Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

30 janvier 2006

 

Région :

Montréal

 

Dossiers:

210043-72-0306-R  231324-72-0404-R

 

Dossier CSST :

122324874

 

Commissaire :

Me Bertrand Roy

 

Membres :

Christian Tremblay, associations d’employeurs

 

Jennifer Smith, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Guylaine Lefrançois

 

Partie requérante

 

 

 

Et

 

 

 

C.H.S.L.D. Lucille-Teasdale

 

Partie intéressée

 

 

 

Et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

 

[1]                Le 10 décembre 2004, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) par laquelle elle demande la révocation d’une décision rendue le 1er novembre 2004.

[2]                Par cette décision, la CSST décide ce qui suit dans les dossiers dont il s’agit :

Dossier 210043-72-0306

ACCUEILLE la requête déposée le 5 juin 2003 par la travailleuse, madame Guylaine Lefrançois;

INFIRME en partie la décision rendue le 29 mai 2003 par la Direction de la révision administrative;

RÉTABLIT et CONFIRME la décision rendue le 18 juillet 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

DÉCLARE que le 20 juin 2002, la travailleuse a subi un accident du travail;

DÉCLARE que le diagnostic d'entorse cervicale est en relation avec l'accident du travail survenu le 20 juin 2002;

DÉCLARE que le 24 octobre 2002, la travailleuse a subi une lésion professionnelle au sens de l'article 31 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles; et

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu'elle puisse exercer sa compétence et décider de l'opportunité d'appliquer l'article 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles à compter du 24 octobre 2002;

Dossier 231324-72-0404

ACCUEILLE la requête déposée le 1er avril 2004 par la travailleuse;

INFIRME la décision rendue le 30 mars 2004 par la Direction de la révision administrative ainsi que celle rendue le 4 mars 2004 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

DÉCLARE qu'en relation avec la lésion survenue le 24 octobre 2002, la travailleuse conserve une atteinte permanente de l'ordre de 2 % suivant le code 203513 du Règlement sur le barème des dommages corporels ainsi que les limitations fonctionnelles suivantes :

a.  Ne pas avoir à manipuler de charges de plus de 10 kilos;

b.  Ne pas travailler les membres supérieurs surélevés;

c.  Doit pouvoir changer de position après avoir été assise ou debout de façon prolongée;

d.  Ne doit pas effectuer de mouvements répétitifs avec son rachis cervical;

e.  Ne doit pas travailler le rachis cervical maintenu dans une position soutenue.

 

 

DÉCLARE que la travailleuse a droit en conséquence à la réadaptation ainsi qu'aux indemnités de remplacement du revenu rétroactivement au 23 février 2004; et

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu'elle puisse agir en conséquence.

[3]                À l’audience, la CSST était représentée par procureur de même que C.H.S.L.D. Lucille Teasdale (l’employeur). La travailleuse était absente mais elle était représentée.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                La CSST demande la révocation de la décision dans les deux dossiers dont il s’agit et, le cas échéant, elle demande que les parties soient reconvoquées pour être entendues à nouveau. Elle soutient que la Commission des lésions professionnelles n’avait pas compétence pour décider que l’article 31 de la loi trouve application puisque la CSST n’avait pas rendu de décision à ce sujet et il n’y avait aucune réclamation de la travailleuse à cet effet. De plus, la Commission des lésions professionnelles aurait commis une erreur susceptible de révision en reconnaissant que la travailleuse conservait une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles à la suite de la lésion qui a été reconnue comme étant professionnelle.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Le membre issu des associations syndicales est d’avis qu’il n’y a pas lieu de procéder à la révision de la révocation de la décision puisqu’il n’a pas été démontré qu’elle comporte un vice de fond de nature à l’invalider. Le premier commissaire était justifié de reconnaître que la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle en vertu de l’article 31 de la loi et qu’elle en conserve des séquelles permanentes. Elle rejetterait la requête en révision ou révocation.

[6]                Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête doit être accueillie pour le motif qu’elle comporte un vice de fond de nature à l’invalider. Il était manifestement et gravement erroné en fait et en droit de reconnaître que l’opération du mois d’octobre a entraîné une nouvelle lésion professionnelle. L’article 31 de la loi ne saurait s’appliquer puisque l’opération a été pratiquée en raison d’une condition dont le caractère professionnel avait été explicitement exclu par la CSST. Il n’y aurait pas lieu de retourner le dossier à la CSST.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]                La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser ou révoquer la décision du 1er novembre 2004.

[8]                L’article 429.56 de la loi permet la révision ou la révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles. Cet article se lit comme suit :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[9]                En l’occurrence, la Commission des lésions professionnelles entend révoquer la décision en ce qu’elle déclare que la travailleuse aurait subi le 24 octobre 2002 une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi et qu’en relation avec cette lésion, elle conserverait une « atteinte permanente de l’ordre de 2% » (code 203513) ainsi que des limitations fonctionnelles, qu’elle aurait droit à la réadaptation et à l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement au 23 février 2004 et que le dossier serait retourné à la CSST.

[10]           En effet, la décision comporte un vice de fond de nature à invalider, en partie, la décision dont il s’agit. Ce vice de fond est l’erreur grave, manifeste et déterminante que constitue la conclusion que l’article 31 de la loi trouve application en l’espèce.

[11]           L’article 31 de la loi se lit comme suit :

31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion:

 

1°   des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

 

2°   d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.

 

Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).

__________

1985, c. 6, a. 31.

[12]           La travailleuse a subi une opération le 24 octobre 2002 soit une discoïdectomie. Selon le protocole opératoire, cette opération a été pratiquée pour une « hernie discale séquestrée C5-C6 ». C’était, en effet, le diagnostic préopératoire et c’est également le diagnostic postopératoire posé par le neurochirurgien, le docteur Normand Poirier.

[13]           Or, ce diagnostic de hernie discale cervicale C5-C6 n’a pas été retenu comme étant en relation avec l’événement du 20 juin 2002 par une décision de la CSST du 10 octobre 2002 confirmée par l’instance de révision administrative le 29 mai 2003 dont le premier commissaire était d’ailleurs saisi.

[14]           Le commissaire pouvait décider de reconnaître ou non la hernie discale cervicale dont il s’agit. Il ne l’a pas fait, ni explicitement ni implicitement. Il a plutôt retenu le diagnostic d’entorse cervicale et il a retenu que l’article 31 trouvait application en rapport avec l’opération chirurgicale pour la hernie discale.

[15]           Concernant cette opération, le commissaire s’exprime comme suit aux paragraphes 21 à 23 :

[21]      La travailleuse est alors prise en charge par le docteur Poirier, neurochirurgien, qui, le 24 octobre 2002, procède à une discoïdectomie cervicale antérieure C5-C6 et à une greffe osseuse autogène.

 

[22]      Suivant la preuve et devant l'absence d'un avis du Bureau d’évaluation médicale sur la nécessité de l'intervention chirurgicale, elle est acceptée et la CSST poursuit le versement des indemnités de remplacement du revenu à la travailleuse et le remboursement des frais pour les traitements et les consultations.

 

[23]      La preuve démontre que la chirurgie a augmenté et aggravé les symptômes. Le docteur Lambert (29 avril 2004) note la présence de : 

 

[…] paresthésies au membre supérieur droit, à la face antéro-interne du bras avec irradiation à la face radiale de l'avant-bras comprenant les cinq doigts, maximale au niveau des 2e, 3e et 4e doigts. Les paresthésies étaient moins importantes au niveau distal. Les paresthésies augmentaient également à l'effort.

 

 

[16]           Ainsi, le commissaire a pris pour acquis que la CSST a accepté la nécessité de l’intervention en poursuivant le versement de l’indemnité de remplacement du revenu et en remboursant des frais pour les traitements et les conséquences. Il semble que, pour le commissaire, la CSST aurait implicitement accepté que l’intervention était « nécessaire ».

[17]           Or, pour en venir à cette conclusion, le commissaire n’a pas tenu compte, par mégarde, que la CSST s’est objectée explicitement à reconnaître la nécessité de l’opération en déclarant sans ambiguïté que le diagnostic pré-opératoire de hernie discale cervicale n’était pas en relation avec l’événement et ne constituait pas une lésion professionnelle.

[18]           Il était gravement et manifestement erroné d’inférer que la CSST avait accepté l’opération comme étant « nécessaire ». Par surcroît, en s’appuyant sur le fait que la CSST a continué le versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour faire l’inférence que l’on connaît, le commissaire a négligé de tenir compte du fait que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu était justifié pour une toute autre raison. En effet, la lésion professionnelle de la travailleuse, l’entorse cervicale, n’était toujours pas consolidée et, par conséquent, selon l’article 46 de la loi, la travailleuse devait être présumée incapable d’exercer son emploi. C’est pour cette raison et non pour l’autre que l’indemnité de remplacement du revenu a continué d’être versée.

[19]           Ainsi, face à une décision explicite de la CSST que la hernie discale cervicale n’était pas une lésion professionnelle, il était manifestement et gravement erroné d’inférer qu’une décision à l’effet contraire avait été rendue implicitement.

[20]           Comme l’indique le législateur, pour que l’article 31 trouve application, il eut fallu que la travailleuse ait subi une blessure ou une maladie à cause des soins qu’elle a reçus pour une lésion professionnelle. En l’occurrence, l’opération du 24 octobre 2002 constitue  un soin que la travailleuse a reçu mais la lésion pour laquelle elle a été opérée  n’est pas une lésion professionnelle.

[21]           L’article 31 de la loi ne pouvait donc pas s’expliquer et il n’y avait pas lieu pour le tribunal, dans le dossier 231324-72-0404 de reconnaître comme étant en relation avec une lésion professionnelle les séquelles de l’opération du 24 octobre 2002. Il faut donc révoquer les conclusions de la décision qui établissait qu’ « en relation avec la lésion survenue le 24 octobre 2002 » la travailleuse conserve une atteinte permanente de l’ordre de 2% et les limitations fonctionnelles. Il y a aussi lieu de révoquer cette partie du dispositif de la décision qui reconnaît le droit de la travailleuse à la réadaptation ainsi qu’aux indemnités de remplacement du revenu rétroactivement au 23 février 2004 et cette autre partie du dispositif selon laquelle le dossier retourne à la CSST « pour qu’elle puisse agir en conséquence ».

[22]           Par ailleurs, il n’y a pas lieu de réviser ou révoquer cette partie du dispositif par laquelle elle reconnaît que le 20 juin 2002, la travailleuse a subi un accident et que le diagnostic d’entorse cervicale est en relation avec cet accident.

[23]           La question s’est aussi posée que le premier commissaire n’aurait pas tranché la question de la relation entre l’événement du 20 juin 2002 et la hernie discale à C5-C6 qui a été mentionnée. Tel que déjà indiqué, le tribunal siégeant en révision administrative est d’avis que le commissaire a décidé notamment au paragraphe 19 de reconnaître une seule lésion comme découlant du fait accidentel, soit une entorse cervicale. Il avait d’ailleurs bien raison de ce faire, et surtout de ne pas reconnaître le hernie discale, si l’on considère l’opération du docteur R. Lambert à cet effet et la présence d’une discopathie dégénérative multi-étagée qui est bien documentée.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête en vertu de l’article 429.56 de la loi déposée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail ;

Dossiers 210043-72-0306 et 231324-72-0404

REVOQUE en partie, sa décision du 1er novembre 2004 en ce qu’elle déclare que le 24 octobre 2002 la travailleuse aurait subi une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi, qu’elle retourne le dossier à la CSST, qu’elle déclare que la travailleuse conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, qu’elle déclare que la travailleuse a droit à la réadaptation ainsi qu’à l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement au 23 février 2004 et qu’elle retourne le dossier à la CSST.

 

 

__________________________________

 

Bertrand Roy

 

Commissaire

 

 

 

 

M. Julien Lapointe

S.C.F.P.

Représentant de la partie requérante

 

 

 

Me France Lacasse

LA RIVIÈRE, LACASSE ET SAVARIA

Représentant de la partie intéressée

 

 

Me Gabriel Miron

PANNETON LESSARD

Représentant de la partie intervenante

 



[1]          L.R.Q. c. A - 3.001

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.