A.B. c. Clercs de Saint-Viateur du Canada | 2023 QCCA 527 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(500-06-000890-174) | |||||
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DATE : | 24 avril 2023 | ||||
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B… F… | |||||
APPELANT – demandeur/représentant | |||||
c. | |||||
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LES CLERCS DE SAINT-VIATEUR DU CANADA | |||||
INTIMÉ – défendeur/demandeur en garantie | |||||
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COLLÈGE BOURGET | |||||
FONDS D’ENTRAIDE DE L’ANCIEN SÉMINAIRE DE JOLIETTE | |||||
CENTRE INTÉGRÉ UNIVERSITAIRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA CAPITALE-NATIONALE | |||||
INTIMÉS – défendeurs | |||||
et | |||||
LES MISSIONS SAINT-VIATEUR | |||||
FONDS LOUIS-QUERBES | |||||
INTIMÉS – mis en cause | |||||
et | |||||
INTACT COMPAGNIE D’ASSURANCE | |||||
INTIMÉE – tierce intervenante/défenderesse en garantie | |||||
et | |||||
TRAVELERS CANADA | |||||
ROYAL AND SUN ALLIANCE | |||||
MISES EN CAUSE – défenderesses en garantie | |||||
et | |||||
FONDS D’AIDE AUX ACTIONS COLLECTIVES |
MIS EN CAUSE – mis en cause |
et |
JEAN-PHILIPPE GROLEAU |
AMICUS CURIAE |
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MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée le 25 août 2022 par l’honorable Robert Mainville, afin d’interdire la publication ou diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité du membre dissident. |
[1] L’appelant se pourvoit, avec l’autorisation d’un juge de la Cour, contre un jugement rendu le 4 juillet 2022 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Thomas M. Davis), lequel rejette sa demande d’approbation d’une entente de règlement et d’honoraires professionnels intervenue dans le cadre d’une action collective intentée au nom de certaines victimes d’agressions sexuelles qui, depuis 1935, auraient été commises au Québec par des membres de la communauté religieuse de l’intimé ou par des employés de divers établissements relevant de celle-ci.
[2] Pour les motifs du juge Schrager auxquels souscrivent les juges Healy et Baudouin, LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel;
[4] INFIRME le jugement de première instance;
[5] ACCUEILLE la demande d’approbation de l’entente de règlement, transaction et quittance signée les 26 et 28 janvier 2022 entre les parties (« l’Entente »);
[6] APPROUVE l’Entente, incluant les annexes dans leur intégralité, sauf quant aux honoraires d’avocats déterminés sur la base de 25 % du fonds du règlement à l’article 8 de l’Entente;
[7] PREND ACTE de l’offre des avocats des membres de réduire leurs honoraires à 20 % du montant du fonds du règlement;
[8] FIXE le montant les honoraires à 5 600 000 $ (plus les débours de 8 661,10 $ et les taxes applicables);
[9] PREND ACTE de l’engagement desdits avocats de rembourser 99 136,09 $ au mis en cause Fonds d’aide aux actions collectives;
[10] ACCUEILLE la demande de directives de l’amicus curiae et DÉCLARE que les honoraires et débours de l’amicus curiae sont payables par les membres à même le fonds du règlement;
[11] DÉCLARE que la Cour supérieure conserve compétence sur tous les autres aspects du dossier à venir;
[12] LE TOUT sans frais de justice.
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| MARK SCHRAGER, J.C.A. | |
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| PATRICK HEALY, J.C.A. | |
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| CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. | |
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Me Justin Wee | ||
Me Alain Arsenault | ||
Me Virginie Dufresne-Lemire | ||
ARSENAULT DUFRESNE WEE AVOCATS | ||
Me Robert Kugler | ||
Me Pierre Boivin | ||
Me Jérémie Longpré | ||
KUGLER KANDESTIN | ||
Pour l’appelant B… F… | ||
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Me Jean-Philippe Groleau | ||
Me Guillaume Xavier Charlebois | ||
DAVIES WARD PHILIPPS & VINEBERG | ||
Amicus curiae | ||
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Me François-David Paré | ||
Me Dominic Dupoy | ||
NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA | ||
Me Francesco Calandriello | ||
Me Michael Malka | ||
CUCCINIELLO CALANDRIELLO AVOCATS | ||
Pour l’intimé Les Clercs de Saint-Viateur du Canada | ||
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Me Camille Lefebvre | ||
Me Emmanuel Laurin-Légaré | ||
DE GRANDPRÉ CHAIT | ||
Pour l’intimé Collège Bourget | ||
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Me François-David Paré | ||
NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA | ||
Pour les intimés Fonds d’entraide de l’ancien séminaire de Joliette, Les missions Saint-Viateur et Fonds Louis-Querbes | ||
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Me Marie-Nancy Paquet | ||
LAVERY DE BILLY | ||
Pour l’intimé Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale | ||
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Me Elisabeth Neelin | ||
LANGLOIS AVOCATS | ||
Pour l’intimée Intact compagnie d’assurance | ||
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Me Gabriel Archambault | ||
CLYDE & CIE CANADA | ||
Avocats de la mise en cause Travelers Canada | ||
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Me Jean-Pierre Casavant, Ad. E. | ||
Me Guillaume Carrier | ||
CASAVANT BÉDARD | ||
Pour la mise en cause Royal and Sun Alliance | ||
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Me Nathalie Guilbert | ||
Me Frikia Belogbi | ||
FONDS D’AIDE AUX ACTIONS COLLECTIVES | ||
Pour la mise en cause Fonds d’aide aux actions collectives | ||
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Date d’audience : | 7 mars 2023 | |
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MOTIFS DU JUGE SCHRAGER |
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[13] L’appelant se pourvoit, avec l’autorisation d’un juge de la Cour[1], contre un jugement[2] rendu le 4 juillet 2022 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Thomas M. Davis), lequel rejette sa demande d’approbation d’une entente de règlement et d’honoraires professionnels intervenue dans le cadre d’une action collective intentée au nom de certaines victimes d’agressions sexuelles qui, depuis 1935, auraient été commises au Québec par des membres de la communauté religieuse des Clercs de Saint-Viateur du Canada (« CSV ») ou par des employés de divers établissements relevant de celle-ci.
[14] Dans le cadre du pourvoi, la Cour est appelée à décider si le juge a erré en refusant d’approuver l’entente au motif que les honoraires (8 048 250 $) y prévus pour les avocats des membres, représentant 25 % du fonds de règlement (28 000 000 $) plus les taxes, sont déraisonnables. La Cour doit aussi déterminer quelle partie doit supporter les honoraires de l’amicus curiae nommé en appel.
[15] En 2017, l’appelant dépose une demande d’autorisation d’exercer une action collective contre CSV. Cette demande est accueillie le 25 avril 2019 par une juge de la Cour supérieure[3]. Dans ce contexte, l’appelant mandate Me Virginie Dufresne-Lemire du cabinet Dufresne Wee avocats, devenu depuis Arsenault Dufresne Wee avocats (« ADW »), pour agir en son nom et en celui des membres. La convention d’honoraires signée par l’appelant prévoit entre autres que :
- L’appelant consent à ce qu’il soit retenu sur les sommes perçues par Me Dufresne-Lemire pour lui et pour les membres du groupe, s’il y a lieu, « 25 % des sommes totales reçues soit par règlement ou suivant un jugement ».
- Advenant une révocation de mandat avant la fin des procédures, l’appelant s’engage à indemniser Me Dufresne-Lemire « pour le temps investi dans le dossier […] au taux horaire de 250 $ pour le temps de chacun des avocats, plus tous les déboursés encourus et les taxes applicables ».
[16] À l’époque, Me Dufresne-Lemire et son associé, Me Justin Wee, n’ont respectivement que trois ans et un an d’expérience. Cela les incitera à s’adjoindre d’autres avocats, dont Mes Alain Arsenault et Julie Plante, pour les accompagner dans le dossier.
[17] Après quatre ans de litige, plusieurs séances de CRA et de multiples journées de négociations, les parties parviennent à une entente de règlement, transaction et quittance (ci-après « l’Entente »), laquelle sera signée les 26 et 28 janvier 2022.
[18] Après publication de l’avis aux membres (art. 590 C.p.c.) approuvé par le juge de la Cour supérieure, l’appelant produit une demande d’approbation de l’Entente le 11 février 2022.
[19] L’Entente prévoit notamment les modalités suivantes :
- Un fonds de règlement à titre de recouvrement collectif sera constitué à partir (1) d’un montant de 28 000 000$ « en capital, intérêts, indemnité additionnelle, frais et toutes taxes applicables » à être versé par CSV et les « parties impliquées » (Collège Bourget, CIUSSS de la Capitale-Nationale[4], Fonds d’entraide de l’ancien Séminaire de Joliette, Les Missions Saint-Viateur, Fonds Louis-Querbes, Travelers et Royal and Sun Alliance), ainsi que (2) du montant que CSV recevra des autorités fiscales, le cas échéant, à titre de remboursement de la TPS et de la TVQ relatives au compte d’honoraires des avocats des membres.
- Le fonds de règlement servira : (1) à indemniser les membres dont la réclamation sera acceptée à l’issue de la clôture du processus d’adjudication; (2) à payer les honoraires extrajudiciaires et judiciaires des avocats des membres; et (3) à payer et/ou rembourser les débours, frais et autres dépens encourus dans le cadre de l’action collective, ainsi que « tout montant découlant d’un recours subrogatoire aux droits des membres », s’il en est.
- Un compte pour les honoraires des avocats des membres, adressé à CSV, au montant de 8 048 250 $ (représentant 25 % du montant de 28 000 000 $, plus les taxes), couvrant les honoraires, ou « tout autre montant autorisé par la Cour », sera transmis dans les 10 jours après que le jugement approuvant l’Entente ait acquis force de chose jugée, « sous réserve de l’approbation du tribunal ».
- L’appelant donne aux parties défenderesses, « personnellement et au nom des membres du Groupe […] ainsi que de leurs successeurs, héritiers et ayants-droits [sic], une quittance complète, finale et définitive […] ».
- Les avocats des membres seront les seuls responsables de l’élaboration et de la détermination des modalités du processus d’adjudication, sous réserve des modalités prévues à l’Annexe 3 de l’Entente. Le processus d’adjudication sera présidé par l’honorable Claude Champagne, juge à la retraite de la Cour supérieure. Seul un nombre limité de personnes aura accès aux noms des réclamants, si nécessaire. Les parties défenderesses n’ont aucun droit de participer au processus de fixation des indemnisations individuelles par l’adjudicateur ni de le contester.
- L’adjudicateur attribuera aux membres dont la réclamation est acceptée l’une des trois catégories suivantes d’indemnisation, prévues à l’Annexe 8 de l’Entente :
[20] L’Entente prévoit aussi la modification de la définition du groupe et des sous-groupes.
[21] Avisé de l’Entente, un membre (le « membre dissident ») communique avec les avocats des membres pour connaître la justification des honoraires réclamés, jugeant ceux-ci trop élevés. Les avocats lui fournissent une réponse, mais il demeure insatisfait de leurs explications et décide de contester la demande d’approbation de l’Entente. De son côté, le Fonds d’aide aux actions collectives (« FAAC ») ne conteste pas l’Entente et s’en remet au tribunal quant aux honoraires des avocats des membres.
[22] L’audition relative à la demande d’approbation de l’Entente se tient le 17 février 2022 devant le juge Davis. À cette date, plus de 378 membres ont demandé à s’inscrire à l’action collective. Un seul d’entre eux, le membre dissident, s’oppose à la demande d’approbation de l’Entente. Au cours de l’audience, il témoigne des raisons pour lesquelles il conteste les honoraires réclamés et demande au juge de suspendre son délibéré « afin d’obtenir d’autres informations quant au travail que les avocats […] ont effectué dans le dossier ». Le juge rejette cette demande et met l’affaire en délibéré.
[23] Le juge rend jugement le 4 juillet 2022. Il rejette la demande d’approbation de l’Entente, au motif que les honoraires des avocats des membres sont déraisonnables.
[24] La permission d’appeler est accordée par un juge de la Cour le 25 août 2022[5].
[25] Notant que les intimés n’ont pas l’intention de participer à un débat sur le quantum des honoraires et que le membre dissident ne pourra « participer de façon efficace au débat en appel sans les services d’un avocat », le juge de la Cour conclut à la nécessité de mettre en place un processus pour la nomination d’un amicus curiae pour faire contrepoids aux prétentions des parties. Il était impossible d’obtenir l’aval du membre dissident sur le choix d’un avocat pour agir à titre d’amicus curiae puisque le membre dissident croyait que la quasi-totalité des membres du Barreau était en conflits d’intérêts puisqu’il s’agit d’une question d’honoraires. Alors, le juge de la Cour a autorisé l’appelant à choisir, parmi une liste de trois avocats dont les noms avaient été préalablement communiqués à la Cour[6].
[26] Le juge passe en revue les critères développés par les tribunaux pour évaluer si une transaction intervenue dans le cadre d’une action collective devrait être approuvée. Il retient que, dans l’ensemble, ces facteurs (durée du litige; nature inclusive et avantages de l’Entente; expérience des avocats; témoignage des membres, à l’exception du membre dissident; dévouement des avocats envers les membres; et absence de collusion entre les parties) militent en faveur de l’approbation de l’Entente.
[27] Le juge se penche ensuite sur la demande d’approbation des honoraires des avocats des membres. En ce qui concerne l’opposition du membre dissident, il constate que son insatisfaction semble résulter, du moins en partie, de sa perception erronée que les avocats n’ont pas été à l’écoute de ses questions et préoccupations. De plus, le membre dissident « ne comprend pas qu’il est de pratique courante, en matière d’action collective, de signer des conventions d’honoraires qui devront ultimement être soumises au Tribunal »[7]. Or, l’insatisfaction du membre dissident ne saurait primer sur l’intérêt collectif des membres[8].
[28] Le juge rappelle que la convention d’honoraires est présumée valide et ne peut être écartée que s’il est démontré qu’elle n’est pas juste et raisonnable. En s’appuyant sur l’affaire Servites de Marie[9], dans laquelle la Cour supérieure a approuvé des honoraires représentant 30 % du fonds de règlement, le juge reconnaît que lorsqu’un cabinet d’avocats entreprend une action collective visant à indemniser des victimes d’agressions sexuelles, « il se lance dans un voyage plein d’incertitude »[10]. Le juge note que le cas d’espèce est d’ailleurs comparable en certains points avec cette affaire, notamment en ce qui concerne le nombre d’heures de travail consacré au dossier par les avocats. Il conclut toutefois que lorsque l’on considère la valeur des heures travaillées en relation avec la somme réclamée en vertu de la convention d’honoraires, les deux affaires doivent être distinguées[11]. En l’occurrence, les avocats ont consacré 3 479 heures au dossier et estiment qu’il reste encore au moins 800 heures de travail à faire. Selon les estimations du juge, ce travail correspond à des honoraires d’environ 1 509 686 $ selon la formule du taux horaire (si l’on retient les taux horaires divulgués par les avocats)[12]. Le juge s’avoue cependant préoccupé quant à la manière dont ces taux lui ont été communiqués :
[53] Le 12 avril, [le Tribunal] reçoit un fichier Excel présentant les heures de chacun des avocats et le descriptif des tâches effectuées. Le Tribunal ne remet ni le temps ni le descriptif en question. Cependant, ce fichier n’indique pas le taux horaire de chaque avocat. Les avocats du groupe confirment qu’ils ont oublié de les inclure après une demande du Tribunal et les fournissent par la suite.
[54] Cette nouvelle information amène le Tribunal à écrire de nouveau aux avocats, compte tenu des observations écrites du membre dissident au sujet du taux horaire que maître Dufresne-Lemire lui avait annoncé :
Maitre Dufresne-Lemire
J'aimerais vous donner l'occasion de commenter le document joint. En particulier, je suis perplexe face à l'affirmation [du membre dissident] que vous lui avez dit que votre taux horaire est de 200 $, alors que Me Wee me dit ce matin qu'il est de 400 $? Est-ce que les taux qu'on m'a fournis sont en vigueur depuis le début du dossier? […]
[55] L’avocate explique que pour des dossiers individuels son tarif horaire peut être de 200 $ l’heure, mais qu’il peut être plus élevé dans les dossiers à pourcentage.
[56] Son courriel ne parle pas des taux de ses collègues.
[57] La manière dont les taux horaires lui ont été communiqués et le courriel de l’avocate laissent le Tribunal songeur. […]
Selon le juge, « [o]n peut avoir l’impression que les taux communiqués [ont été] établis en fonction du présent dossier »[13], d’autant que l’appelant n’a fourni aucune information « sur la discussion qu’il a pu avoir avec les avocats sur les honoraires anticipés ou sur les taux horaires »[14]. Dans les circonstances, il est donc impossible de savoir quels étaient les honoraires envisagés quand le dossier a débuté. Le juge constate cependant que le taux horaire (250 $) prévu dans la convention d’honoraires advenant la révocation du mandat est loin de ceux qui lui ont été communiqués[15]. Or, les art. 99 et 100 du Code de déontologie des avocats[16] (« Code de déontologie ») imposent à l’avocat un devoir de renseignement quant au montant de ses honoraires. Ce devoir demeure important même dans un cas où il y a une convention d’honoraires à pourcentage, ajoute le juge.
[29] Quoi qu’il en soit, le juge considère que même en utilisant les taux horaires qui lui ont été communiqués, le multiplicateur (environ 4,64) entre les honoraires estimés selon la formule du taux horaire (1 509 686 $) et les honoraires réclamés (7 000 000 $) est très élevé et se situe nettement au-dessus de la norme, soit un multiplicateur se situant entre 2 et 3. Le juge évalue la raisonnabilité des honoraires réclamés au regard des facteurs énoncés à l’art. 102 du Code de déontologie. Il retient que leurs principaux avocats au dossier, Mes Dufresne-Lemire et Wee, n’avaient pas une très grande expérience. De plus, une bonne partie de leur travail consistait à discuter avec les victimes, un travail certes difficile sur le plan émotionnel, mais non sur le plan juridique. La principale difficulté au plan juridique concernait la question de la prescription, car au moment où la demande d’autorisation d’exercer l’action collective a été déposée, la Cour suprême n’avait pas encore rendu l’arrêt J.J.[17]. Cependant, la Cour d’appel avait déjà statué que l’action collective était le véhicule approprié pour ce type de dossier. Le juge reconnaît malgré tout qu’il « pouvait y avoir des défis au niveau de l’administration de la preuve et des dommages subis »[18]. Il concède également que les avocats ont assumé un énorme risque en prenant le dossier, au regard, notamment, de la capacité des intimés à payer une éventuelle condamnation et de l’incertitude du droit applicable avant l’arrêt J.J. En définitive, le juge considère toutefois que le dossier « représentait une difficulté et un risque global moyens lorsque la demande d’autorisation fut produite »[19]. Or, les honoraires réclamés contiennent « une prime prévisible lorsque le risque est très élevé »[20]. En effet, « [à] un taux horaire de 250 $, leur investissement dans le dossier représenterait 869 772 $ jusqu’à maintenant et 1 069 772 $ avec les 800 heures additionnelles et leur demande se traduirait par une prime de presque 6 000 000 $ »[21]. Même en retenant les taux horaires proposés par les avocats, la prime serait de plus de 5 000 000 $. Le juge conclut que ces honoraires sont excessifs et, surtout, contraires à l’intérêt des membres.
[30] Le juge détermine que cette conclusion constitue un obstacle dirimant à la demande d’approbation de l’Entente, dont l’art. 28 prévoit que si le tribunal refuse d’approuver l’Entente dans son intégralité, celle-ci « sera dès lors considérée comme nulle et sans effet »[22]. Il se dit cependant confiant « que les parties se réuniront afin de convenir des honoraires raisonnables et de les soumettre au Tribunal, permettant ainsi aux membres de recevoir les sommes qui leur reviennent »[23].
[31] Les questions en litige peuvent être formulées ainsi :
a) Le juge a-t-il erré en concluant qu’il ne pouvait approuver l’Entente?
b) Le juge a-t-il erré en concluant que les honoraires réclamés pour les avocats des membres sont déraisonnables? La Cour devrait-elle fixer elle-même les honoraires?
c) Qui doit assumer les honoraires de l’amicus curiae?
[32] Dans l’ensemble, les parties s’entendent pour dire que le juge a commis une erreur révisable en concluant qu’il devait rejeter l’Entente parce qu’il considérait que les honoraires des avocats des membres étaient déraisonnables.
[33] Une transaction conclue dans le contexte d’une action collective n’est valable que si elle est approuvée par le tribunal, conformément à l’article 590 C.p.c.
[34] Avant d’approuver une transaction, le juge doit être convaincu que celle-ci est « juste, équitable et qu’elle répond aux meilleurs intérêts des membres »[24]. Dans le cadre de son analyse, il doit « garder à l’esprit les grands principes et objectifs sous-jacents aux actions collectives, soupeser les avantages et inconvénients du règlement, de même que les concessions réciproques, les risques d’un procès et les coûts à encourir »[25]. En pratique, l’évaluation du caractère juste et raisonnable de la transaction s’articule souvent autour des critères suivants, importés du droit américain :
[35] En principe, le juge doit approuver l’entente telle que proposée ou alors refuser de l’entériner. La transaction étant indivisible, il ne peut l’approuver de façon partielle ni la modifier[27]. Qu’en est-il lorsque l’entente dont les parties demandent l’approbation à titre de transaction comporte une clause fixant les honoraires des avocats des membres?
[36] L’article 593 C.p.c. prévoit ce qui suit :
593. Le tribunal peut accorder une indemnité au représentant pour le paiement de ses débours de même qu’un montant pour le paiement des frais de justice et des honoraires de son avocat, le tout payable à même le montant du recouvrement collectif ou avant le paiement des réclamations individuelles.
| 593. The court may award the representative plaintiff an indemnity for disbursements and an amount to cover legal costs and the lawyer’s professional fee. Both are payable out of the amount recovered collectively or before payment of individual claims.
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Il s’assure, en tenant compte de l’intérêt des membres du groupe, que les honoraires de l’avocat du représentant sont raisonnables; autrement, il peut les fixer au montant qu’il indique.
| In the interests of the class members, the court assesses whether the fee charged by the representative plaintiff’s lawyer is reasonable; if the fee is not reasonable, the court may determine it.
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Il entend, avant de se prononcer sur les frais de justice et les honoraires, le Fonds d’aide aux actions collectives que celui-ci ait ou non attribué une aide au représentant. Le tribunal prend en compte le fait que le Fonds ait garanti le paiement de tout ou partie des frais de justice ou des honoraires.
| Regardless of whether the Class Action Assistance Fund provided assistance to the representative plaintiff, the court hears the Fund before ruling on the legal costs and the fee. The court considers whether or not the Fund guaranteed payment of all or any portion of the legal costs or the fee.
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| [Soulignement ajouté] |
[37] Il est ainsi établi qu’en vertu de l’art. 593 C.p.c., « aucune convention d’honoraires intervenue entre le représentant et son avocat ni aucune entente d’honoraires conclue entre le représentant, son avocat et les parties adverses dans le cadre d’une transaction présentée pour approbation ne lient le juge »[28]. Dans la mesure où les parties prévoient que l’approbation de l’entente dépend de l’approbation des honoraires convenus, c’est-à-dire que ceux-ci constituent une « partie non détachable » de l’entente, le refus d’approuver les honoraires entraîne donc nécessairement le rejet de l’entente dans son entier[29]. En revanche, lorsque l’approbation de l’entente n’est pas conditionnelle à l’approbation du montant d’honoraires réclamé, le juge peut approuver l’entente[30] tout en modifiant le quantum des honoraires s’il considère que celui réclamé est déraisonnable[31].
[38] En l’espèce, le juge conclut que son refus d’approuver les honoraires réclamés entraîne inéluctablement le rejet de l’Entente, compte tenu de l’article 28 de l’Entente. Cette conclusion est erronée et doit être révisée en appel. À l’instar de l’appelant, des intimés et de l’amicus curiae, je suis d’avis que l’Entente, correctement interprétée, permettait au juge d’approuver la transaction tout en modifiant le montant des honoraires.
[39] L’art. 28 de l’Entente énonce que :
Si le tribunal refuse d’approuver l’intégralité de la présente Entente de règlement, les parties conviennent que celle-ci sera dès lors considérée nulle et sans effet dans son entièreté, et que les parties seront remises dans la même situation juridique que celle prévalant antérieurement à sa conclusion; elles ne pourront aucunement invoquer l’Entente de règlement dans la poursuite du litige qui continuera alors à les opposer.
Cette disposition est complétée par l’art. 31, qui stipule que « l’Entente de règlement, incluant son préambule et ses annexes, est indivisible et constitue une transaction au sens des articles 2631 et suivants du Code civil du Québec ». Ensemble, les art. 28 et 31 confirment en termes non équivoques que l’Entente est un « tout » qui ne peut être modifié ou approuvé en partie. À la seule lecture des art. 28 et 31, il peut donc être tentant de conclure, comme l’a fait le juge, que l’approbation du montant des honoraires fixé par les parties est nécessaire à l’approbation de l’Entente. Les art. 28 et 31 doivent toutefois être lus en conjonction avec les autres dispositions de l’Entente (cf. art. 1427 C.c.Q.).
[40] En l’occurrence, une lecture attentive des autres dispositions de l’Entente fait obstacle à la conclusion du juge. L’art. 8 de l’Entente prévoit en effet expressément que le juge peut modifier le montant des honoraires réclamé :
Un compte pour les Honoraires des avocats du Demandeur et des membres adressé à la Défenderesse CSV au montant de 8 048 250 $, représentant 25 % du montant de 28 000 000 $ prévu au paragraphe 3 de la présente Entente de règlement, plus les taxes applicables, le tout tel que prévu à la Convention d’honoraires signée par le Demandeur, couvrant les Honoraires ou tout autre montant autorisé par la Cour, sera transmis par les avocats du Demandeur et des membres dans les dix (10) jours après que le jugement approuvant l’Entente de règlement ait acquis force de chose jugée, sous réserve de l’approbation du tribunal.[…]
[Soulignements ajoutés]
[41] Dans le même ordre d’idées, l’art. 9 édicte que :
Dans les dix (10) jours ouvrables de la réception de la somme prévue aux paragraphes 3 et 6 de la présente Entente de règlement, les avocats du Demandeur et des membres retireront de leur compte en fidéicommis le montant des Honoraires qui aura été approuvé par le tribunal, comme prévu au paragraphe 8 de la présente Entente de règlement.
[Soulignement ajouté]
[42] Ces dispositions reconnaissent ainsi en toutes lettres le pouvoir du juge de fixer le montant des honoraires. En l’espèce, le juge pouvait donc modifier le montant des honoraires prévu par les parties tout en respectant l’Entente « dans son intégralité ». Il n’avait pas à rejeter l’Entente s’il jugeait que les honoraires réclamés étaient excessifs. Dans la mesure où le juge a déterminé que l’Entente était par ailleurs juste et dans l’intérêt des membres, ce que personne — pas même le membre dissident — ne remet en cause, il aurait dû l’approuver tout en révisant le montant des honoraires. En concluant comme il l’a fait, il a commis une erreur qui doit être corrigée par la Cour.
[43] Vu l’interprétation de l’Entente que je propose, il n’est pas nécessaire de répondre aux représentations du FAAC voulant que, dans la mesure où l’article 28 de l’Entente empêche l’homologation du règlement sans l’approbation des honoraires des avocats, il est contre l’ordre public.
[44] Je résume en détail les prétentions des parties puisqu’elles évoquent de façon exhaustive les éléments à considérer en évaluant le montant des honoraires à payer.
[45] L’appelant soutient que le juge a erré en droit et a commis des erreurs manifestes et déterminantes en concluant que les honoraires réclamés étaient déraisonnables. Il rappelle que la convention d’honoraires est présumée valide. De plus, une convention d’honoraires prévoyant un pourcentage entre 15-33 % est généralement jugée juste et raisonnable. Selon lui, une preuve convaincante « que la convention d’honoraires n’a pas été conclue dans l’intérêt des membres » est requise pour renverser ces présomptions. Or, l’intérêt de chaque membre consiste à s’assurer que les procureurs travaillent diligemment pour obtenir le meilleur résultat. Ce qui l’intéresse, c’est le résultat obtenu pour lui et que le pourcentage des honoraires applicable à son indemnité soit raisonnable et conforme au pourcentage appliqué aux indemnités des autres membres. Ainsi, dès que le pourcentage prévu dans la convention d’honoraires se situe entre 15-33 % et que les avocats ont travaillé diligemment pour générer le résultat obtenu, les honoraires devraient être approuvés. En l’occurrence, les honoraires réclamés auraient donc dû être approuvés. En effet, le pourcentage (25 %) prévu dans la convention d’honoraires se situe à l’intérieur de la fourchette établie et reçoit l’aval de l’appelant et de plusieurs autres membres. Le FAAC ne s’y oppose pas non plus. De plus, le juge a reconnu que les avocats ont accepté un risque énorme, travaillé fort, fait preuve d’un dévouement exemplaire envers les membres et négocié pour eux une excellente entente qui leur permettra de recevoir des indemnités significatives. Il aurait par conséquent dû conclure que les honoraires réclamés étaient raisonnables. Malgré tout, dans un geste de bonne foi, les avocats des membres offrent de réduire leurs honoraires de 25 % à 20 % du recouvrement plus débours et taxes.
[46] L’appelant reproche au juge d’avoir erré en appliquant le modèle du facteur multiplicateur (ou « approche-multiplicateur ») pour conclure que les honoraires réclamés étaient excessifs puisqu’ils étaient 4,64 fois plus élevés que ceux qui auraient été dus selon une convention à taux horaire. Selon l’appelant, le raisonnement du juge, qui repose sur une application rigide de cette approche, remet en doute la validité même d’une convention à pourcentage. Or, il s’agit du mode de rémunération le plus approprié en matière d’action collective. Qui plus est, en statuant que les honoraires ne devraient pas excéder le montant obtenu en multipliant le nombre d’heures travaillées aux taux horaires réguliers par un facteur arbitraire de 3, le juge a de facto légiféré un plafond des honoraires des avocats. L’appelant insiste sur les dangers d’un tel précédent. À son avis, le jugement entrepris « dénature à tel point les Conventions à pourcentage qu’il risque de décourager les cabinets en demande d’entreprendre des actions collectives, ce qui, ultimement, portera atteinte aux objectifs sociaux de ce véhicule procédural ». L’appelant fait par ailleurs valoir que l’application systématique de l’approche-multiplicateur n’est pas dans l’intérêt des membres, puisque celle-ci favorise l’inefficacité, voire l’incompétence, au lieu d’encourager un travail stratégique et efficace des avocats. L’application systématique de cette approche fausse en outre l’évaluation du caractère juste et raisonnable des honoraires en élevant le temps consacré au dossier par les avocats au rang de « super-facteur ». L’art. 102 du Code de déontologie précise pourtant que les honoraires sont justes et raisonnables s’ils sont justifiés par les circonstances. L’approche-multiplicateur n’est en fait que d’une utilité limitée, surtout lorsque comparée à la responsabilité assumée par les avocats et au résultat obtenu. Pour ces motifs, l’appelant demande à la Cour de déclarer les honoraires réclamés raisonnables, mais de prendre acte que les avocats acceptent de réduire ceux-ci à 20 % du fonds de règlement.
[47] Les intimés et le FAAC ne se prononcent pas sur la raisonnabilité des honoraires réclamés. Les intimés soutiennent toutefois que la Cour possède le pouvoir de fixer elle-même les honoraires sans qu’il soit nécessaire de renvoyer le dossier devant la Cour supérieure. Ils soulignent qu’il est dans l’intérêt des membres que l’Entente soit approuvée le plus rapidement possible et qu’une décision de la Cour « permettrait d’éviter l’incertitude reliée à une possible obligation pour les parties de transmettre un nouvel avis aux membres en vertu de l’article 590 C.p.c. ». Le FAAC, pour sa part, argue que la Cour devrait approuver les honoraires tels que réduits volontairement par les avocats des membres, sous réserve de l’engagement de ces derniers de lui rembourser 99 136,09 $, engagement « dont il doit être pris acte ».
[48] L’amicus curiae reconnaît que les avocats agissant en demande dans le cadre d’une action collective assument généralement un risque important qui justifie une prime conséquente. Il rappelle en outre que le pouvoir du tribunal de fixer les honoraires est assujetti à une condition préalable importante, soit la conclusion que les honoraires réclamés ne sont pas raisonnables, c’est-à-dire que leur quantum n’appartient pas aux « issues possibles acceptables ». À cet égard, les conventions d’honoraires qui ont typiquement été reconnues par les tribunaux peuvent servir de guide. La Cour devrait se garder de renverser la jurisprudence « ayant reconnu la validité des conventions d’honoraires à pourcentage, et ce, même lorsqu’elles donnent lieu à une compensation qui pourrait être jugée excessive par certains membres du public ». Quant à l’application de l’approche-multiplicateur à titre de mesure de contrôle, il ne s’agit pas d’une panacée. Celle-ci peut cependant s’avérer utile pour déterminer si les honoraires sont excessifs dans un cas donné, à la condition de ne pas « se transformer en plafond ». L’instauration d’un « multiplicateur plafond » aurait pour effet d’invalider les conventions d’honoraires à pourcentage et de les remplacer par des ententes à facteur multiplicateur. Cela dit, l’amicus curiae estime qu’un multiplicateur égal ou inférieur à 2 devrait être réservé aux dossiers assurés d’un succès rapide, ou encore à ceux où les honoraires sont inutiles, exagérés ou disproportionnés au regard de ce que les membres obtiennent du recours. En revanche, un multiplicateur supérieur à 2 sera généralement nécessaire pour créer un véritable incitatif à entreprendre des actions collectives. Un facteur multiplicateur de 2,5 ou 3 devrait ainsi se rapprocher de la norme ou même d’un plancher dans plusieurs dossiers. L’amicus curiae note par ailleurs qu’une convention d’honoraires prévoyant un pourcentage de 25 % n’est pas en soi déraisonnable, ce taux correspondant au contraire à une norme bien établie. Il rejette toutefois la thèse de l’appelant suggérant que la raisonnabilité des honoraires s’évalue en fonction du montant d’honoraires que chaque membre doit payer à même son indemnité. Ce qui importe selon lui est plutôt la raisonnabilité des honoraires qui seront collectivement payés.
[49] En l’espèce, l’amicus curiae estime que le juge s’est bien dirigé en utilisant l’approche-multiplicateur pour contrôler la raisonnabilité des honoraires. À son avis, le juge a cependant erré en laissant entendre qu’un multiplicateur de 4,64 est en soi excessif. Un tel multiplicateur n’est pas déraisonnable en lui-même, surtout dans le contexte d’une action collective comme celle en l’espèce, où les victimes bénéficieront d’une procédure de réclamation avantageuse et où les avocats ont assumé un énorme risque, ont fait preuve d’un grand dévouement et ont effectué un travail remarquable. L’amicus curiae juge toutefois que le multiplicateur applicable dans le présent dossier n’est pas réellement de 4,64. Comme l’a noté le juge, les taux horaires communiqués par les avocats des membres semblent avoir été établis en fonction du dossier. Il en va notamment ainsi de Me Dufresne-Lemire, qui revendique un taux de 400 $/heure dans le présent dossier, alors que son tarif horaire usuel est de 200 $, et alors que la convention d’honoraires prévoit un taux de 250 $/heure en cas de révocation du mandat. L’amicus curiae partage les préoccupations du juge à ce sujet et considère que l’appelant fait fausse route en affirmant que les taux horaires facturés à d’autres clients dans d’autres dossiers sont sans pertinence. Selon lui, le taux horaire appliqué selon le modèle du facteur multiplicateur ne devrait pas être exclusif aux dossiers d’actions collectives, sans quoi le calcul et la notion même de multiplicateur seraient faussés. En effet, cela reviendrait à prendre le risque en compte deux fois (une fois dans le taux horaire et une fois dans le multiplicateur). Le taux horaire « ordinaire » de l’avocat devrait servir de base au calcul, celui-ci permettant de tenir compte du véritable coût d’opportunité de l’avocat et étant déterminé par une logique de marché. En l’occurrence, l’application d’un multiplicateur de 4,64 à un taux horaire de 400 $ pour Me Dufresne-Lemire équivaut à un facteur de 7,4 pour un taux horaire de 250 $ et de 9,3 pour un taux horaire de 200 $. Si la Cour présume que les taux horaires des autres avocats ont eux aussi été ajustés à la hausse en fonction du dossier, « elle pourrait conclure que les honoraires réclamés en appel (20 % plutôt que 25 %) donnent un facteur multiplicateur entre 5,9 et 7,4 ». La Cour pourrait tirer cette présomption puisque les avocats des membres n’ont pas indiqué si le taux horaire de Me Dufresne-Lemire était le seul à avoir été ajusté à la hausse, alors qu’il leur incombait « de donner l’heure juste à ce sujet ». Dans les circonstances, l’amicus curiae suggère à la Cour d’appliquer un multiplicateur de 4,64 à des honoraires de 754 843 $, pour une somme totale de 3 502 472 $. Une autre alternative serait d’appliquer ce multiplicateur à un taux horaire de 250 $ pour le temps de chacun des avocats (889 991,50 $) et un taux horaire de 75 $ pour les autres employés (77 049 $), pour un total de 4 129 560,56 $.
[50] La convention d’honoraires conclue par le représentant lie les membres de l’action collective. Son exécution demeure néanmoins sujette à l’approbation du tribunal[32]. En vertu de l’art. 593 al. 2 C.p.c., le juge se voit en effet confier le rôle de s’assurer que les honoraires réclamés sont raisonnables et, en cas contraire, il l’autorise à les fixer « au montant qu’il indique ».
[51] La convention d’honoraires bénéficie d’une présomption de validité et ne peut être écartée que si son application n’est pas juste et raisonnable pour les membres « dans les circonstances de la transaction examinée »[33]. Cependant, aux termes de l’art. 593 C.p.c., aucune convention d’honoraires ne lie le juge. Ainsi, s’il est vrai que le juge doit accorder un certain poids à l’expression de la volonté des parties, il doit néanmoins s’assurer que les honoraires réclamés sont effectivement justes et raisonnables[34]. Le juge ne doit pas hésiter, en cas de besoin, « à réviser ces honoraires en fonction de leur valeur réelle, à les arbitrer et à les réduire s’ils sont inutiles, exagérés, ou hors de proportion » au regard de ce que les membres retirent de l’action collective[35]. La tâche du juge est complexe, car il « recherche un équilibre idéal dans la rémunération : octroyer [aux] avocat[s] une somme nécessaire et suffisante pour [les] inciter à entreprendre le prochain dossier, tout en gardant en tête que les membres doivent être les premiers bénéficiaires des sommes payées par les défenderesses »[36].
[52] Le Code de procédure civile n’identifie pas les critères permettant de juger de la justesse et de la raisonnabilité des honoraires. L’art. 102 du Code de déontologie fournit toutefois des indications utiles à cet égard, en précisant que[37] :
102. Les honoraires sont justes et raisonnables s’ils sont justifiés par les circonstances et proportionnés aux services professionnels rendus. L’avocat tient notamment compte des facteurs suivants pour la fixation de ses honoraires:
| 102. The fees are fair and reasonable if they are warranted by the circumstances and proportionate to the professional services rendered. In determining his fees, the lawyer must in particular take the following factors into account: |
1° l’expérience;
| (1) experience; |
2° le temps et l’effort requis et consacrés à l’affaire;
| (2) the time and effort required and devoted to the matter; |
3° la difficulté de l’affaire;
| (3) the difficulty of the matter; |
4° l’importance de l’affaire pour le client;
| (4) the importance of the matter to the client; |
5° la responsabilité assumée;
| (5) the responsibility assumed; |
6° la prestation de services professionnels inhabituels ou exigeant une compétence particulière ou une célérité exceptionnelle;
| (6) the performance of unusual professional services or professional services requiring special skills or exceptional speed; |
7° le résultat obtenu;
| (7) the result obtained; |
8° les honoraires prévus par la loi ou les règlements;
| (8) the fees prescribed by statute or regulation; and |
9° les débours, honoraires, commissions, ristournes, frais ou autres avantages qui sont ou seront payés par un tiers relativement au mandat que lui a confié le client. | (9) the disbursements, fees, commissions, rebates, costs or other benefits that are or will be paid by a third party with respect to the mandate the client gave him.
|
[53] La jurisprudence de la Cour confirme que ces facteurs sont pertinents à l’analyse que commande l’art. 593 C.p.c.[38]. Évidemment, le poids respectif à leur accorder pourra varier selon les circonstances. Il est par ailleurs entendu que ces facteurs ne sont pas exhaustifs, comme l’indique l’emploi du terme « notamment » (« in particular ») à l’art. 102 du Code de déontologie.
[54] Il est ainsi généralement admis que pour apprécier le caractère juste et raisonnable des honoraires, le juge doit aussi considérer le risque couru par les avocats. Dans le contexte d’une convention d’honoraires à pourcentage, la Cour supérieure a reconnu que ce facteur pourrait même primer sur le temps consacré au dossier par les avocats[39]. Dans tous les cas, le risque doit s’apprécier au moment où les avocats ont reçu le mandat du représentant, et non au moment de la demande d’approbation[40].
[55] Le juge saisi d’une demande d’approbation d’honoraires doit également considérer l’effet de l’entente sur l’image de la profession. Il doit en effet s’assurer que l’entente n’est pas « susceptible de donner à la profession un caractère de lucre et de commercialité »[41] (Code de déontologie, art. 7). De même, les finalités de l’action collective doivent être prises en compte. Comme le note le professeur Pierre-Claude Lafond, « [l]a contribution à l’accès à la justice et à la dissuasion de comportements répréhensibles peut justifier des honoraires substantiels dans la mesure où ce type d’action génère des bénéfices aux citoyens qui ne seraient pas atteignables autrement »[42]. Cela dit, le juge doit :
« se préoccuper de préserver l’intégrité et la crédibilité du régime des recours collectifs, tant aux yeux des membres qu’aux yeux d’observateurs du public ». […] Les actions collectives ne doivent pas devenir « qu’une source d’enrichissement pour les avocats en demande […] »[43].
[Renvois omis]
[56] J’ajouterais toutefois que les juges devraient résister à la tentation de toujours chercher à réduire les montants des honoraires prévus dans les conventions d’honoraires, au risque de provoquer une pratique parmi les avocats de demander plus, sachant que le montant convenu sera assurément réduit par le tribunal.
[57] Les conventions d’honoraires à pourcentage sont très répandues en matière d’action collective. Ce type de conventions présente des avantages considérables, notamment en ce qu’il favorise « l’accès à la justice pour des citoyens qui autrement n’en auraient pas les moyens »[44]. Il ne saurait être question ici de remettre en cause la validité et l’utilité de ce modèle de rémunération. Les avocats devraient être encouragés à accepter des mandats en matière d’action collective en sachant que le risque accepté sera compensé, le cas échéant. À cet égard, les avocats sont en droit de s’attendre que l’entente concernant leurs honoraires soit respectée.
[58] L’appelant et l’amicus curiae ont par ailleurs raison d’affirmer que la « fourchette » des pourcentages jugés raisonnables par les tribunaux se situe normalement entre 15 % à 33 % (ou même de 20 % à 33,33 %) du fonds de règlement[45]. Il ne s’agit toutefois pas d’un automatisme. Comme le mentionne la Cour dans l’arrêt Skarstedt, « c'est à la lumière de chaque réclamation qu'un juge doit déterminer le caractère raisonnable des honoraires en vue de leur approbation »[46]. C’est ainsi que les juges ont révisé à la baisse le pourcentage établi par les parties lorsque celui-ci paraissait exagéré par rapport au travail effectué par les avocats, au règlement relativement modeste du litige et aux honoraires professionnels qui auraient été facturés selon le modèle du taux horaire[47]. La possibilité prévoit des pourcentages progressifs qui augmentent avec l’avancement du dossier peut être équitable en fonction du travail consacré au dossier. Par contre, une telle formule peut dissuader les avocats à régler tôt dans le processus, même lorsqu’un règlement rapide est dans le meilleur intérêt des membres. Des pourcentages peuvent aussi être dégressifs à partir de l’obtention d’un certain montant à titre de règlement, mais cela aussi peut aussi avoir une influence dissuasive sur les efforts des avocats. Bref, chaque cas en est un d’espèce. Il n’y a pas de formule magique qui peut en tout temps et en toute situation garantir que les honoraires seront raisonnables au final. Surtout, l’analyse ne peut se borner à vérifier si la convention d’honoraires prévoit un pourcentage se situant à l’intérieur d’une fourchette généralement appliquée[48].
[59] Le modèle du facteur multiplicateur, ou approche-multiplicateur (« lodestar method » ou « multiplier method »), consiste à calculer le nombre d’heures travaillées, multiplié par le taux horaire et un multiplicateur prenant en compte le risque encouru par les avocats[49]. Il s’agit d’un modèle de rémunération, mais aussi d’une méthode de contrôle de la raisonnabilité des honoraires souvent appliquée en matière d’action collective.
[60] Le modèle du facteur multiplicateur présente certains inconvénients et compte son lot de détracteurs. Dans Pellemans, le juge Prévost de la Cour supérieure souligne notamment que celui-ci :
encourage peu l’efficacité du travail des avocats puisque le facteur multiplicateur ne vient qu'augmenter la valeur du temps inscrit par l’avocat au dossier. De plus, comme l’évaluation du facteur multiplicateur applicable à un dossier s’effectue au moment du règlement ou du jugement, il est plus susceptible de sous-évaluer le «risque» assumé par l’avocat au moment où le mandat est reçu.[50]
C’est également ce que soutient l’appelant dans son argumentation.
[61] Au sujet du facteur multiplicateur, la Cour a dit ceci :
[66] Les principes généraux et les méthodes d’évaluation pertinentes à l’analyse du caractère juste et raisonnable des honoraires résultent de la prise en compte de ces facteurs. Dans ce contexte, les conventions d’honoraires bénéficient d’une présomption de validité et ne sont écartées que si leur application n’est pas juste et raisonnable pour les membres dans les circonstances de la transaction examinée; quant au modèle du facteur multiplicateur, il constitue un outil de mesure ou de contrôle du caractère raisonnable des honoraires.[51]
[Références omises et soulignement ajouté]
[62] L’utilisation de la méthode du facteur multiplicateur pour évaluer le caractère raisonnable des honoraires semble d’ailleurs bien ancrée dans la jurisprudence de la Cour supérieure. Cependant, je souscris aux prétentions de l’appelant et de l’amicus curiae voulant que l’application mécanique de cette méthode et l’instauration de « plafonds » rigides soient à proscrire. L’appréciation de la raisonnabilité des honoraires ne devrait pas être réduite à une simple opération mathématique. Ainsi, s’il est vrai que la norme adoptée en Cour supérieure en matière de facteur multiplicateur oscille entre 2 et 3, cela ne signifie pas qu’un multiplicateur supérieur à cette norme justifie nécessairement une réduction des honoraires. C’est ainsi, par exemple, que le juge Prévost a approuvé une convention d’honoraires à pourcentage correspondant à un multiplicateur de 4,58 dans l’affaire Pellemans[52].
[63] La manière d’appliquer le facteur multiplicateur devra être scrutée. En l’espèce, je m’interroge sur la manière dont le juge applique cette méthode puisqu’il semble accorder une importance démesurée au temps consacré au dossier par les avocats, en dépit des autres facteurs qui entrent en ligne de compte en évaluant la raisonnabilité des honoraires. La valeur des services rendus n’équivaut pas au temps consacré au dossier.
[64] Comme mentionné ci-avant, une convention d’honoraires bénéficie d’une présomption de validité. Devant une telle présomption, l’analyse de la raisonnabilité des honoraires fixés par une convention à pourcentage devrait commencer avec l’application des critères autres que le temps consacré à l’affaire par les avocats. L’expérience nous enseigne que le montant d’honoraires payable en vertu d’une convention à pourcentage va souvent, sinon presque toujours, excéder le montant d’honoraires calculé sur la base du temps consacré à l’affaire multiplié par le ou les taux horaires applicables. Par conséquent, si l’analyse est axée sur les heures travaillées, le montant d’honoraires à payer risque toujours d’apparaître comme excessif ou déraisonnable. Ainsi, débuter l’analyse en prenant en compte les facteurs du temps et du taux horaire relève d’un raisonnement circulaire ou tautologique. En mettant de côté l’entente qui prévoit que les honoraires sont calculés sur la base d’un pourcentage et non en fonction du temps consacré au dossier, la conclusion que les honoraires sont déraisonnables est presque inévitable. Pour éviter cet écueil, le processus d’analyse devrait débuter par l’évaluation de tous les autres critères prévus dans le Code de déontologie et la prise en compte du risque assumé par les avocats. Si on en arrive à la conclusion que le montant (pas le pourcentage) d’honoraires payable est raisonnable, l’analyse peut s’arrêter dans l’exercice de la discrétion du juge. Par contre, si le montant d’honoraires semble déraisonnable, il convient dès lors de prendre en compte les heures consacrées au dossier et d’appliquer un facteur multiplicateur pour ajuster le montant des honoraires pour que celui-ci devienne raisonnable.
[65] De simplement compter le nombre d’heures consacrées au dossier multiplié par les taux horaires applicables et d’appliquer un facteur multiplicateur de 2, 3, 4 ou même 5 est, dans mon opinion arbitraire, du moins à un certain degré. Le risque assumé au début du dossier n’est pas habilement traduit en chiffre, à savoir le facteur multiplicateur. Les facteurs ne tiennent pas compte des taux d’intérêt qu’un avocat peut être obligé d’assumer pendant qu’il finance l’action collective. Même si la méthode mesure le coût d’opportunité, elle ne sert pas à évaluer le risque dans les autres actions collectives payables à pourcentage que l’avocat accepte. Autrement dit, une saine gestion du risque implique l’acceptation de plusieurs mandats sachant qu’un certain nombre de causes seront probablement perdues et qu’ainsi, l’avocat se retrouvera sans aucune rémunération. D’ailleurs, le temps consacré au dossier dans ce type d’affaire est souvent secondaire dans l’analyse de la raisonnabilité des honoraires[53]. Le risque assumé et le résultat obtenu devront normalement avoir préséance sachant que le poids à accorder à chaque facteur peut varier d’un cas à l’autre, selon les circonstances.
[66] Mon opinion ne devrait pas être interprétée pour cautionner le paiement des honoraires considérables résultant d’une entente d’honoraires à pourcentage où le travail de l’avocat était principalement de faire un copier-coller d’un recours intenté dans une autre juridiction, de déposer une demande d’autorisation et de simplement attendre le sort du litige dans l’autre juridiction. Devant un tel scénario, l’application des facteurs du Code de déontologie devrait indiquer qu’une note d’honoraires d’envergure n'est pas raisonnable. L’application du facteur multiplicateur par la suite pour indiquer ce qui peut être raisonnable en l’espèce serait appropriée dans l’exercice de la discrétion du tribunal.
[67] D’ailleurs, l’analyse en fonction du facteur multiplicateur favorise des avocats qui ont un taux horaire relativement élevé et défavorise un avocat qui aide des démunis en chargeant un taux horaire plus bas, ce qui semble être le cas des avocats de l’appelant. Comme le mentionne l’appelant et comme certains juges l’ont reconnu :
[163] L’évaluation des honoraires par la voie du multiplicateur a toutefois ses limites.
[…]
[168] Comme le Tribunal n’a déjà mentionné dans Servites de Marie, appliquée sans discernement, l’analyse par facteur multiplicatif peut mener à récompenser l’inefficacité, l’inexpérience ou, pire encore, l’incompétence. Des procédures mal rédigées, des inefficacités administratives ou une méconnaissance du droit peuvent mener en soi à des contestations par des parties défenderesses. En l’instance, on n’a qu’à penser quels retards et coûts auraient été causés si les actions en garantie des centres de service scolaires et du PGQ dans le dossier F. n’avaient pas été disjointes, si tous les membres B à G ou #1 à #5 auraient dû fournir tous les dossiers médicaux requis ou si plus de membres avaient été interrogés au préalable. Or, plus le nombre d’heures est élevé, plus le facteur multiplicatif est réduit.
[169] Par ailleurs, le règlement rapide d’un dossier sera au bénéfice des membres, mais amplifiera nécessairement le facteur multiplicatif. Dans un dossier comme celui-ci, où nombre de membres sont sexagénaires, tout report du règlement est dévastateur.[54]
[Transcrit tel quel]
[68] L’approche que je préconise ne contredit pas les propos de la Cour au sujet du facteur multiplicateur. Dans Skarstedt[55], la Cour décrit le multiplicateur comme une manière de « corroborer » la conclusion obtenue par la considération des autres critères. Dans l’arrêt Banque Amex, précité, la Cour indique que le facteur multiplicateur « constitue un outil de mesure ou de contrôle du caractère raisonnable des honoraires ». Je propose simplement une manière saine et logique d’utiliser cet outil.
[69] En l’espèce, l’Entente prévoit des honoraires de 7 000 000 $ (plus débours et taxes applicables), représentant 25 % du fonds de règlement de 28 000 000 $. Le juge a conclu que ces honoraires étaient déraisonnables. Jugeant qu’il s’agissait d’un obstacle insurmontable à l’approbation de l’Entente, il a refusé d’approuver celle-ci et omis de fixer le montant des honoraires.
[70] L’exercice de la fonction de contrôle des honoraires relève du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance et, en conséquence, mérite une grande déférence en appel[56]. L’intervention de la Cour n’est permise que si les parties démontrent que le juge a exercé ce pouvoir discrétionnaire de manière abusive ou déraisonnable[57].
[71] Comme expliqué ci-avant, le juge a erré de manière manifeste et déterminante en refusant d’approuver l’Entente et de fixer le montant des honoraires vu, notamment, la rédaction de l’article 8 de l’Entente et de l’article 593 C.p.c. Même si je m’interroge quant à la manière dont le juge a appliqué le modèle du facteur multiplicateur, et donc sur l’exercice de sa discrétion en concluant que le montant des honoraires est déraisonnable, il n’est pas nécessaire d’infirmer sa conclusion à cet égard vu la disposition que je propose ci-dessous. Le juge n’a pas déclaré ce qui serait un montant raisonnable pour les honoraires; il n’a pas fait de détermination à cet égard. Donc, il n’y a pas de déférence due au juge pour la détermination par la Cour du montant des honoraires inférieur à 7 000 000 $ qui devra être payé aux avocats de l’appelant. La Cour a toute la latitude pour fixer elle-même le montant des honoraires raisonnable inférieur à 7 000 000 $.
[72] Le juge a reconnu l’expertise des avocats (en partie acquise durant l’action)[58] dans la représentation de victimes d’agressions sexuelles. Il a également reconnu qu’ils ont fait preuve d’un « grand engagement » envers les membres[59], ont effectué un « travail remarquable »[60] et ont obtenu un règlement avantageux pour les membres. Il a par ailleurs retenu que les avocats ont consacré un temps considérable au dossier, soit 3 479 heures, et qu’ils devront y dédier encore au moins 800 heures[61]. Il a tenu compte du risque assumé par les avocats, mais il a conclu que les honoraires réclamés comportaient une « prime au risque » trop élevée pour le niveau de responsabilité et de risque applicable en l’espèce, soit « une difficulté et un risque global moyens »[62]. La détermination du juge selon laquelle le niveau de risque assumé était moyen a de quoi surprendre, dans la mesure où il écrit, au paragr. 73 de son jugement, que « les avocats ont assumé un énorme risque en prenant ce dossier »[63].
[74] En première instance, toutes les parties étaient d’accord avec le montant des honoraires prévu par la convention, ou ne l’ont pas contesté, soit 7 000 000 $ (25 % du fonds de règlement). Seul le membre dissident s’opposait aux honoraires réclamés. Or, le juge écrit à son sujet :
[40] Avec respect, le membre dissident ne comprend pas qu’il est de pratique courante, en matière d’action collective, de signer des conventions d’honoraires qui devront ultimement être soumises au Tribunal.[64]
Comme les membres étaient majoritairement d’accord en première instance avec des honoraires représentant 25 % du fonds de règlement, on peut présumer de leur accord avec des honoraires correspondant à 20 % du fonds de règlement.
[75] Étant donné que le juge n’a pas fixé le montant des honoraires, la Cour n’a d’autre choix que de le faire. Retourner le dossier en Cour supérieure pour qu’il soit statué sur cette question alors que la Cour est munie de la preuve nécessaire pour la trancher serait contraire au meilleur intérêt de la justice[65]. Les justiciables ont droit à ce que les tribunaux fassent le nécessaire pour permettre la résolution efficace des litiges. D’ailleurs, les parties sont d’accord pour que la Cour détermine le montant des honoraires.
[76] Les honoraires résultant d’un pourcentage de 20 % (5 600 000 $ (plus taxes)) sont raisonnables d’après tous les facteurs constatés par le juge lui-même et énumérés ci-dessus.
[77] L’application du modèle du facteur multiplicateur confirme la raisonnabilité des honoraires désormais réclamés par les avocats des membres. En appliquant un taux horaire de 250 $ (qui était le taux indiqué dans la convention d’honoraires en cas de révocation du mandat) aux heures de travail effectuées (3 479) et à venir (800), le montant des honoraires serait de 1 069 750 $. La prime de 4 530 250 $ que représente le quantum des honoraires réclamés (5 600 000 $) en appel est moindre que les 5 ou 6 millions de dollars que le juge considère excessifs. Les honoraires réclamés (5 600 000 $) correspondent à un multiplicateur de 5,23 des honoraires estimés (1 069 750 $) selon la formule précédemment énoncée. En appliquant plutôt un multiplicateur de 4,5 aux honoraires estimés – un tel multiplicateur ayant été jugé valable dans Pellemans[66] – , le montant des honoraires serait de 4 813 875 $. Si on applique le multiplicateur de 4,64 suggéré par l’appelant et par l’amicus curiae, les honoraires se chiffreraient à 4 963 640 $.
[78] Par contre, en prenant un taux horaire de 400 $ qui est le taux horaire des avocats de l’appelant applicable en 2022 retenu par le juge[67], les 4279 heures valent 1 711 600 $. Le facteur multiplicateur serait donc de 3,27 pour des honoraires de 5 600 000 $. Ceci confirme leur raisonnabilité pour les adhérents à cette méthode.
[79] Je propose donc que la Cour prenne acte de l’offre des avocats de l’appelant de réduire le montant de leurs honoraires à 20 % du fonds de règlement. En conséquence, le montant des honoraires accordé sera de 5 600 000 $ plus taxes et débours.
[80] Les avocats de l’appelant seront toutefois tenus de payer 99 136,09 $ au mis en cause FAAC à même ces honoraires.
[81] Je propose que les honoraires de l’amicus curiae soient payés par les membres, et donc déduits du montant du fonds de règlement.
[82] L’Entente délimite strictement l’étendue de la responsabilité financière des intimés. Elle prévoit en effet que les intimés ne peuvent être tenus responsables du paiement d’aucune autre somme que du montant de 28 000 000 $ et du montant du remboursement des taxes relatives au compte d’honoraires des avocats des membres (le cas échéant). Selon les termes mêmes de l’Entente, il n’est pas question que les honoraires de l’amicus curiae soient payés par les intimés. D’ailleurs, puisque les intimés n’ont pas pris position sur le quantum des honoraires, ils ne bénéficient pas des services rendus par l’amicus curiae.
[83] Il serait par ailleurs illusoire de condamner le membre dissident au paiement des honoraires de l’amicus curiae, et il n’y a aucune raison pour laquelle le FAAC devrait assumer ces frais.
[84] De plus, les frais de justice n’incluent pas les honoraires (art. 339 C.p.c.). La prétention de l’amicus curiae à cet égard ne peut donc pas être retenue.
[85] En première instance, les membres (à l’exception du membre dissident) étaient d’accord avec le montant des honoraires fixé à 25 % du fonds de règlement prévu dans l’Entente. En appel, les avocats des membres ont accepté de réduire leurs honoraires à 20 % du fonds du règlement. Je propose d’approuver le quantum révisé des honoraires. La réduction du pourcentage des honoraires de 25 % à 20 % du fonds de règlement représente une économie de 1 400 000 $ pour les membres. Dans les circonstances de l’espèce, il est équitable que les membres assument les honoraires de l’amicus curiae[68]. De toute manière et en principe, les comptes d’avocats sont payés à même le fonds de règlement, mais je ne propose aucune règle rigide afin qu’un amicus curiae soit toujours payé par le fonds, car on peut imaginer des cas où il serait approprié que ces frais soient partagés par toutes les parties impliquées.
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[86] Dans les circonstances exceptionnelles de l’affaire, notamment qu’aucune des parties ne conteste les honoraires des avocats de l’appelant, chaque partie devra supporter ses frais, sauf l’amicus curiae. Ses débours seront payés par les membres, tout comme ses honoraires.
[87] Pour tous ces motifs, je propose d’infirmer le jugement de première instance et d’accueillir l’appel avec les conclusions suivantes : accueille la demande d’approbation de l’Entente et approuve l’Entente, incluant les annexes dans leur intégralité, sauf quant aux honoraires d’avocats déterminés sur la base de 25 % du fonds du règlement à l’article 8 de l’Entente; prend acte de l’offre des avocats des membres de réduire leurs honoraires à 20 % du montant du fonds du règlement et conformément à l’article 593 al. 2 C.p.c. et à l’article 8 de l’Entente fixe le montant les honoraires à 5 600 000 $ (plus les débours de 8 661,10 $ et les taxes applicables); prend acte de l’engagement desdits avocats de rembourser 99 136,09 $ au mis en cause FAAC; déclare que les honoraires et débours de l’amicus curiae sont payables par les membres à même le fonds du règlement; déclare que la Cour supérieure conserve compétence sur tous les autres aspects du dossier à venir; le tout sans frais de justice.
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MARK SCHRAGER, J.C.A. |
[1] A.B. c. Clercs de Saint-Viateur du Canada, 2022 QCCA 1224 (Mainville, j.c.a.).
[2] A.B. c. Clercs de Saint-Viateur du Canada, 2022 QCCS 2484 [jugement entrepris].
[3] A.B. c. Clercs de Saint-Viateur du Canada, 2019 QCCS 1521.
[4] La part du CIUSSS de la Capitale-Nationale est limitée au montant prévu à l’Annexe 4 de l’Entente.
[5] A.B. c. Clercs de Saint-Viateur du Canada, 2022 QCCA 1224.
[6] A.B. c. Clercs de Saint-Viateur du Canada, 2022 QCCA 1300.
[7] Jugement entrepris, supra, note 2, paragr. 40.
[8] Id., paragr. 42.
[9] Y. c. Servites de Marie de Québec, 2021 QCCS 2712 [Servites de Marie].
[12] Id., paragr. 51.
[13] Id., paragr. 57.
[14] Id., paragr. 58.
[15] Id., paragr. 60.
[16] Code de déontologie des avocats, RLRQ, c. B-1, r. 3.1.
[19] Id., paragr. 75.
[20] Id., paragr. 76.
[21] Id., paragr. 78.
[22] Id., paragr. 80.
[24] Option Consommateurs c. Banque Amex du Canada, 2018 QCCA 305, paragr. 83 [Banque Amex].
[25] Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique c. Groupe Volkswagen du Canada inc., 2022 QCCS 2186, paragr. 43, requête de bene esse pour permission d’appeler rejetée, 11 octobre 2022, 2022 QCCA 1305 [Volkswagen].
[26] Option Consommateurs c. Banque Amex du Canada, 2017 QCCS 200, paragr. 43, conf. par Banque Amex, supra, note 24; Pellemans c. Lacroix, 2011 QCCS 1345 [Pellemans], paragr. 20.
[27] Banque Amex, supra, note 24, paragr. 76; Options Consommateurs c. Merck Frosst Canada ltée, 2016 QCCS 5075, paragr. 30; Option Consommateurs c. Infineon Technologie, a.g., 2014 QCCS 4949, paragr. 48; Johnson c. Bayer inc., 2008 QCCS 4957, paragr. 5.
[29] Id., paragr. 74.
[30] La pratique consistant à prévoir les honoraires des avocats dans l’entente visant à régler le litige suscite en outre des enjeux éthiques. Cette pratique est donc à éviter. Voir à ce sujet les commentaires de la juge St-Pierre, pour une Cour unanime, dans Banque Amex, supra, note 24, paragr. 74.
[31] Voir par exemple : Allen c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale, 2018 QCCS 5313, paragr. 116-118. Voir aussi : Abicidan c. Ikea Canada, 2021 QCCS 3258, paragr. 23, 56 et 66 (le juge diffère sa décision sur les honoraires tout en accueillant l’entente).
[34] Id., paragr. 67, référant à : Skarstedt c. Corporation Nortel Networks, 2011 QCCA 767 [Skarstedt].
[35] Id., paragr. 62, citant : Apple Canada Inc. c. St-Germain, 2010 QCCA 1376, paragr. 36.
[36] Catherine Piché, L’action collective : ses succès et ses défis, Montréal, Thémis, 2019, p. 227 [C. Piché, L’action collective…].
[37] Voir aussi : art. 2134 C.c.Q.; Loi sur le Barreau, RLRQ, c. B-1, art. 126.
[41] Francoeur c. Belzil, 2004 CanLII 76585, paragr. 33 (C.A.).
[42] Pierre-Claude Lafond, Libres propos sur la pratique de l’action collective, Montréal, Yvon Blais, 2020, p. 274 [P.-C. Lafond, Libres propros …].
[44] Marcotte c. Banque de Montréal, 2015 QCCS 1915, paragr. 5.
[45] Voir par exemple : Normandin c. Bureau en Gros (Staples Canada), 2022 QCCS 3367, paragr. 35; Association des jeunes victimes de l’église c. Harvey, 2022 QCCS 1956, paragr. 56; Meubles Léon, supra, note 43, paragr. 93; Bouchard c. Audi Canada inc., 2021 QCCS 10, paragr. 44; Salazar Pasaje c. BMW Canada inc., 2021 QCCS 2512, paragr. 58, requête pour permission d’appeler rejetée, 8 juillet 2021, 2021 QCCA 1107; Pellemans, supra, note 26, paragr. 53 et 57.
[48] Rahmani c. Groupe Adonis inc., 2021 QCCS 2616, paragr. 60-61.
[50] Pellemans, supra, note 26, paragr. 65. Voir aussi : P.-C. Lafond, Libres propos…, supra, note 42, p. 288-289.
[52] Pellemans, supra, note 26 (honoraires de 11 000 000 $ approuvés VS honoraires de 2 400 000 $ selon la formule du taux horaire).
[54] F. c. Frères du Sacré-Coeur, 2021 QCCS 3621, paragr. 163, 168 et 169; voir aussi Pellemans, supra, note 26, paragr. 65.
[56] BGA inc. c. Banque de Montréal, 2022 QCCA 140, paragr. 4-5; Banque Amex, supra, note 24, paragr. 8-9 et 63; Skarstedt, supra, note 34, paragr. 34.
[59] Id., paragr. 36.
[60] Id., paragr. 77.
[61] Id., paragr. 50-51.
[62] Id., paragr. 75.
[63] Id., paragr. 73.
[65] Art. 9 C.p.c.
[68] À l’audience, l’amicus curiae informe la Cour qu’au 28 février 2023, le temps consacré au dossier indique une facture de 60 000 $ approximativement.
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