Poulin et Centre dentaire Barbeau et Sofio (fermé) |
2014 QCCLP 3001 |
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[1] Le 11 avril 2013, madame Hélène Poulin (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 22 février 2013 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 12 décembre 2012 et déclare que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 22 mars 2012.
[3] L’audience s’est tenue le 16 avril 2014, à Saint-Jean-sur-Richelieu, en présence de la travailleuse et de sa représentante. Aucun des employeurs mentionnés au dossier n’est présent à l’audience. La cause est mise en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a subi une lésion professionnelle le 22 mars 2012.
LES FAITS
[5] La travailleuse est hygiéniste dentaire depuis 1990. Elle est droitière et mesure 5 pieds.
[6] Elle travaille entre 28 et 32 heures par semaine, réparties sur quatre jours. Elle passe environ une heure avec chaque client. Un nettoyage dure entre 30 et 40 minutes. Durant tout ce temps, elle a le coude élevé. Étant de petite taille, elle doit davantage lever les bras qu’une personne plus grande.
[7] De 2000 à 2006, elle demeure à la maison avec ses trois enfants.
[8] En 2005, elle subit une acromioplastie de l’épaule droite puisque son acromion accrochait. Elle n’a gardé aucune séquelle de cette opération.
[9] À compter de la fin de l’année 2011, la travailleuse commence à ressentir une douleur à l’épaule droite. Celle-ci est apparue graduellement. Elle croit à ce moment que la douleur va se résorber durant la période des fêtes.
[10] Au mois de juillet 2012, au moment de son examen annuel, la travailleuse discute avec le docteur Dumouchel de sa douleur à l’épaule droite.
[11] Le 7 août 2012, la travailleuse passe une radiographie de l’épaule droite. Le docteur Laflamme, radiologue, n’observe pas de lésion ostéo-articulaire ni de calcifications péri-articulaires.
[12] Le 5 septembre 2012, la travailleuse passe une échographie de l’épaule droite. Le docteur Desmarais, radiologue, y observe une tendinopathie du sus-épineux distal avec une ancienne calcification tendineuse déjà évacuée dans le passé ainsi qu’une légère tendinopathie du sous-scapulaire distal. Il effectue une infiltration de la bourse sous-acromiale. Il indique qu’étant donné l’absence de calcification de taille suffisante, il n’y a pas lieu de procéder à un lavage calcique.
[13] Le 11 octobre 2012, la travailleuse consulte le docteur Dumouchel. Ce dernier rédige une attestation médicale pour la CSST. Il retient le diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.
[14] Le 18 octobre 2012, la travailleuse dépose une réclamation à la CSST pour faire reconnaître la relation entre sa douleur à l’épaule droite et son travail.
[15] Le 23 octobre 2012, le docteur Raymond, chirurgien orthopédiste, examine la travailleuse à la demande du docteur Dumouchel. Il indique dans son rapport que lors de l’examen et du questionnaire, il met en évidence une tendinite assez classique. Il ajoute que, malheureusement, ceci est fortement en lien avec son travail et l’ergonomie associée.
[16] Le 6 novembre 2012, la travailleuse consulte le docteur Dumouchel. Ce dernier retient le diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.
[17] Le 11 décembre 2012, le médecin-conseil de la CSST indique dans une note d’intervention qu’il considère que la tendinite de l’épaule droite de la travailleuse n’est pas en relation avec son travail en raison de ses antécédents à l’épaule droite, la présence de calcification et l’absence de mécanisme de production d’une tendinite au travail.
[18] Le 12 décembre 2012, la CSST refuse la réclamation de la travailleuse. Cette dernière demande la révision de cette décision.
[19] Le 8 février 2013, la représentante de la travailleuse fait parvenir une argumentation écrite au Service de révision de la CSST. Elle accompagne son argumentation de cinq décisions de la Commission des lésions professionnelles[1] concernant d’autres hygiénistes dentaires ayant aussi développé des lésions aux épaules.
[20] Le 22 février 2013, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme sa décision du 12 décembre 2012. Dans sa décision, le réviseur indique que le Centre dentaire Carrefour Richelieu, un des employeurs, soumet qu’un rendez-vous avec l’hygiéniste dure environ une heure et que cette dernière passe environ 50 minutes de ce temps à prodiguer des soins aux patients sur la chaise. Le reste du temps, elle effectue d’autres tâches, soit prendre des radiographies ou noter des informations dans les dossiers des patients. La travailleuse conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles.
[21] Le 22 mai 2013, monsieur Guillaume Brochu, ergothérapeute, effectue une évaluation du travail d’hygiéniste dentaire, tel que la travailleuse l’exécute. Dans son rapport daté du 12 juin 2013, monsieur Brochu indique que la travailleuse ne bénéficie d’aucun appui de ses membres supérieurs, peu importe son orientation par rapport au patient. De plus, la manipulation de l’outillage demande un positionnement de l’épaule droite en abduction.
[22] Monsieur Brochu conclut que la travailleuse présente des difficultés fonctionnelles significatives à la réalisation des tâches inhérentes à son métier d’hygiéniste dentaire en raison d’une tolérance affaiblie au maintien de l’épaule droite en flexion ou en abduction prononcée. Ces difficultés s’exacerbent en raison de facteurs environnementaux, tels que la dimension excessive du dossier de la chaise de travail, l’absence de support aux membres supérieurs sur la chaise à roulettes de la travailleuse, la morphologie des patients et la dimension de l’outillage spécifique.
[23] Le 27 novembre 2013, le docteur Lavigne, chirurgien orthopédiste, examine la travailleuse à la demande de la représentante de la travailleuse. Il est d’avis que cette dernière est porteuse d’une tendinopathie chronique de l’épaule droite qui persiste malgré l’acromioplastie. Cette tendinopathie est asymptomatique, mais devient symptomatique dans le cadre de son travail.
[24] Le docteur Lavigne est d’avis que le mécanisme lésionnel n’est pas traumatique en soi, mais est secondaire à l’adoption d’une posture contraignante pour la coiffe des rotateurs à droite lorsque la travailleuse prodigue des soins aux patients. Cette position contraignante, sollicitant la coiffe des rotateurs, est accentuée par un fauteuil non ergonomique faisant en sorte que l’amplitude de flexion et d’abduction nécessaire pour prodiguer les soins se trouve accrue. Le maintien de cette position contraignante est d’autre part soutenu puisque la travailleuse ne peut pas appuyer ses membres supérieurs sur des accoudoirs ou sur le patient lorsqu’elle prodigue les soins.
[25] Le docteur Lavigne ajoute que la durée des soins se prolonge sur environ 45 à 60 minutes, forçant la travailleuse à adopter la position sollicitant la coiffe des rotateurs pour une durée correspondant à au moins 50 % de la durée des soins aux patients.
[26] Le docteur Lavigne conclut que la combinaison de l’adoption d’une position contraignante pour la coiffe des rotateurs favorisée par une méthode de travail non ergonomique et d’une durée d’au moins 30 minutes par patient chez une travailleuse présentant une épaule déjà fragilisée lui apparaît ici conforme pour générer une tendinopathie de la coiffe des rotateurs secondaire au travail.
[27] En appui à sa réclamation, la travailleuse dépose finalement le Guide de prévention des troubles musculo-squelettiques[2] (TMS) en clinique dentaire de l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales.
L’AVIS DES MEMBRES
[28] La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous les deux d’avis que la requête de la travailleuse doit être accueillie.
[29] Ils retiennent de la preuve que la travailleuse a en sa faveur l’opinion des docteurs Raymond et Lavigne, un rapport d’évaluation du poste de travail, l’étude de l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales ainsi que cinq décisions de la Commission des lésions professionnelles acceptant la réclamation d’autres hygiénistes dentaires ayant développé un problème similaire au sien.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[30] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 22 mars 2012.
[31] La lésion professionnelle est définie à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi) :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
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Dans le présent dossier, la travailleuse ne prétend pas avoir été
victime d’un accident du travail ni d’une récidive, rechute ou aggravation
d’une lésion initiale. La Commission des lésions professionnelles doit donc
déterminer si la travailleuse est atteinte d’une maladie professionnelle.
[33] La maladie professionnelle est définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[34] La Commission des lésions professionnelles réfère finalement à l’article 30 de la loi qui se lit comme suit :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[35] La Commission des lésions professionnelles retient de la preuve que la travailleuse exerce le métier d’hygiéniste dentaire depuis plus de 20 ans, mis à part une interruption de 2000 à 2006 pour s’occuper de ses enfants à la maison. En 2005, elle subit une acromioplastie de l’épaule droite, mais ne fait pas de réclamation à la CSST à ce moment. Elle n’a gardé aucune séquelle de cette opération.
[36] Vers la fin de l’année 2011, la travailleuse commence à ressentir une douleur à l’épaule droite. Elle est droitière et de petite taille. À compter de l’été 2012, elle est suivie par son médecin pour sa douleur à l’épaule droite. Le 11 octobre 2012, le docteur Dumouchel rédige un rapport médical pour la CSST. La travailleuse dépose une réclamation à la CSST pour faire reconnaître la relation entre son problème à l’épaule droite et son travail.
[37] Le 11 décembre 2012, le médecin-conseil de la CSST indique qu’il considère que la tendinite de l’épaule droite de la travailleuse n’est pas en relation avec son travail en raison de ses antécédents à l’épaule droite, de la présence de calcification et l’absence de mécanisme de production d’une tendinite au travail. Il ne fait référence à aucune étude et ne prend pas le temps d’expliquer en quoi le travail n’entraîne pas de positions à risques. En fait, il ne donne aucune explication justifiant sa prise de position. Le 12 décembre 2012, la CSST refuse la réclamation de la travailleuse. Cette dernière demande la révision de cette décision.
[38] De son côté, la travailleuse, par l’intermédiaire de son avocate, dépose une évaluation du travail d’hygiéniste dentaire, tel qu’elle l’exécute. L’ergothérapeute indique que cette dernière ne bénéficie d’aucun appui de ses membres supérieurs, peu importe son orientation par rapport au patient. De plus, la manipulation de l’outillage demande un positionnement de l’épaule droite en abduction. Il conclut que la travailleuse présente des difficultés fonctionnelles significatives à la réalisation des tâches inhérentes à son métier en raison d’une tolérance affaiblie au maintien de l’épaule droite en flexion ou en abduction prononcée. Ces difficultés s’exacerbent en raison de la dimension excessive du dossier de la chaise de travail, de l’absence de support aux membres supérieurs sur la chaise à roulettes de la travailleuse, de la morphologie des patients et de la dimension de l’outillage spécifique.
[39] La travailleuse dépose aussi une expertise médicale du docteur Lavigne. Celui-ci est d’avis que le mécanisme lésionnel n’est pas traumatique en soi, mais est secondaire à l’adoption d’une posture contraignante pour la coiffe des rotateurs à droite alors que la travailleuse prodigue des soins aux patients. Il ajoute que la durée des soins se prolonge sur environ 45 à 60 minutes, forçant la travailleuse à adopter la position sollicitant la coiffe des rotateurs pour une durée correspondant à au moins 50 % de la durée des soins aux patients.
[40] Le docteur Lavigne conclut que la combinaison de l’adoption d’une position contraignante pour la coiffe des rotateurs favorisée par une méthode de travail non ergonomique et d’une durée d’au moins 30 minutes par patient chez une travailleuse présentant une épaule déjà fragilisée lui apparaît ici conforme pour générer une tendinopathie de la coiffe des rotateurs secondaire au travail.
[41] La Commission des lésions professionnelles considère que le docteur Lavigne est parfaitement clair quant à la relation entre les problèmes de la travailleuse et son travail.
[42] La travailleuse dépose également le Guide de prévention des troubles musculo-squelettiques[4] (TMS) en clinique dentaire de l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales afin d’expliquer les problèmes de santé reliés aux métiers exercés dans les cliniques dentaires.
[43] Finalement, la travailleuse dépose cinq décisions de la Commission des lésions professionnelles concernant d’autres hygiénistes dentaires ayant aussi développé des lésions aux épaules pour des cas similaires au sien. Le tribunal ne croit pas utile d’en ajouter davantage.
[44] La Commission des lésions professionnelles retrouve aussi au dossier l’opinion du docteur Raymond voulant qu’à la suite de son examen et de son questionnaire, il mette en évidence une tendinite assez classique. Il ajoute que, malheureusement, ceci est fortement en lien avec son travail et l’ergonomie associée.
[45] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la travailleuse a fait une preuve prépondérante démontrant que la tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite dont elle souffre est directement reliée aux risques particuliers de son travail et qu’elle a donc subi une lésion professionnelle le 22 mars 2012.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée le 11 avril 2013 par madame Hélène Poulin, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 22 février 2013 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 22 mars 2012.
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Fernand Daigneault |
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Me Lucrezia Plutino |
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LP AVOCATE |
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Représentante de la partie requérante |
[1] Kerbrat et Dr Robert Pilon; C.L.P. 346340-64-0804, 9 septembre 2008, R. Daniel. Simard et Alina Petculescu Dentiste, C.L.P. 350601-31-0806, 12 novembre 2008, G. Tardif. Plante et Centre dentaire Côté-Beauregard & associés, C.L.P. 365409-31-0812; 14 septembre 2009, P. Simard. Lemay et Centre dentaire Anne Cloutier, C.L.P. 382250-08-0907, 15 février 2010, P. Champagne. Fortin et Leboeuf, 2013 QCCLP 385.
[2] 2e éd., Montréal, ASSTAS, 2007.
[3] RLRQ, c. A-3.001.
[4] Précité, note 2.
AVIS :
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