Hydro-Québec (gestion accident du travail) et Dubé |
2008 QCCLP 7449 |
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[1] Le 29 mai 2007 l’employeur, Hydro-Québec, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 18 mai 2007, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme deux décisions qu’elle a initialement rendues les 1er mars et 18 avril 2007. En conséquence, la CSST, d’une part, déclare que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu est suspendu à compter du 16 février 2007 puisque la travailleuse, madame Guylaine Dubé, a refusé ou omis, sans raison valable, d’exécuter le travail que son employeur lui a assigné temporairement. D’autre part, la CSST déclare qu’elle était justifiée de reprendre le versement de cette indemnité le 5 mars 2007 puisque la travailleuse avait alors une raison valable de ne pas exécuter l’assignation temporaire.
[3] À l’audience tenue le 30 octobre 2008, les parties sont présentes et représentées. L’affaire est prise en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu doit être suspendu à compter du 25 janvier 2007. Il demande également au tribunal de reconnaître que la travailleuse n’avait pas droit de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu entre le 5 mars 2007 et le 6 juin 2007. Enfin, l’employeur demande au tribunal d’ordonner le remboursement par la travailleuse de l’indemnité de remplacement du revenu reçue entre le 25 janvier 2007 et le 16 février 2007 et entre le 5 mars 2007 et le 6 juin 2007, étant donné que la travailleuse a obtenu ces indemnités de mauvaise foi.
LES FAITS
[5] Du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles et de la preuve produite à l’audience, le tribunal retient les éléments pertinents suivants.
[6] À l’époque pertinente au présent litige, la travailleuse occupe un poste de commis service administratif chez l’employeur. Le 28 août 2006, elle produit une réclamation à la CSST pour un événement du 24 mai 2006. La travailleuse allègue que le mauvais aménagement de son poste de travail lui cause des problèmes au poignet et à l’épaule.
[7] Le 31 août 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît que la travailleuse a subi un accident du travail le 24 mai 2006 qui lui a causé une tendinite à l’épaule droite. Elle refuse toutefois de reconnaître que la tendinite de De Quervain est en lien avec le travail.
[8] La travailleuse est suivie par le docteur René Houde. Elle est également traitée en physiothérapie.
[9] Le 25 janvier 2007, la travailleuse rencontre son médecin. Le docteur Houde émet un rapport médical CSST sur lequel il reprend le diagnostic de tendinite à l’épaule droite. Il indique aussi que sa patiente est référée à un spécialiste de l’épaule et qu’il a discuté de son cas avec le docteur Pagé. Il indique également sur le rapport «assignation temporaire».
[10] Ce même jour, le docteur Houde signe le formulaire d’assignation temporaire. Il y indique que la travailleuse est capable d’accomplir les tâches suggérées par l’employeur, tout en ajoutant cependant que les consignes doivent être respectées et que toute charge pour l’épaule droite doit être évitée.
[11] Il appert du formulaire que la date prévue de l’assignation est le 5 mars 2007.
[12] Enfin, toujours le 25 janvier 2007, le docteur Houde émet un billet médical sur lequel il écrit : «abstention physio du 12 au 25 février 2007. re voyage planifié.»
[13] Il appert des notes évolutives du dossier que le 23 février 2007, l’employeur communique avec la CSST. Il lui fait alors part qu’il trouve curieux que le formulaire d’assignation temporaire signé par le médecin de la travailleuse le 25 janvier 2007 n’autorise le début de l’assignation que le 5 mars 2007. À ce sujet, la travailleuse aurait mentionné à l’employeur que cette date a été retenue parce qu’elle devait passer entretemps des examens à Québec ou à Montréal.
[14] Toutefois, toujours selon les notes évolutives du dossier, il appert que le médecin désigné de l’employeur a communiqué avec le médecin traitant de la travailleuse qui lui mentionne alors que l’assignation temporaire est autorisée à compter du 25 janvier 2007 et que la travailleuse est au courant.
[15] L’employeur reconnaît que la travailleuse avait prévu des vacances pour les semaines des 12, 19 et 26 février 2007.
[16] Compte tenu de ces éléments, l’employeur est d’avis que c’est la travailleuse qui a inscrit la date du début de l’assignation temporaire sur le formulaire, geste qu’il assimile à de la fraude.
[17] Selon les notes évolutives, la CSST informe alors l’employeur que le versement des indemnités sera suspendu pour les absences en physiothérapie. La CSST explique de plus qu’elle ne peut agir de façon rétroactive mais que l’indemnité de remplacement du revenu sera suspendue à compter du 16 février 2007, considérant que la travailleuse n’a pas reçu de sommes après cette date. Cette façon de faire ne crée donc pas de surpayé.
[18] Le 1er mars 2007, l’agente de la CSST s’entretient avec la travailleuse. Il appert des notes évolutives du dossier que madame Dubé lui explique qu’elle a rencontré son médecin le 25 janvier 2007. Lors de cette visite, le docteur Houde a signé le formulaire d’assignation temporaire sans toutefois y inscrire de date de début de cette assignation. Madame Dubé mentionne cette omission à la secrétaire du médecin qui ne donne toutefois pas suite à sa demande d’obtenir une date de son médecin. Considérant que son médecin a autorisé un arrêt de physiothérapie pour la période de ses vacances, elle décide d’inscrire elle-même sur le formulaire la date du 5 mars 2007.
[19] C’est dans ce contexte que la CSST rend la décision du 1er mars 2007 par laquelle elle suspend l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 16 février 2007, alléguant que la travailleuse a omis ou refusé, sans raison valable, d’exécuter l’assignation temporaire.
[20] L’employeur demande la révision de cette décision. Il estime que la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu devrait débuter le 25 janvier 2007 et, qu’au surplus, vu la mauvaise foi de la travailleuse, la CSST devrait récupérer les sommes versées à compter du 25 janvier 2007.
[21] Toujours selon les notes évolutives du dossier, la travailleuse s’est présentée au travail le 5 mars 2007. Toutefois, à ce moment, l’employeur ne désire plus lui offrir d’assignation temporaire considérant qu’elle a fait une fausse déclaration. L’employeur suspend la travailleuse.
[22] La CSST considère cependant qu’à compter du 5 mars 2007, la travailleuse est disponible pour exécuter l’assignation temporaire, ce qu’elle ne peut toutefois pas faire parce que son employeur l’a suspendue. Elle considère donc que, dans ces circonstances, la travailleuse a une raison valable de ne pas exécuter l’assignation temporaire et la CSST reprend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à cette date.
[23] La CSST confirme la reprise du versement des indemnités de remplacement du revenu dans sa décision du 18 avril 2007, décision dont l’employeur demande la révision.
[24] Les décisions du 1er mars et du 18 avril 2007 sont confirmées le 18 mai 2007, à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[25] Madame Lise Tremblay témoigne à l’audience. Elle est conseillère en gestion des accidents du travail chez l’employeur. À ce titre, elle est responsable du dossier CSST de la travailleuse. À la suite de la réclamation de la travailleuse, elle a procédé à son analyse et a conclu que la lésion était acceptable.
[26] En date du 15 janvier 2007, madame Tremblay constate qu’elle n’a pas obtenu de documents médicaux de la travailleuse depuis le 15 novembre 2006. La travailleuse l’informe que les documents sont envoyés directement à la CSST. Madame Tremblay s’adresse donc à la CSST qui l’informe ne pas avoir reçu aucun document faisant état du suivi médical de la travailleuse depuis le 15 novembre 2006.
[27] Madame Tremblay s’adresse donc à la supérieure de la travailleuse. Finalement, le 7 février 2007, madame Tremblay reçoit le formulaire d’assignation temporaire signé par le médecin de la travailleuse le 25 janvier 2007. Elle n’obtient pas toutefois l’attestation médicale correspondant à la visite médicale du 25 janvier 2007.
[28] C’est en recevant ce formulaire qu’elle constate que la date du début de l’assignation temporaire est le 5 mars 2007. Selon son expérience, cette date correspond habituellement à la date de la visite médicale.
[29] Elle s’informe donc auprès de la travailleuse qui lui explique qu’elle doit passer des examens à l’extérieur de la ville et qu’elle est en arrêt de travail jusque là. Elle mentionne que toutes les informations apparaissent sur l’attestation médicale qu’elle doit faire parvenir.
[30] Le 12 février 2007, madame Tremblay est informée par courriel par la gestionnaire de la travailleuse que cette dernière avait demandé depuis un an l’autorisation de prendre des vacances les semaines des 12, 19 et 26 février 2007. La travailleuse devrait donc être de retour au travail le 5 mars 2007.
[31] Madame Tremblay se questionne. Elle demande à la docteure Marsolais, médecin désigné de l’employeur, de communiquer avec le médecin de la travailleuse. C’est à la suite d’une communication entre les deux médecins que madame Tremblay est informée que l’assignation temporaire était autorisée par le docteur Houde à compter du 25 janvier 2007. De plus, la date du 5 mars 2007 n’a pas été inscrite par lui, ni par aucun membre de son personnel.
[32] Madame Tremblay a aussi vérifié si cette date n’aurait pas été inscrite par un gestionnaire chez l’employeur, ce qui n’est pas le cas.
[33] C’est dans ce contexte que le 23 février 2007, madame Tremblay communique avec la CSST et demande que l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse soit suspendue à compter du 25 janvier 2007.
[34] Madame Tremblay confirme que l’employeur a suspendu la travailleuse pour une période de 3 mois, à compter du 5 mars 2007, durant laquelle madame Dubé a reçu l’indemnité de remplacement du revenu de la CSST.
[35] Madame Tremblay confirme enfin que le 5 mars 2007, l’assignation temporaire était disponible pour la travailleuse.
[36] La docteure Anne-Sophie Marsolais témoigne à l’audience. Elle est médecin depuis 1999. Depuis, elle a pratiqué à l’urgence et en médecine générale. Elle a aussi pratiqué aux soins intensifs et en médecine familiale. Elle travaille pour l’employeur depuis 2003 et s’occupe des dossiers d’accident du travail depuis 2006. Elle est familière avec les documents destinés et provenant de la CSST.
[37] La docteure Marsolais confirme que madame Tremblay s’est adressée à elle concernant son questionnement sur la date du 5 mars 2007 inscrite sur le formulaire d’assignation temporaire.
[38] Après avoir elle-même consulté le formulaire, elle se demande d’abord à quelle limite de charge réfère le docteur Houde. Selon son expérience, elle s’explique aussi mal le délai entre la visite médicale (25 janvier 2007) et le début de l’assignation temporaire (5 mars 2007).
[39] Elle communique donc avec le médecin traitant de la travailleuse. Le docteur Houde lui précise d’abord que la charge manipulée ne doit pas excéder 5 kilos. Ensuite, il l’informe que les seuls traitements prescrits à la travailleuse sont ceux de physiothérapie. L’orthopédiste Pagé a également procédé à deux infiltrations. Aucune investigation supplémentaire n’est alors demandée par le docteur Houde ou le docteur Pagé.
[40] Après que la docteure Marcolais lui ait fait parvenir copie du formulaire d’assignation temporaire, le docteur Houde l’informe qu’il n’a pas inscrit la date du 5 mars 2007, ni aucun membre de son personnel. Il affirme que la travailleuse est apte à effectuer l’assignation temporaire depuis le 25 janvier 2007. Il ajoute qu’il en avait discuté avec madame Dubé.
[41] Le 21 février 2007, la docteure Marsolais fait part de sa conversation avec le docteur Houde à madame Tremblay.
[42] La docteure Marsolais témoigne que selon son expérience et la pratique qui prévaut dans les dossiers de CSST, si aucune date d’assignation temporaire n’est indiquée sur le formulaire autorisant cette assignation, la date est celle de la visite médicale.
[43] Madame Linda Bélanger témoigne à l’audience. Depuis 2003, elle occupe un poste de chef magasin pour l’employeur. Elle témoigne que le 5 mars 2007 elle a rencontré la travailleuse avec monsieur Boutin, conseiller en ressources humaines. Lors de cette rencontre, la travailleuse reconnaît que c’est elle qui a inscrit la date du 5 mars 2007 sur le formulaire. Elle explique qu’elle a agit ainsi parce que son médecin avait omis de le faire et que la secrétaire lui avait suggérer d’en inscrire une.
[44] C’est à la suite de cette admission que la travailleuse a été suspendue par son employeur pour une période de 3 mois.
[45] Madame Bélanger explique qu’au premier mai de chaque année, les employés doivent soumettre leurs dates de vacances afin qu’elle puisse les accepter ou non, en regard de l’ancienneté de chacun.
[46] Madame Dubé avait demandé les semaines des 12, 19 et 26 février qui avaient été acceptées par écrit.
[47] Madame Guylaine Dubé témoigne à l’audience. Elle est à l’emploi de l’employeur depuis 22 ans.
[48] Elle raconte que le 25 janvier 2007, elle a rencontré son médecin. Il lui a alors dit qu’elle devait retourner au travail, qu’elle était apte à le faire. Toutefois, madame Dubé dit qu’elle n’a pas compris qu’il avait fixé une date pour ce retour. Il lui remet un formulaire.
[49] Ce n’est que de retour à la maison que la travailleuse constate qu’il n’y a aucune date inscrite sur le formulaire pour le début de l’assignation temporaire. Elle retourne immédiatement au bureau du médecin, qui n’est plus disponible. La secrétaire lui mentionne qu’elle ne peut pas inscrire la date.
[50] Par la suite, la travailleuse tente de rejoindre son médecin, mais en vain. Étant donné qu’elle partait en vacances, elle décide d’inscrire elle-même sur le formulaire la date du 5 mars 2007, qui correspond à son retour de vacances.
[51] Le 5 mars 2007, madame Dubé rentre au travail. Elle rencontre madame Bélanger. À ce moment, elle reconnaît avoir inscrit la date sur le formulaire. On lui remet un de suspension, sans solde, à compter du 5 mars 2007 (E-1). Un grief est toujours en suspend concernant cette mesure disciplinaire.
[52] Avant l’événement du 24 mai 2006, la travailleuse n’a pas fait d’autre réclamation à la CSST.
[53] Madame Dubé ne peut dire si les trois semaines de vacances qu’elle a prises en février 2007 ont été débitées de sa réserve. Elle dira par contre que ses vacances ont été reportées et qu’elle les a prises l’année suivante, de façon discontinue.
[54] Depuis son retour au travail, madame Dubé est assignée à un autre poste.
L’AVIS DES MEMBRES
[55] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête de l’employeur devrait être accueillie en partie. Il estime que pour obtenir des résultats satisfaisants, l’article 142 de la loi doit avoir un effet rétroactif. Ainsi, la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu doit rétroagir au 25 janvier 2007, d’autant plus, qu’en l’espèce, il appert de la preuve que la travailleuse a fait preuve de mauvaise foi. Le membre issu des associations d’employeurs est, en conséquence d’avis que le travailleuse a reçu sans droit les sommes versées pour la période du 25 janvier au 16 février 2007.
[56] Le membre issu des associations d’employeurs estime toutefois que la travailleuse avait le droit de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 5 mars 2007 et qu’elle n’a pas à rembourser les sommes reçues à compter de cette date, jusqu’au 6 juin 2007. En effet, à compter du 5 mars 2007, elle est disponible pour travailler; c’est alors l’employeur qui refuse qu’elle le fasse, l’ayant suspendue pour une période de trois mois, ce qui constitue une raison valable de ne pas avoir exécuter l’assignation temporaire.
[57] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête de l’employeur devrait être rejetée. Il estime d’abord que l’article 142 ne doit pas avoir de portée rétroactive. Ainsi, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu doit être suspendu à compter du 16 février 2007 seulement. Il est de plus d’avis que la travailleuse n’a pas à rembourser les sommes reçues. Enfin, le membre issu des associations syndicales, à l’instar du membre issu des associations d’employeurs, est d’avis que la travailleuse avait droit de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 5 mars 2007 au 6 juin 2007.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[58] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST pouvait suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 25 janvier 2007.
[59] Elle doit également décider si la travailleuse doit rembourser l’indemnité de remplacement du revenu reçue à compter du 25 janvier jusqu’au 16 février 2007 et du 5 mars au 6 juin 2007, l’employeur alléguant la mauvaise foi de la travailleuse.
[60] Dans la présente affaire, la CSST a suspendu le versement de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse à compter du 16 février 2007, et ce, en application de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui se lit comme suit :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[61] La CSST applique en l’espèce le paragraphe 2 e) de cet article, alléguant que la travailleuse a omis ou refusé, sans raison valable, de faire le travail que son employeur lui a assigné temporairement et qui avait été accepté par son médecin.
[62] Aucune des parties ne remet en question le bien fondé de la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 16 février 2007.
[63] Compte tenu de la preuve, le tribunal estime que c’est à bon droit que la CSST a suspendu le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[64] Il est donc reconnu que la travailleuse n’avait pas de raison valable de ne pas exécuter l’assignation temporaire autorisée par son médecin. Il faut également souligner que la travailleuse n’a en aucun temps contesté l’assignation temporaire autorisée par son médecin conformément aux articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[2].
[65] La question est donc de savoir à compter de quelle date la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu doit prendre effet.
[66] L’employeur soumet que le versement de l’indemnité doit être suspendu à compter du 25 janvier 2007. Quant à la CSST, elle a débuté la suspension le 16 février 2007. Il appert du dossier qu’elle a retenu cette date dans le but de ne pas créer de surpayé.
[67] Le tribunal retient de la preuve que le médecin de la travailleuse, le docteur Houde, a autorisé l’assignation temporaire à compter du 25 janvier 2007. Il appert du témoignage de la docteure Marsolais que la pratique veut que lorsqu’aucune date n’apparaît sur le formulaire d’assignation temporaire, c’est la date de la visite médicale qui doit être retenue.
[68] Il appert de plus de ce témoignage que c’est sans hésitation que le docteur Houde lui a mentionné que la travailleuse était apte à exécuter l’assignation temporaire le 25 janvier 2007. C’est ce qui appert également des notes évolutives du dossier.
[69] Enfin, la travailleuse reconnaît elle-même que lors de la visite médicale du 25 janvier 2007, son médecin lui a mentionné qu’elle était apte à retourner au travail. Elle a également obtenu copie du formulaire d’assignation temporaire ce même jour.
[70] Le tribunal est donc d’avis que c’est à compter du 25 janvier 2007 que la travailleuse omet ou refuse, sans raison valable, d’exécuter le travail assigné temporairement par son employeur.
[71] L’article 142 de la loi prévoit une mesure qui permet à la CSST d’imposer une conséquence au travailleur qui agit de la sorte, soit la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[72] Toutefois, la CSST n’est pas avisée immédiatement de cette situation et ce n’est que le 1er mars 2007 qu’elle rend une décision visant la suspension du versement de l’indemnité.
[73] La prétention de l’employeur voulant que la suspension devrait se faire à compter du 25 janvier 2007 soulève la question de la portée rétroactive de l’article 142 de la loi.
[74] La jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et de la Commission des lésions professionnelles contient plusieurs exemples de décisions dans lesquelles le tribunal a eu à statuer sur cette question. Dans la plupart des cas, le tribunal en vient à la conclusion que l’article 142 de la loi n’a pas de portée rétroactive. Cette conclusion repose sur les arguments suivants :
- La suspension doit prendre effet à la date de la décision à cet effet. Si elle est fait rétroactivement, elle prive le travailleur de la possibilité de mettre fin à la suspension en remédiant à la situation[3].
- La suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu ne peut pas être rétroactive parce que ce concept suppose l’existence d’un versement à faire et s’oppose donc à l’idée de la suspension d’une indemnité déjà versée[4].
- Le pouvoir conféré à la CSST par l’article 142 de la loi n’est pas de nature punitive mais a pour but d’inciter le travailleur à remédier à l’une des situations visées dans cet article[5].
[75] Dans l’affaire Berkline[6], le commissaire Ducharme précise que l’interprétation voulant que l’article 142 de la loi n’ait pas de portée rétroactive doit être retenue même si elle peut conduire à des résultats pratiques peu satisfaisants.
[76] Toutefois, la Commission des lésions professionnelles a déjà conclu que, dans des circonstances particulières, l’article 142 pouvait avoir un effet rétroactif.
[77] C’est le cas dans l’affaire Rivard et CLSC des Trois Vallées[7], dans laquelle la commissaire est d’avis que la position voulant que la suspension de l’indemnité ne peut avoir d’effet rétroactif est une application trop restrictive de l’article 142 de la loi. Elle rappelle que ces dispositions doivent être analysées en tenant compte du contexte où l’assignation temporaire revêt un intérêt financier pour l’employeur et favorise la réadaptation du travailleur. Or, si un travailleur, sans raison valable, omet de faire le travail proposé par l’employeur en vertu de l’article 179 de la loi, il prive ce dernier du bénéfice conféré par cet article.
[78] La Commission des lésions professionnelles donne aussi un effet rétroactif à l’article 142 de la loi pour les mêmes considérations dans l’affaire Braga[8]. Le tribunal ajoute que l'employeur ne doit pas être tributaire des délais que prend la CSST pour imposer une suspension de l’indemnité de remplacement du revenu. Dans cette affaire, le travailleur n’a pas, comme c’est le cas en l’espèce, contesté l’assignation temporaire selon la procédure prescrite. Le commissaire écrit :
«[17] Ces dispositions législatives nous enseignent donc que si le travailleur n'est pas d'accord avec l’avis de son médecin de l'affecter temporairement à un travail léger, il doit d’abord utiliser la procédure prévue à l’article 37 de la LSST. Pendant le recours à cette procédure, le travailleur n’a pas l’obligation d'exécuter le travail et il lui est temporairement permis de s'absenter.
[18] Or, dans le cas sous étude, plutôt que de recourir à la procédure de contestation, après avoir accompli un premier quart de travail, le travailleur s'est absenté de son propre chef et ne s'est pas présenté au quart de travail suivant. En faisant de la sorte, il faisait fi de la procédure décrite à la loi ainsi qu’à la LSST et s’exposait à ce que la CSST, en vertu de l’article 142 de la loi, réduise ou suspende le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[19] Le tribunal constate que l’assignation temporaire, telle qu’elle est décrite par le travailleur durant l'audience, rencontre la description que l'employeur en faisait sur le formulaire qu’il adresse au médecin du travailleur. Bien que sur cette description, on indique que le travailleur devra manipuler un drapeau et, qu’en cours de témoignage, celui-ci précise qu’il s’agissait plutôt d’une enseigne, le tribunal estime que cette différence ne revêt pas un caractère propre à dénaturer l’assignation temporaire. Le travailleur avait donc l’obligation d’effectuer cette assignation à défaut de la contester selon la procédure.
[20] La Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST pouvait suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu en raison du refus du travailleur de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu’il était tenu de faire. Cette suspension se poursuit aussi longtemps que le travailleur n’effectue pas cette assignation ou se prévale de la procédure de contestation.
[21] À compter de quelle date cette suspension pouvait-elle débuter? Sur sa décision initiale, la CSST détermine que la suspension commence à la date à laquelle le travailleur ne s'est pas présenté au travail, soit le 20 juin 2003. Toutefois, en révision administrative, la CSST détermine que la suspension ne peut avoir un effet rétroactif et prend plutôt effet le 24 juillet 2003, soit à la date à laquelle elle signifie au travailleur que l’indemnité de remplacement du revenu ne sera plus versée. Sur ce point, le tribunal estime que, tenant compte des circonstances particulières du présent cas, l’application de l'article 142 peut avoir un effet rétroactif. Une décision contraire aurait pour effet de restreindre la portée de l’article 179 de la loi, alors que l'employeur a un intérêt financier pour assigner le travailleur à un travail allégé et que le travailleur, sans raison valable, prive l'employeur de ces bénéfices. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en arrive la jurisprudence consultée par le soussigné[9]. Enfin, le tribunal estime que l'employeur ne doit pas être tributaire des délais que prend la CSST pour imposer une suspension de l’indemnité de remplacement du revenu.
[22] De tout ce qui précède, le tribunal estime qu’on doit rétablir la première décision rendue par la CSST le 24 juillet 2003 et que c’est à bon droit qu’elle a initialement suspendu le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 20 juin 2003.»
[79] Enfin, dans l’affaire Bourgeois et Transport TF 15, S.E.C.[10], le commissaire réfère à ces principes et suspend rétroactivement le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[80] Le tribunal constate en premier lieu qu’en déclarant dans sa décision du 1er mars 2007 que le versement de l’indemnité est suspendu à compter du 16 février 2007, la CSST donne un certain effet rétroactif à l’article 142 de la loi, la suspension n’ayant pas pris effet seulement à la date de la décision.
[81] Après avoir analysé l’ensemble de la preuve, le tribunal estime que les circonstances particulières de la présente affaire justifie que la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu débute le 25 janvier 2007.
[82] En effet, le comportement de la travailleuse dénote qu’elle n’avait nullement l’intention d’exercer le travail assigné temporairement par son employeur.
[83] Le tribunal ne peut retenir la version de la travailleuse à savoir qu’elle s’est vue dans l’obligation d’inscrire elle-même une date sur le formulaire. D’abord, la travailleuse prétend avoir tenté à quelques reprises de rejoindre son médecin pour qu’il indique la date de début de l’assignation temporaire, mais qu’il lui a été impossible de lui parler. Pourtant, la docteure Marsolais a pu, elle, rejoindre le docteur Houde.
[84] Il appert de plus du dossier que la travailleuse a d’abord fait valoir que l’assignation temporaire ne pouvait débuter avant le 5 mars 2007 puisque entre-temps elle devait passer divers examens à l’extérieur de la ville, ce qui n’est aucunement soutenu par la preuve.
[85] Il appert du témoignage de la docteure Marsolais, confirmé par les notes évolutives du dossier, que le docteur Houde a autorisé l’assignation temporaire dès le 25 janvier 2007 et que la travailleuse était au courant.
[86] Ces éléments mènent le tribunal à conclure que la travailleuse n’était pas sans savoir que son médecin la considérait apte à exercer le travail assigné temporairement par l’employeur dès le 25 janvier 2007 et qu’en inscrivant elle-même la date du 5 mars 2007, elle a agi dans son propre intérêt, en toute connaissance de cause, dans le but de profiter des avantages de la loi. Le tribunal ne peut, dans ces circonstances, conclure à sa bonne foi.
[87] Ces éléments mènent également le tribunal à la conclusion que la travailleuse a agi uniquement dans son intérêt, en ignorant l’avis de son médecin et en ne donnant pas, dès qu’elle a eu l’occasion de le faire, la véritable raison qui motivait son geste d’écrire elle-même la date sur le formulaire, soit la prise de ses vacances. Par ailleurs, il appert que la banque de vacances de la travailleuse n’a pas été débitée.
[88] En pareilles circonstances, il n’apparaît pas équitable et efficace de ne pas suspendre le versement de l’indemnité à partir du moment où la travailleuse omet, ou refuse, sans raison valable, d’exercer l’assignation temporaire.
[89] Le tribunal juge de plus qu’une suspension à compter du 16 février 2007 prive l’employeur des bénéfices de l’assignation temporaire et ce, dans un contexte où la travailleuse a, de l’avis du tribunal, fait preuve de mauvaise foi.
[90] Le tribunal partage l’opinion émise dans l’affaire Braga citée plus haut et juge que, compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, plus particulièrement le comportement de la travailleuse, il y a lieu de donner à l’article 142 une portée rétroactive.
[91] La suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu doit débuter le 25 janvier 2007.
[92] En conséquence, la travailleuse n’aurait pas dû recevoir cette indemnité pour la période comprise entre le 25 janvier 2007 et le 16 février 2007. Il appartiendra toutefois à la CSST de récupérer le trop-perçu.
[93] Qu’en est-il maintenant de l’indemnité de remplacement du revenu reçue à compter du 5 mars 2007.
[94] À cette date, la travailleuse se présente au travail et est disponible pour exécuter l’assignation temporaire. C’est alors l’employeur qui refuse qu’elle travaille en la suspendant pour une période de 3 mois.
[95] Dans ces circonstances, le tribunal estime que la travailleuse n’a pas omis ni refusé d’exécuter l’assignation temporaire qui est à ce moment, toujours disponible, sans raison valable. La suspension par l’employeur constitue une raison valable.
[96] La jurisprudence établit de plus une distinction entre la suspension du versement de l’indemnité et la suspension du droit à cette indemnité. Dans le cas de l’article 142 de la loi, c’est le versement de l’indemnité qui est suspendu et non le droit à cette indemnité[11].
[97] Le 5 mars 2007, la travailleuse n’est toujours pas capable, en raison de sa lésion professionnelle, laquelle n’est pas consolidée, d’occuper son emploi. Le droit à l’indemnité de remplacement du revenu existe donc le 5 mars 2007.
[98] Les dispositions visant le droit à l’indemnité du revenu sont les suivantes :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
45. L'indemnité de remplacement du revenu est égale à 90 % du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 45.
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
__________
1985, c. 6, a. 46.
[99] De plus, aucune situation permettant de mettre fin à l’indemnisation de remplacement du revenu en vertu de l’article 57 de la loi n’a été démontrée. Cet article se lit comme suit :
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48 ;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 57.
[100] La travailleuse a donc droit à l’indemnité de remplacement du revenu pour la période comprise entre le 5 mars 2007 et le 6 juin 2007.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de l’employeur, Hydro-Québec;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 18 mai 2007, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu due à la travailleuse, madame Gulaine Dubé, doit être suspendu à compter du 25 janvier 2007;
DÉCLARE que la travailleuse a droit à l’indemnité de remplacement du revenu pour la période comprise entre le 5 mars 2007 et le 6 juin 2007.
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Diane Lajoie |
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Me Pascal Parent |
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AFFAIRES JURIDIQUES HYDRO-QUÉBEC |
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Représentant de la partie requérante |
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Sophie Martin |
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S.C.F.P. |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., C. A-3.001
[2] L.R.Q., c. S-2.1
[3] Richer et Ville de St-Hubert, [1990] CALP 411 ; Fortin et Donohue Normick inc., [1990] CALP 907 ; Salvaggio et Asphalte et pavage Tony inc., [1991] CALP 291 ; Westroc et Beauchamp, [2001] CLP 206 ; Algier et Groupement forestier Haut-Yamaska inc., 144149-62B-0008, 23 mai 2001, Alain Vaillancourt, révision rejetée, 12 avril 2002, G. Godin.
[4] Berkline inc. et Hasler, CLP, 134590-73-0003, 14 décembre 2000, C.-A. Ducharme (00LP-130); Riopel et Laflamme, CLP, 320104-63-0706, 22 mai 2008, M. Juteau
[5] Berlkline et Hasler, citée note 2; Allaire et Resto-Brasserie Le Grand-Bourg, CLP, 153256-32-0012, 17 avril 2001, M.-A. Jobidon; Chantal et Services de gestion Quantum ltée, CLP, 185557-62-0206, 10 mars 2003, H. Marchand; G.P.C. Excavation inc. et Prévost, CLP 257713-03B-0503, 21 septembre 2005, G. Marquis (05LP-149)
[6] Déjà citée, note 2.
[7] [1999] CLP 619
[8] Braga et Constructions Louisbourg ltée, CLP, 231923-71-0404, 21 avril 2005, R. Langlois
[9] Rivard et CLSC des trois vallées, [1999] C.L.P. 619
[10] C.L.P., 346127-04B-0804, 5 septembre 2008, M. Watkins
[11] Laliberté et Corporation développement récréo-touristique nautisme Grandes-Piles, [2005] CLP 765
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