Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Simard et Crocs Canada inc.

2014 QCCLP 3931

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

8 juillet 2014

 

Région :

Québec

 

Dossier :

530125-31-1312

 

Dossier CSST :

130618317

 

Commissaire :

Jean-Luc Rivard, juge administratif

 

Membres :

Michel Paré, associations d’employeurs

 

Nicole DeschĂŞnes, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Véronique Simard

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Crocs Canada inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 20 dĂ©cembre 2013, madame VĂ©ronique Simard (la travailleuse) dĂ©pose Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles une requĂŞte par laquelle elle conteste une dĂ©cision de la CSST (la CSST) rendue le 5 novembre 2013, Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

[2]           Par cette dĂ©cision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 1er octobre 2013 dĂ©clarant que, suite Ă  l’évaluation mĂ©dicale faite par son mĂ©decin traitant concernant la lĂ©sion professionnelle du 5 dĂ©cembre 2012, elle ne conservait aucune atteinte permanente  supplĂ©mentaire Ă  son intĂ©gritĂ© physique et qu’elle n’avait donc droit Ă  aucune indemnitĂ© pour prĂ©judice corporel.

[3]           Ă€ l’audience tenue Ă  QuĂ©bec le 3 juillet 2014, la travailleuse Ă©tait prĂ©sente et reprĂ©sentĂ©e par Me Michelle Labrie. Crocs Canada inc. (l’employeur) bien que dĂ»ment convoquĂ© Ă©tait absent. L’affaire est mise en dĂ©libĂ©rĂ© le 3 juillet 2014.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La travailleuse demande Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles d’annuler la dĂ©cision rendue par la CSST le 1er octobre 2013 et celle rendue en rĂ©vision administrative le 5 novembre 2013 en raison du caractère irrĂ©gulier du rapport complĂ©mentaire rĂ©digĂ© par le docteur Daniel Cloutier, le 18 septembre 2013.

[5]           Cr rapport complĂ©mentaire Ă©tant irrĂ©gulier, il y a lieu d’ordonner Ă  la CSST de reprendre le processus d’évaluation mĂ©dicale en rĂ©fĂ©rant le dossier au Bureau d’évaluation mĂ©dicale conformĂ©ment Ă  la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

L’AVIS DES MEMBRES

[6]           Le membre issu des associations d’employeurs et la membre issue des associations syndicales sont tous deux d’avis d’accueillir le moyen soulevĂ© par la travailleuse portant sur le caractère irrĂ©gulier du rapport complĂ©mentaire dressĂ© par le docteur Daniel Cloutier, le 18 septembre 2013.

[7]           Les membres considèrent que le rapport complĂ©mentaire du docteur Cloutier doit ĂŞtre Ă©cartĂ© et qu’il y a lieu d’ordonner la reprise du processus d’évaluation mĂ©dicale en soumettant le dossier Ă  l’attention du Bureau d’évaluation mĂ©dicale sur la question de l’existence d’une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles dĂ©coulant de la lĂ©sion professionnelle subie par la travailleuse le 5 dĂ©cembre 2012.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           La Commission des lĂ©sions professionnelles doit Ă©valuer le bien-fondĂ© de la dĂ©cision de la CSST Ă©nonçant que la travailleuse ne conserve aucune l’atteinte permanente Ă  son intĂ©gritĂ© physique Ă  la suite de la lĂ©sion professionnelle du 5 dĂ©cembre 2012.

[9]           La CSST pour dĂ©cider ainsi s’appuie sur le rapport complĂ©mentaire produit par le mĂ©decin qui a charge de la travailleuse, soit le docteur Daniel Cloutier, le 18 septembre 2013. Dans ce rapport, le docteur Cloutier se disait en accord avec les conclusions Ă©mises par un mĂ©decin dĂ©signĂ© par la CSST, soit la docteure CĂ©line Roberge, spĂ©cialiste en chirurgie plastique, esthĂ©tique et reconstructive, en date du 22 juillet 2013.

[10]        La travailleuse soulève l’irrĂ©gularitĂ© du rapport complĂ©mentaire du docteur Cloutier et demande de l’écarter afin de conclure que celui-ci ne lie aucunement la CSST sur la question de l’existence ou de l’évaluation de l’atteinte permanente ainsi que l’existence ou l’évaluation des limitations fonctionnelles de la lĂ©sion professionnelle subie par la travailleuse, le 5 dĂ©cembre 2012. Le tribunal est d’avis que les arguments de la travailleuse sont bien fondĂ©s.

[11]        Rappelons au chapitre des faits que la travailleuse occupant alors un emploi d’opĂ©ratrice de machinerie fixe a subi une lĂ©sion professionnelle le 20 septembre 2006. Ă€ cette occasion, son annulaire gauche est restĂ© coincĂ© dans les chaĂ®nes d’une machine et il fut nĂ©cessaire d’effectuer une quasi-amputation de la moitiĂ© de la phalange distale. La travailleuse conservera alors une atteinte permanente dĂ©coulant de cette lĂ©sion du 20 septembre 2006.

[12]        La travailleuse subira par la suite une pĂ©riode de rĂ©cidive, de rechute ou d’aggravation le 15 mars 2010 qui entraĂ®nera Ă©galement une atteinte permanente Ă  son intĂ©gritĂ© physique.

[13]        Le 5 dĂ©cembre 2012, la travailleuse est victime d’une lĂ©sion professionnelle en relation avec le diagnostic de nĂ©vromes rĂ©cidivants Ă  l’annulaire gauche avec cure de nĂ©vrome.

[14]        Le 8 avril 2013, le docteur Daniel Cloutier, agissant Ă  titre de mĂ©decin qui a charge de la travailleuse, produit un rapport mĂ©dical final consolidant la lĂ©sion Ă  cette date. Le mĂ©decin retient le diagnostic de nĂ©vrome Ă  l’annulaire gauche. Le mĂ©decin prĂ©cise que la lĂ©sion professionnelle selon lui entraĂ®nera une atteinte permanente Ă  son intĂ©gritĂ© physique. Le mĂ©decin prĂ©cise Ă©galement que la lĂ©sion professionnelle entraĂ®nera Ă©galement des limitations fonctionnelles. Il note toutefois au rapport final qu’il ne produira pas lui-mĂŞme de rapport d’évaluation conformĂ©ment au barème des dommages corporels. Il recommande Ă  la travailleuse de recourir au service d’un mĂ©decin de son choix.

[15]        C’est dans ce contexte que la CSST demande en vertu de l’article 204 de la loi une expertise mĂ©dicale de la docteure CĂ©line Roberge, spĂ©cialiste en chirurgie plastique, esthĂ©tique et reconstructive.

[16]        La docteure Roberge produit ce rapport Ă  la suite d’une Ă©valuation de la condition mĂ©dicale de la travailleuse en date du 22 juillet 2013. La docteure Roberge retient au chapitre des sĂ©quelles actuelles une atteinte permanente de 2,7 % dĂ©coulant de l’amputation d’une phalange distale Ă  l’annulaire gauche, d’une ankylose incomplète de l’annulaire gauche et d’une amputation partielle de la phalange moyenne de l’annulaire gauche. Ă€ cela, il faut ajouter un pourcentage d’atteinte permanente de 1 % pour le prĂ©judice esthĂ©tique dĂ©coulant de l’amputation de la phalange distale et de l’imputation partielle de la phalange moyenne de l’annulaire gauche. Il faut aussi ajouter 0,30 % Ă  titre de perte de jouissance de la vie, pour un total de 4,0 %.

[17]        Au chapitre des limitations fonctionnelles, la docteure Roberge retient des limitations fonctionnelles similaires Ă  un rapport prĂ©cĂ©dent du docteur AndrĂ© LĂ©veillĂ©, plasticien agissant pour le compte du Bureau d’évaluation mĂ©dicale, datĂ© du 2 juin 2011. En bref, elle Ă©tablit que la travailleuse ne conserve pas de limitations fonctionnelles supplĂ©mentaires par rapport Ă  la situation mĂ©dicale qui prĂ©valait antĂ©rieurement avant la survenance de la lĂ©sion professionnelle du 5 dĂ©cembre 2012.

[18]        Par la suite, la preuve rĂ©vèle que la travailleuse n’a fait l’objet d’aucun suivi ni d’aucun examen mĂ©dical par son mĂ©decin, le docteur Daniel Cloutier, entre la date du rapport final du 8 avril 2013 et l’émission du rapport complĂ©mentaire du 18 septembre 2013.

[19]        Le docteur Cloutier a produit conformĂ©ment Ă  l’article 205.1 de la loi un rapport complĂ©mentaire visant Ă  rĂ©pondre au rapport produit par la docteure Roberge en vertu de l’article 204 de la loi.

[20]        Alors que le docteur Cloutier n’a procĂ©dĂ© Ă  aucune discussion particulière pour expliquer son opinion ni aucun examen mĂ©dical, il Ă©crit ce qui suit au rapport complĂ©mentaire :

ĂŠtes-vous d’accord avec les conclusions de l’expertise de la docteure CĂ©line Roberge qui porte sur :

 

-           l’évaluation de l’atteinte permanente;

-           limitations fonctionnelles;

 

Je suis d’accord avec l’évaluation du docteur Céline Roberge du 22 juillet 2013.

 

 

[21]        La travailleuse soumet Ă  bon droit que ce rapport complĂ©mentaire du docteur Daniel Cloutier, du 18 septembre 2013, n’est pas valide et qu’il doit ĂŞtre Ă©cartĂ© puisque celui-ci n’est pas Ă©tayĂ© au sens de l’article 205.1 de la loi et que ses conclusions ne dĂ©coulent pas d’un examen rĂ©cent de la travailleuse.

[22]        Le tribunal rĂ©fère aux articles pertinents de la loi Ă  la rĂ©solution du prĂ©sent litige, soit les articles 204, 205.1, 224 et 358 de la loi qui se lisent comme suit :

204.  La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lĂ©sion professionnelle qu'il se soumette Ă  l'examen du professionnel de la santĂ© qu'elle dĂ©signe, pour obtenir un rapport Ă©crit de celui-ci sur toute question relative Ă  la lĂ©sion. Le travailleur doit se soumettre Ă  cet examen.

 

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

205.1.  Si le rapport du professionnel de la santĂ© dĂ©signĂ© aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du mĂ©decin qui a charge du travailleur quant Ă  l'un ou plusieurs des sujets mentionnĂ©s aux paragraphes 1° Ă  5° du premier alinĂ©a de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la rĂ©ception de ce rapport, fournir Ă  la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complĂ©mentaire en vue d'Ă©tayer ses conclusions et, le cas Ă©chĂ©ant, y joindre un rapport de consultation motivĂ©.

 

Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

__________

1997, c. 27, a. 3.

 

 

224.  Aux fins de rendre une dĂ©cision en vertu de la prĂ©sente loi, et sous rĂ©serve de l'article 224.1, la Commission est liĂ©e par le diagnostic et les autres conclusions Ă©tablis par le mĂ©decin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnĂ©s aux paragraphes 1° Ă  5° du premier alinĂ©a de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

358.  Une personne qui se croit lĂ©sĂ©e par une dĂ©cision rendue par la Commission en vertu de la prĂ©sente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la rĂ©vision.

 

Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.

 

Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.

 

Une personne ne peut demander la rĂ©vision du taux provisoire fixĂ© par la Commission en vertu de l'article 315.2.

__________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.

 

[nos soulignements]

[23]        Le tribunal rappelle que le docteur Cloutier avait produit le 8 avril 2013 un rapport mĂ©dical final Ă©nonçant que la travailleuse conservait non seulement une atteinte permanente, mais Ă©galement des limitations fonctionnelles.

[24]        Le rapport de la docteure Roberge, obtenu en vertu de l’article 204 de la loi, Ă©nonce que la travailleuse conserve une atteinte permanente, mais aucune limitation fonctionnelle supplĂ©mentaire par rapport Ă  la situation qui prĂ©valait avant la survenance de la lĂ©sion professionnelle du 5 dĂ©cembre 2012. Pourtant, le docteur Cloutier, en Ă©crivant au rapport complĂ©mentaire du 18 septembre 2013 qu’il Ă©tait d’accord avec l’évaluation de la docteure Roberge du 22 juillet 2013, contredisait lui-mĂŞme ses propres Ă©noncĂ©s apparaissant au rapport final du 8 avril 2013 et prĂ©voyant notamment l’existence de limitations fonctionnelles.

[25]        Le tribunal est d’avis qu’il est manifeste que le docteur Cloutier est ainsi en contradiction avec ses propres conclusions dans le rapport final du 8 avril 2013. Rien n’empĂŞche qu’il soit en contradiction, mais encore faut-il qu’il explique pourquoi d’autant plus que l’article 205.1 Ă©nonce que le rapport complĂ©mentaire vise Ă  Ă©tayer ses conclusions et le cas Ă©chĂ©ant y joindre un rapport de consultation motivĂ©.

[26]        Manifestement, l’énoncĂ© laconique et expĂ©ditif du docteur Cloutier se disant en accord avec l’évaluation de la docteure Roberge du 22 juillet 2013, ne rencontre pas les conditions prescrites par l’article 205.1 de la loi.

[27]        D’autant plus ici que le docteur Cloutier n’a procĂ©dĂ© Ă  aucun examen mĂ©dical de la travailleuse entre la production de son rapport final le 8 avril 2013 et le 18 septembre 2013. En fait, il n’a aucunement examinĂ© la travailleuse au moment de la production du rapport complĂ©mentaire du 18 septembre 2013.

[28]        Dans l’affaire Guitard et Peinture G. & R. Lachance Inc.[2], le tribunal avait prĂ©cisĂ©ment dĂ©clarĂ© invalide un rapport complĂ©mentaire dans des circonstances similaires oĂą le mĂ©decin qui a charge n’avait aucunement motivĂ© ou Ă©tayĂ© son opinion :

[19]      Bien que la jurisprudence du tribunal reconnaisse que le médecin qui a charge du travailleur est parfaitement libre de modifier son opinion professionnelle et d’accepter les conclusions du médecin désigné par la CSST ou par l’employeur1, il reste que, lorsque comme en l’espèce, le médecin contredit ses propres conclusions antérieures, il doit motiver son retournement d’opinion, ce qu’il n’a pas fait à l’égard de la description des limitations fonctionnelles2.

 

[20]      La nécessité pour le médecin qui a charge d’étayer ses nouvelles conclusions se justifie par le fait qu’elles sont lourdes de conséquence, puisque le travailleur ne peut les contester.

 

[21]      L’article 358 de la loi prĂ©voit en effet ce qui suit :

 

 

358.  Une personne qui se croit lĂ©sĂ©e par une dĂ©cision rendue par la Commission en vertu de la prĂ©sente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la rĂ©vision.

 

Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.

 

Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.

__________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.

 

[Nos soulignements]

 

 

[22]      La jurisprudence exige donc que le rapport du médecin qui a charge doit être clair, qu’il ne présente pas d’ambiguïté et qu’il ne porte pas à interprétation3. La soussignée partage ce point de vue maintenant bien établi. La nécessité de protéger l’intégrité et la liberté de jugement du médecin qui a charge est soulignée par le tribunal dans l’affaire Multi-Marques inc. et Massé4.

 

[23]      L’exigence développée par la jurisprudence permet de s’assurer que le médecin qui a charge a modifié son opinion en toute connaissance de cause, en considérant toutes les données pertinentes et après avoir sérieusement réfléchi à la question. Son jugement professionnel doit être exercé de manière responsable.

 

[24]      Dans le présent cas, il est tout à fait raisonnable de croire que les examens réalisés par le docteur Lavallée jusqu’à la consolidation de la lésion étaient orientés vers le traitement de la lésion. Jusqu’à ce moment, il n’était en effet d’aucune utilité pour le travailleur ou le médecin de connaître même sommairement l’ampleur de l’atteinte permanente et la description précise des limitations fonctionnelles.

 

[25]      L’évaluation de l’atteinte permanente et la description des limitations fonctionnelles impliquent une revue détaillée de l’histoire, un examen complet et une certaine appréciation de la fonction. Ce genre d’examen n’est pas réalisé dans le cadre de la pratique médicale courante.

 

[26]      Faute du moindre examen spécifiquement orienté vers la question, le tribunal ne voit pas comment le docteur Lavallée pouvait émettre une opinion éclairée sur le quantum de l’atteinte permanente et sur la description des limitations permanentes dont le travailleur en particulier est porteur. Il semble qu’il ait choisi de s’en remettre à l’évaluation faite par le docteur Beaupré.

 

[27]      La Commission des lésions professionnelles considère que le docteur Lavallée n’a pas exercé de manière responsable le rôle très important qui est conféré au médecin qui a charge par la loi. Il serait injuste que le travailleur soit empêché de contester  son opinion.

 

[28]      La Commission des lĂ©sions professionnelles conclut que le rapport complĂ©mentaire du 12 mai 2010 ne lie pas la CSST. Le remède Ă  apporter peut ĂŞtre celui prĂ©vu Ă  l’article 221 de la loi :

 

 

221.  Le membre du Bureau d'Ă©valuation mĂ©dicale, par avis Ă©crit motivĂ©, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du mĂ©decin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santĂ© dĂ©signĂ© par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnĂ©s aux paragraphes 1° Ă  5° du premier alinĂ©a de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

 

Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.

__________

1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.

 

 

[29]      Dans le meilleur intérêt de la justice, il convient de référer le dossier au Bureau d’évaluation médicale afin qu’il se prononce sur la question de la description de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, plutôt que d’ordonner au docteur Lavallée de produire un rapport d’évaluation médicale après avoir examiné le travailleur ou encore de permettre au travailleur de choisir un autre médecin pour le faire.

_____________________

1      Cheaumont et Ferme Bernex inc., 2010 QCCLP 2749; Lachance et QuĂ©becor World St-Romuald, C.L.P. 281998-31-0602, 26 fĂ©vrier 2007, G. Tardif; Paquet et AmĂ©nagements forestiers L.F., C.L.P. 246976-08-0410, 6 juillet 2005, J.-F. ClĂ©ment.

2      Sifomios et Circul - Aire inc., 2007, QCCLP 4440; Les aliments O Sole Mio inc. et Abu-Eid, 2007 QCCLP 4317; Guillemette et Consortium Cadoret, Savard, Tremblay, Casault et C.S.S.T., C.L.P. 276152-09-0511, 31 mars 2006, R. Arsenau; Ouellet et MĂ©tallurgie Noranda inc., C.L.P. 190453-08-0209, 9 septembre 2003, M. Lamarre.

3      Guillemette et Consortium Cadoret, Savard, Tremblay, Casault et C.S.S.T., prĂ©citĂ©e note 2; Tremblay et Providence Notre-Dame de Lourdes, C.L.P. 247398-71-0411, 24 fĂ©vrier 2006, C. Racine, rĂ©vision rejetĂ©e [2007] CLP 508, requĂŞte en rĂ©vision judiciaire rejetĂ©e, C.S. MontrĂ©al, 500-17-038220-0778, 7 octobre 2008, j. Marcelin.

4      C.L.P. 296035-61-0608, 1er mars 2007, G. Morin.

 

[nos soulignements]

 

 

[29]        Le tribunal rĂ©fère Ă©galement Ă  la dĂ©cision Meubles Lorenz et D’Angelo[3] qui Ă©nonçait que l’opinion Ă©mise par le mĂ©decin traitant dans le cadre d’un rapport complĂ©mentaire doit ĂŞtre basĂ©e sur un « examen rĂ©cent Â» de la travailleuse en plus d’être Ă©tayĂ©e. Le tribunal Ă©crivait :

[57]      Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de Hôpital Maisonneuve-Rosemont (l’employeur) et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle. Elle déclare, conséquemment, sans objet les autres con ailleurs, la Commission des lésions professionnelles a retenu que, lorsque le médecin qui a charge exprime son accord avec l’opinion du médecin désigné (de la CSST ou de l’employeur), cette opinion devient celle du médecin qui a charge et lie la CSST et la Commission des lésions professionnelles5.

 

[58]      Mais encore faut-il que cette opinion soit  basĂ©e sur un examen rĂ©cent du travailleur et Ă©tayĂ©e. RĂ©cemment, la juge administrative Crochetière s’exprimait ainsi sur la portĂ©e de l’article 205.1, des obligations qui en dĂ©coulent pour le mĂ©decin qui a charge et des consĂ©quences sur les droits du travailleur6 :

 

 

[25]         L’article 205.1 de la loi prévoit que le rapport complémentaire est complété par le médecin qui a charge du travailleur en vue d’étayer ses conclusions.

 

[26]         « Étayer ses conclusions » implique que le mĂ©decin Ă©nonce les Ă©lĂ©ments sur lesquels il appuie ses conclusions et donne des explications. Cette Ă©tape est d’autant plus importante lorsque le mĂ©decin qui a charge du travailleur, comme en l’espèce, change  son opinion pour se rallier Ă  celle du mĂ©decin dĂ©signĂ© de la CSST. Cette nouvelle opinion du mĂ©decin qui a charge du travailleur revĂŞt alors le caractère liant qui laisse le travailleur sans recours, concernant les questions d’ordre mĂ©dical, conformĂ©ment au second alinĂ©a de l’article 358 de la loi :

 

358.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

Cependant, une personne ne peut demander la révision d’une question d’ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l’article 224 ou d’une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l’article 365.

 

Une personne ne peut demander la révision de l’acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l’article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d’annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l’article 323.1.

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.

 

[27]         La jurisprudence reconnaît que l’article 205.1 de la loi n’a pas pour effet d’empêcher le médecin qui a charge du travailleur de modifier son opinion dans un rapport complémentaire. Cependant, en raison des conséquences juridiques importantes que ce geste peut entraîner, le médecin qui a charge du travailleur doit étayer ses conclusions. Son opinion doit être claire, limpide, non ambiguë et ne doit pas porter à interprétation.

 

(…)

 

[33]         Il n’appartient pas au tribunal de se livrer à un exercice d’interprétation pour comprendre le changement d’opinion qui n’est pas expliqué par son auteur. Ce changement d’opinion doit être clair, limpide et connu du travailleur avant que le tribunal n’ait à statuer puisque l’article 205.1 de la loi exige que le médecin qui a charge du travailleur l’informe, sans délai, du contenu de son rapport. L’expression « sans délai » réfère à l’époque de l’émission du rapport.

______________

5        Lachance et Québécor World St-Romuald, C.L.P. 281998-31-0602, 26 février 2007, G. Tardif.

6        Hammani et Fabricants de Plasti. Fédéral, C.L.P. 376688-71-0904, 1er juin 2010.

 

[nos soulignements]

 

 

 

[30]        De la mĂŞme façon, dans le prĂ©sent dossier, le tribunal est d’avis que non seulement le docteur Cloutier n’a pas Ă©tayĂ© son opinion, mais il n’a procĂ©dĂ© Ă  aucun examen mĂ©dical de la travailleuse au moment de la production de son rapport complĂ©mentaire le 18 septembre 2013, soit plus de cinq mois après l’émission de son rapport final du 8 avril 2013.

[31]        Ainsi, la Commission des lĂ©sions professionnelles considère que le rapport complĂ©mentaire du docteur Daniel Cloutier produit le 18 septembre 2013 n’est pas valide et qu’il ne lie pas la CSST en vertu de la loi.

[32]        Le remède appropriĂ© est de rĂ©fĂ©rer le dossier au Bureau d’évaluation mĂ©dicale conformĂ©ment Ă  l’article 221 de la loi qui se lit comme suit :

221.  Le membre du Bureau d'Ă©valuation mĂ©dicale, par avis Ă©crit motivĂ©, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du mĂ©decin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santĂ© dĂ©signĂ© par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnĂ©s aux paragraphes 1° Ă  5° du premier alinĂ©a de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

 

Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.

__________

1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.

 

 

[33]        Le tribunal conclut donc que le dossier doit ĂŞtre rĂ©fĂ©rĂ© au Bureau d’évaluation mĂ©dicale afin qu’il se prononce sur la question de la description de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles dĂ©coulant de la lĂ©sion professionnelle subie par la travailleuse le 5 dĂ©cembre 2012.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la contestation de madame VĂ©ronique Simard, la travailleuse, dĂ©posĂ©e le 20 dĂ©cembre 2013;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 5 novembre 2013, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE nul le rapport complĂ©mentaire signĂ© par le docteur Daniel Cloutier, le 18 septembre 2013;

ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale afin qu’il se prononce sur la description de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles qui résultent de la lésion professionnelle subie le 5 décembre 2012 par la travailleuse.

 

 

 

 

 

Jean-Luc Rivard

 

 

 

 

Me Michelle Labrie

LORD LABRIE

Représentante de la partie requérante

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           2011 QCCLP 2731.

[3]           2011 QCCLP 1491.

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