Parlement ou une législature a dûment adoptées pour le bien du public soient inopérants avant d'avoir fait l'objet d'un examen constitutionnel complet qui se révèle toujours complexe et difficile.  Il s'ensuit que les injonctions interlocutoires interdisant l'application d'une mesure législative dont on conteste la constitutionnalité ne seront délivrées que dans les cas manifestes.

[61]       Dans le cas présent, les demanderesses ont renoncé à cette étape à faire de ce dossier un débat de Charte pour se rabattre sur un débat constitutionnel qui tourne autour des trois propositions déjà évoquées : le partage des compétences, la règle de droit et la structure constitutionnelle. Qu’en est-il de chacune?

6.1.1.   Le partage des compétences

[62]       Pour les demanderesses, le caractère véritable (pith and substance) de la Loi l’apparente à une loi criminelle, une matière régie par le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. La Loi échapperait du même coup aux compétences de la législature énumérées à l’article 92, dont la propriété et les droits civils dans la province prévus au paragraphe 92(13).

[63]       Il est maintenant bien établi que la résolution d’une affaire mettant en cause la validité constitutionnelle d’une législation eu égard au partage des compétences doit toujours débuter par une analyse du caractère véritable de la législation contestée[25].

[64]       Comme le soulignait le juge Rand de la Cour suprême dans l’arrêt Saumur c. City of Québec[26] :

[traduction] … les tribunaux doivent pouvoir, d’après ses termes et les circonstances qui l’entourent, rattacher un texte législatif à une matière relativement à laquelle la législature qui l’adopte a reçu le pouvoir de faire des lois. Ce principe fait partie de la nature même du fédéralisme […]

[65]       Il s’agit d’un exercice délicat au terme duquel doit être dégagée l’idée maîtresse de la loi dont la constitutionnalité est contestée, alors qu’il n’y a pas de critère unique du caractère véritable d’une loi. Il faut donc procéder avec souplesse, se garder de tout formalisme[27] et éviter de s’en tenir uniquement à la teneur même du texte.

[66]       C’est en se basant sur les arrêts Birks[28], Big M Drug Mart[29], Edwards Books[30] et Morgentaler (1993)[31] et en puisant à des éléments de preuve extrinsèques, principalement des déclarations du ministre qui a piloté le Projet de loi no 21 jusqu’à son adoption le 16 juin 2019, que les demanderesses dégagent un argument qu’on peut résumer par les aphorismes suivants :

a)    la Loi poursuit l’objectif de créer une société dans laquelle les religions n’auront aucune visibilité au sein des institutions publiques de l’État;

b)    il s’agit-là d’un objectif moral qui a pour effet de brimer la pratique religieuse des serviteurs de l’État à un titre ou à un autre;

c)    adopter une loi qui a pour idée principale d’imposer une restriction à la pratique religieuse dans un objectif de moralité publique tombe sous la compétence fédérale en matière de droit criminel.

[67]       La Procureure générale du Québec ne partage pas la lecture que font les demanderesses du caractère véritable de la Loi. Selon elle, il y a une différence fondamentale entre des lois forçant la fermeture des commerces le dimanche en raison de l’importance de ce jour pour les chrétiens, puisque c’est là l’objet des législations ontarienne, albertaine ou québécoise qui sont au cœur des arrêts Edwards Books, Big M Drug Mart et Henry Birks dont se réclament les demanderesses, et l’objectif visé par la Loi sur la laïcité qui est au contraire d’assurer la séparation de l’État et des religions, sans égard à l’une d’elles en particulier. Il s’agit-là, soutient la Procureure générale, d’un objectif de bien public qui tombe à l’intérieur des compétences de la législature québécoise.

[68]       Or, cette distinction n’est pas anodine si on en croit ce passage des notes du juge Dickson dans l’arrêt Big M Drug Mart :

Cependant, il faut souligner que cette conclusion quant à la compétence législative du Parlement fédéral pour adopter la Loi sur le dimanche repose sur le fait que l'objet de la Loi a été identifié comme étant de rendre obligatoire l'observance du dimanche en raison de son importance sur le plan religieux. Si, par contre, la Loi avait non pas un objet religieux, mais pour objet laïque d'imposer à tous un même jour de repos, elle relèverait alors du par. 92(13) portant sur la propriété et les droits civils dans la province, et serait donc du ressort provincial plutôt que fédéral:[32]

[69]       La défenderesse oppose de plus aux arguments des demanderesses les enseignements de l’arrêt Siemens[33] de la Cour suprême, une affaire portant sur les appareils de loterie vidéo dans le cadre d’une loi du Manitoba autorisant les municipalités à tenir des référendums décisionnels relativement à l’interdiction de ces appareils sur leur territoire. Décider s’il s’agissait d’une matière provinciale ou plutôt d’une matière fédérale relevant du droit criminel est une des questions que devait trancher le plus haut tribunal. Dans un jugement unanime sous la plume du juge Major, la Cour a décidé que la loi contestée n’émargeait pas au droit criminel parce qu’elle n’en présentait pas les caractéristiques :

Ces caractéristiques sont (1) une interdiction (2) assortie d’une sanction et (3) d’un objet relevant du droit criminel.  Les intimés ont reconnu que la Loi sur les ALV comporte, au par. 3(1) notamment, une interdiction d’exploiter des ALV dans les municipalités qui les ont interdits à la suite d’un référendum décisionnel.  Or, cela ne suffit pas en soi pour établir que la Loi sur les ALV est, de par son caractère véritable, une loi en matière criminelle.  La Loi ne comporte aucune conséquence pénale et son objet ne relève pas du droit criminel.[34]

(Le Tribunal souligne)

[70]       Quant aux considérations d’ordre moral, ce même arrêt, somme toute récent par rapport aux arrêts Henry Birks et al, conclut que l’existence de considérations morales à la base de l’adoption d’une loi ne suffit pas à la faire basculer dans la sphère des compétences fédérales :

Troisièmement, une loi n’excède pas la compétence de la législature provinciale en raison de la seule existence de considérations morales.  En accordant au Parlement la compétence exclusive en matière de droit criminel, la Loi constitutionnelle de 1867 ne visait pas à exclure de la compétence législative provinciale toute matière ayant trait à la moralité.  Dans bien des cas, il sera impossible à la législature provinciale de dégager les considérations morales d’autres considérations.  Par exemple, dans la présente affaire, il est difficile de faire abstraction des divers coûts sociaux liés au jeu et aux ALV.  Comme en fait foi l’examen approfondi effectué dans le rapport Desjardins, op. cit., le jeu contrôlé par l’État peut avoir des conséquences sociales néfastes, dont la dépendance, la criminalité, la faillite et le déclin des activités de jeu organisées à des fins de bienfaisance.  Le gouvernement provincial peut légitimement tenir compte de ces coûts sociaux pour décider comment réglementer le jeu dans la province.  Le fait que certaines de ces considérations aient un aspect moral n’invalide pas pour autant une loi provinciale par ailleurs légitime.[35]

(Le  Tribunal souligne)

[71]       Enfin, comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest, l’analyse de l’objectif réel de la législation provinciale et de ses effets véritables sur les matières de compétence fédérale a pour corollaire qu’une législation dont le caractère véritable relève de la compétence du législateur qui l’a adoptée pourra, dans une certaine mesure, toucher des matières qui ne sont pas de sa compétence sans nécessairement affecter sa validité constitutionnelle :

À ce stade de l’analyse de sa constitutionnalité, l’« objectif dominant » de la législation demeure déterminant.  Ses buts et effets secondaires n’ont pas de conséquence sur sa validité constitutionnelle : « de simples effets accessoires ne rendent pas inconstitutionnelle une loi par ailleurs intra vires » (Global Securities Corp. c. Colombie-Britannique (Securities Commission), [2000] 1 R.C.S. 494, 2000 CSC 21, par. 23).  Par « accessoires », on entend les effets de la loi qui peuvent avoir une importance pratique significative mais qui sont accessoires et secondaires au mandat de la législature qui a édicté la loi : voir Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473, 2005 CSC 49, par. 28.  Ces ingérences accessoires dans les matières relevant de la compétence de l’autre ordre de gouvernement sont acceptables et prévisibles : General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, p. 670.[36]

[72]       Objectif dominant de la législation attaquée par rapport à ses effets accessoires, intervention législative pour imposer un devoir moral de neutralité de l’État, rattachement de la moralité au droit criminel et donc à la compétence fédérale, sont autant de rubriques sur lesquelles le juge du procès devra se pencher pour décider de l’argument d’invalidité constitutionnelle développé par les demanderesses. Le faire à ce stade préliminaire serait téméraire.

[73]       Mais y a-t-il dans cet argument constitutionnel fondé sur le partage des compétences une matière sérieuse à juger dans le cadre d’une demande d’injonction interlocutoire?

[74]       La conclusion à apporter à cette question ne s’impose pas d’emblée. Ayant renoncé, à cause du texte même de l’article 33 de la Loi, à invoquer les libertés, garanties et droits énoncés aux articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne, les demanderesses n’ont d’autre choix pour réussir que de se fonder sur des arguments purement constitutionnels par rapport à des arguments de Charte, dont l’issue demeure incertaine[37].

[75]       En ce sens, leur position en droit est plus précaire que celle qui prévalait dans le dossier National Council of Canadian Muslims (NCCM) c. Procureure générale du Québec[38]. Dans son jugement sur la demande de sursis d’application de l’article 10 de la Loi sur la neutralité religieuse de l’État présentée par le NCCM, le juge Blanchard conclut ainsi sur le critère de la question sérieuse à juger :

[26]   […] For the Court, it is obvious that the effect of sections 10 and 15 of the Act does constitute, prima facie, a violation of section 2 a) of the Charter which provides for freedom of conscience and religion as does section 3 of Québec’s Charter.

(Le Tribunal souligne)

[76]       Ici, la question du partage des compétences n’a pas ce caractère évident. Par contre, une analyse préliminaire de la question permet de conclure qu’il y a matière pour un tribunal à s’y pencher. Il s’agit donc d’une question sérieuse à juger.

[77]       L’existence d’une seule question de ce type suffit à satisfaire au premier des trois critères requis dans le cadre d’une ordonnance d’injonction interlocutoire. Il n’est donc pas nécessaire pour le Tribunal d’élaborer sur les deux autres propositions des demanderesses, soit le respect de la règle de droit et la structure constitutionnelle. Quelques remarques néanmoins sur chacune avant d’enchaîner.

6.1.2.   La Rule of law

[78]       Sous cette rubrique, les demanderesses soutiennent que le caractère vague de la Loi sur certains de ses aspects essentiels, soit principalement la notion de signes religieux et sa portée ou encore le sens véritable de la clause de transition inscrite à l’article 31, a pour effet de brouiller la règle de droit et de laisser les pouvoirs publics décider de ces questions sans le bénéfice d’une loi claire :

A son niveau le plus élémentaire, le principe de la primauté du droit assure aux citoyens et résidents une société stable, prévisible et ordonnée où mener leurs activités. Elle fournit aux personnes un rempart contre l’arbitraire de l’État.[39]

[79]       Or, selon les demanderesses, la Loi par ses imprécisions, donne aux pouvoirs publics toute latitude et prive ainsi le pouvoir judiciaire de moyens de contrôle du pouvoir discrétionnaire[40].

[80]       Le problème n’est donc pas tant que la Loi confère en termes généraux un pouvoir discrétionnaire étendu que le fait, selon les demanderesses, qu’elle ne donne pas, quant au mode d’exercice de ce pouvoir, d’indication sur le moyen de le contrôler.

[81]       Encore une fois, si la proposition des demanderesses est bien articulée en droit, il y a loin de la coupe aux lèvres pour parvenir à la conclusion recherchée qui est que la Loi est invalide au départ pour motif de caractère vague au sens des arrêts de la Cour suprême qu’elles invoquent alors qu’aucun cas spécifique n’a encore pu être soumis à l’appréciation d’un tribunal, d’un arbitre ou d’un décideur en droit du travail. Rechercher l’invalidité d’une loi dûment adoptée par la législature ou le Parlement au nom d’un principe constitutionnel est toujours un pari audacieux comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco ltée déjà cité[41] qu’invoque la défenderesse en réponse à l’argument des demanderesses :

La primauté du droit n’est pas une invitation à banaliser ou à remplacer les termes écrits de la Constitution.  Il ne s’agit pas non plus d’un instrument permettant à celui qui s’oppose à certaines mesures législatives de s’y soustraire.  Au contraire, elle exige des tribunaux qu’ils donnent effet au texte constitutionnel, et qu’ils appliquent, quels qu’en soient les termes, les lois qui s’y conforment.

Un examen des décisions montrant que chacune des exigences proposées par les appelants à l’égard de la primauté du droit ne jouit, en jurisprudence, d’aucune protection constitutionnelle met un terme à leurs arguments à ce sujet.

6.1.3.   La structure constitutionnelle

[82]       Quant à la troisième proposition relative à la transformation de la structure constitutionnelle qu’opère la Loi, elle repose sur la prémisse que la Loi nie à des membres de minorités religieuses le droit de prendre une part active à certaines institutions publiques à titre de fonctionnaires, de professeurs ou de professionnels. Ceci équivaut, selon les demanderesses, à exclure les membres de minorités religieuses sur la base de leurs croyances, de leur foi, de leur confession religieuse.

[83]       La notion de structure constitutionnelle que les demanderesses invoquent à leur soutien apparaît avoir été développée par le collage de passages de certains arrêts de la Cour suprême dont Syndicat des employés de la Fonction publique de l’Ontario  (SEFPO/OPSEU) c. Ontario (Procureur général)[42], Renvoi : juges de la Cour provinciale[43] et Corbiere c. Canada[44]. Aucun arrêt du plus haut tribunal ne fait pourtant de la structure constitutionnelle comme la conçoivent les demanderesses un principe inhérent à la constitution au même titre que le fédéralisme, la démocratie, la primauté du droit et le respect des droits des minorités[45].

[84]       Pourtant, ces questions d’égalité devant la loi et de libertés fondamentales, inhérentes à la structure constitutionnelle selon les demanderesses, sont nommément inscrites aux articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne qui les a de la sorte codifiées. Difficile alors de plaider à cette étape que ces droits sont en parallèle inscrits dans la structure constitutionnelle indépendamment de la Charte et qu’ils peuvent être invoqués malgré le recours à la clause dérogatoire. Procéder de la sorte équivaut à première vue à attaquer la structure constitutionnelle dont les demanderesses disent se prévaloir.

[85]       La législature du Québec a choisi d’invoquer d’entrée de jeu la clause dérogatoire par le biais de l’article 34 de la Loi sur la laïcité et le Tribunal doit en tenir compte.

[86]       Or, l’article 33 de la Charte canadienne, qui permet précisément le recours à la clause dérogatoire par les élus du Parlement ou des législatures, est le fruit d’un compromis politique qui a ouvert la porte aux modifications apportées à la Constitution en 1982. La Loi constitutionnelle de 1982 permet ainsi aux élus, dans certaines circonstances, de donner la priorité au choix démocratique électoral plutôt qu’aux libertés fondamentales, aux garanties juridiques et au droit à l’égalité pour une période de temps limité. Une fois exercé, ce choix s’inscrit dans la Rule of law.

[87]       Or, la proposition fondée sur la notion de structure constitutionnelle amène les demanderesses à invoquer des droits inscrits à la Charte canadienne alors que la Loi qu’elles attaquent se prévaut de la clause dérogatoire. Et s’ajoute à ce qui précède que leurs avocates ont déclaré d’entrée de jeu au Tribunal qu’à cette étape du dossier, elles n’entendaient pas remettre en question ce recours à la clause dérogatoire ni dans la forme, ni dans le fond, tout en ménageant leurs options à ce sujet pour le futur.

[88]       Au terme de l’analyse sommaire qu’il est tenu de faire de la question sérieuse, le Tribunal est enclin à conclure que cette dernière proposition, sans être vouée à l’échec, est plus étriquée que les deux précédentes et qu’à elle seule, elle pourrait ne pas se qualifier de question sérieuse à juger dans le cadre d’une demande de suspension de l’application de deux dispositions de la Loi. Mais le paradoxe pourrait toutefois n’être qu’apparent. Il appartiendra maintenant au juge du procès de décider du mérite de cette proposition comme des deux autres.

[89]       Cela dit, dans l’ensemble, la demande de sursis répond au premier critère applicable dans le cadre d’une demande d’injonction interlocutoire.

6.2.        Le préjudice sérieux ou irréparable

[90]       Est-ce que la Loi, en entrant en vigueur dès son adoption, rend impossible le moment venu de compenser le préjudice que les demanderesses allèguent subir advenant qu’un jugement de dernière instance déclare la Loi ou certains de ses articles invalides? La juge Poulin, dans un récent jugement décrit bien l’enjeu lorsqu’elle écrit :

[42]           Quant à ce critère, la Cour d’appel énonce qu’il faut rechercher si la partie qui requiert le remède, en l’occurrence la demande de sursis provisoire, subirait un préjudice sérieux ou irréparable si sa demande était rejetée.

[43]           Le Tribunal doit ainsi évaluer le préjudice sérieux ou irréparable qui découlerait du refus d’accorder la demande de sursis provisoire et non le préjudice sérieux susceptible de découler de l’application des décrets en litige de façon permanente.[46]

[91]       Pour répondre à cette question et éclairer les deux autres critères que sont la prépondérance des inconvénients et l’urgence, le Tribunal se tourne maintenant vers les déclarations sous serment des demanderesses et celles versées au dossier à leur initiative. Il s’avère utile de les passer en revue l’une à la suite de l’autre.

6.2.1.   Les déclarations sous serment

 

a)   Les déclarations de M. Farooq et de Mme Aviv

[92]       Les déclarations de M. Mustafa Farooq, pour le compte du NCCM/CNMC, et de Mme Noa Mendelsohn Aviv, pour la CCLA/ACLC, visent l’une et l’autre à établir leur qualité pour agir dans ce dossier aux termes des arrêts Conseil canadien des églises[47] et Downtown Eastside[48] de la Cour suprême.

[93]       Pour les fins de la présente section, le Tribunal note que, selon la déclarante Aviv, la Loi a un impact immédiat sur les communautés qui partagent une même religion au Québec et au Canada, au-delà de la question du port de signes religieux :

20.    The CCLA is deeply concerned that in the current political climate, the Act will explicitly and/or implicitly encourage xenophobia, public humiliation, and/or harassment of individuals who wear religious symbols more broadly speaking, but in particular Muslim women, women who wear head scarves or niqabs, or women who are perceived as Muslim. These are precisely some of the discriminatory impacts that the CCLA works to mitigate and avoid through its advocacy across the country.

[94]       Il s’agit-là essentiellement d’une estimation d’un effet que la Loi pourrait avoir sur les collectivités en fonction de l’appartenance de leurs membres à une confession religieuse. Ce paragraphe touche directement à la sagesse de la Loi et à sa pertinence.

b)   La déclaration de la demanderesse Hak

[95]       La demanderesse Ichrak Nourel Hak est une personne physique d’origine marocaine vivant à Montréal depuis l’âge de deux ans après que ses parents eurent immigré au Québec. Elle est francophone. Elle a effectué tout son parcours scolaire ici.

[96]       Elle est présentement étudiante au baccalauréat en éducation à l’Université de Montréal. Elle vise à enseigner le français, langue seconde dans une classe d’accueil au secondaire ou encore dans une classe au primaire dans une école anglophone.

[97]       Si tout se déroule normalement, elle devrait obtenir son diplôme au cours de l’année 2020; dans l’intervalle, elle compte faire son premier stage en milieu scolaire au cours de l’hiver 2019-2020. Elle travaille actuellement dans une école où elle offre un soutien linguistique pour les élèves qui éprouvent de la difficulté en français. Elle n’allègue pas avoir sollicité un poste auprès d’une maison d’enseignement du réseau public et encore moins avoir essuyé un refus ou connu des tracasseries.

[98]       De confession musulmane, elle a fait le choix de porter le hijab, sans pression familiale, en conformité avec ses convictions religieuses. Le porter fait partie d’elle-même. Il lui fait se sentir bien.

[99]       L’entrée en vigueur de la Loi sur la laïcité la force maintenant, affirme-t-elle, à abandonner son projet d’enseignement puisqu’elle ne peut accepter qu’on la force à retirer son hijab. Elle déclare que «ce métier faisait partie intégrante de moi» (par. 24) alors qu’elle demeure pour l’instant encore étudiante en éducation.

[100]    Le hijab fait partie de son identité. Par le passé, dit-elle, le porter ne soulevait aucun problème. Aujourd’hui, elle ressent le poids du regard méprisant de certains et leur agressivité à son égard à cause du voile qu’elle arbore. Selon elle, la Loi a pour effet de légitimer ce genre de comportement discriminatoire et choquant.

[101]    La position qu’elle adopte, quoique sans doute sincère, demeure largement théorique et porte plus sur la sagesse de la Loi que sur ses effets sur sa future carrière.

[102]    À l’appui de leurs prétentions, les demanderesses ont versé au dossier plusieurs autres déclarations sous serment de diverses personnes qui, à partir de leur situation propre, développent des arguments à propos des effets négatifs que la Loi aura dans le futur. Aucune de ces personnes ne s’est porté demanderesse dans le dossier. Leurs déclarations ont pour objectif d’appuyer la position des demanderesses et il y a lieu d’en tenir compte[49].

c)   Les déclarations de la mairesse Smith et de M. Feldman

[103]    La déposante Christina Smith, en sa qualité de mairesse de Westmount, va dans le même sens que les demanderesses, forte d’une résolution du conseil municipal de sa ville qui s’oppose à la Loi sur la laïcité[50]. Il en va de même de la déclaration sous serment de M. Julien Feldman en sa qualité de commissaire à la Commission scolaire English-Montréal.

d)   La déclaration de Mme N.P.

[104]    Pour la déclarante N.P., qui dit craindre de s’identifier par son nom, le port du hijab est un choix personnel qui ne met pourtant pas à risque l’emploi qu’elle occupe déjà au sein de la fonction publique. Mais elle dit craindre que la portée de la Loi ne soit élargie dans un prochain avenir. Elle est d’avis que la Loi ne fait que contribuer à une montée de l’intolérance religieuse qu’elle ressent autour d’elle. Dans l’intervalle, elle souligne que la mobilité verticale au sein de l’appareil public lui deviendra impossible le cas échéant, vu le choix qu’elle a fait de porter le voile.

e)   La déclaration de Mme Ahmad

[105]    La déclarante Fatima Ahmad étudie en enseignement primaire à l’Université McGill. Elle devrait recevoir son diplôme au début de 2021 si elle complète comme prévue sa scolarité en décembre 2020. Elle a le projet d’enseigner un jour au primaire. Elle porte depuis trois ans le voile intégral, le niqab. Il s’agit d’un choix purement personnel, exercé sans contrainte. La Loi aura selon elle pour effet d’accentuer la dissension et l’intolérance associées au climat toxique que crée le gouvernement (par. 19). Selon elle, l’article 6 de la Loi l’empêchera d’enseigner le moment venu puisqu’elle ne compte pas renoncer au port du niqab.

f)    La déclaration de Mme Gehr

[106]    Mme Carolyn Gehr est depuis 2006 une enseignante dans le réseau d’éducation public. Elle couvre ses cheveux d’un foulard conformément à l’enseignement religieux juif. Porterait-elle une perruque aux lieu et place du foulard que le problème serait le même puisqu’il s’agirait du port d’un signe religieux. Comme elle n’entend pas se soustraire à cette obligation vestimentaire associée à sa confession religieuse, elle craint que ses chances de mobilité verticale ou latérale au travail, au sein du réseau public d’enseignement, soient compromises même si elle n’envisage pas de changement en ce sens pour le moment. Quant à la clause de protection pour les personnes en poste au 27 mars 2019, elle lui reproche ce qui suit :

15.    […] Right now, anyone can look at me and say that the only reason I’m allowed to keep my job is that the government took mercy on me, but I really don’t belong in my profession. This does not create a good work environment and impacts my self-esteem.

[107]    Dans l’ensemble, elle déplore le choix législatif qui a été fait de privilégier la laïcité de l’État au détriment de la liberté d’arborer les signes religieux qui l’accompagnent dans sa pratique religieuse.

g)   La déclaration de Mme Melab

[108]    La déclarante Imane Melab est d’origine algérienne et vit au Québec depuis qu’elle a cinq ans. Étudiante au baccalauréat en droit à l’Université de Montréal, elle porte le hijab depuis l’âge de 18 ans et compte continuer à le faire puisqu’il lui permet de mieux pratiquer sa religion et de se sentir plus près de sa foi. La Loi a pour effet qu’elle se sent marginalisée dans la société québécoise. Elle craint de ne pas pouvoir travailler comme avocate dans la fonction publique québécoise puisque, affirme-t-elle dans sa déclaration sous serment, «les avocats exerçant dans la fonction publique ne pourront pas porter de signe religieux» (par. 17), ce qui n’est pas exactement ce que prévoit la Loi. Dans l’intervalle, le Tribunal comprend qu’il reste encore à la déclarante à entrer à l’École du Barreau, réussir les examens, être inscrite au tableau de l’ordre, postuler dans la fonction publique et y décrocher un emploi.

h)   La déclaration de M. Naqvi

[109]    Le déclarant assermenté Basir Naqvi est musulman. Il porte à la fois le kufi et la barbe qu’il affirme être dans son cas un signe religieux. Il est détenteur d’un baccalauréat en commerce et d’un diplôme de droit, tous deux obtenus à l’Université McGill. Porter des signes religieux comme il le fait lui permet d’affirmer son identité et de contrer, affirme-t-il, les stéréotypes que la société québécoise entretient envers les musulmans. La Loi a pour effet qu’il se sent maintenant exclu des institutions publiques au Québec. Il rapporte d’autre part que, du temps qu’il étudiait en droit, il a songé à devenir procureur de la poursuite. Cette porte lui serait dorénavant fermée avec pour résultat que son sentiment d’exclusion de la société québécoise ne fait que croître. Sa déclaration sous serment n’indique toutefois pas qu’il est membre du Barreau du Québec. Elle n’indique pas non plus qu’il ait fait quelque démarche que ce soit pour décrocher un poste au sein de la fonction publique québécoise dans une fonction énumérée à l’annexe II de la Loi pour l’exercice de laquelle le port de signes religieux serait prohibé.

i)    La déclaration de Mme Kaur

[110]    La déclarante Amrit Kaur est de religion sikh et porte des signes religieux qui sont associés à cette confession. Elle et sa famille ont émigré de Grande-Bretagne au Québec en 1995. Sa famille vit toujours dans la région de Montréal même si la déclarante habite Ottawa où elle a obtenu récemment un baccalauréat en éducation. Pour elle, le port des signes religieux (dastaar, kirpan et d’autres signes, visibles ou non) sont les témoins de son engagement spirituel. À son tour, elle affirme que la Loi a pour effet qu’elle se sent discriminée au Québec et citoyenne de seconde zone alors qu’elle n’avait jamais rien ressenti de tel du temps qu’elle vivait au Québec. Elle exprime l’avis que la Loi a pour effet d’encourager la communauté québécoise dans son ensemble à adopter des comportements intolérants et à traiter des personnes comme elle de déviantes (par. 21). Elle n’entend pas choisir entre un emploi et le port de signes religieux. Elle a accepté un poste d’enseignement en Colombie-Britannique à compter de septembre 2019, en partie à cause de la présentation de la Loi (par. 27)[51]. Rien n’indique qu’elle ait au préalable postulé au Québec dans le réseau public d’éducation. Sa déclaration sous serment porte la date du 18 juin 2019, moins de 48 heures après l’entrée en vigueur de la Loi. Le Tribunal comprend que ses démarches d’embauche en Colombie-Britannique ont été faites bien avant.

j)     La déclaration de Mme Dadouche

[111]    Mme Hakima Dadouche est née en Algérie et est arrivée au Québec en 2006 alors qu’elle avait 31 ans. Après avoir étudié à l’Université de Montréal en enseignement des mathématiques, elle travaille depuis 2011 pour la Commission scolaire de Montréal et enseigne au primaire. Elle entretient de bons rapports avec ses élèves dont elle est appréciée dit-elle dans sa déclaration sous serment. De confession musulmane, elle a choisi d’adopter le hijab, ce qui la garde en lien avec sa foi, dit-elle. Même si la Loi protège sa fonction d’enseignante, elle la prive de son «droit de mobilité, d’évolution et d’avoir des rêves» (par. 10). La Loi, affirme-t-elle, la fait surtout se sentir marginalisée malgré l’estime de ses collègues. Si elle allègue avoir fait une demande d’échange de poste il y a trois ans, elle n’affirme pas que la Loi ait eu quelque effet sur cette demande. Elle n’allègue pas non plus avoir l’intention de faire une demande pour changer de poste.

k)   La déclaration de Mme E.E.

[112]    La déclarante E.E., qui refuse de s’identifier par son nom par peur de représailles, vit au Québec depuis 2015. Elle est professeure à temps partiel au secondaire depuis le 29 mai 2019. Elle a entrepris des démarches pour faire reconnaître ses équivalences pour pouvoir s’inscrire dans un cours de formation lui permettant par la suite d’espérer un emploi à temps plein dans le réseau d’éducation public. Elle est de confession musulmane et porte le hijab depuis l’âge de 25 ans. Le voile fait partie de son identité. Si elle ne déclare pas qu’elle refuserait de le retirer au risque de perdre son emploi, elle souligne qu’avoir un jour à faire ce choix la rend anxieuse. Dans l’intervalle, vu sa date d’embauche, elle dit craindre de ne plus se voir octroyer d’heures d’enseignement et donc ne pas être en mesure de parfaire sa formation et réaliser son rêve d’enseigner.

l)     La déclaration de Mme Hariri

[113]    Mme Ghadir Hariri est elle aussi de confession musulmane. Dans sa déclaration sous serment, elle affirme porter le hijab par choix et par «pure conviction» (par. 8). Le voile lui donne une force intérieure qui lui permet d’affronter les préjugés à l’égard des femmes voilées, dit-elle. Par ailleurs, diplômée en enseignement des mathématiques de l’Université de Montréal depuis le 19 juin 2019, elle a complété son dernier stage et est prête à obtenir un poste d’enseignante. Elle dit que l’enseignement est pour elle une vocation et qu’elle avait l’intention, jusqu’à l’adoption de la Loi, d’enseigner au secondaire à la Commission scolaire Marguerite-Bourgeois («CSMB»). Elle affirme que depuis le 16 juin 2019, la Loi la prive de son travail et qu’elle est face à un mur. Pourtant, rien n’indique qu’au-delà de son rêve, elle avait à cette date décroché ou tenté de décrocher un emploi à la CSMB ou ailleurs. Bien que son intention était de soumettre sa candidature dans le cadre d’un appel de candidatures lancé par cette dernière, elle s’inquiète de ce qu’il adviendra de sa candidature le moment venu. Pour le reste, la déclaration sous serment apparaît au Tribunal hautement spéculative et relever plus de la rhétorique que de la description d’une situation vécue.

m) La déclaration de Me Bordan

[114]    Enfin, le déclarant Gregory Bordan est un avocat qui a fait toute sa carrière au sein d’un grand cabinet d’avocats. De confession juive, il se fait fort de toujours porter un couvre-chef conformément aux prescriptions de sa foi. Il porte ainsi la kippa au bureau comme en salle d’audience. Celle-ci fait partie intégrante de son identité de juif orthodoxe. Il porte aussi un signe religieux sous ses vêtements. Il déplore que le fait de porter des signes religieux, visibles ou pas, aurait pu dans le passé, la Loi sur la laïcité eut-elle été en vigueur, le priver de certains mandats qui lui ont été confiés au cours de sa longue carrière. Alors qu’il s’apprête à prendre sa retraite, sa déclaration sous serment, dont il n’y a pas lieu de douter de la sincérité, présente un point de vue rétrospectif qui aurait été plus à sa place au moment des débats parlementaires qu’au moment de présenter une demande de sursis de l’application de la Loi.

[115]    Le Tribunal souligne que la majorité des déclarants et déclarantes affirment avoir été surpris, déçus ou stupéfaits lorsqu’ils ont pris connaissance du contenu de la Loi et des contraintes qu’elle crée.

6.2.2.   Évaluation

[116]    La lecture attentive de ces déclarations sous serment, qui dans l’ensemble sont de la nature de l’opinion, pour nombre d’entre elles sont purement hypothétiques et souvent spéculatives, amène le Tribunal à conclure que les demanderesses n’ont pas démontré, comme il leur revenait de le faire, de dommages sérieux ou irréparables à l’étape de la demande d’injonction interlocutoire provisoire.

[117]    Essentiellement, ces déclarations reviennent à plaider la discrimination sur la base des pratiques religieuses auxquelles les déclarant(e)s assermenté(e)s ont choisi librement d’adhérer. Les regards hostiles que certains membres de la société civile porteraient sur eux et les paroles blessantes dont deux des déclarantes disent avoir été victimes ne sont pas le résultat de l’adoption de la Loi, compte tenu du peu de temps écoulé entre celle-ci et la signification de la demande introductive, mais sont le fait de déplorables dérives et d’une incivilité que la Loi cherche aussi à endiguer. Que certains dans la société se sentent affranchis aujourd’hui de clamer leurs préjugés plutôt que de les endiguer n’a pas pour origine la Loi sur la laïcité.

[118]    Que des promotions au travail en viennent un jour à être refusées sur la base de l’article 6 de la Loi, que des mesures disciplinaires soient prises en temps et lieu pour sanctionner des contraventions à ses articles 6 ou 8, al. 1, que des postes dans la fonction publique puissent être refusés à des postulants le moment venu par l’effet de l’application de la Loi demeurent possibles à plus ou moins long terme. Toute loi qui vise à brider un débat de société entraine nécessairement dans son sillage son lot de contraintes nouvelles et d’insatisfaction. Par contre, on ne peut conclure à un dommage irréparable sur la base d’hypothèses auxquelles seuls le procès et le temps permettront de donner de la substance. Une fois écartées les garanties des Chartes, on ne peut attendre du Tribunal qu’il suspende des volets d’une loi validement adoptée sur la base de ce qui demeure au rang d’hypothèses.

[119]    Vu ainsi, le cas présent diffère du dossier National Council of Canadian Muslims déjà cité[52] qu’invoquent les demanderesses.

[120]    Dans cette affaire, une personne portant le voile intégral invoquait la liberté de religion et le droit à l’égalité devant la loi garantis tant par la Charte canadienne que la Charte québécoise pour demander par voie de sursis la suspension de l’article 10 de la Loi sur la neutralité religieuse adoptée et entrée en vigueur[53] le 18 octobre 2017.

[121]    Cet article, maintenant abrogé par l’article 24 de la Loi sur la laïcité, avait pour effet d’exiger que le personnel des services publics exerce ses fonctions à visage découvert et que toute personne se présentant pour recevoir un service fasse de même.

[122]    La Loi sur la neutralité religieuse ne s’accompagnait pas des clauses dérogatoires des articles 33 de la Charte canadienne ou 52 de la Charte québécoise. Ce qui a amené le juge Barin[54], au stade de la provisoire, et, comme on l’a vu précédemment, le juge Blanchard après lui[55], à conclure à une violation prima facie du paragraphe 2 a) de la première et de l’article 3 de la seconde.

[123]    Par ailleurs, le texte même de la loi créait une difficulté réelle et immédiate d’application que le juge Blanchard, appelé à décider de la demande d’injonction interlocutoire, synthétisait ainsi :

[52]        At the hearing, the AG repeatedly pleaded that de facto, on the spot accommodation decisions would be taken by representatives of public bodies with which the veiled women would interact. To illustrate this point, the example of the interaction with a bus driver was raised. The position taken by the representative of the AG was unambiguous: It was the individual drivers themselves who would decide whether an accommodation was required or not and that it would be contingent upon him or her to explain the refusal of accommodation if that was the decision that was taken. All of that would be done in cooperation with the officers or units responsible for dealing with requests for accommodation in their respective transit system organization.

[124]    La Loi sur la laïcité et la Loi sur la neutralité religieuse présentant, quand on les compare, des distinctions importantes sur des éléments essentiels, à commencer par le recours aux clauses dérogatoires, ces jugements n’offrent pas de réel point d’appui aux demanderesses.

[125]    Cela dit, des allégations d’atteinte à l’égalité des droits et à la liberté de religion ne peuvent pas être tenues pour un préjudice irréparable dans un contexte où le recours aux clauses dérogatoires n’est pas remis en question.

[126]    Les demanderesses ont donc failli à leur obligation de démontrer l’existence d’un préjudice irréparable découlant du refus d’accorder le sursis demandé.

6.3.        La prépondérance des inconvénients

[127]    Dans une société libre et démocratique, décrier une loi avant comme après son entrée en vigueur fait partie des prérogatives des citoyens qui peuvent en amont militer contre son adoption ou s’organiser en vue de son remplacement en aval.

[128]    Par contre, une fois adoptée par une législature démocratiquement élue, la loi est tenue pour l’avoir été dans l’intérêt du public et à l’avantage du bien commun. Le Tribunal s’estime lié sur ce point par ce passage de l’arrêt unanime de la Cour suprême dans l’affaire Metropolitan Stores :

Qu'elles soient ou non finalement jugées constitutionnelles, les lois dont les plaideurs cherchent à obtenir la suspension, ou de l'application desquelles ils demandent d'être exemptés par voie d'injonction interlocutoire, ont été adoptées par des législatures démocratiquement élues et visent généralement le bien commun, par exemple: assurer et financer des services publics tels que des services éducatifs ou l'électricité; protéger la santé publique, les ressources naturelles et l'environnement; réprimer toute activité considérée comme criminelle; diriger les activités économiques notamment par l'endiguement de l'inflation et la réglementation des relations du travail, etc. Il semble bien évident qu'une injonction interlocutoire dans la plupart des cas de suspension et, jusqu'à un certain point, comme nous allons le voir plus loin, dans un bon nombre de cas d'exemption, risque de contrecarrer temporairement la poursuite du bien commun.[56]

[129]    En corollaire, il n’y a pas lieu d’exiger de la part de la Procureure générale la preuve que la Loi est à l’avantage du public, comme l’affirme la Cour suprême dans l’arrêt RJR-MacDonald :

Si la nature et l'objet affirmé de la loi sont de promouvoir l'intérêt public, le tribunal des requêtes ne devrait pas se demander si la loi a réellement cet effet.  Il faut supposer que tel est le cas.  Pour arriver à contrer le supposé avantage de l'application continue de la loi que commande l'intérêt public, le requérant qui invoque l'intérêt public doit établir que la suspension de l'application de la loi serait elle-même à l'avantage du public.[57]

[130]    C’est à partir de ces considérations que, dans l’arrêt Harper déjà cité, la Cour suprême écrit :

Un autre principe énoncé dans la jurisprudence veut que, en décidant de l’opportunité d’accorder une injonction interlocutoire suspendant l’application d’une mesure législative adoptée validement mais contestée, il n’y ait pas lieu d’exiger la preuve que cette mesure législative sera à l’avantage du public. À ce stade des procédures, elle est présumée l’être.[58]

(Le Tribunal souligne)

[131]    De là découle ce que plusieurs appellent la présomption de validité des lois. Le Tribunal à ce propos fait sien ce passage éloquent de l’arrêt D’Amico de la Cour d’appel :

[28]        Il y a lieu de noter que dans le cadre de la procédure en injonction provisoire, la législation provinciale attaquée bénéficie de ce qui est communément mais erronément désignée comme la présomption de validité constitutionnelle. Cette présomption est en fait une règle de procédure selon laquelle le fardeau d’établir qu’une loi va à l’encontre de la Constitution incombe à ceux qui la contestent. Par définition, cette règle vise essentiellement le fond du litige. Il est donc rare que la constitutionnalité d’une loi puisse se régler au stade d’une procédure provisoire ou interlocutoire, et les tribunaux n’ordonneront pas à la légère qu’une loi que le Parlement ou une législature provinciale a dûment adoptée pour le bien public soit inopérante avant d’avoir fait l’objet d’un examen constitutionnel complet.[59]

[132]    Dans le cas présent, l’Assemblée nationale, à la majorité des voix, a jugé qu’inclure une prohibition de porter des signes religieux dans le code de conduite des personnes occupant les fonctions énumérées à l’annexe II de la Loi sert le bien commun sans égard à la croyance religieuse de chacun et chacune. De la même façon, le législateur a introduit dans le code de conduite de la quasi-totalité des serviteurs de l’État l’obligation de servir à visage découvert. Il est encore là présumé l’avoir fait dans l’intérêt public.

[133]    À ceci, les demanderesses opposent non pas les droits et garanties inscrits dans les Chartes, puisque cette voie leur est refusée par le recours du législateur aux clauses dérogatoires, mais des moyens de droit constitutionnel que le Tribunal, après une analyse préliminaire, a qualifiés de sérieux mais qui n’en demeurent pas moins pour l’instant hypothétiques et à mille lieux d’être évidents. Il s’agit d’arguments complexes dont l’issue demeure incertaine et qui ne pourront être départagés qu’au terme d’un procès.

[134]    Ce qui est demandé en réalité au Tribunal à cette étape est de conclure qu’à première vue, il est à l’avantage de l’intérêt public de suspendre deux des articles clés de la Loi sur la laïcité. Prétendre comme le font les demanderesses que le sursis sera sans effet puisque l’entrée en vigueur de la Loi ne répond à aucun besoin démontré équivaut à demander au Tribunal de s’immiscer dans la sagesse de la Loi, ce qu’il n’a pas le droit de faire. Il n’a pas à cette étape à évaluer l’efficacité des mesures prises par la législature.

[135]    Le Tribunal doit donc s’en tenir à la règle de prudence retenue par la Cour suprême dans l’arrêt Metropolitan Stores :

Quoique le respect de la Constitution doive conserver son caractère primordial, il y a lieu à ce moment-là de se demander s'il est juste et équitable de priver le public, ou d'importants secteurs du public, de la protection et des avantages conférés par la loi attaquée, dont l'invalidité n'est qu'incertaine, sans tenir compte de l'intérêt public dans l'évaluation de la prépondérance des inconvénients et sans lui accorder l'importance qu'il mérite. Comme il fallait s'y attendre, les tribunaux ont généralement répondu à cette question par la négative. Sur la question de la prépondérance des inconvénients, ils ont jugé nécessaire de subordonner les intérêts des plaideurs privés à l'intérêt public […][60]

et développée dans l’arrêt Harper :

La présomption que l’intérêt public demande l’application de la loi joue un grand rôle.  Les tribunaux n’ordonneront pas à la légère que les lois que le Parlement ou une législature a dûment adoptées pour le bien du public soient inopérantes avant d’avoir fait l’objet d’un examen constitutionnel complet qui se révèle toujours complexe et difficile.  Il s’ensuit que les injonctions interlocutoires interdisant l’application d’une mesure législative dont on conteste la constitutionnalité ne seront délivrées que dans les cas manifestes.[61]

(Le Tribunal souligne)

[136]    Dans les circonstances, les demanderesses ont échoué à démontrer qu’il serait à l’avantage de l’intérêt commun de donner priorité à leurs préoccupations au détriment de la Loi qui a été validement adoptée.

6.4.        L’urgence

[137]    L’analyse que fait le Tribunal du dossier à cette étape le mène à conclure que les demanderesses ne répondent pas non plus au critère de l’urgence requis dans le cadre d’une demande d’injonction interlocutoire provisoire. Par urgence, il faut entendre une urgence réelle et objective qui ne soit pas tributaire de l’argumentaire de la partie qui l’invoque.

[138]    En effet, la demanderesse Hak, en tant que personne physique impliquée comme partie au dossier devrait obtenir son diplôme universitaire dans le courant de 2020. Elle n’est donc pas dans une situation telle qu’un poste pourrait lui être refusé maintenant par l’effet de l’entrée en vigueur de la Loi. Dans l’intervalle, ce sera aux parties d’agir pour que l’affaire soit entendue au mérite avec diligence afin que soit tranchées les questions constitutionnelles complexes soulevées dans ce dossier.

[139]    Dans les circonstances, la demande apparaît à tout le moins prématurée.

7.            Synthèse

[140]    Résumons.

[141]    Demander de suspendre en totalité ou en partie une loi dûment adoptée par le Parlement ou la législature d’une province est un exercice exigeant. Ce dossier le démontre une fois de plus. Les demanderesses en étaient conscientes au départ.

[142]    La raison en est qu’une loi, n’importe quelle loi, est présumée avoir été présentée, débattue et validement adoptée dans l’intérêt et pour le bien-être de la collectivité dans son ensemble. Dans le cas présent, une loi visant à établir la laïcité de l’État et à imposer à cette fin un code de conduite à ceux et celles qui émargent au budget de l’État doit être tenue pour une mesure prise pour le bien commun.

[143]    La mettre en échec au nom d’intérêts individuels, si noble soit l’intention derrière la démarche, demande d’être tranchée au mérite et non pas de façon préliminaire.

[144]    Prétendre le faire à l’étape d’une demande de sursis exige de renverser la présomption et de démontrer que l’intérêt collectif serait mieux servi en suspendant l’application de certaines dispositions de la Loi plutôt qu’en laissant le choix des élus opérer.

[145]    S’il est possible de le faire, quoique exceptionnellement, dans certains dossiers où une loi apparaît à sa face même violer un droit fondamental inscrit à la Charte canadienne, les tribunaux sont très réticents à s’engager dans cette voie au stade préliminaire sur la base de purs arguments constitutionnels dont le bien-fondé restera toujours à être démontré au procès.

[146]    Dans le cas présent, les demanderesses ne remettent pas en question le recours du législateur à la clause dérogatoire. Restent donc leurs propositions de droit constitutionnel. Si celles-ci apparaissent sérieuses après une analyse préliminaire, ce n’est pas à cette étape qu’on peut décider de leur mérite véritable. Seul le juge du procès sera en mesure de le faire.

[147]    Dans l’intervalle, rien au dossier ne permet de présumer des chances de succès des demanderesses qui n’ont pas réussi à ce stade à renverser la présomption énoncée plus haut.

[148]    Il faut donc durant l’instance, à moins de retournement, laisser à la décision de la législature du Québec la priorité qui lui revient. Pendant ce temps, la Loi sur la laïcité de l’État continuera à s’appliquer intégralement en attendant le jugement au mérite sur la demande de révision judiciaire.

8.            Conclusion

[149]    POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[150]    REJETTE la demande de sursis visant à suspendre l’application des articles 6 et 8 de la Loi sur la laïcité de l’État,

[151]    FRAIS DE JUSTICE à suivre le sort de l’action.

 

 

 

 

__________________________________

MICHEL YERGEAU, J.C.S.

 

Me Catherine McKenzie

Me Olga Redko

IMK LLP

Avocates des demanderesses

 

Me Stephanie Lisa Roberts

Me Éric Cantin

Me Jean-Yves Bernard

Bernard Roy (Justice-Québec)

Avocats de la défenderesse

 

 

Date d’audience :

Le 9 juillet 2019

 



[1]     2019 L.Q. c. 12.

[2]     Une version modifiée suivra le 20 juin 2019 pour tenir compte de la numérotation des articles de la Loi une fois celle-ci éditée et publiée.

[3]     Loi constitutionnelle de 1982 (R-U), constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

[4]     Ce constat de fait découle de la documentation versée de part et d’autre (pièces P-3, P-6, P-8, P-9, P-10, P-17, PGQ-1, PGQ-2, EML-4 et EML-5) mais relève tout autant de la connaissance d’office. Le juge ne vit pas hors du monde ou en marge de la société civile dont on lui demande d’arbitrer les débats.

[5]     R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, 670.

[6]     Québec (P.G.) c. Canada (P.G.), [2015] 1 R.C.S. 693, par. 3.

[7]     [2005] 2 R.C.S. 473, par. 52. Voir aussi, Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, par. 59.

[8]     RLRQ, c. R-26.2.01.

[9]     RLRQ, c. C-12.

[10]    L.R.C. (1985), App. II, no 44.

[11]    RLRQ, c. C-11.

[12]    Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, par. 32.

[13]    Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c. 3.

[14]    Elles invoquent ainsi l’article 3 de la Charte canadienne qui reconnaît à tout citoyen canadien l’éligibilité aux élections législatives fédérales ou provinciales.

[15]    Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.

[16]    RJR-MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311, 341.

[17]    [2017] 1 R.C.S. 824, par. 22.

[18]    Metropolitan Stores, préc., note 15, p. 125.

[19]    Pour le sens à donner à cet ajout d’origine civiliste au caractère irréparable tiré de la Common Law, voir Rogers Media Inc. c. Marchesseault, 2006 QCCS 5314, par. 44, 45 et 49.

[20]    Ainsley Financial Corp. c. Ontario Security Commission, (1993), 14 O.R. (3d) 280, 303 et 304.

[21]    Groupe CRH Canada inc. c. Beauregard, 2018 QCCA 1063.

[22]    Metropolitan Stores, préc., note 15, p. 133.

[23]    Préc., note 16.

[24]    [2000] 2 R.C.S. 764, 771. Voir aussi, Procureure générale du Québec c. Solski, J.E. 2001-400.

[25]    Renvoi relatif à la Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, 450; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3, 26.

[26]    [1953] 2 R.C.S. 299, 333. Voir aussi, R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, 481.

[27]    Peter HOGG, Constitutional Law of Canda, vol. 1, 3e éd., Scarborough (Ont.), Carswell 1992, p. 15-13.

[28]    Henry Birks & Sons (Montreal) Ltd. c. Montreal (City of), [1955] R.C.S. 799.

[29]    R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.

[30]    R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713.

[31]    Préc., note 26.

[32]    R. c. Big M Drug Mart, préc., note 29, p. 355.

[33]    Siemens c. Manitoba (P.G.)., [2003] 1 R.C.S. 6.

[34]    Id., par. 23.

[35]    Ibid., par 30.

[36]    Banque canadienne de l’Ouest, préc., note 25, par. 28.

[37]    Brassard c. Société zoologique de Québec inc., [1995] R.D.J. 573 (C.A.).

[38]    2018 QCCS 2766.

[39]    Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 70.

[40]    Voir en ce sens, R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, 642.

[41]    Préc., note 7, par. 67, 68.

[42]    [1987] 2 R.C.S. 2.

[43]    [1997] 3 R.C.S. 3.

[44]    [1999] 2 R.C.S. 203.

[45]    Voir à ce propos, Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc. note 39.

[46]    English Montreal School Board c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCS 2682.

[47]    Conseil canadien des églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236.

[48]    Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, [2012] 2 R.C.S. 524.

[49]    RJR-MacDonald, préc., note 16, 344. Voir aussi, Morgentaler c. Ackroyd, (1983), 150 D.L.R. (3d) 59 (H.C.J. Ont.).

[50]    Pièce  CS-1.

[51]    La présentation à l’Assemblée nationale du Québec du Projet de loi no 21 remonte au 28 mars 2019.

[52]    Préc., note 38.

[53]    En partie, mais comprenant cet article.

[54]    2017 QCCS 5459.

[55]    Préc., note 38.

[56]    Préc., note 15, p. 187.

[57]    Préc., note 16, p. 349.

[58]    Préc., note 24, par. 9.

[59]    Québec (Procureure générale) c. D’Amico, 2015 QCCA 2138.

[60]    Préc., note 15, pp.135-136.

[61]    Préc., note 24, par. 9.

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