Simard et Crocs Canada inc. |
2014 QCCLP 3931 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 20 décembre 2013, madame Véronique Simard (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la CSST (la CSST) rendue le 5 novembre 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 1er octobre 2013 déclarant que, suite à l’évaluation médicale faite par son médecin traitant concernant la lésion professionnelle du 5 décembre 2012, elle ne conservait aucune atteinte permanente supplémentaire à son intégrité physique et qu’elle n’avait donc droit à aucune indemnité pour préjudice corporel.
[3] À l’audience tenue à Québec le 3 juillet 2014, la travailleuse était présente et représentée par Me Michelle Labrie. Crocs Canada inc. (l’employeur) bien que dûment convoqué était absent. L’affaire est mise en délibéré le 3 juillet 2014.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’annuler la décision rendue par la CSST le 1er octobre 2013 et celle rendue en révision administrative le 5 novembre 2013 en raison du caractère irrégulier du rapport complémentaire rédigé par le docteur Daniel Cloutier, le 18 septembre 2013.
[5] Cr rapport complémentaire étant irrégulier, il y a lieu d’ordonner à la CSST de reprendre le processus d’évaluation médicale en référant le dossier au Bureau d’évaluation médicale conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations d’employeurs et la membre issue des associations syndicales sont tous deux d’avis d’accueillir le moyen soulevé par la travailleuse portant sur le caractère irrégulier du rapport complémentaire dressé par le docteur Daniel Cloutier, le 18 septembre 2013.
[7] Les membres considèrent que le rapport complémentaire du docteur Cloutier doit être écarté et qu’il y a lieu d’ordonner la reprise du processus d’évaluation médicale en soumettant le dossier à l’attention du Bureau d’évaluation médicale sur la question de l’existence d’une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 5 décembre 2012.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles doit évaluer le bien-fondé de la décision de la CSST énonçant que la travailleuse ne conserve aucune l’atteinte permanente à son intégrité physique à la suite de la lésion professionnelle du 5 décembre 2012.
[9] La CSST pour décider ainsi s’appuie sur le rapport complémentaire produit par le médecin qui a charge de la travailleuse, soit le docteur Daniel Cloutier, le 18 septembre 2013. Dans ce rapport, le docteur Cloutier se disait en accord avec les conclusions émises par un médecin désigné par la CSST, soit la docteure Céline Roberge, spécialiste en chirurgie plastique, esthétique et reconstructive, en date du 22 juillet 2013.
[10] La travailleuse soulève l’irrégularité du rapport complémentaire du docteur Cloutier et demande de l’écarter afin de conclure que celui-ci ne lie aucunement la CSST sur la question de l’existence ou de l’évaluation de l’atteinte permanente ainsi que l’existence ou l’évaluation des limitations fonctionnelles de la lésion professionnelle subie par la travailleuse, le 5 décembre 2012. Le tribunal est d’avis que les arguments de la travailleuse sont bien fondés.
[11] Rappelons au chapitre des faits que la travailleuse occupant alors un emploi d’opératrice de machinerie fixe a subi une lésion professionnelle le 20 septembre 2006. À cette occasion, son annulaire gauche est resté coincé dans les chaînes d’une machine et il fut nécessaire d’effectuer une quasi-amputation de la moitié de la phalange distale. La travailleuse conservera alors une atteinte permanente découlant de cette lésion du 20 septembre 2006.
[12] La travailleuse subira par la suite une période de récidive, de rechute ou d’aggravation le 15 mars 2010 qui entraînera également une atteinte permanente à son intégrité physique.
[13] Le 5 décembre 2012, la travailleuse est victime d’une lésion professionnelle en relation avec le diagnostic de névromes récidivants à l’annulaire gauche avec cure de névrome.
[14] Le 8 avril 2013, le docteur Daniel Cloutier, agissant à titre de médecin qui a charge de la travailleuse, produit un rapport médical final consolidant la lésion à cette date. Le médecin retient le diagnostic de névrome à l’annulaire gauche. Le médecin précise que la lésion professionnelle selon lui entraînera une atteinte permanente à son intégrité physique. Le médecin précise également que la lésion professionnelle entraînera également des limitations fonctionnelles. Il note toutefois au rapport final qu’il ne produira pas lui-même de rapport d’évaluation conformément au barème des dommages corporels. Il recommande à la travailleuse de recourir au service d’un médecin de son choix.
[15] C’est dans ce contexte que la CSST demande en vertu de l’article 204 de la loi une expertise médicale de la docteure Céline Roberge, spécialiste en chirurgie plastique, esthétique et reconstructive.
[16] La docteure Roberge produit ce rapport à la suite d’une évaluation de la condition médicale de la travailleuse en date du 22 juillet 2013. La docteure Roberge retient au chapitre des séquelles actuelles une atteinte permanente de 2,7 % découlant de l’amputation d’une phalange distale à l’annulaire gauche, d’une ankylose incomplète de l’annulaire gauche et d’une amputation partielle de la phalange moyenne de l’annulaire gauche. À cela, il faut ajouter un pourcentage d’atteinte permanente de 1 % pour le préjudice esthétique découlant de l’amputation de la phalange distale et de l’imputation partielle de la phalange moyenne de l’annulaire gauche. Il faut aussi ajouter 0,30 % à titre de perte de jouissance de la vie, pour un total de 4,0 %.
[17] Au chapitre des limitations fonctionnelles, la docteure Roberge retient des limitations fonctionnelles similaires à un rapport précédent du docteur André Léveillé, plasticien agissant pour le compte du Bureau d’évaluation médicale, daté du 2 juin 2011. En bref, elle établit que la travailleuse ne conserve pas de limitations fonctionnelles supplémentaires par rapport à la situation médicale qui prévalait antérieurement avant la survenance de la lésion professionnelle du 5 décembre 2012.
[18] Par la suite, la preuve révèle que la travailleuse n’a fait l’objet d’aucun suivi ni d’aucun examen médical par son médecin, le docteur Daniel Cloutier, entre la date du rapport final du 8 avril 2013 et l’émission du rapport complémentaire du 18 septembre 2013.
[19] Le docteur Cloutier a produit conformément à l’article 205.1 de la loi un rapport complémentaire visant à répondre au rapport produit par la docteure Roberge en vertu de l’article 204 de la loi.
[20] Alors que le docteur Cloutier n’a procédé à aucune discussion particulière pour expliquer son opinion ni aucun examen médical, il écrit ce qui suit au rapport complémentaire :
Êtes-vous d’accord avec les conclusions de l’expertise de la docteure Céline Roberge qui porte sur :
- l’évaluation de l’atteinte permanente;
- limitations fonctionnelles;
Je suis d’accord avec l’évaluation du docteur Céline Roberge du 22 juillet 2013.
[21] La travailleuse soumet à bon droit que ce rapport complémentaire du docteur Daniel Cloutier, du 18 septembre 2013, n’est pas valide et qu’il doit être écarté puisque celui-ci n’est pas étayé au sens de l’article 205.1 de la loi et que ses conclusions ne découlent pas d’un examen récent de la travailleuse.
[22] Le tribunal réfère aux articles pertinents de la loi à la résolution du présent litige, soit les articles 204, 205.1, 224 et 358 de la loi qui se lisent comme suit :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
__________
1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé.
Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
__________
1997, c. 27, a. 3.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.
Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2.
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[nos soulignements]
[23] Le tribunal rappelle que le docteur Cloutier avait produit le 8 avril 2013 un rapport médical final énonçant que la travailleuse conservait non seulement une atteinte permanente, mais également des limitations fonctionnelles.
[24] Le rapport de la docteure Roberge, obtenu en vertu de l’article 204 de la loi, énonce que la travailleuse conserve une atteinte permanente, mais aucune limitation fonctionnelle supplémentaire par rapport à la situation qui prévalait avant la survenance de la lésion professionnelle du 5 décembre 2012. Pourtant, le docteur Cloutier, en écrivant au rapport complémentaire du 18 septembre 2013 qu’il était d’accord avec l’évaluation de la docteure Roberge du 22 juillet 2013, contredisait lui-même ses propres énoncés apparaissant au rapport final du 8 avril 2013 et prévoyant notamment l’existence de limitations fonctionnelles.
[25] Le tribunal est d’avis qu’il est manifeste que le docteur Cloutier est ainsi en contradiction avec ses propres conclusions dans le rapport final du 8 avril 2013. Rien n’empêche qu’il soit en contradiction, mais encore faut-il qu’il explique pourquoi d’autant plus que l’article 205.1 énonce que le rapport complémentaire vise à étayer ses conclusions et le cas échéant y joindre un rapport de consultation motivé.
[26] Manifestement, l’énoncé laconique et expéditif du docteur Cloutier se disant en accord avec l’évaluation de la docteure Roberge du 22 juillet 2013, ne rencontre pas les conditions prescrites par l’article 205.1 de la loi.
[27] D’autant plus ici que le docteur Cloutier n’a procédé à aucun examen médical de la travailleuse entre la production de son rapport final le 8 avril 2013 et le 18 septembre 2013. En fait, il n’a aucunement examiné la travailleuse au moment de la production du rapport complémentaire du 18 septembre 2013.
[28] Dans l’affaire Guitard et Peinture G. & R. Lachance Inc.[2], le tribunal avait précisément déclaré invalide un rapport complémentaire dans des circonstances similaires où le médecin qui a charge n’avait aucunement motivé ou étayé son opinion :
[19] Bien que la jurisprudence du tribunal reconnaisse que le médecin qui a charge du travailleur est parfaitement libre de modifier son opinion professionnelle et d’accepter les conclusions du médecin désigné par la CSST ou par l’employeur1, il reste que, lorsque comme en l’espèce, le médecin contredit ses propres conclusions antérieures, il doit motiver son retournement d’opinion, ce qu’il n’a pas fait à l’égard de la description des limitations fonctionnelles2.
[20] La nécessité pour le médecin qui a charge d’étayer ses nouvelles conclusions se justifie par le fait qu’elles sont lourdes de conséquence, puisque le travailleur ne peut les contester.
[21] L’article 358 de la loi prévoit en effet ce qui suit :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[Nos soulignements]
[22] La jurisprudence exige donc que le rapport du médecin qui a charge doit être clair, qu’il ne présente pas d’ambiguïté et qu’il ne porte pas à interprétation3. La soussignée partage ce point de vue maintenant bien établi. La nécessité de protéger l’intégrité et la liberté de jugement du médecin qui a charge est soulignée par le tribunal dans l’affaire Multi-Marques inc. et Massé4.
[23] L’exigence développée par la jurisprudence permet de s’assurer que le médecin qui a charge a modifié son opinion en toute connaissance de cause, en considérant toutes les données pertinentes et après avoir sérieusement réfléchi à la question. Son jugement professionnel doit être exercé de manière responsable.
[24] Dans le présent cas, il est tout à fait raisonnable de croire que les examens réalisés par le docteur Lavallée jusqu’à la consolidation de la lésion étaient orientés vers le traitement de la lésion. Jusqu’à ce moment, il n’était en effet d’aucune utilité pour le travailleur ou le médecin de connaître même sommairement l’ampleur de l’atteinte permanente et la description précise des limitations fonctionnelles.
[25] L’évaluation de l’atteinte permanente et la description des limitations fonctionnelles impliquent une revue détaillée de l’histoire, un examen complet et une certaine appréciation de la fonction. Ce genre d’examen n’est pas réalisé dans le cadre de la pratique médicale courante.
[26] Faute du moindre examen spécifiquement orienté vers la question, le tribunal ne voit pas comment le docteur Lavallée pouvait émettre une opinion éclairée sur le quantum de l’atteinte permanente et sur la description des limitations permanentes dont le travailleur en particulier est porteur. Il semble qu’il ait choisi de s’en remettre à l’évaluation faite par le docteur Beaupré.
[27] La Commission des lésions professionnelles considère que le docteur Lavallée n’a pas exercé de manière responsable le rôle très important qui est conféré au médecin qui a charge par la loi. Il serait injuste que le travailleur soit empêché de contester son opinion.
[28] La Commission des lésions professionnelles conclut que le rapport complémentaire du 12 mai 2010 ne lie pas la CSST. Le remède à apporter peut être celui prévu à l’article 221 de la loi :
221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.
Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.
__________
1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.
[29] Dans le meilleur intérêt de la justice, il convient de référer le dossier au Bureau d’évaluation médicale afin qu’il se prononce sur la question de la description de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, plutôt que d’ordonner au docteur Lavallée de produire un rapport d’évaluation médicale après avoir examiné le travailleur ou encore de permettre au travailleur de choisir un autre médecin pour le faire.
_____________________
1 Cheaumont et Ferme Bernex inc., 2010 QCCLP 2749; Lachance et Québecor World St-Romuald, C.L.P. 281998-31-0602, 26 février 2007, G. Tardif; Paquet et Aménagements forestiers L.F., C.L.P. 246976-08-0410, 6 juillet 2005, J.-F. Clément.
2 Sifomios et Circul - Aire inc., 2007, QCCLP 4440; Les aliments O Sole Mio inc. et Abu-Eid, 2007 QCCLP 4317; Guillemette et Consortium Cadoret, Savard, Tremblay, Casault et C.S.S.T., C.L.P. 276152-09-0511, 31 mars 2006, R. Arsenau; Ouellet et Métallurgie Noranda inc., C.L.P. 190453-08-0209, 9 septembre 2003, M. Lamarre.
3 Guillemette et Consortium Cadoret, Savard, Tremblay, Casault et C.S.S.T., précitée note 2; Tremblay et Providence Notre-Dame de Lourdes, C.L.P. 247398-71-0411, 24 février 2006, C. Racine, révision rejetée [2007] CLP 508, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-17-038220-0778, 7 octobre 2008, j. Marcelin.
4 C.L.P. 296035-61-0608, 1er mars 2007, G. Morin.
[nos soulignements]
[29] Le tribunal réfère également à la décision Meubles Lorenz et D’Angelo[3] qui énonçait que l’opinion émise par le médecin traitant dans le cadre d’un rapport complémentaire doit être basée sur un « examen récent » de la travailleuse en plus d’être étayée. Le tribunal écrivait :
[57] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de Hôpital Maisonneuve-Rosemont (l’employeur) et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle. Elle déclare, conséquemment, sans objet les autres con ailleurs, la Commission des lésions professionnelles a retenu que, lorsque le médecin qui a charge exprime son accord avec l’opinion du médecin désigné (de la CSST ou de l’employeur), cette opinion devient celle du médecin qui a charge et lie la CSST et la Commission des lésions professionnelles5.
[58] Mais encore faut-il que cette opinion soit basée sur un examen récent du travailleur et étayée. Récemment, la juge administrative Crochetière s’exprimait ainsi sur la portée de l’article 205.1, des obligations qui en découlent pour le médecin qui a charge et des conséquences sur les droits du travailleur6 :
[25] L’article 205.1 de la loi prévoit que le rapport complémentaire est complété par le médecin qui a charge du travailleur en vue d’étayer ses conclusions.
[26] « Étayer ses conclusions » implique que le médecin énonce les éléments sur lesquels il appuie ses conclusions et donne des explications. Cette étape est d’autant plus importante lorsque le médecin qui a charge du travailleur, comme en l’espèce, change son opinion pour se rallier à celle du médecin désigné de la CSST. Cette nouvelle opinion du médecin qui a charge du travailleur revêt alors le caractère liant qui laisse le travailleur sans recours, concernant les questions d’ordre médical, conformément au second alinéa de l’article 358 de la loi :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d’une question d’ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l’article 224 ou d’une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l’article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l’acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l’article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d’annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l’article 323.1.
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[27] La jurisprudence reconnaît que l’article 205.1 de la loi n’a pas pour effet d’empêcher le médecin qui a charge du travailleur de modifier son opinion dans un rapport complémentaire. Cependant, en raison des conséquences juridiques importantes que ce geste peut entraîner, le médecin qui a charge du travailleur doit étayer ses conclusions. Son opinion doit être claire, limpide, non ambiguë et ne doit pas porter à interprétation.
(…)
[33] Il n’appartient pas au tribunal de se livrer à un exercice d’interprétation pour comprendre le changement d’opinion qui n’est pas expliqué par son auteur. Ce changement d’opinion doit être clair, limpide et connu du travailleur avant que le tribunal n’ait à statuer puisque l’article 205.1 de la loi exige que le médecin qui a charge du travailleur l’informe, sans délai, du contenu de son rapport. L’expression « sans délai » réfère à l’époque de l’émission du rapport.
______________
5 Lachance et Québécor World St-Romuald, C.L.P. 281998-31-0602, 26 février 2007, G. Tardif.
6 Hammani et Fabricants de Plasti. Fédéral, C.L.P. 376688-71-0904, 1er juin 2010.
[nos soulignements]
[30] De la même façon, dans le présent dossier, le tribunal est d’avis que non seulement le docteur Cloutier n’a pas étayé son opinion, mais il n’a procédé à aucun examen médical de la travailleuse au moment de la production de son rapport complémentaire le 18 septembre 2013, soit plus de cinq mois après l’émission de son rapport final du 8 avril 2013.
[31] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles considère que le rapport complémentaire du docteur Daniel Cloutier produit le 18 septembre 2013 n’est pas valide et qu’il ne lie pas la CSST en vertu de la loi.
[32] Le remède approprié est de référer le dossier au Bureau d’évaluation médicale conformément à l’article 221 de la loi qui se lit comme suit :
221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.
Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.
__________
1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.
[33] Le tribunal conclut donc que le dossier doit être référé au Bureau d’évaluation médicale afin qu’il se prononce sur la question de la description de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 5 décembre 2012.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation de madame Véronique Simard, la travailleuse, déposée le 20 décembre 2013;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 5 novembre 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE nul le rapport complémentaire signé par le docteur Daniel Cloutier, le 18 septembre 2013;
ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale afin qu’il se prononce sur la description de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles qui résultent de la lésion professionnelle subie le 5 décembre 2012 par la travailleuse.
|
|
|
Jean-Luc Rivard |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Michelle Labrie |
|
LORD LABRIE |
|
Représentante de la partie requérante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.