Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

14 juillet 2004

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

221855-72-0311

 

Dossier CSST :

122751613

 

Commissaire :

Francine Juteau

 

Membres :

Gilles Veillette, associations d’employeurs

 

Roland Meunier, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Edouard Allard

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Jules Henri couvreurs ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 25 novembre 2003, monsieur Edouard Allard (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue le 19 novembre 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à la suite d'une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST maintient la décision initialement rendue le 12 mai 2003 et déclare que le travailleur est capable d'exercer l'emploi de « couvreur adapté » à compter du 8 mai 2003 et qu'en conséquence, la CSST était bien fondé de mettre fin au versement de l'indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date.

[3]                L'audience s'est tenue à Montréal le 4 mai 2004 à laquelle assistaient le travailleur et son procureur de même que la procureure de l'employeur, Jules Henri couvreurs ltée.

[4]                À la suite de l'audience, un délai a été accordé aux parties, afin qu'elles puissent présenter leur argumentation par écrit. Le dossier a été mis en délibéré le 18 mai 2004.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure qu'il n'a pas la capacité à exercer l'emploi de « couvreur adapté » et que cet emploi ne constitue pas un emploi convenable.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs sont d'avis que l'emploi de « couvreur adapté » ne constitue ni un emploi équivalent ni un emploi convenable pour le travailleur et ce dernier n'avait donc pas la capacité à exercer cet emploi le 8 mai 2003. Ils sont d'avis que le dossier doit être retourné à la CSST pour qu'une démarche en réadaptation soit entreprise.

LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[7]                Monsieur Edouard Allard est couvreur de métier depuis une vingtaine d'années. Il exerce son emploi chez l'employeur depuis environ quatre ans au moment où il subit une lésion professionnelle le 9 août 2002.  Plus précisément, à cette date, il est assigné au chantier de l’entrepôt de la Société des alcools du Québec sur la rue des Futailles depuis deux ans. La lésion professionnelle survient, alors qu'en voulant prendre une pelleté de gravier, il ressent une douleur lombaire. Le diagnostic d'entorse lombaire est reconnu comme la lésion professionnelle subie par le travailleur.

[8]                Une résonance magnétique réalisée le 17 octobre 2002 fait état d'un début de dégénérescence discale aux niveaux L4-L5 et L5-S1 avec hernie paramédiane droite modérée comprimant l'émergence radiculaire S1 droite.

[9]                La lésion du travailleur est consolidée par son médecin traitant le 5 décembre 2002. L'existence d'une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles est soumise à la procédure d'évaluation médicale. C'est dans ce contexte que le docteur Hany Daoud, orthopédiste, émet son rapport le 11 avril 2003, retenant que le travailleur conserve un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour une entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées et des limitations fonctionnelles. Les limitations fonctionnelles retenues par le médecin sont les suivantes :

« Eviter d'accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de:

 

q       Soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg ;

q       Travailler en position accroupie ;

q       Ramper, grimper ;

q       Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d'extension ou de torsion de la colonne lombaire ;

q       Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale. »

 

 

[10]           En raison des limitations fonctionnelles reconnues au travailleur, la CSST procède à l'analyse du dossier, afin de déterminer si monsieur Allard est en mesure de retourner à son emploi prélésionnel de couvreur.

[11]           Madame Mireille Hotte, conseillère en réadaptation à la CSST, prend en charge le dossier le 29 avril 2003.

[12]           Le travailleur, ayant subi une atteinte permanente et conservé des limitations fonctionnelles de sa lésion, a droit à la réadaptation que requiert son état, tel que le prévoient les dispositions des articles 145 et 146 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi):

145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.

 

Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

__________

1985, c. 6, a. 146.

 

 

[13]           Tel que le souligne madame Hotte aux notes évolutives du dossier, l'emploi de couvreur est un emploi qui peut être très exigeant suivant le guide Repères qui définit les tâches d'un couvreur. Elle identifie deux difficultés principales, soit les positions inconfortables et la manipulation de poids de plus de 20 kilos.

[14]           Dans le cadre du processus de réadaptation, la conseillère en réadaptation communique avec l'employeur qui lui souligne que le travail de couvreur est incompatible avec les limitations fonctionnelles que conserve le travailleur.

[15]           Le dossier du travailleur est transféré à une autre conseillère qui, le 5 mai 2003, a une conversation avec l'employeur qui lui souligne avoir un emploi pour monsieur Allard et avoir besoin de lui rapidement.

[16]           Tel que le prévoient les dispositions des articles 166 et 167 de la loi, le programme de réadaptation professionnelle pour un travailleur peut comprendre le retour à son emploi ou à un emploi équivalent ou l'accès à un emploi convenable. Le programme de réadaptation peut également comprendre l'adaptation d'un poste de travail.

166. La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 166.

 

 

167. Un programme de réadaptation professionnelle peut comprendre notamment:

 

1°   un programme de recyclage;

 

2°   des services d'évaluation des possibilités professionnelles;

 

3°   un programme de formation professionnelle;

 

4°   des services de support en recherche d'emploi;

 

5°   le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;

 

6°   l'adaptation d'un poste de travail;

 

7°   le paiement de frais pour explorer un marché d'emplois ou pour déménager près d'un nouveau lieu de travail;

 

8°   le paiement de subventions au travailleur.

__________

1985, c. 6, a. 167.

 

 

[17]           De même, les articles 169 et 170 prévoient une séquence à la démarche de réadaptation.

169. Si le travailleur est incapable d'exercer son emploi en raison d'une limitation fonctionnelle qu'il garde de la lésion professionnelle dont il a été victime, la Commission informe ce travailleur et son employeur de la possibilité, le cas échéant, qu'une mesure de réadaptation rende ce travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent à l'expiration du délai pour l'exercice de son droit au retour au travail.

 

Dans ce cas, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur et après consultation de l'employeur, le programme de réadaptation professionnelle approprié, au terme duquel le travailleur avise son employeur qu'il est redevenu capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent.

__________

1985, c. 6, a. 169.

 

 

170. Lorsque aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent, la Commission demande à l'employeur s'il a un emploi convenable disponible et, dans l'affirmative, elle informe le travailleur et son employeur de la possibilité, le cas échéant, qu'une mesure de réadaptation rende ce travailleur capable d'exercer cet emploi avant l'expiration du délai pour l'exercice de son droit au retour au travail.

 

Dans ce cas, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur et après consultation de l'employeur, le programme de réadaptation professionnelle approprié, au terme duquel le travailleur avise son employeur qu'il est devenu capable d'exercer l'emploi convenable disponible.

__________

1985, c. 6, a. 170.

 

 

[18]           Une tentative de retour au travail chez l'employeur est donc effectuée le 7 mai 2003. Il est difficile de déceler, suivant les notes évolutives au dossier, en quoi consiste l'emploi proposé par l'employeur, si ce n'est que le travailleur pourra faire le « strict minimum, » afin de respecter ses limitations fonctionnelles.

[19]           Lors de cette tentative de retour au travail, monsieur Allard demeure au chaudron. Cependant, après deux heures, il quitte les lieux du travail en raison de l'importance des douleurs. Il souligne qu'il y a trop de marche à faire et qu'il a de la difficulté à se pencher et à se relever.

[20]           Après cet échec de tentative de retour au travail, madame Hotte, conseillère en réadaptation, reprend le dossier du travailleur. Elle prépare alors une visite du poste de travail chez l’employeur.

[21]           Lors de son témoignage à l'audience, madame Hotte reprend pour l'essentiel les éléments consignés aux notes évolutives. Il est alors question d'un emploi de « couvreur adapté » qui pourrait s'assimiler à un emploi de superviseur « dispatcher ». La conseillère retient que le travailleur aurait déjà exercé cet emploi pendant deux ans, selon l'information obtenue de l'employeur. La tâche décrite par la conseillère consiste à trouver les fissures dans la toiture à partir de l'intérieur du bâtiment, indiquer aux deux journaliers avec qui il travaille les surfaces à réparer en inspectant les lieux à l'extérieur. Les journaliers procèdent au grattage des surfaces et il appartient alors à monsieur Allard d'appliquer le goudron avec une « moppe » pesant environ 15 livres. Ce sont les journaliers qui transportent le goudron. La conseillère retient que le travailleur peut effectuer le travail à son rythme, qu'il y a des pauses car il doit attendre que le goudron sèche. L'employeur indique qu'il s'agit d'un emploi très facile qui respecte les limitations fonctionnelles du travailleur.

[22]           Lors de son témoignage à l'audience, la conseillère indique avoir privilégié cette solution de retour au travail puisqu'elle correspond aux dispositions prévues à la loi et qu’il s'agit d'une solution avantageuse pour le travailleur puisqu'il conserve le même salaire et cumule ses heures à la Commission de la construction du Québec à titre de couvreur. Il conserve donc tous ses acquis.

[23]           Pour sa part, le travailleur ne veut pas effectuer le retour au travail proposé car il se sent davantage limité par les limitations fonctionnelles émises par le docteur Daoud. Il indique à cette époque à madame Hotte qu'il doit également s'asseoir dans la journée et qu'il présente des douleurs très importantes. Il admet toutefois que l'emploi respecte ses limitations fonctionnelles et indique à la conseillère en réadaptation que les poids à soulever ne dépassent pas 25 livres. En raison de cette difficulté à exercer l'emploi, il invite donc la conseillère en réadaptation à faire une visite du chantier pour constater qu'il n'est pas en mesure de réaliser cet emploi.

[24]           Cette visite du chantier a lieu le 8 mai 2003 sans la présence du travailleur qui, ce jour-là, est incapable de s'y rendre en raison de la douleur. La visite se déroule en présence du directeur de la compagnie. Madame Hotte a la possibilité d'observer pendant un avant-midi la réparation de la toiture effectuée par deux journaliers et un couvreur. Ces travailleurs indiquent à la conseillère que le travail de couvreur est le plus facile et le plus léger. Ce sont les journaliers qui doivent s'occuper du transport des chaudrons et de la manipulation des poids plus lourds.

[25]           Au terme de cette visite, la conseillère en réadaptation retient que l'emploi de couvreur consiste à se rendre dans le bâtiment et y repérer les fuites d'eau et d'en déterminer l'origine. Le travailleur peut être amené à toucher les murs et le plafond. Par la suite, il se rend sur le toit où il doit marcher et monter deux escaliers. Le toit est plat. Puis, il indique aux journaliers où se feront les travaux. Il recherche les fissures et à l'occasion, doit se pencher. Le journalier nettoie l'espace de travail avec un balai, une pelle ou un grattoir. Ce travail s’exécute penché en poussant l'outil. Le couvreur peut être appelé à l'occasion à exercer cette tâche. Ce sont les journaliers qui apportent les rouleaux de papier pesant environ 30 livres lorsqu'ils sont pleins et qui apportent les contenants de goudron. Le couvreur procède par la suite à étendre le goudron avec une « moppe » relativement légère qu'il trempe dans le goudron et qui peut peser alors de 15 à 20 livres, selon les informations données par les travailleurs lors de la visite du chantier. Le couvreur soulève la « moppe » et fait des mouvements de va-et-vient de droite à gauche impliquant de légères torsions et de légères flexions. Le journalier ou le couvreur roule le rouleau de papier sur le goudron en prenant la position accroupie ou à genoux. Il coupe alors le papier avec un couteau. Il recommence cette dernière étape.

[26]           Madame Hotte considère que cet emploi respecte les limitations fonctionnelles du travailleur car il n'y a pas de poids supérieurs à 25 kilos à manipuler, le travailleur n'est pas obligé de s'accroupir, il peut se mettre à genoux et s'il doit s'accroupir, ce n'est qu'occasionnellement. Il n'y a pas de vibration de basse fréquence et il n'y a pas de mouvement d'amplitude extrême.

[27]           La CSST rend une décision le 12 mai 2003 indiquant au travailleur qu'il est capable d'exercer l'emploi de « couvreur adapté » à compter du 8 mai 2003.

[28]           Suivant les termes utilisés par la CSST dans sa décision, il s'agirait de l’emploi du travailleur, mais adapté à sa condition.

[29]           Il est important, dans le contexte du présent litige, de déterminer s'il s'agit d'un emploi convenable ou d'un emploi équivalent puisque les critères à analyser pour décider de la capacité du travailleur à l'exercer, selon qu'il s'agit de l'un ou de l'autre, sont différents.

[30]           L'employeur prétend qu'il s'agit d'un emploi équivalent. Le travailleur prétend qu'il s'agit d'un emploi convenable.

[31]           La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles définit à son article 2 ces termes:

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

 

« emploi équivalent » : un emploi qui possède des caractéristiques semblables à celles de l'emploi qu'occupait le travailleur au moment de sa lésion professionnelle relativement aux qualifications professionnelles requises, au salaire, aux avantages sociaux, à la durée et aux conditions d'exercice;

 

 

[32]           Il est vrai que la Commission des lésions professionnelles a déjà décidé qu'un travailleur pouvait occuper un emploi équivalent chez un employeur lorsque ses limitations fonctionnelles l'empêchaient de reprendre son emploi prélésionnel, faisant ainsi de la détermination d'un emploi équivalent, une étape dans le processus de réadaptation visant à retourner le travailleur sur le marché du travail.

[33]           Également, l'employeur soumet que la loi prévoit dans le cadre du processus de réadaptation, une certaine gradation dans l'évaluation des possibilités, soit dans un premier temps, le retour à l'emploi prélésionnel, par la suite la considération d'un emploi équivalent et en dernier recours, la considération d'un emploi convenable.

[34]           Toutefois, plusieurs décisions récentes de la Commission des lésions professionnelles qui portent sur l'interprétation des termes « emploi équivalent » analysent la question sous un angle différent. La soussignée partage entièrement cette interprétation qui discute des notions d'emploi équivalent et d'emploi convenable et qui conclut essentiellement que la notion d'emploi équivalent est nécessairement associée à la capacité d'un travailleur à exercer l'emploi qu'il occupait avant sa lésion professionnelle, alors que la notion d'emploi convenable est associée à l'incapacité d'un travailleur à exercer son emploi prélésionnel[2].

[35]           Dans l'affaire Gougeon et Canadian Tire[3], la commissaire a bien indiqué que l'emploi équivalent vise les situations où le travailleur redevient capable d'exercer son emploi sans cependant pouvoir le réintégrer en raison de circonstances étrangères à la lésion professionnelle comme l'abolition du poste de travail prélésionnel.

[36]           Dans l'affaire Desgagnés Marine services inc. et Lévesque[4], la Commission des lésions professionnelles procède à une analyse exhaustive des dispositions de la loi concernant l'emploi équivalent et retient l'approche développée dans l'affaire Gougeon et Canadian Tire[5]  :

Parce qu’elle s’avère plus cohérente avec les autres dispositions de la loi, le tribunal estime que l'approche adoptée dans les décisions Gougeon et Ville de Verdun doit être privilégiée et considère que la détermination d'un emploi équivalent ne peut être envisagée lorsque le travailleur demeure incapable d'exercer son emploi en raison d'une limitation fonctionnelle résultant de sa lésion professionnelle. Dans ce cas, ce sont les dispositions concernant la détermination d'un emploi convenable qui doivent s'appliquer.

 

 

[37]           En l’espèce, le travailleur étant incapable de retourner à son emploi prélésionnel de couvreur, il y a lieu d’analyser le dossier suivant les dispositions relatives à l’emploi convenable.

[38]           Même si la CSST n'a pas procédé à l'analyse de l'emploi suivant les critères de l'emploi convenable prévu à la loi, il y a lieu d'examiner si l'emploi retenu constitue un emploi convenable chez l'employeur car alors il constituerait la solution la plus appropriée et la plus économique et ainsi répondrait au but visé par l'article 181 de la loi:

181. Le coût de la réadaptation est assumé par la Commission.

 

Dans la mise en oeuvre d'un plan individualisé de réadaptation, la Commission assume le coût de la solution appropriée la plus économique parmi celles qui permettent d'atteindre l'objectif recherché.

__________

1985, c. 6, a. 181.

 

 

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

 

 

[39]           La Commission des lésions professionnelles estime que l'analyse de l’emploi retenu par la CSST suivant les critères de l'emploi convenable prévu à l’article 2 de la loi lui fait conclure que le poste de « couvreur adapté » ne constitue pas un emploi convenable pour monsieur Allard.  Il faut dire que les critères de l'emploi convenable n'ont pas tous été analysés par la CSST qui a considéré la capacité du travailleur en vérifiant seulement la compatibilité de l'emploi avec les limitations fonctionnelles découlant de sa lésion professionnelle.

[40]           La CSST n'a pas pris en considération les autres critères de l'emploi convenable. Or, la capacité résiduelle réfère à la condition globale du travailleur qui doit être prise en considération et qui englobe toutes les limitations physiques et psychiques connues au moment de la détermination de l'emploi convenable. L'individu doit ici être pris dans son ensemble, ce qui inclut sa situation personnelle et les autres pathologies qui l'affectent[6].

[41]           Or, le docteur Tohmé, le 10 février 2003, produisait un rapport d'expertise médicale dans lequel il émet des limitations fonctionnelles préventives au travailleur en relation avec sa condition personnelle de discopathie multi-étagée de hernie discale  L5-S1. Les limitations qu'il retient sont d'éviter de pousser, tirer ou lever des poids supérieurs à 30 livres et éviter de travailler en flexion ou torsion répétitive du tronc.

[42]           Considérant ces limitations fonctionnelles et celles découlant de la lésion professionnelle, les tâches de « couvreur adapté » retenues par la conseillère en réadaptation ne respectent pas la capacité résiduelle du travailleur.

[43]           Il ressort de la preuve que la conseillère en réadaptation a déterminé la capacité du travailleur à exercer un emploi de « couvreur adapté » qui est, en fait, un emploi de couvreur duquel ont été retranchées certaines tâches incompatibles avec ses limitations fonctionnelles. Il ne ressort pas clairement de la discussion notée par la conseillère en réadaptation avec l'employeur quelle est la description exacte du travail de « couvreur adapté ». C'est donc lors de la visite de chantier que cet emploi a été mieux circonscrit par la conseillère qui a observé le travail quelques heures et établi les tâches du « couvreur adapté ».

[44]           Il ressort du témoignage du travailleur que certains aspects du travail n'ont pas été considérés par la conseillère en réadaptation.  Ainsi, l'utilisation de l'escabeau pour rechercher les fuites dans les plafonds et l'utilisation des passerelles pour passer d'un toit à l'autre de même la position accroupie pour pouvoir travailler sous les structures d'acier qui sont nombreuses sur le toit du bâtiment.

[45]           Bien que l'escabeau et les passerelles ne soient pas utilisés de façon fréquente, il demeure que le travailleur doit également à l'occasion prendre la position accroupie ou des postures exigeant des flexions et des torsions du rachis. Même s'il s'agit de mouvements ou de postures, qui ne sont pas effectués de façon fréquente au cours de la journée, l'addition de l'ensemble des tâches, qui requiert des positions incompatibles avec les limitations fonctionnelles du travailleur, devient plus importante.

[46]           Le travailleur doit s'accroupir lorsqu'il étend le papier sur le goudron chaud. La conseillère mentionne que c'est le choix du travailleur car il pourrait plutôt s’agenouiller. Comme le souligne le travailleur, il n'est toutefois pas approprié de mettre les genoux dans le goudron chaud. Il doit également prendre cette position accroupie lorsqu'il coupe le papier noir, ce qui revient plusieurs fois par jour.

[47]           Les limitations relatives au poids contreviennent également à la capacité résiduelle du travailleur.

[48]           Ainsi, la « moppe » utilisée, selon les informations reçues par la conseillère en réadaptation, pèse de 20 à 25 livres. Elle n'a pas recherché davantage le poids de cet outil de travail puisque cela ne semblait pas poser de difficultés au travailleur  qui lui a mentionné qu'il n'y avait pas de poids de plus de 25 livres à manipuler. Or, monsieur Foriste Boucher, permanent syndical pour l'Association internationale des travailleurs de métal en feuille, section locale 116, qui témoigne à l'audience, indique que la « moppe »  qu'il a apportée en démonstration pèse 43 livres lorsque séchée avec le goudron. Il s'agit d'une « moppe » de 8 brins qui pèse de 70 à 80 livres lorsqu'elle est pleine de goudron chaud. Lorsqu'elle est sèche, elle pèse de 10 à 12 livres. Le témoin a exercé les fonctions de couvreur de 1969 à 1971 et s'occupe des couvreurs à titre de représentant syndical depuis neuf ans.

[49]           La Commission des lésions professionnelles retient les éléments soumis par le témoin relativement au poids de la « moppe » puisque la conseillère en réadaptation a pu observer les travailleurs qui utilisaient un autre type de « moppe » ressemblant davantage à une « moppe » résidentielle. Tel que le souligne le travailleur, la température du goudron qui va de 350 à 375 ° F nécessite l'utilisation d'un manche beaucoup plus long qu'une « moppe » résidentielle. Le travailleur, bien que n'ayant pas pesé la « moppe », l'évalue entre 60 et 70 livres lorsqu'elle est chaude.

[50]           Également, le poids du rouleau de papier noir excède les limitations fonctionnelles du travailleur. La conseillère en réadaptation a retenu le poids donné verbalement par les travailleurs présents sur le chantier. Elle ne l'a pas pesé ni vérifié. Or, les spécifications du fabricant indiquent qu'un rouleau de papier noir plein pèse 55 livres. Ce poids a été confirmé par le témoin du travailleur et par le travailleur.

[51]           De plus, la Commission des lésions professionnelles retient que les mouvements nécessaires pour étendre le goudron avec la « moppe » impliquent des mouvements extrêmes. Le travailleur indique lors de l'audience qu'il doit envoyer sa « moppe »  aussi loin qu'il le peut pour que l'asphalte ne se retrouve pas au même endroit.

[52]           De plus, même si l'employeur mentionne que le travailleur peut travailler à son rythme, commentaires retenus par la conseillère en réadaptation, cela n'est pas exact pour chacune des tâches. Lorsqu'il doit étendre le goudron, le travailleur doit travailler rapidement puisqu'il doit le faire avant que la matière ne sèche. Plus elle est sèche, plus elle est difficile à étendre. Bien que le travailleur bénéficie de pauses entre certaines tâches, lorsqu'il procède à l'étendage du goudron, le rythme est donné par la température même du goudron qui doit demeurer malléable.

[53]           D'autres éléments amènent également la Commission des lésions professionnelles à conclure que l'emploi de « couvreur adapté » ne constitue pas un emploi convenable pour le travailleur. Il s'agit du contexte d'exercice de cet emploi qui, en l’espèce, est teinté d'illégalité.

[54]           L'employeur a proposé au travailleur de le reprendre à son emploi dans un travail qui consiste en fait à limiter l'emploi de couvreur à certaines tâches. Quoi qu'il en soit du bien-fondé de cette façon de déterminer un emploi convenable, en l'espèce, les tâches retirées au travailleur doivent nécessairement être exécutées par d'autres travailleurs.  Le travail se fait en équipe de trois travailleurs. Comme il s'agit de réparations de toits, la citerne est placée sur le sol et nécessite un travailleur qui s'occupe d'alimenter en goudron les travailleurs qui sont sur le toit.

[55]           D'abord, comme le souligne le travailleur, les autres travailleurs qui l'accompagnent sont des journaliers qui sont souvent sans carte de compétence. Cela l'obligeait souvent à finir l'ouvrage qu'ils avaient commencé mais surtout, tel que le fait valoir le représentant du travailleur, il s'agit du domaine de la construction qui est très réglementé quant aux compétences des différents corps de métier.  Il réfère ici à la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'œuvre dans l'industrie de la construction[7] et le Règlement sur la formation professionnelle de la main-d'œuvre de l'industrie de la construction[8] et à la Convention collective 2001-2004 en vigueur[9]

[56]           Tel que le souligne monsieur Boucher, témoin pour le travailleur, la convention collective prévoit les conditions de travail des couvreurs. Les tâches des couvreurs comprennent notamment le découpage du papier noir, le grattage des surfaces, le transport des chaudières et l'épandage du gravier. Ainsi, seuls les couvreurs et les apprentis couvreurs sont autorisés sur les couvertures et sur les chantiers tant commerciaux, industriels que résidentiels lourds.  Ceci implique qu'un journalier ne peut faire équipe avec les couvreurs et effectuer des tâches réservées exclusivement aux couvreurs conformément à l'article 4.06 2) de la convention collective qui prévoit:

La manutention des matériaux reliés au métier est exécutée par le salarié de ce métier…

 

 

[57]           Malgré sa spécialisation dans ce secteur, la conseillère en réadaptation n'a pas cherché à savoir dans quel contexte devait se dérouler l'emploi de « couvreur adapté » et si la situation était conforme à la réglementation en vigueur.  Elle s'est contentée de l'outil Repères qui établit une définition des tâches de couvreur.

[58]           Or, il appert que, chez cet employeur, les tâches qui ont été retirées au travailleur devaient être effectuées par d'autres travailleurs ne possédant pas les qualifications professionnelles pour les exercer. L'illégalité du contexte est contraire à l'ordre public et empêche la Commission des lésions professionnelles de retenir qu'un emploi puisse être déclaré convenable au sens de la loi car il contrevient aux dispositions de l’article 4 de ladite loi.

[59]           De plus, une telle situation peut, à juste titre, être qualifiée de fiction illégale d'emploi, tel que le soumet le procureur du travailleur, car l'organisation du travail qui en découlerait impliquerait nécessairement pour le travailleur de pallier la situation et de réaliser des tâches contrevenant à ses limitations fonctionnelles étant le seul travailleur sur le chantier habilité à les exercer.

[60]           La Commission des lésions professionnelles convient qu'il ne lui appartient pas de déterminer si les travailleurs œuvrant pour l'employeur se conforment à la législation en vigueur, mais dans le contexte de la détermination d'un emploi qui s'effectue en équipe, il y a lieu de considérer ces éléments quant aux conditions d'exercice de l'emploi convenable.

[61]           Considérant l'ensemble de ces éléments, la Commission des lésions professionnelles conclut que monsieur Allard n'a pas la capacité à exercer l'emploi de « couvreur adapté » et que cet emploi ne peut constituer un emploi convenable au sens de la loi.

[62]           Le dossier doit être retourné à la CSST afin qu’un programme individualisé de réadaptation soit établi en collaboration avec le travailleur.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête du 25 novembre 2003 de monsieur Edouard Allard, le travailleur;

INFIRME la décision rendue le 19 novembre 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n'a pas la capacité à exercer l'emploi de « couvreur adapté » et que cet emploi ne constitue pas un emploi convenable;

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour la poursuite du processus de réadaptation conformément à la loi et aux différentes législations en vigueur.

 

 

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Francine Juteau

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Louis Cousineau

TRUDEAU, PROVENCAL ASSOCIÉS

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Marie-Eve Van Den Abeele

A.P.C.H.Q.

Représentante de la partie intéressée

 

 



[1]         L.R.Q. c. A-3.001

[2]          EBC inc. et Beaudet et CSST, C.L.P. 211587-01C-0307, 15 janvier 2004, R. Arseneau; Desgagnés Marine services inc. et Lévesque, [2003] C.L.P. 848 ; Pierre-Louis et Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, [2003] C.L.P. 904 ; Ville de Verdun et Vandal, C.L.P. 90920-73-9708, 25 septembre 2000, P. Perron; Gougeon et Canadian Tire, C.L.P. 111011-61-9902, 22 novembre 1999, G. Morin.

[3]          précitée, note 2

[4]          précitée, note 2

[5]          précitée, note 2

[6]          Sasseville et Domtar inc., C.L.P. 82927-02-9609, 3 juin 1998, C. Bérubé; Ahmed et Canadelle inc. C.A.L.P. 69561-60-9505, 7 mars 1997, G. Robichaud; Gesualdi et Manufacture Hanna ltée et CSST, C.A.L.P. 61993-60-9408, 27 février 1996, P.Capriolo; Tremblay et CSST, C.A.L.P. 51626-02-9306, 11 août 1995, M. Carignan.

[7]          L.R.Q. c. R-20

[8]          L.R.Q. c. R-20, r. 6.2

[9]          Intervenue entre l’Association de la construction du Québec et le Conseil conjoint de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ-construction) et du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.