Décision

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                         COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE

                       LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

QUÉBEC                 QUÉBEC, LE 7 DÉCEMBRE 1994

 

 

 

DISTRICT D'APPEL       DEVANT LA COMMISSAIRE:  Me MICHÈLE CARIGNAN

DE QUÉBEC

 

 

RÉGION: MAURICIE/

        BOIS-FRANCS

 

 

DOSSIER: 55008-04-9311

DOSSIER CSST:0060 24707 AUDITION TENUE LE:       16 AOÛT 1994

DOSSIER BRP: 6132 2741

 

 

 

                       À:                                    TROIS-RIVIÈRES

 

                                                                           

 

 

 

                       STRUCTURE C.Q.S. INC.

                         1005, Père Daniel

                         TROIS-RIVIÈRES  (Québec)

                         G9A 5L2

 

                                                    PARTIE APPELANTE

 

 

 

                       et

 

 

 

                       MONSIEUR JEAN-LOUIS GUIGNARD

                         1000, des Érables

                         POINTE-DU-LAC  (Québec)

                         G0X 1Z0

 

                                                    PARTIE INTÉRESSÉE


                 D É C I S I O N

 

Le 15 novembre 1993, Structure C.Q.S. Inc. (l'employeur) en appelle d'une décision rendue le 27 septembre 1993 par le Bureau de révision.

 

Par cette décision unanime, le Bureau de révision infirme une décision du conciliateur-décideur de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) du 17 février 1993, annule le licenciement du travailleur du 15 octobre 1992 et ordonne à l'employeur de remettre le nom de monsieur Jean-Louis Guignard (le travailleur) sur la liste de rappel de son établissement.

 

OBJET DE L'APPEL

 

L'employeur demande à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'infirmer la décision du Bureau de révision et de rejeter la plainte logée par le travailleur.

 

 

 

 

 

LES FAITS

 

Le travailleur est au service de l'employeur depuis le 16 janvier 1959 lorsqu'il est victime d'un accident du travail le 12 octobre 1990.  Il occupe alors la fonction d'opérateur de grenailleuse.

 

La lésion professionnelle du travailleur est consolidée le 29 juillet 1991 et il est déclaré apte à exercer son emploi le 29 juillet 1992.

 

Les parties ont admis que le ou vers le 16 mai 1992, le travailleur aurait été mis à pied en raison du manque de travail dans l'établissement de l'employeur.

 

Il est admis que le nom du travailleur a été mis sur une liste de rappel suivant les dispositions de la convention collective régissant les parties.

 

Le 15 octobre 1992, l'employeur congédie le travailleur.  Il s'appuie sur les articles 15 (A), 4ième paragraphe et 15 (A) 6), 2ième et 3ième paragraphes, de la convention collective.  Ces dispositions se lisent comme suit:

 

15-A.  (...)

 

Les statuts d'ancienneté et de service continu d'un salarié ne seront pas affectés ou interrompus par suite de mises à pied, blessure, maladie, accident, maladie ou accident de travail, permis d'absence ou autre cause ne se rapportant pas à l'acte volontaire ou à une faute du salarié; toutefois malgré ce qui précède, le service continu d'un salarié et son statut d'ancienneté se termineront et il sera considéré comme licencié, et ce pour l'une ou l'autre des raisons ci-dessous, à moins que la Compagnie et le Syndicat, par entente écrite, en décident autrement.

 

 

15-A.6.  (...)

 

Pour le salarié qui a moins d'un (1) an d'ancienneté, lorsque ce salarié n'a accompli aucun travail pour la Compagnie pour une période de douze (12) mois.

 

Pour le salarié ayant un (1) an et plus d'ancienneté, cette période sera de vingt-quatre (24) mois.

 

Lorsque le salarié n'a accompli aucun travail pour la Compagnie dû à une maladie ou accident de travail reconnus comme tel par la C.S.S.T., lire au premier alinéa du présent paragraphe vingt-quatre (24) mois.

 

Le 27 octobre 1992, le travailleur loge une plainte à la Commission fondée sur l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi).

 

Le 17 février 1993, le conciliateur-décideur de la Commission rejette la plainte du travailleur.  Le travailleur demande la révision de cette décision.

 

Le 27 septembre 1993, le Bureau de révision accueille la plainte logée par le travailleur, en vertu de l'article 32 de la loi, annule le licenciement du travailleur du 15 octobre 1992 et ordonne à l'employeur de remettre le travailleur sur la liste de rappel de l'établissement.  L'employeur en appelle de cette décision à la Commission d'appel.

 

Il est admis par les parties que l'entreprise de l'employeur n'a pas encore repris ses activités.  À l'époque en litige, l'établissement comptait plus de vingt travailleurs.

 

ARGUMENTATION DES PARTIES

 

L'employeur soumet qu'il a respecté les dispositions de la loi concernant le droit de retour au travail et plus précisément l'article 238 de la loi, lorsque le travailleur a voulu effectuer son retour au travail le 29 juillet 1992.

 

Pour ce qui est de la perte d'ancienneté et d'emploi imposée au travailleur le 15 octobre 1992, l'employeur soumet qu'il a tout simplement appliqué une disposition de la convention collective régissant les parties, laquelle prévoit qu'un salarié qui n'a accompli aucun travail pour la compagnie, en raison d'une maladie ou d'un accident du travail pour une période de vingt-quatre mois, perd son ancienneté et son emploi.  L'employeur soutient également que pour les fins de l'application de la convention collective, il n'y a aucune disposition dans la loi qui l'empêche de tenir compte de la période pendant laquelle le travailleur n'a pas accompli de travail et cela même si c'est en raison d'une lésion professionnelle.  Il se réfère à la décision rendue dans Isolation Manson Inc. et Ouvriers de l'aluminium, de la brique et du verre, Section locale 297.[1]  Dans cette affaire, il s'agissait d'un travailleur qui n'était plus dans le délai prévu à l'article 240 de la loi pour exercer son droit de retour au travail et qui voulait être réintégré dans son poste.  L'arbitre a conclu que le délai de deux ans prévu à la convention collective correspondait au même délai que celui prévu à la loi et, de reconnaître au plaignant le droit à la réintégration en fonction de la loi équivaudrait à contourner les effets de l'article 240 de la loi et de lui accorder un avantage qui ne lui est pas reconnu.

 

Enfin, l'employeur soumet qu'il a démontré une cause juste et suffisante parce que le travailleur a été licencié conformément aux dispositions de la convention collective et que le délai prévu à l'article 240 de la loi était respecté.

 

Quant au travailleur, il demande à la Commission d'appel de maintenir la décision du Bureau de révision.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

La Commission d'appel doit décider si le travailleur a fait l'objet d'une mesure discriminatoire, de représailles ou de toute autre sanction, eu égard à l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi), lequel se lit comme suit:

 

32.  L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.

 

Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.

 

L'article 253 de la loi se lit comme suit:

 

253.  Une plainte en vertu de l'article 32 doit être faite par écrit dans les 30 jours de la connaissance de l'acte, de la sanction ou de la mesure dont le travailleur se plaint.

 

Le travailleur transmet copie de cette plainte à l'employeur.

 

Le législateur a prévu, à l'article 255 de la loi, une présomption en faveur du travailleur, qui se lit comme suit:

 

255.  S'il est établi à la  satisfaction de la Commission que le travailleur a été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans l'article 32 dans les six mois de la date où il a été victime d'une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en faveur du travailleur que la sanction lui a été ou que la mesure a été prise contre lui parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice de ce droit.

 

Dans ce cas, il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction ou cette mesure à l'égard du travailleur pour une autre cause juste et suffisante.

 

Dans le présent cas, la perte d'ancienneté et le licenciement du travailleur constituent une sanction au sens de l'article 32 de la loi.  Cette sanction a été imposée au travailleur dans les six mois de la date où il a exercé son droit de retour au travail.

 

En effet, c'est le 29 juillet 1992 que le travailleur a exercé son droit de retour au travail et c'est le 15 octobre suivant qu'il a été informé par l'employeur qu'il perdait son ancienneté et qu'il était licencié.

 

La Commission d'appel estime qu'il a été démontré, de façon prépondérante, que le travailleur a été l'objet d'une sanction visée à l'article 32 de la loi, dans les six mois de l'exercice d'un droit prévu à cette loi.  Par conséquent, la présomption de l'article 255 de la loi s'applique et l'employeur a le fardeau de prouver, de façon prépondérante, que la sanction ou mesure, à l'égard du travailleur, a été prise pour une autre cause juste et suffisante.

 

L'employeur prétend qu'il n'y a aucune disposition dans la loi qui l'empêche de tenir compte de la période d'absence reliée à la lésion professionnelle pour congédier le travailleur parce que le délai de l'article 240 a été respecté.  L'article 240 de la loi se lit ainsi:

 

240. Les droits conférés par les articles 236 à 239 peuvent être exercés:

 

1o dans l'année suivant le début de la période d'absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s'il occupait un emploi dans un établis­sement comptant 20 travailleurs ou moins au début de cette période; ou

 

2o dans les deux ans suivant le début de la période d'absence continue du travail­leur en raison de sa lésion profession­nelle, s'il occupait un emploi dans un établissement comptant plus de 20 tra­vailleurs au début de cette période.

 

Le retour au travail d'un travailleur à la suite d'un avis médical n'interrompt pas la période d'absence continue du travailleur si son état de santé relatif à sa lésion l'oblige à abandonner sont ravail dans la journée du retour.'il n'a pas travaillé pendant vingt-quatre mois.

 

Avec respect pour les prétentions de l'employeur, la Commission d'appel estime que la protection prévue à l'article 32 de la loi, évite justement que le travailleur soit victime d'un licenciement parce qu'il n'a pas travaillé, en raison de sa lésion professionnelle.  La période dont se sert l'employeur pour congédier le travailleur comporte une durée de dix-neuf mois, pendant laquelle le travailleur était autorisé par la loi à s'absenter en raison de sa lésion professionnelle.

 

La Commission d'appel estime que l'article 32 de la loi empêche l'employeur de se servir de la période d'absence du travailleur, reliée à sa lésion professionnelle, pour le congédier.

 

La Commission d'appel ne retient pas la prétention de l'employeur qui ferait en sorte qu'après l'expiration du délai prévu à l'article 240 de la loi, le travailleur ne bénéficie plus de la protection prévue à l'article 32 de la loi.  La Commission d'appel est d'avis que si le législateur avait voulu limiter dans le temps la protection accordée au travailleur à l'article 32 de la loi, il l'aurait mentionné expressément, ce qu'il n'a pas fait.

 

De plus, il y a lieu de préciser que l'article 240 de la loi s'applique uniquement dans le cadre de l'exercice des droits conférés par les articles 236 à 239 de la loi.  Or, dans le présent cas, il ne s'agit pas de l'exercice d'un de ces droits puisque le travailleur avait déjà exercé son droit de retour au travail et qu'il avait été mis sur la liste de rappel de l'établissement, conformément à l'article 238 de la loi.

 

La Commission d'appel est d'avis que le seul fait pour l'employeur d'alléguer les dispositions de la convention collective ne constitue pas, en l'espèce, une cause juste et suffisante, repoussant la présomption de l'article 255 de la loi puisque cela permettrait à l'employeur de faire indirectement ce qu'il n'est pas autorisé à faire directement, en vertu de la loi.  Il faut se rappeler que la loi est d'ordre public et qu'elle a préséance sur toutes dispositions d'une convention collective qui est moins avantageuses que la présente loi.

 

La Commission d'appel estime que l'employeur n'a pas démontré qu'il avait une cause juste et suffisante pour faire perdre au travailleur toute son ancienneté et le licencier.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES:

 

REJETTE l'appel logé par Structure C.Q.S. Inc.;

 

CONFIRME la décision rendue par le Bureau de révision le 27 septembre 1993;

 

ACCUEILLE la plainte logée par monsieur Jean-Louis Guignard en vertu de l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

 

ANNULE le licenciement et la perte d'ancienneté imposés au travailleur le 15 octobre 1992;

 

ORDONNE à Structure C.Q.S. Inc. de remettre monsieur Jean-Louis Guignard sur la liste de rappel de son établissement, rétroactivement au 15 octobre 1992, avec tous ses droits et privilèges, conformément aux dispositions de la convention collective régissant alors les parties.

 

 

 

 

 

 

 

_____________________

Michèle Carignan

Commissaire

 

 

 

C.R.T. MILLETTE, TRÉPANIER INC.

(Monsieur Gaétan Trépanier)

2722, av. Royale

SHAWINIGAN  (Québec)

G9N 8M3

 

Représentant de la partie appelante

 

 

 

MONSIEUR GÉRARD LACHANCE

4115, Ontario Est, 4e étage

MONTRÉAL  (Québec)

H1V 1J7

 

Représentant de la partie intéressée

 

MADAME ESTHER CHAMBERLAND

 

Représentante de Structure C.Q.S. Inc.

 

 


               JURISPRUDENCE CITÉE

 

 

 

 

Déposée par l'employeur:

 

 

 

1.Isolation Manson Inc. et Ouvriers de l'aluminium de la brique et du verre, section locale 297, Me George E. Laurin, arbitre. T.A.  88-07388, 1988-05-30.  Décision no 88T-920;

 

 

2.Corporation Outils Québec Inc. c. Jeannette Dupont et Roger St-Jean, Hervé Bessette et Gérald Dion et Camille Demers et Denis Bérubé, [1991] C.A.L.P. 445 à 448;

 

 

3.Centre hospitalier des Laurentides c. Commission d'appel en matière de lésions professionnelles et Laurent McCutcheon et France Dumoulin, [1990] C.A.L.P. 566 à 569;

 

 

4.Gaston Marin et Société canadienne de Métaux Reynolds, [1990] C.A.L.P. 423 à 427;

 

 

5.Société canadienne de Métaux Reynolds Limitée c. Commission d'appel en matière de lésions professionnelles et Gaston Marin, [1990] C.A.L.P. 1390 à 1395;

 

 

6.Louise-Noël Fontaine et La société d'aluminium Reynolds (Canada) Limitée, [1991] C.A.L.P. 615 à 623.

 

 



1.Me Georges E. Laurin, arbitre. T.A.  88-07-388.

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