Tardif et Immeubles Aquitaine inc. |
2015 QCCLP 3741 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 21 mai 2015, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête en révocation à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles du 10 avril 2015.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles annule les décisions de la CSST des 9 mai et 26 juin 2014 et retourne le dossier à celle-ci afin que le dossier de monsieur Sylvain Tardif (le travailleur) soit traité selon les dispositions des articles 448 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] À l’audience tenue le 30 juin 2015 à Québec, le travailleur est présent et la CSST est représentée par procureure. Immeubles Aquitaine inc. (l’employeur) est absent.
[4] Le dossier est mis en délibéré à compter du 30 juin 2015.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] La CSST demande la révocation de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 10 avril 2015. Cette décision serait entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations d'employeurs et celui issu des associations syndicales sont d'avis d’accueillir la requête en révocation de la CSST. Il ne s’agit pas d’une situation conduisant à une décision conjointe selon les articles 448 et suivants de la loi, de même qu’en vertu de l’entente intervenue entre la CSST et la Société de l’assurance automobile du Québec (la SAAQ), selon l’article 449 de la loi. Il s’agit d’une erreur de droit manifeste et déterminante.
[7] Au moment de soumettre sa réclamation le 4 février 2014, le travailleur ne reçoit aucune indemnité de remplacement du revenu de la part de l’un ou l’autre des organismes. De plus, le travailleur ne réclame pas pour un nouvel événement à la SAAQ, mais bien pour une récidive, rechute ou aggravation, en relation avec sa lésion professionnelle du 25 novembre 2013.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu de révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 10 avril 2015.
[9] Il faut d’abord rappeler le caractère final et sans appel d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[notre soulignement]
[10] Ceci étant, le législateur a toutefois prévu l’exercice d’un recours en révision/révocation à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles.
[11] Ce recours, qualifié d’exceptionnel, peut donc s’exercer en présence de motifs précis, lesquels sont énumérés à l’article 429.56 de la loi qui se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[12] Par sa requête en révocation, la CSST réfère au troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi, lequel réfère à l’existence d’un vice de fond de nature à invalider la décision rendue.
[13] Dans l’affaire Produits Forestiers Donohue inc. et Villeneuve[2], la Commission des lésions professionnelles indique que le vice de fond est assimilé à l’erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Cette façon d’interpréter la notion de vice de fond de nature à invalider une décision a été reprise de façon constante.
[14] Dans sa décision CSST c. Fontaine[3], la Cour d’appel du Québec se penche notamment sur cette notion de vice de fond de nature à invalider une décision de la Commission des lésions professionnelles. La Cour d’appel ne remet pas en question le critère de vice de fond, tel qu’interprété par la Commission des lésions professionnelles. Elle invite plutôt à la prudence dans son application.
[15] La Cour d’appel insiste également sur le fait que le recours en révision, pour vice de fond de nature à invalider une décision, ne doit pas être l’occasion de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve afin de substituer son opinion à celle du premier juge administratif.
[16] Ce ne peut être non plus l’occasion de compléter ou bonifier la preuve ni d’ajouter de nouveaux arguments[4].
[17] Seule une erreur grave, manifeste (évidente) et déterminante sur l’issue de la contestation peut amener une intervention à l’égard de la décision du premier juge administratif[5].
[18] Dans sa décision Moreau c. Régie de l’assurance maladie du Québec[6], la Cour d’appel du Québec vient également rappeler que le recours en révision/révocation ne s’applique que de façon exceptionnelle et que le vice de fond de nature à invalider une décision doit s’avérer une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, voire sa validité.
[19] C’est en ayant à l’esprit ces principes de droit que le tribunal entend procéder à l’analyse des motifs mis de l’avant par la CSST pour faire révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 10 avril 2015.
[20] Il convient de revenir sur certains faits, permettant une meilleure compréhension du dossier afin d’évaluer le bien - fondé des motifs avancés par la CSST.
[21] Le 10 mai 2001, le travailleur subit un grave accident de moto, à la suite duquel il subit une fracture complète de l’acétabulum gauche, une atteinte de l’articulation sacro-iliaque gauche et une lésion du plexus lombosacré. Le travailleur est indemnisé par la SAAQ jusqu’en janvier 2007.
[22] Le 25 novembre 2013, le travailleur subit un accident du travail, à la suite d’une chute d’un échafaud. Il subit une luxation acromioclaviculaire droite. Cette lésion est consolidée le 27 janvier 2014, avec une atteinte permanente à l’intégrité physique, mais aucune limitation fonctionnelle. La CSST rend une décision statuant sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi à compter du 27 janvier 2014.
[23] Le 4 février 2014, le travailleur produit une nouvelle réclamation à la CSST pour faire reconnaître une récidive, rechute ou aggravation, en relation avec sa lésion professionnelle du 25 novembre 2013.
[24] Au soutien de cette réclamation, il produit un rapport médical du docteur Richard Lemelin du 18 février 2014, mentionnant les diagnostics de dysfonction sacro-iliaque gauche, de bursite trochantérienne gauche et de tendinite de la coiffe des rotateurs. Par la suite, il est davantage question d’une bursite trochantérienne gauche, pour laquelle le travailleur reçoit, entre autres, des infiltrations.
[25] Le 9 mai 2014, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse de reconnaître l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation à compter du 18 février 2014, en raison de l’absence de détérioration objective de la condition du travailleur. En conséquence, aucune indemnité n’est versée au travailleur.
[26] Ce dernier demande la révision de cette décision.
[27] Le 26 juin 2014, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme son refus de reconnaître l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation le 18 février 2014.
[28] Le travailleur dépose une contestation à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision.
[29] La Commission des lésions professionnelles tient une audience le 7 avril 2015 pour trancher cette contestation du travailleur.
[30] La soussignée a écouté les enregistrements de cette audience.
[31] La Commission des lésions professionnelles explique au travailleur que le dossier doit faire l’objet d’une décision conjointe de la CSST et de la SAAQ, en vertu des articles 448 et suivants de la loi. La question de fond, soit l’existence ou non d’une lésion professionnelle indemnisable selon la loi, n’est donc pas débattue.
[32] Le 10 avril 2015, la Commission des lésions professionnelles rend donc une décision annulant les décisions de la CSST des 9 mai et 26 juin 2014 et retournant le dossier à la CSST afin qu’une décision conjointe soit rendue quant à la réclamation du travailleur.
[33] Ses motifs se lisent comme suit :
[11] Or, le travailleur demande la reconnaissance d’une lésion professionnelle en date du 18 février 2014, non seulement en lien avec le diagnostic de luxation acromio-claviculaire droite, qui a été causée par le traumatisme du 25 novembre 2013, mais il demande également de reconnaitre l’existence d’une dysfonction sacro-iliaque et d’une bursite à la hanche gauche.
[12] Il apparait cependant au dossier que le travailleur a subi un grave accident de motocyclette le 10 mai 2001, au cours duquel il a subi de nombreuses blessures, incluant une fracture complète de l’acétabulum gauche, avec atteinte de l’articulation sacro-iliaque gauche, en plus d’une lésion du plexus lombosacré gauche.
[13] L’acétabulum est le nom donné à la cavité articulaire de l’os iliaque, un os de la hanche, dans laquelle s’articule la tête fémorale. Elle forme ainsi ce qu’on nomme l’articulation de la hanche.
[14] Force est donc de constater que deux des sites lésés lors de l’accident de motocyclette du 10 mai 2001 sont la hanche gauche ainsi que l’articulation sacro-iliaque gauche, sites pour lesquels le travailleur demande maintenant la reconnaissance de l’existence d’une lésion professionnelle.
[15] Au surplus, le travailleur a déposé à la SAAQ une demande accompagnée d’un rapport de son médecin daté du 2 mars 2015; ce dernier indiquant que les douleurs à la hanche sont secondaires à l’accident de 2001. Le travailleur demande donc à la SAAQ de statuer les problèmes qu’il connait à la hanche gauche depuis février 2014, alors que le même site lésionnel a fait l’objet d’une décision de la CSST et se trouve maintenant devant le présent tribunal.
[16] En pareille matière, les dispositions des articles 448 et suivants de la loi indiquent que la CSST et la SAAQ doivent rendre une décision conjointe.
[17] Comme la CSST et la SAAQ sont saisies de la question inhérente à la pathologie à la hanche gauche du travailleur à compter de février 2014, il y a donc risque de double indemnisation, ce qui exige l’application des dispositions de la loi en matière de décisions conjointes2.
[18] En effet, si le présent tribunal se penchait sur le mérite même de la contestation du travailleur quant à la relation possible entre ses problèmes à la hanche gauche et au niveau sacro-iliaque face à la lésion professionnelle du 25 novembre 2013, il y aurait risque de décisions contradictoires si jamais la SAAQ décidait que ces problèmes sont plutôt reliés à l’accident de motocyclette de 2001. C’est pour empêcher de telles impasses que la nécessité d’une décision conjointe existe.
[19] Les dispositions des articles 448 et suivants visent la distinction des dommages, des droits et montants des prestations payables en vertu de chacune des lois et les prestations à verser par chaque organisme3.
[20] Ainsi, le tribunal doit constater que la décision initiale a été rendue contrairement aux dispositions de la loi et à l’objectif visé par les articles 448 et suivants. Cette décision est donc irrégulière et le tribunal doit procéder à son annulation4.
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2 Lalonde et SAAQ, C.L.P. 261271-64-0504, 26 avril 2006, J.-F. Martel.
3 Trinh et Distribution HPM inc., [1999] C.L.P. 383.
4 Mahko et Corporation de vêtements SFI (1996), [2004] C.L.P. 349.
[nos soulignements]
[34] La Commission des lésions professionnelles s’attarde particulièrement au risque de la double indemnisation et de la décision contradictoire de la part des deux organismes saisis de réclamations presque concomitantes, ce qui semble être sa justification pour qu’une décision soit rendue conjointement par la CSST et la SAAQ, selon les articles 448 et suivants de la loi.
[35] La CSST dépose une requête en révocation à l’encontre de cette décision. Elle invoque principalement l’existence d’une erreur de droit manifeste quant à l’interprétation et l’application de l’article 448 de la loi, menant à une conclusion déraisonnable. En effet, la Commission des lésions professionnelles retourne le dossier à la CSST afin qu’une décision soit rendue conjointement, selon les articles 448 et suivants de la loi.
[36] Selon la procureure de la CSST, les conditions requises pour qu’une telle décision soit rendue sont absentes. En effet, au moment de soumettre sa réclamation pour récidive, rechute ou aggravation à compter du 18 février 2014, le travailleur ne reçoit aucune indemnité de remplacement du revenu de l’un ou l’autre des organismes (CSST ou SAAQ).
[37] La procureure de la CSST réfère également le tribunal aux dispositions de l’entente intervenue en mars 1992 entre la CSST et la SAAQ, comme le prévoit l’article 449 de la loi[7]. Cette entente, modifiée en avril 1995, concerne l’application de certaines dispositions législatives. Le chapitre 4.0 concerne particulièrement la décision conjointe.
[38] À ce sujet, la procureure rappelle qu’une telle décision sera rendue si, au moment où survient un nouvel événement, un organisme verse ou doit verser à un travailleur, une indemnité de remplacement du revenu. Tel n’est pas le cas dans le présent dossier.
[39] La procureure ajoute que la CSST se retrouve dans une impasse puisque la SAAQ lui a indiqué qu’elle ne rendrait pas de décision conjointe quant à la réclamation du travailleur, étant donné l’absence des conditions donnant ouverture à une telle décision, selon l’article 448 de la loi. De plus, de son côté, la SAAQ aurait déjà rendu une décision le 2 avril 2015, refusant de reconnaître un lien entre les nouveaux diagnostics et l’accident de moto du 10 mai 2001.
[40] La CSST se retrouve donc dans l’impossibilité d’appliquer le dispositif de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 10 avril 2015.
[41] Pour sa part, le travailleur souscrit aux propos de la procureure de la CSST et soumet que sa réclamation relève uniquement de la CSST.
[42] Il convient d’abord de rappeler les articles 448 à 450 de la loi, lesquels se lisent comme suit :
448. La personne à qui la Commission verse une indemnité de remplacement du revenu ou une rente pour incapacité totale en vertu d'une loi qu'elle administre et qui réclame, en raison d'un nouvel événement, une telle indemnité ou une telle rente en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25) ou d'une loi que la Commission administre, autre que celle en vertu de laquelle elle reçoit déjà cette indemnité ou cette rente, n'a pas le droit de cumuler ces deux indemnités pendant une même période.
La Commission continue de verser à cette personne l'indemnité de remplacement du revenu ou la rente pour incapacité totale qu'elle reçoit déjà, s'il y a lieu, en attendant que soient déterminés le droit et le montant des prestations payables en vertu de chacune des lois applicables.
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1985, c. 6, a. 448.
449. La Commission et la Société de l'assurance automobile du Québec prennent entente pour établir un mode de traitement des réclamations faites en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25) par les personnes visées dans l'article 448.
Cette entente doit permettre de :
1° distinguer le préjudice qui découle du nouvel événement et celui qui est attribuable à la lésion professionnelle, au préjudice subi par le sauveteur au sens de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou à l'acte criminel subi par une victime au sens de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6), selon le cas;
2° déterminer en conséquence le droit et le montant des prestations payables en vertu de chacune des lois applicables;
3° déterminer les prestations que doit verser chaque organisme et de préciser les cas, les montants et les modalités de remboursement entre eux.
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1985, c. 6, a. 449; 1990, c. 19, a. 11; 1999, c. 40, a. 4.
450. Lorsqu'une personne visée dans l'article 448 réclame une indemnité de remplacement du revenu en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), la Commission et la Société de l'assurance automobile du Québec doivent, dans l'application de l'entente visée à l'article 449, rendre conjointement une décision qui distingue le préjudice attribuable à chaque événement et qui détermine en conséquence le droit aux prestations payables en vertu de chacune des lois applicables.
La personne qui se croit lésée par cette décision peut, à son choix, la contester suivant la présente loi, la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6), selon le cas, ou suivant la Loi sur l'assurance automobile.
Le recours formé en vertu de l'une de ces lois empêche le recours en vertu de l'autre et la décision alors rendue lie les deux organismes.
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1985, c. 6, a. 450; 1990, c. 19, a. 11; 1997, c. 27, a. 27; 1999, c. 40, a. 4.
[nos soulignements]
[43] On comprend ainsi que le législateur, dans la loi qu’est chargée d’appliquer la Commission des lésions professionnelles, cherche à éviter le cumul d’indemnités pendant la même période dans le cas d’une personne qui reçoit déjà une indemnité de remplacement du revenu de la CSST et qui, en raison d’un nouvel événement, réclame une telle indemnité à la SAAQ.
[44] De plus, on comprend que la Loi sur l’assurance automobile[8] contient des dispositions semblables à son article 83.65, visant aussi à éviter le cumul d’indemnités, mais dans les cas où la SAAQ verse déjà une indemnité de remplacement du revenu à une personne qui, en raison d’un nouvel événement, réclame une telle indemnité à la CSST.
[45] Dans l’une ou l’autre des situations, le législateur demande à l’organisme déjà payeur de continuer à verser l’indemnité en attendant que les droits soient déterminés, selon les lois applicables.
[46] À l’article 449 de la loi (ou 85.66 de la Loi sur l’assurance automobile), le législateur demande à la CSST et la SAAQ de prendre entente pour établir un mode de traitement des réclamations des personnes visées dans l’article 448 de la loi (ou 83.65 de la Loi sur l’assurance automobile).
[47] Or, une telle entente a été convenue entre la CSST et la SAAQ en mars 1992 et modifiée en avril 1995.
[48] Aux fins de statuer sur la présente requête en révocation, il convient d’en reproduire les dispositions suivantes :
CHAPITRE 1.0 PRÉAMBULE
Dispositions
Habilitantes 1.1 La présente entente est conclue en vertu de l’article 449 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et de l’article 18.3 de la Loi sur l’assurance automobile, telle qu’elle se lisait au 31 décembre 1989, et de l’article 83.66 de la Loi sur l’assurance automobile.
CHAPITRE 2.0 OBJETS
Dommages 2.1 La présente entente a pour objet, dans les cas où l’un des organismes verse déjà une indemnité de remplacement du revenu à une personne qui réclame par ailleurs une indemnité de remplacement du revenu à l’autre organisme en raison d’un nouvel événement, de distinguer les dommages qui découlent du nouvel événement et ceux qui sont attribuables à la lésion professionnelle ou à l’accident d’automobile.
Aux fins de la présente entente, un organisme est réputé verser une indemnité de remplacement du revenu à une personne aussi longtemps que cette personne a droit à une telle indemnité, même si le versement en est suspendu, en tout ou en partie, pour quelque cause que ce soit; (ajouté en avril 1995)
[...]
CHAPITRE 4.0 DÉCISION CONJOINTE
Décision
conjointe 4.1 Une décision conjointe est rendue si, au moment où survient le nouvel événement, un organisme verse ou doit verser à un travailleur ou à une victime une indemnité de remplacement du revenu réduite ou une indemnité de remplacement du revenu non réduite.
[...]
Rechute ou
aggravation 4.3 Une réclamation pour rechute ou aggravation reliée à un événement pour lequel une décision conjointe a déjà été rendue par les organismes, est soumise à la présente entente et fait l’objet d’une décision conjointe.
[nos soulignements]
[49] Il y a donc une situation de faits particulière, précisée à l’article 448 de la loi, pouvant mener vers une décision conjointe de la CSST et la SAAQ. Il doit y avoir versement d’une indemnité de remplacement du revenu à la personne par un organisme lorsqu’elle réclame à l’autre, en raison d’un nouvel événement. L’entente le confirme, tout en précisant, à son article 2.1 in fine, certaines situations où un organisme est réputé verser une indemnité de remplacement du revenu à une personne, ce qui n’est pas le cas du travailleur dans la présente cause.
[50] Et dans le cas d’une récidive, rechute ou aggravation, sans référer au fait qu’il doit y avoir versement par l’un des organismes d’une indemnité de remplacement du revenu, il y aura décision conjointe lorsque que la récidive, rechute ou aggravation alléguée est reliée à un événement pour lequel une décision conjointe a déjà été rendue par la CSST et la SAAQ[9].
[51] Le tribunal comprend que ces articles 448 et suivants ont fait couler beaucoup d’encre, laissant place à des diverses interprétations notamment quant à l’opportunité de rendre une décision conjointe à la suite, par exemple, d’un avis d’un membre du Bureau d'évaluation médicale, pour établir l’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ou dans le cas d’une récidive, rechute ou aggravation.
[52] Cette réalité ressort d’ailleurs très bien de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Mhaichar et Foam Créations inc[10]., dans le cadre d’une requête en révocation.
[53] Dans cette affaire, le tribunal décide de ne pas révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles qui concluait de retourner le dossier à la CSST afin qu’une décision conjointe soit rendue. L’une des décisions de la CSST concernait les conclusions d’un membre du Bureau d'évaluation médicale et l’autre concernait la capacité de la travailleuse d’exercer un emploi et le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Le tribunal, estimant qu’il s’agissait d’une question d’interprétation, décide donc de ne pas révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles.
[54] On constate toutefois que cette conclusion de ne pas révoquer s’inscrit dans un contexte bien différent de celui présent en l’espèce.
[55] Dans l’affaire précitée Mhaichar, il était question d’une période de chevauchement d’indemnités de remplacement du revenu en raison d’une décision d’admissibilité rétroactive de la Commission des lésions professionnelles, alors que la SAAQ indemnisait déjà la travailleuse pour cette période. Il est également question de l’existence de décisions conjointes antérieures de la part des deux organismes de même qu’un dossier pendant devant le Tribunal administratif du Québec, pouvant éventuellement provoquer à nouveau un chevauchement de périodes d’indemnités. Ceci, dans un contexte où les deux décisions de la CSST, que l’on voulait retourner afin que des décisions conjointes soient rendues, concernaient les conclusions d’un membre du Bureau d'évaluation médicale et la capacité de la travailleuse d’exercer un emploi. Le contexte factuel laissait donc place à interprétation quant à la nécessité de décisions conjointes, selon la Commission des lésions professionnelles.
[56] Dans la présente cause, le contexte est fort différent et ne laisse place à aucune interprétation. Au moment de soumettre sa réclamation pour récidive, rechute ou aggravation du 18 février 2014, le travailleur ne reçoit plus d’indemnités de la SAAQ depuis janvier 2007. En ce qui a trait à la lésion professionnelle du 25 novembre 2013, le travailleur a la capacité d’exercer son emploi depuis le 27 janvier 2014. Aucun de ces dossiers n’est contesté, permettant éventuellement une reprise du versement d’une indemnité de remplacement du revenu. Par conséquent, au moment de soumettre sa réclamation pour récidive, rechute ou aggravation, le travailleur ne reçoit aucune indemnité de remplacement du revenu de l’un ou l’autre des organismes.
[57] Or, tel qu’il appert des motifs exposés aux paragraphes 11 à 20 de sa décision, la Commission des lésions professionnelles s’attarde particulièrement au risque de la double indemnisation et de la décision contradictoire, pour justifier qu’une décision soit rendue conjointement par la CSST et la SAAQ, selon les articles 448 et suivants de la loi.
[58] Ces considérations sont compréhensibles puisqu’elles rejoignent l’objectif visé à l’article 448. Par contre, la situation factuelle pouvant conduire la CSST et la SAAQ à rendre une décision conjointe ne laisse place à aucune interprétation et demeure celle où la personne reçoit déjà une indemnité de remplacement du revenu d’un organisme, alors qu’elle en réclame une à l’autre organisme, en raison d’un nouvel événement.
[59] Dans la cause sous étude, à la suite de la lésion professionnelle du 25 novembre 2013, la CSST a cessé de verser une indemnité au travailleur, ayant déterminé qu’il avait la capacité d’exercer son emploi à compter du 27 janvier 2014.
[60] Pour sa part, la SAAQ ne versait plus d’indemnité au travailleur depuis janvier 2007, en regard de l’accident de moto du 10 mai 2001.
[61] Ainsi, au moment de soumettre sa réclamation pour récidive, rechute ou aggravation du 18 février 2014, le travailleur ne reçoit aucune indemnité de remplacement du revenu de la CSST, non plus de la SAAQ. De plus, que la récidive, rechute ou aggravation soit alléguée en lien avec l’événement du 25 novembre 2013 (lésion professionnelle) ou l’événement du 10 mai 2001 (accident de moto), il n’y a jamais eu de décision conjointe des deux organismes pour ces événements. Il ne peut donc s’agir d’une situation visée dans l’article 4.3 de l’entente intervenue entre les deux organismes, selon l’article 449 de la loi.
[62] Ainsi, le tribunal est d’avis que la Commission des lésions professionnelles commet une erreur de droit manifeste lorsque, dans sa décision du 10 avril 2015, elle conclut que la décision de la CSST du 9 mai 2014 a été rendue contrairement aux dispositions de la loi et à l’objectif visé par les articles 448. Et cette erreur est déterminante dans les circonstances, puisqu’elle conduit à déclarer irrégulière et annuler la décision de la CSST du 9 mai 2014 de même que celle rendue le 26 juin 2014, à la suite de la révision administrative et à retourner le dossier à la Commission des lésions professionnelles afin qu’une décision soit rendue conjointement avec la SAAQ.
[63] Sur ce dernier aspect, le tribunal ne peut ignorer non plus que le retour du dossier à la CSST a également provoqué une impasse décisionnelle, puisque la SAAQ refuse de rendre une décision conjointement avec la CSST. Cette impasse fait en sorte que le travailleur ne peut trouver réponse quant au mérite de sa réclamation pour récidive, rechute ou aggravation, soumise à la CSST.
[64] En terminant, il s’avère pertinent de référer à la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue dans l’affaire Bérubé et Régie des installations olympiques[11], traitant d’une requête en révocation dans un contexte semblable à celui de la présente cause.
[65] Ayant rappelé les dispositions des articles 448 et suivants de la loi et celles de l’entente intervenue entre la CSST et la SAAQ, la Commission des lésions professionnelles, au stade du recours en révocation, indique :
[49] Il ressort de ces dispositions législatives que ce ne sont pas des réclamations antérieures pour accident du travail ou accident de la route, ou encore des réclamations ou des recours parallèles pour des récidives, rechutes ou aggravations devant l’un et l’autre de ces organismes qui font naître l’obligation de rendre des décisions conjointes. C’est plutôt le versement de l’indemnité de remplacement du revenu par l’un des organismes et la réclamation déposée devant l’autre qui rendent obligatoires une telle démarche de la CSST et de la S.A.A.Q12
[50] Or, dans ce dossier, la S.A.A.Q. met fin au versement de l’indemnité de remplacement du revenu en août 2000 à la suite de l’accident de la route de 1997. Il n’y a donc aucune indemnité versée lors de la réclamation pour accident du travail du 14 août 2003 et, donc, aucune obligation de rendre une décision conjointe à cette époque.
[51] La CSST met fin au versement de l’indemnité de remplacement du revenu, à la suite de cet accident, le 1er juin 2004. La CSST ne verse donc aucune telle indemnité lorsque le travailleur fait une réclamation pour une rechute de son accident de la route en juillet 2005 et, en conséquence, les décisions conjointes ne sont pas requises.
[52] La S.A.A.Q., initialement et en révision, rejette la réclamation du travailleur et ne verse donc aucune indemnité lorsque, le 7 février 2006, ce dernier allègue être victime d’une récidive, rechute ou aggravation de son accident du travail. De plus, aucune indemnité n’est reconnue lorsque, le 1er mai 2006, la CSST refuse la récidive, rechute ou aggravation alléguée ou lorsque, le 29 juin 2006, la révision administrative maintient cette décision.
[53] Il n’existe donc aucune obligation légale de rendre une décision conjointe les 1er mai ou 29 juin 2006 et, dès lors, l’interprétation retenue par la Commission des lésions professionnelles le 29 mars 2007 constitue une erreur de droit manifeste et déterminante puisqu’elle conduit à l’émission d’une ordonnance qui ne trouve aucun appui dans la législation pertinente.
[54] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que la décision rendue par le tribunal le 29 mars 2007 est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider et, en conséquence, elle la révoque.
[55] Les parties devront donc être convoquées de nouveau, à une date à être déterminée par la Commission des lésions professionnelles de concert avec celles-ci, afin de présenter leur preuve et leur argumentation concernant le litige initié par le travailleur, à savoir la survenue d’une récidive, rechute ou aggravation, le 7 février 2006, de la lésion professionnelle initiale subie le 14 août 2003.
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12 Voir à ce sujet : Lalonde et Société de l’assurance automobile du Québec, C.L.P. 261271-64-0504, le 26 avril 2006, J.-F. Martel; Lapensée et Canadian Tire Châteauguay, C.L.P. 276597-62C-0511, le 14 juillet 2006, N. Tremblay.
[nos soulignements]
[66] Dans les circonstances, il y a lieu de révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 10 avril 2015 et de convoquer à nouveau les parties afin qu’elles puissent faire valoir leurs moyens sur la question de fond, découlant de la contestation du travailleur de la décision de la CSST du 26 juin 2014.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révocation déposée le 21 mai 2015 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RÉVOQUE la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 10 avril 2015;
ET
CONVOQUERA à nouveau les parties afin que soit débattue la question de fond, soit l’existence ou non d’une lésion professionnelle indemnisable en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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SOPHIE SÉNÉCHAL |
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Me Marie-Claude Delisle |
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PAQUET THIBODEAU BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] [1998] C.L.P. 733; voir aussi Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.
[3] [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[4] Voir également Bourassa c. C.L.P., [2003] C.L.P. 601 (C.A.), requête pour permission de pourvoi à la Cour suprême rejetée.
[5] Voir également CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A.).
[6] 2014 QCCA 1067.
[7] Lalonde et Société de l’assurance automobile du Québec, C.L.P. 261271-64-0504, 26 avril 2006, J.-F. Martel; Bérubé et Régie des installations olympiques et CSST, C.L.P. 293809-71-0607, 5 février 2008, C. Racine.
[8] RLRQ, c. A-25.
[9] Brodeur et Fines herbes de chez nous inc., 2014 QCCLP 5394.
[10] 2014 QCCLP 4352.
[11] Précitée, note 7.
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