Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Rolland Grenier Construction ltée et Sergerie (Succession de)

2017 QCTAT 3156

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Laval

 

Dossiers :

611279-61-1607      611292-61-1607

 

Dossier CNESST :

143063261

 

Assesseur :

Serge Bélanger

 

Laval,

le 11 juillet 2017

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Virginie Brisebois

______________________________________________________________________

 

611279

611292

 

 

Rolland Grenier Construction ltée

Rolland Grenier Construction ltée

Partie demanderesse

Partie demanderesse

 

 

et

 

 

 

Guillaume Sergerie succession

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

Dossier 611279-61-1607

[1]           Le 8 juillet 2016, l’entreprise Rolland Grenier Construction ltée (l’employeur) dépose au Tribunal administratif du travail un acte introductif d’instance par lequel elle conteste une décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) rendue le 30 mai 2016 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la Commission confirme celle qu’elle a initialement rendue le 14 mars 2016 et déclare que le monsieur Guillaume Sergerie (le travailleur) a subi un accident du travail le 17 juin 2014, soit un infarctus et une hémorragie pulmonaire et qu’il en est décédé. Elle déclare également que la succession du travailleur a droit aux indemnités de décès prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

Dossier 611292-61-1607

[3]           Le 8 juillet 2016, l’employeur dépose au Tribunal administratif du travail un acte introductif d’instance par lequel il conteste une décision de la Commission rendue le même jour, soit le 30 mai 2016, à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la Commission confirme celle qu’elle a initialement rendue le 18 mars 2016 et déclare que le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par le travailleur doit être imputé au dossier de l’employeur.

[5]           Depuis le 1er janvier 2016, la Commission assume les compétences autrefois dévolues à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST).

[6]           L’audience s’est tenue à Laval le 13 avril 2017 en présence de madame Jackie Caron-Desrosiers pour la succession de son défunt conjoint et elle est représentée. L’employeur est également représenté. La cause a été mise en délibéré le 12 mai 2017 suite à la réception du complément d’expertise et de l’argumentation écrite de l’employeur dans le dossier d’imputation.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 611279-61-1607

[7]           L’employeur demande de déclarer que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle ayant entraîné son décès.

Dossier 611292-61-1607

[8]           Si le Tribunal conclut que le travailleur est décédé des suites d’une lésion professionnelle le 17 juin 2014, l’employeur demande un partage de coût de l’ordre de 0 % à son dossier financier et de 100 % à l’ensemble des employeurs de toutes les unités.

LA PREUVE

[9]           Le travailleur, âgé de 27 ans, occupait un emploi de manœuvre spécialisé en désamiantage pour le compte de l’employeur. Alors qu’il travaillait sur un échafaudage à retirer l’isolation à l’amiante dans une école, il s’effondre brusquement le 17 juin 2014.

[10]        Un appel au 911 est effectué à 17 h 24 par ses collègues de travail. Il est alors transporté à l’urgence de l’Hôpital général juif de Montréal où son décès est constaté à 18 h 28.

[11]        Les données météorologiques d’Environnement Canada démontrent que le 17 juin 2014 la température a atteint 27,4o Celsius à l’aéroport Pierre-Elliott Trudeau.

[12]        Le rapport de l’autopsie réalisée le 19 juin suivant conclut à une athéromatose coronarienne de modérée à sévère au niveau de la descendante antérieure et légère au niveau de la droite et de la circonflexe. Un œdème pulmonaire et une hémorragie intra-alvéolaire pulmonaire étaient également notés par le pathologiste.

[13]        À la suite de cet événement, un rapport d’intervention de la CSST est réalisé. Il est indiqué que le travailleur effectuait la démolition d’un plafond suspendu dans le coin nord-est de la salle de cours où il a été retrouvé inconscient. Le plafond est à une hauteur d’environ 9 pieds. Il y avait une zone de travail étanche sous pression négative comprenant des vestiaires et des sacs d’évacuation des rebuts. L’inspecteur indique qu’une plateforme de travail de 5 pieds de hauteur était installée et que des outils électriques et manuels sont utilisés pour démolir le plafond. Au terme de son intervention, l’inspecteur conclut que les travaux ont été faits normalement pour ce type de chantier et aucune dérogation n’a été notée. Il ne peut relier le décès à aucune cause ou événement et n’émet aucune recommandation.

[14]        Un rapport d’inspection de la firme Gesfor est également produit. Il ressort notamment de ce rapport que l’enceinte de travail était conforme aux normes. Des feuilles de polyéthylène étaient installées aux fenêtres et sur le tableau. Également les trappes de ventilation avaient été scellées. Selon ce rapport, lors du début des travaux, des travailleurs coupaient le plafond par morceaux alors que d’autres ramassaient les débris au sol. Il est mentionné que lors de l’événement 20 % du plafond avait été retiré. Il est également précisé que l’air extrait est évacué à l’extérieur du bâtiment et qu’un test a démontré que l’air était conforme aux normes. Les inspecteurs indiquent que tous les travailleurs portaient un équipement de protection individuelle, soit des bottes de sécurité, leur vêtement de protection jetable (Tyvek) de même qu’un masque à ventilation assistée. En somme, il ressort de ce rapport que tous les points vérifiés par les inspecteurs étaient conformes aux normes établies.

[15]        Le 21 novembre 2014, le rapport d’investigation du coroner se base principalement sur le rapport d’autopsie qui décrit « une congestion pulmonaire diffuse et sévère avec œdème et hémorragie intra-alvéolaire ». Le coroner indique que « la maladie coronarienne athérosclérotique sévère laisse croire qu’un infarctus du myocarde très aigu ou une arythmie fatale en sont la cause ». Le coroner ajoute que le travailleur n’était pas malade et ne prenait pas de médication d’ordonnance au moment du décès. Personne n’a rapporté qu’il aurait eu des malaises dans les jours, les heures ou les minutes précédant son arrêt cardiorespiratoire. Le coroner conclut que le décès est lié « à une hémorragie pulmonaire elle-même en lien avec un événement cardiaque aigu et soudain ».

[16]        Dans le cadre de l’audience, plusieurs documents ont été déposés :

·       Code de sécurité pour les travaux de construction;

·       La fiche technique du système de respirateur d’épuration d’air propulsé pour pièce faciale complète;

·       La combinaison portée par le travailleur (Micromax NS) de même que sa fiche technique;

·       Un procès-verbal d’une réunion de chantier;

·       Des rapports météo d’environnement Canada pour les mois de mai et juin 2014 de même que juin, juillet, août et septembre 2013;

·       L’index des heures travaillées du travailleur pour les étés 2012, 2013 et 2014.

 

 

[17]        Les parties ont également déposé la littérature[2] médicale suivante :

·       Sudden cardiac death and coronary disease in the young : A nationwide cohort study in Denmark;

·       Sudden Death in Young Adults : An Autopsy-Based Series of a Population Undergoing Active Surveillance;

·       Astreinte physiologique lors d’opérations de retrait d’amiante;

·       Coronary Artery Disease : Pathogenesis and Acute Coronary Syndromes.

 

 

[18]        Par ailleurs, l’employeur dépose une déclaration assermentée de monsieur Patrick Grenier, chargé de projet depuis 2005. Il explique que le 17 juin 2014 il a eu une réunion de chantier de 13 h 30 à 15 h. Il écrit avoir rencontré le travailleur en compagnie de monsieur Arancio. Il a constaté que le travailleur était en sueur avant le début de son quart de travail. Il a ensuite quitté le chantier pour se rendre au bureau. Il était sur le chemin du retour lorsqu’on l’a informé de l’événement survenu sur le chantier de l’école Des cinq continents. Il a donc rebroussé chemin et est retourné sur le chantier. Il est arrivé vers 18 h 15. Il écrit que monsieur Christian Gauthier était sous le choc et affirmait alors avoir vendu au travailleur un « genre de pilule du type Cialis/Viagra, provenant du marché noir ».

[19]        Puisque l’aire de travail qui est normalement scellée était ouverte, la Commission scolaire lui a demandé de contacter la firme Gesfor afin de vérifier la qualité de l’air, laquelle a confirmé qu’il n’y avait pas eu contamination des lieux environnant la classe. Monsieur Gauthier ajoute que l’inspecteur de la CSST a également confirmé que tout était conforme en ce qui concerne la sécurité des travailleurs.

[20]        À l’audience, le Tribunal a entendu le témoignage de monsieur Sandro Arancio, chargé de projet depuis 2012 pour le compte de l’employeur. Il explique qu’il s’occupe de désamiantage et de décontamination. Il affirme que l’employeur est reconnu pour avoir un comportement sécuritaire et n’avoir jamais reçu d’avis d’infraction ni de pénalité. Il connaissait le travailleur depuis plusieurs années et l’aimait beaucoup. Il dit que le travailleur faisait un travail irréprochable et, lors de son décès, il était contremaître principal.

[21]        Il témoigne que l’horaire de travail du travailleur était de 15 h 30 à minuit. Le jour de l’événement, il affirme qu’il se trouvait à l’école pour une réunion de chantier, mais qu’il a quitté le chantier vers 15 h 15. Il explique que le travailleur était en charge d’une équipe de 4 ou 5 travailleurs qui s’occupaient de la décontamination.

[22]        Le 17 juin, il raconte avoir rencontré le travailleur avant le début de son quart de travail vers 15 h pour discuter du projet. Il déclare que le travailleur était alors en sueur, mais ne s’est pas plaint de douleur. Monsieur Arancio témoigne que cela faisait plusieurs mois que le travailleur transpirait beaucoup. Il lui a d’ailleurs suggéré de voir un médecin. Il affirme que le travailleur était costaud et qu’il s’entraînait régulièrement dans un gymnase. Il mesurait plus de 6 pieds et devait peser entre 200 et 215 livres. Il affirme que le travailleur consommait des « shakes » et buvait des boissons énergisantes de façon quotidienne.

[23]         Monsieur Arancio décrit l’équipement utilisé par le travailleur le 17 juin. Il s’agit d’une combinaison jetable sous laquelle les travailleurs sont nus ou portent un caleçon. Ils portent également un casque et un masque qu’il montre et décrit à l’audience. Il s’agit d’un masque à ventilation assistée avec un filtre pour les particules d’amiante. Ce masque comporte une batterie portée à la ceinture. Celle-ci a une durée de vie variable entre six mois et une année. Les filtres sont changés selon la poussière générée par les travaux, soit aux quelques jours. Il indique que la batterie sert à pousser l’air dans le masque de sorte qu’un travailleur n’a pas à fournir d’effort pour respirer. Le poids du masque n’est pas indiqué dans la fiche technique, mais monsieur Arancio affirme que la batterie est plus lourde que le masque. Il ajoute qu’il n’y a eu aucun bris d’équipement le 17 juin 2014.

[24]        Par ailleurs, monsieur Arancio témoigne que le 17 juin 2014 était une journée chaude, mais que le travailleur avait déjà travaillé sous des températures plus chaudes[3]. De plus, comme il y a des préparatifs à effectuer avant la démolition, il déclare que le travailleur a commencé son travail vers 16 h 30.

[25]        Ensuite, le témoin explique les modalités spéciales qui doivent être appliquées dans le type de chantier sur lequel œuvrait le travailleur le 17 juin 2014. Il décrit également les outils utilisés pour la démolition des plafonds, soit un passe-partout électrique, un marteau pour frapper le plafond de même qu’une scie. Le jour du 17 juin, le plafond était en gypse et contenait de l’amiante. Un travailleur enlevait ces matériaux alors qu’un autre ramassait les débris qui étaient placés dans des sacs pour l’enfouissement. 

[26]        Ce témoignage a été suivi par celui de monsieur Doris Dubé, manœuvre spécialisé depuis 17 ans pour monsieur Arancio. Il raconte qu’ils étaient cinq travailleurs le 17 juin 2014. Son quart de travail commençait à 15 h 30. Au début de leur quart, ils devaient préparer la zone en installant des plastiques sur les murs et le plancher. Il affirme que le plafond était à un maximum de 10 pieds de hauteur. Puis, l’inspecteur a fait son inspection et vers 16 h 30 ils ont eu l’autorisation de commencer les travaux de désamiantage. Il explique que le travailleur gérait le chantier et il est monté sur l’échafaudage pour commencer à ouvrir le plafond.

[27]        Monsieur Dubé raconte que c’est environ 30 à 45 minutes après le début des travaux qu’il a remarqué que le travailleur était affalé sur l’échafaudage.

[28]        Il témoigne que la température était chaude, mais plus humide que chaude. Il mentionne qu’il n’y avait pas beaucoup d’air dans le local, car tout est scellé sous le plastique. Il fait donc plus humide à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il raconte que leur combinaison est étanche et la transpiration ne peut être évacuée. Enfin, il déclare qu’il changeait le filtre de son masque aux deux ou trois jours selon les besoins.

[29]        Ensuite, à la demande de la succession, le Tribunal a entendu le témoignage de monsieur Jacques Desrosiers, retraité. Il a travaillé 23 ans dans l’enlèvement de l’amiante pour l’employeur. Le travailleur était son gendre. Il raconte qu’il portait la combinaison obligatoire (pièce E-5) de même que le masque, mais que celle-ci ne « respire pas ». Il témoigne que la chaleur n’est pas évacuée et demeure à l’intérieur de la combinaison. Il explique que la température dans la zone scellée est toujours plus élevée qu’à l’extérieur et que la partie la plus chaude dans la zone se situe vers le plafond. En effet, il raconte que lors de l’enlèvement d’amiante dans un plafond d’un toit plat comme celui d’une école est particulièrement chaud, car le soleil plombe presque directement. Quant au masque, il affirme qu’il est censé fonctionner à 100 % mais il arrive que la batterie du filtre ou du moteur fonctionne moins bien, s’il est usé par exemple. 

[30]         Le Tribunal a également entendu le témoignage de la veuve du travailleur, madame Jackie Caron-Desrosiers. Elle déclare que son conjoint mesurait 6,1 pieds et pesait 255 livres. Il lui parlait régulièrement de son travail et de son entraînement au gymnase. Après son quart de travail, il allait s’entraîner au moins trois fois par semaine et rentrait à la maison par la suite. D’ailleurs, elle dit qu’il lui est arrivé à quelques reprises de prendre du Cialis pour améliorer ses performances en gymnase. Étant donné qu’il s’entraînait beaucoup, il consommait également des protéines pour éviter les blessures, mais jamais de stéroïdes.

[31]        Selon elle, il ne s’est jamais plaint de malaise, mais il disait souvent qu’il avait chaud, surtout dans les mois précédant son décès.

[32]        Madame Caron-Desrosiers témoigne que c’est elle qui s’occupait de charger la batterie du masque de son conjoint, car sinon il oubliait. Elle affirme que le jour de son décès, elle l’avait chargée comme à son habitude. Elle ajoute que son conjoint lui racontait qu’il arrivait que la batterie cessait de fonctionner au bout de deux ou trois heures de travail.

[33]        Enfin, elle déclare qu’à son départ de la maison le 17 juin, son conjoint se sentait bien, il était comme d’habitude.

Les experts

[34]        Le 1er février 2016, le docteur François Sestier, cardiologue, produit une expertise médicale à la demande de la Commission qui lui demande s’il existe une relation causale entre les circonstances survenues au travail le 17 juin 2014 et le décès du travailleur. Le docteur Sestier résume les circonstances entourant le décès du travailleur. Il indique que le travailleur était sans antécédents médicaux et qu’il faisait chaud le jour du décès, soit 27° selon le dossier. Il mentionne que l’autopsie a révélé des lésions coronariennes relativement sévères étant donné l’âge du travailleur.

[35]        Le docteur Sestier estime que les conditions de travail difficiles peuvent certainement être mises en cause entourant le décès du travailleur. Il s’exprime de la façon suivante :

Le « trauma » ou situation traumatisante ayant favorisé le décès; on peut certainement mettre en cause les conditions de travail difficiles avec masque facial et température élevée, à 27°; de plus le patient avait un équipement de protection complet compte tenu qu’il s’agissait d’enlever des conduites recouvertes d’amiante dans une école. Faire ce genre de travail avec masque facial, un équipement de protection et température élevée augmente passablement la fréquence cardiaque reliée à l’effort fourni. Des exemples dans la littérature montrent que la fréquence cardiaque, en atmosphère surchauffée, peut atteindre la fréquence cardiaque maximale prédite pour l’âge, causer des changements isthmiques à l’ECG et causer des arythmies ventriculaires (Réf 1, p.71-72), alors que la fréquence cardiaque devrait être beaucoup moins élevée si l’effort avait été fait à une température normale (Réf. I et 2). Au-dessus de 20°, le risque d’infarctus aigu augmente de 1.9 % par degré Celsius (Réf 2). On peut donc considérer que ces circonstances de travail particulièrement difficiles constituaient un « trauma » pour le travailleur; […]

 

 

[36]        À cet égard, le docteur Sestier fait une analogie avec les conditions de travail difficiles dans certaines professions où des événements coronariens surviennent lors de chaleur élevée ou d’effort physique avec masque et port d’équipement, en particulier chez les pompiers. Il mentionne que les pompiers porteurs de maladies coronariennes méconnues comme dans le cas du travailleur « augmentent par un facteur de 6,9 le risque de mort subite d’origine cardiaque ».

[37]        Le docteur Sestier conclut que le décès est dû aux circonstances de travail difficiles chez un individu porteur d’une maladie coronarienne. Il décrit comme suit le mécanisme de production de cette mort subite :

Le mécanisme de production de ce type de mort subite est bien connu; la fréquence cardiaque élevée liée à l’effort et la température augmente les besoins en oxygène du myocarde alors que les circonstances de travail pouvaient diminuer l’oxygénation du patient rendant sa respiration plus difficile. Malgré le jeune âge, le patient a dû avoir de l’ischémie myocardique dans le territoire de la descendante antérieure, et une arythmie qui a causé le décès et œdème aigu pulmonaire.

 

 

[38]        En somme, le docteur Sestier est d’avis que n’eut été les lésions coronariennes, le travailleur ne serait probablement pas décédé ce jour-là, même si les conditions de travail étaient difficiles. D’autre part, même s’il avait une maladie coronarienne, n’eut été ces conditions de travail difficiles, il estime que le travailleur ne serait pas mort ce jour-là. En ce sens, il considère qu’il y aurait ouverture à un partage de coût de 50 % « pour l’état antérieur, 50 % pour les circonstances de travail difficile ».

[39]        À l’audience, le docteur Sestier témoigne à la demande de la succession. Il explique que pour lui, l’autopsie est ce qu’il y a de plus révélateur sur la cause du décès. Il explique que le 17 juin 2014, la conjonction de la température corporelle, l’absence de ventilation, la chaleur dans la zone scellée de même que l’effort déployé par le travailleur ont augmenté les risques de fissures d’une plaque (athérosclérotique) qui a provoqué l’infarctus. Il témoigne qu’il est très probable que si le travailleur avait effectué un travail de bureau il n’aurait pas subi d’infarctus. Il explique que tout effort physique augmente le risque de fissure de plaque.

[40]        Puis, il ajoute que la température ambiante dans la pièce confinée alors que le travailleur se trouve dans une combinaison hermétique est bien plus élevée qu’à l’extérieur. En fournissant un effort dans un endroit où la température est élevée, les fréquences cardiaques du travailleur ont augmenté de même que son besoin en oxygène. L’augmentation des fréquences cardiaques est plus exigeante pour le cœur et l’apport en oxygène doit suivre. Or, en raison des lésions coronariennes, le cœur n’a pas été en mesure de suivre, ce qui a provoqué l’infarctus. En somme, ce jour-là, il y a eu des circonstances défavorables qui ont précipité le décès du travailleur.

[41]        Il convient que plusieurs facteurs de risque peuvent expliquer une fissure de plaque. Celle-ci aurait pu survenir à des températures plus basses, par exemple à la suite d’une importante dispute avec sa conjointe.

[42]        Quant à l’impact qu’aurait pu avoir la prise de Cialis, il considère que ce médicament avait plutôt un effet protecteur au niveau cardiaque. En ce qui concerne les boissons énergisantes, il s’agit de caféine et l’effet n’est pas très contributif.

[43]        Enfin, il estime qu’entre 5 et 20 % des individus de moins de 30 ans présenteraient des lésions cardiaques du type de celles retrouvées chez le travailleur.

[44]        Ce témoignage a été suivi par celui du docteur André Blouin qui témoigne à la demande de l’employeur. Celui-ci dépose de la littérature médicale[4] et la commente. Il discute des différentes causes de mort subite chez les jeunes hommes. Selon la littérature déposée, 40 % des morts subites sont d’origine inconnue. Néanmoins, la cause la plus fréquente parmi les causes connues est la maladie coronarienne. Il ajoute que l’autopsie a démontré des lésions coronariennes sévères, lesquelles sont exceptionnelles chez un homme aussi jeune.

[45]        Selon le docteur Blouin, les conditions environnementales étaient relativement peu exigeantes. Il considère que la comparaison du docteur Sestier entre les contraintes thermiques chez les pompiers et le cas du travailleur ne tient pas la route. Il est d’avis que la dépense énergétique est totalement différente même s’il s’agit d’un travail physique en milieu défavorable. Il déclare qu’il n’y a pas de raison liée au travail expliquant le décès du travailleur. Selon lui, il y a beaucoup d’inconnus dans le cas qui nous occupe. Le travailleur présentait d’importantes anomalies cardiaques depuis longtemps et il avait déjà été exposé à des conditions semblables à celles prévalant le jour de son décès, voire à des températures plus élevées.

[46]        Le docteur Blouin considère que dans le décès du travailleur, la fraction attribuable au travail est de zéro. Le travailleur est décédé après environ 45 minutes de travail. Or, il estime que 45 minutes de travail sont beaucoup moins exigeantes que deux heures d’entraînement physique en gymnase, activité à laquelle le travailleur s’adonnait régulièrement. En ce sens, le décès aurait très bien pu se produire au gymnase.

[47]        En bref, il considère que les anomalies électriques avec arythmie (asystolie et fibrillation ventriculaire) survenues chez un travailleur fragilisé par la maladie coronarienne ne constituent qu’une manifestation au travail d’une importante condition personnelle.

Dossier 611292-61-1607

[48]        Le 28 décembre 2016, l’employeur demande un partage d’imputation en vertu de l’article 329 de la loi. Le 9 février 2017, la Commission répond à l’employeur que sa demande est en traitement.

[49]        À ce jour, la Commission n’a toujours pas donné suite à cette demande.

[50]        Le 1er mai 2017, à la suite de son témoignage à l’audience, le docteur Blouin produit une expertise médicale. Il mentionne qu’il n’y a « aucun fait accidentel ni aucune situation de travail qui auraient pu mettre une contrainte excessive sur la capacité cardio-vasculaire d’un jeune homme de 27 ans ».

[51]        Selon lui, il s’agit d’une mort naturelle chez un individu qui présentait une maladie préexistante importante inconnue au moment du décès. Il indique que la cause précise du décès n’est pas connue de manière documentée. Il réitère que le travailleur était habitué à l’effort physique puisqu’il s’entraînait dans un centre de conditionnement physique. En ce sens, la dépense énergétique et le travail effectué chez l’employeur n’étaient pas plus exigeants que l’entraînement en gymnase.  

[52]        Par ailleurs, le docteur Blouin mentionne que le travailleur présentait une déficience lors de son décès, soit une maladie coronarienne modérée à sévère qui touchait trois vaisseaux, laquelle est tout à fait anormale et exceptionnelle pour quelqu’un de 27 ans. De plus, il est clair selon lui que la déficience était définitivement préexistante à la mort subite du travailleur en juin 2014.

[53]        Quant à l’impact de cette déficience sur le décès du travailleur, il estime que la condition personnelle préexistante, soit la maladie coronarienne, a joué un « rôle tout à fait particulier sur la survenance de la lésion, soit la mort subite, qui est à la source même, finalement de cette réclamation ». Pour le docteur Blouin, n’eut été la maladie coronarienne, le travailleur ne serait pas décédé ce jour-là. Les circonstances environnementales n’ont pas pu contribuer à sa mort.

[54]        Il estime donc que la maladie coronarienne a joué un rôle majeur prépondérant et excessif dans la gravité de cette situation, car habituellement on aurait d’abord pu s’attendre à une problématique d’angine et non pas à une mort subite. Il explique la situation de la façon suivante :

La mort subite est une cause excessive, disproportionnée et rare de la maladie coronarienne. Généralement, dans les cas les plus sévères, on va assister à un infarctus du myocarde, ce qui n’est pas le cas ici puisque l’autopsie n’a pas révélé des séquelles d’un infarctus du myocarde en phase aiguë.

 

On ne peut pas parler ici de prolongation de la période de consolidation, car Monsieur est décédé immédiatement. On suspecte donc que la maladie coronarienne a engendré un trouble du rythme qui a entraîné le décès immédiat de Monsieur Sergerie. Cette situation doit être considérée ici par le tribunal comme une situation parfaitement exceptionnelle et hors norme également.

 

 

[55]        Dans ce contexte, il suggère un partage d’imputation de l’ordre de 0 % à l’employeur et de 100 % au fonds général.

LES MOTIFS

Dossier 611279-61-1607

[56]        Le Tribunal administratif du travail doit déterminer si le travailleur est décédé d’une lésion professionnelle le 17 juin 2014.

[57]        L’article 2 de la loi définit la lésion professionnelle comme suit :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72; 2015, c. 15, a. 111.

 

 

[58]        La succession du travailleur ne prétend pas à la survenance d’une maladie professionnelle de sorte qu’elle doit démontrer la survenance d’un accident du travail pour que le Tribunal conclue que le travailleur est décédé d’une lésion professionnelle.

[59]        La loi définit la notion d’accident du travail comme suit :

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72, 2015, c. 15, a. 111.

 

 

[60]        En l’espèce, la succession du travailleur allègue l’aggravation d’une condition préexistante par la survenance d’un accident du travail. La preuve doit donc démontrer, dans un premier temps, la survenance d’un accident du travail. Ensuite, la preuve doit établir une relation entre cet accident et l’aggravation de la condition préexistante ayant conduit au décès du travailleur.

[61]        Dans les cas de maladie cardiaque, la jurisprudence[5] reconnaît qu’un effort physique peut, dans certains cas, constituer l’événement imprévu et soudain. En l’espèce, la température extérieure le jour de l’événement était de 27Celsius à l’aéroport Pierre-Elliott Trudeau. La preuve ne révèle toutefois pas la température ambiante à l’intérieur de l’école où œuvrait le travailleur avant son décès. Néanmoins, il est permis de penser que la température y était nettement plus élevée puisque la pièce était parfaitement scellée et qu’il y avait de l’humidité dans l’air. Tant monsieur Dubé que monsieur Desrosiers ont témoigné que la température est plus humide à l’intérieur de la pièce qu’à l’extérieur puisque tout est hermétiquement scellé et qu’il y a moins de circulation d’air.

[62]        De plus, le travailleur s’activait en hauteur près du plafond et il ressort du témoignage de monsieur Desrosiers que c’est l’endroit où la température est la plus élevée dans la zone. Qui plus est, les travaux de décontamination avaient lieu dans une école à toit plat de sorte que le soleil plombe particulièrement fort sur ce type de surface.

[63]        Enfin, la preuve révèle que le travailleur portait une combinaison hermétique qui ne permettait pas l’évacuation de la transpiration. Bien qu’il ait déjà été soumis à de telles conditions climatiques par le passé, voire à des conditions plus extrêmes, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de conditions de travail difficiles et que le travailleur a dû déployer des efforts importants. En effet, le Tribunal a déjà décidé qu’on ne peut qualifier ces efforts d’habituels du simple fait qu’ils peuvent se présenter de façon aussi sporadique[6].

[64]        Le Tribunal considère que cette combinaison de contraintes climatiques associée aux types d’activités et d’efforts physiques appréciables que devait fournir le travailleur peut être assimilée à un événement imprévu et soudain au sens élargi. En effet, le Tribunal a déjà considéré que même s’il ne possède pas le caractère inhabituel au sens d’exceptionnel[7], l’exigence des tâches du travailleur combinée aux contraintes climatiques est suffisante pour conclure à un événement imprévu et soudain.

[65]        Il reste maintenant à déterminer s’il existe une relation causale entre cet événement imprévu et soudain et la maladie cardiaque du travailleur ayant causé son décès.

[66]        Au chapitre médical, les deux experts s’entendent sur la pathologie coronarienne ayant conduit au décès du travailleur, soit une maladie cardiaque d’athérosclérose sévère ayant mené à une rupture de plaque. Il est également clair que le travailleur souffrait d’une maladie coronarienne encore silencieuse le 17 juin 2014. En ce sens, le travailleur était porteur d’une condition personnelle préexistante. Il s’agit donc ici de déterminer si l’événement imprévu et soudain ou les circonstances particulières du 17 juin 2014 ont pu constituer un élément déclencheur significatif dans la détérioration de la condition cardiaque.

[67]        Bien que les deux experts s’entendent sur la cause du décès du travailleur, leur opinion diverge quant à la part attribuable au travail dans ce décès. Pour le docteur Sestier, n’eut été les conditions environnantes au travail le 17 juin 2014, le travailleur ne serait probablement pas décédé à ce moment. En ce sens, il estime que c’est la combinaison des contraintes thermiques jumelées au travail manuel qui a entraîné son décès. Le changement ce jour-là se situe donc au niveau des conditions environnementales.

[68]        Pour le docteur Blouin, les conditions de travail le 17 juin ne lui apparaissent pas suffisantes pour expliquer le basculement vers le décès. En fait, pour le docteur Blouin, les changements subis par le travailleur le 17 juin et ayant mené à son décès découlent de sa condition physique. Le décès du travailleur ne constitue qu’une manifestation au travail d’une condition personnelle d’anomalies cardiaques.

[69]        Dans le présent dossier, il ne fait aucun doute que le travailleur présentait une importante condition personnelle lors de l’événement du 17 juin 2014. Toutefois, cette condition n’empêche pas la reconnaissance d’une lésion professionnelle par le biais d’une aggravation d’une condition préexistante en présence d’un événement imprévu et soudain.

[70]        Ici, le Tribunal retient l’avis du docteur Sestier. Bien que le travailleur ait déjà été exposé à des conditions de travail aussi contraignantes, voire plus contraignantes par le passé, il n’en demeure pas moins qu’il exerçait un travail exigeant physiquement. Il devait manipuler divers outils dans la démolition du plafond afin d’extraire l’amiante. De plus, il devait porter un équipement de protection complet et travaillait dans une zone complètement hermétique de sorte que sa température corporelle était forcément augmentée. Ces conditions de travail exigeantes ont aggravé la condition personnelle silencieuse du travailleur, le rendant progressivement plus vulnérable.

[71]        À cet égard, le Tribunal retient la thèse du docteur Sestier selon laquelle s’il avait effectué un travail de bureau le 17 juin 2014, le travailleur ne serait probablement pas décédé. Or, cette journée-là, comme mentionné antérieurement, le Tribunal considère qu’un événement imprévu et soudain est survenu.

[72]        Le Tribunal retient également que malgré le fait qu’il semblait transpirer davantage, le travailleur se portait bien lors de son arrivée au travail le 17 juin 2014. Il n’avait aucun antécédent cardiaque, ne s’est plaint d’aucune douleur et était en bonne condition physique.

[73]        Dans ce contexte, le Tribunal considère que les efforts fournis au travail le 17 juin 2014 jumelés aux contraintes thermiques ont précipité l’épisode cardiaque ayant entraîné le décès du travailleur. Par conséquent, le travailleur a subi une lésion professionnelle le 17 juin 2014, soit un épisode cardiaque aigu ayant entraîné son décès.

Dossier 611292-61-1607

[74]        Dans ce dossier, en décembre 2016, l’employeur a demandé à la Commission un partage d’imputation en vertu de l’article 329 de la loi. Or, celle-ci n’a toujours pas rendu de décision sur cette question. Dans ces circonstances, l’article 9 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[8] (la LITAT) prévoit qu’en l’absence d’une décision rendue par la Commission, le Tribunal a le pouvoir de rendre la décision qui aurait dû être rendue :

9. Le Tribunal a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.

En outre des pouvoirs que lui attribue la loi, le Tribunal peut:

  rejeter sommairement ou assujettir à certaines conditions toute affaire qu’il juge abusive ou dilatoire;

  refuser de statuer sur le mérite d’une plainte portée en vertu du Code du travail (chapitre C-27) ou de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) lorsqu’il estime que celle-ci peut être réglée par une sentence arbitrale disposant d’un grief, sauf s’il s’agit d’une plainte visée à l’article 16 du Code du travail ou aux articles 123 et 123.1 de la Loi sur les normes du travail;

  rendre toute ordonnance, y compris une ordonnance provisoire, qu’il estime propre à sauvegarder les droits des parties;

4°   confirmer, modifier ou infirmer la décision, l’ordre ou l’ordonnance contesté et, s’il y a lieu, rendre la décision, l’ordre ou l’ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu;

  rendre toute décision qu’il juge appropriée;

  entériner un accord, s’il est conforme à la loi;

  omettre le nom des personnes impliquées lorsqu’il estime qu’une décision contient des renseignements d’un caractère confidentiel dont la divulgation pourrait être préjudiciable à ces personnes.

___________

2015, c. 15, a. 9.

 

[Soulignements ajoutés.]

 

 

[75]        Par conséquent, le Tribunal administratif du travail doit déterminer si l’employeur a droit à un partage d’imputation en vertu de l’article 329 de la loi qui se lit comme suit :

329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

 

Le travailleur visé au premier alinéa peut, à tout moment jusqu’à la fin de l’enquête et de l’audition, intervenir devant le Tribunal dans un recours relatif à l’application du présent article.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35; 2015, c. 15, a. 113.

 

 

[76]        Pour bénéficier d’un partage du coût des prestations, l’employeur doit démontrer que le travailleur était déjà handicapé lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle ayant entraîné son décès le 17 juin 2014. 

[77]        La notion de « travailleur déjà handicapé » fait maintenant l’objet d’un consensus jurisprudentiel au sein du Tribunal depuis l’affaire Municipalité Petite-Rivière St-François et CSST[9] qui retient la définition suivante :

[…] un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.

 

 

[78]        La preuve de l’employeur doit donc se faire en deux étapes pour pouvoir bénéficier de l’application de l’article 329 de la loi. Il doit d’abord démontrer, par une preuve prépondérante, une déficience physique ou psychique, laquelle « constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme bio- médicale »[10] avant la survenance de la lésion professionnelle. Il n’est pas nécessaire que le travailleur soit déjà symptomatique au travail ou dans sa vie personnelle avant sa lésion professionnelle.

[79]        Dans le présent dossier, l’employeur allègue la présence d’une déficience préexistante, soit la maladie coronarienne. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une altération de la structure anatomique cardiaque. Quant à l’antériorité de cette condition, il est également clair qu’elle était présente lors du décès du travailleur en juin 2014.

[80]        Dans ce contexte, le Tribunal conclut que le travailleur présentait une condition préexistante au moment de la survenance de sa lésion professionnelle ayant entraîné son décès en juin 2014.

[81]        De plus, le Tribunal considère que cette condition dévie à la norme biomédicale. À cet égard, le Tribunal retient l’opinion du docteur Blouin selon laquelle la condition coronarienne présentée par le travailleur représente une déviation par rapport à la norme biomédicale pour un individu âgé de 27 ans. Sans donner de pourcentage précis en regard de la prévalence de cette pathologie chez les individus de moins de 30 ans, le docteur Blouin parle d’une condition tout à fait exceptionnelle. Quant au docteur Sestier, il a témoigné qu’entre 5 à 20 % des personnes de moins de 30 ans présenteraient des lésions cardiaques semblables à celles retrouvées chez le travailleur.

[82]         Dans ce contexte, le Tribunal juge que la preuve démontre sans aucun doute la présence d’une déficience physique au moment de la lésion professionnelle ayant entraîné le décès du travailleur.

[83]        Le Tribunal estime également que cette déficience a eu un impact sur la survenance de la lésion professionnelle et évidemment sur ses conséquences. Les deux experts sont d’avis que la déficience du travailleur a eu un impact sur la survenance de la mort subite. Leur opinion diverge toutefois quant au poids des causes.

[84]        Comme mentionné antérieurement, pour le docteur Blouin, n’eut été la maladie coronarienne, le travailleur ne serait pas décédé le 17 juin 2014. Pour lui, les conditions de travail n’ont eu aucun impact sur son décès. Le docteur Sestier est également d’avis que n’eut été sa maladie coronarienne, le travailleur ne serait pas décédé au travail le 17 juin 2014. Par contre, contrairement au docteur Blouin, il estime que les conditions de travail ont joué un rôle dans la mort subite du travailleur. En effet, il considère que bien que le travailleur présentait une maladie coronarienne importante, n’eut été ses conditions de travail exigeantes, il ne serait probablement pas décédé le 17 juin 2014.

[85]        Ceci dit, l’employeur demande un partage d’imputation de l’ordre de 100 % à l’ensemble des employeurs. Retenir sa position revient à conclure que le travail n’a eu aucune incidence sur le décès du travailleur. Or, pour les motifs exprimés plus haut, le Tribunal ne peut retenir cette prétention.

[86]        Le Tribunal considère que le travailleur présentait une importante condition préexistante ayant eu un impact majeur sur son décès. Néanmoins, même en tenant compte de l’importance du handicap et du rôle significatif qu’il a joué dans la survenance de la lésion professionnelle ayant entraîné le décès du travailleur, le Tribunal ne peut accorder le partage total d’imputation demandé par l’employeur.

[87]        En effet, pour accorder un partage de l’ordre de 100 % aux employeurs de toutes les unités et de 0 % au dossier financier de l’employeur, le Tribunal doit être convaincu que le travail n’a eu aucun impact sur la lésion professionnelle. Or, comme mentionné plus haut, ce n’est pas le cas dans le présent dossier.

[88]        À l’instar du docteur Sestier, le Tribunal considère que les conditions de travail exigeantes ont eu un impact sur la mort subite du travailleur. Même si le travailleur présentait une anomalie cardiaque importante qui a joué un rôle significatif sur la lésion professionnelle et ses conséquences tragiques, le Tribunal ne peut ignorer totalement les circonstances environnementales de travail.   

[89]        Dans ce contexte, le Tribunal considère approprié d’accorder un partage d’imputation de l’ordre de 1 % à l’employeur et de 99 % aux employeurs de toutes les unités.

 

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

Dossier 611279-61-1607

REJETTE la contestation de l’entreprise Rolland Grenier Construction ltée, l’employeur;

CONFIRME la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail rendue le 30 mai 2016 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur est décédé d’une lésion professionnelle le 17 juin 2014.

Dossier 611292-61-1607

ACCUEILLE en partie la contestation de l’entreprise Rolland Grenier Construction ltée, l’employeur;

DÉCLARE que l’employeur ne doit être imputé que de 1 % du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 17 juin 2014 et entraînant son décès.

 

 

__________________________________

 

Virginie Brisebois

 

 

 

M. Mario Turner

SANTRAGEST INC.

Pour la partie demanderesse

 

M. Richard Guérette

U.I.J.A.N. LOCAL 62

Pour la partie mise en cause

 

Date de l’audience : 13 avril 2017

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           ZACHARIASARDOTTIR, S. et al., « Sudden cardiac death and coronary disease in the young : A nationwide cohort study in Denmark », International Journal of Cardiology, 2017 Jun 1;236:16-22. doi: 10.1016/j.ijcard.2017.01.118. Epub 2017 Jan 28; ECKART, Robert E. et al., Journal of the American College of Cardiology, 2011, Sep 13;58(12):1254-61. doi: 10.1016/j.jacc.2011.01.049; J.P. MEYER, Service de Physiologie environnementale, centre de recherche de ‘LINRS, Nancy; Stephen G. WORTHLEY et al., The Mount Sinai Journal of Medicine, Vol. 68 No. 3 May 2001.

[3]           Voir les données météorologiques d’Environnement Canada : pièce E-4.

[4]           ZACHARIASARDOTTIR S. et al., « Sudden cardiac death and coronary disease in the young : A nationwide cohort study in Denmark », International Journal of Cardiology, 2017 Jun 1;236:16-22. doi: 10.1016/j.ijcard.2017.01.118. Epub 2017 Jan 28.

[5]           Voir notamment : Succession Georges Gaul et English, C.L.P. 221490-01B-0311, 27 octobre 2005, L. Desbois; Succession Donald Szadbadkai et Placerdome Canada ltée, [2004] C.L.P. 1200; Succession Robert Thétrault et Service de la police de la Ville de Montréal, [2003] C.L.P. 374.

[6]           Succession Georges Gaul et Isaac English, précitée note 5; Dufresne et Pêcherie Réginald Cotton, 2009 QCCLP 6042.

[7]           Succession Morel Côté et Centre jeunesse de Montréal, C.L.P. 90832-71-9708, 29 juin 1999, A. Vaillancourt.

[8]          RLRQ, c. T-15.1.

[9]           [1999] C.L.P. 779.

[10]         Précitée, note 5.

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