Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Carrier et 127992 Canada inc.

2012 QCCLP 2061

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

20 mars 2012

 

Région :

Québec

 

Dossier :

453069-31-1110      459578-31-1201

 

Dossier CSST :

006676498

 

Commissaire :

Marie-Andrée Jobidon, juge administratif

 

Membres :

Michel Paré, associations d’employeurs

 

Pierrette Giroux, associations syndicales

 

 

 

______________________________________________________________________

 

453069-31-1110

459578-31-1201

Jean-Claude Carrier

Jean-Claude Carrier

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Commission de la santé et

de la sécurité du travail

127992 Canada inc. (F)

Raymond, Chabot & ass. Syndic

Partie intervenante

Parties intéressées

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 453069

[1]           Le 24 octobre 2011, le travailleur dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 13 octobre 2011, à la suite d'une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 23 juin 2011 et refuse la rechute, récidive ou aggravation subie le 3 novembre 2010 puisque sans lien avec l’événement du 31 octobre 2010 et refuse par ailleurs, pour les mêmes raisons, les frais de transport en ambulance encourus le 6 janvier 2011.

Dossier 459578

[3]           Le 16 janvier 2012, le travailleur dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST, le 12 janvier 2012, à la suite d'une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 15 novembre 2011 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement du coût additionnel d’assurance et d’entretien du véhicule Chevrolet Astro 2003 puisqu’il ne s’agit pas du véhicule principale du travailleur.

[5]           Lors de l’audience tenue à Québec, le 14 février 2012, le travailleur et sa procureure étaient présents de même que la procureure de la CSST.

[6]           Les dossiers ont été mis en délibéré à cette date.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[7]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il a subi une lésion professionnelle, le 3 novembre 2010 et qu’en conséquence, il devrait avoir droit à de l’aide personnelle supplémentaire pour accomplir des tâches administratives que ses troubles cognitifs l’empêchent de réaliser.

[8]           Le travailleur demande également le remboursement des frais d’ambulance encourus le 6 janvier 2011, lesquels sont en relation avec sa chute du 3 novembre 2010.

[9]           Finalement, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’avoir droit au remboursement des frais d’assurance et d’entretien de son ancien véhicule adapté (Astro 2003) qu’il désire utiliser l’hiver pour ménager son véhicule principal (Sprinter 2009).

LES FAITS

[10]        Le travailleur est âgé de 56 ans et travaillait comme menuisier.

[11]        Le 29 octobre 1987, il subit un premier fait accidentel lorsqu’il fait une chute d’une hauteur de huit pieds dans une maison en construction. Il s’inflige alors une fracture ouverte de la grosse tubérosité de l’humérus gauche, pour laquelle il est opéré le 30 octobre 1987.

[12]        La lésion est consolidée avec une atteinte permanente de 3 % mais sans limitation fonctionnelle.

[13]        Le 28 novembre 2001, le travailleur subit une rechute, récidive ou aggravation de cette lésion à l’épaule gauche. La CSST reconnaît la relation entre une nouvelle chirurgie et la lésion professionnelle de 1987, tel qu’il ressort d’une décision rendue le 9 janvier 2002.

[14]        Le 15 mars 2002, une atteinte permanente supplémentaire de 2,50 % est reconnue avec des limitations fonctionnelles.

[15]        Entretemps, soit le 30 octobre 1990, le travailleur se blesse en déplaçant une poutre. Il s’inflige alors des hernies discales aux niveaux L4-L5 et L5-S1 nécessitant une discoïdectomie, le 8 juillet 1991.

[16]        Le 13 juillet 1992, le docteur Patrice Montminy, orthopédiste, complète le rapport d'évaluation médicale. Il évalue l’atteinte permanente à 16 % plus un pourcentage de 3,20 % pour les douleurs et perte de jouissance de la vie (DPJV).

[17]        Le docteur Montminy émet en outre des limitations fonctionnelles sévères interdisant notamment le transport de charge puisque le travailleur circule avec une canne même sur de courtes distances.

[18]        Un diagnostic de trouble d’adaptation avec état anxio-dépressif est par ailleurs reconnu par la CSST en relation avec cette lésion professionnelle et les douleurs chroniques qu’elle entraîne. La lésion est consolidée le 1er septembre 1993 avec une atteinte permanente évaluée à 69,25 % pour névrose grave avec trouble de l’adaptation avec humeur dépressive (Code 222565), tel qu’il ressort du rapport d'évaluation médicale complété par le docteur Couture, le 16 septembre 1993.

[19]        Dans son rapport, le docteur Couture note d’abord que le travailleur se déplace maintenant en chaise roulante. Il souligne que celui-ci présente un trouble d’adaptation sévère impliquant un état dépressif, de l’anxiété, de la fatigue, un trouble de libido, un problème de concentration et de mémoire, un problème d’insomnie et un trouble d’impatience et d’agressivité.

[20]        Dans le cadre du programme de réadaptation, la CSST reconnaît que le travailleur ne pourra pas retourner sur le marché du travail. Celui-ci bénéficie en outre de l’adaptation de son domicile[1] ainsi que de son véhicule[2]. La CSST défraie également les frais d’acquisition d’un triporteur et de tous les autres soins et traitements reliés à ses lésions professionnelles.

[21]        Le 15 décembre 2010, le travailleur produit une réclamation pour une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle subie le 29 octobre 1987 dans laquelle il allègue avoir alors subi un traumatisme crânien en plus de sa fracture à l’épaule gauche, ce qui n’aurait pas été diagnostiqué avant le 10 juin 2010.

[22]        Cette réclamation est basée sur un rapport médical complété le 10 juin 2010 par le docteur Bélanger et fait état d’un diagnostic de trauma crâno-cérébral (TCC) avec atteinte neuropsychologique. Ces atteintes cognitives ont été évaluées par madame Geneviève Langlois, neuropsychologue dans un rapport daté du 8 novembre 2010 et transmis à la CSST.

[23]        Cette réclamation est refusée par la Commission des lésions professionnelles, tel qu’il appert d’une décision rendue par la soussignée, simultanément aux présents dossiers[3].

[24]        Aux fins du présent litige, il importe de citer un passage de la discussion de madame Langlois, neuropsychologue, qui avait évalué le travailleur en date du 30 septembre 2010, soit avant la chute du 3 novembre 2010 :

Enfin, je crois surtout qu’une bonne partie du profil neuropsychologique s’explique par la combinaison d’une grande détresse psychologique présente depuis de nombreuses années surajoutée à un stress chronique et à la présence de douleurs importantes. La littérature scientifique démontre que la combinaison de ses trois éléments est associée à la présence de troubles cognitifs qui varient en intensité suivant l’intensité de la détresse, du stress et de la douleur. Les difficultés cognitives notées alors touchent principalement le fonctionnement intellectuel, l’attention/concentration/vitesse, la mémoire, la pensée abstraite, la résolution de problème et l’efficience cognitive; ce qui s’avère hautement compatible avec le profil de monsieur Carrier, à moins d’indications autres ou d’informations nouvelles provenant d’une imagerie cérébrale.

 

[Nos soulignements]

 

 

[25]        Le 11 janvier 2011, le travailleur produit une réclamation pour une rechute, récidive ou aggravation de ses lésions professionnelles et décrit un événement survenu à son domicile, le 3 novembre 2010. Cette réclamation est accompagnée d’un rapport médical daté du 4 novembre 2010 faisant état d’un diagnostic de TCC.

[26]        Le tribunal retient de la description faite par le travailleur à l’audience, (Pièce T-1) qu’en voulant monter dans son véhicule adapté (Astro 2003) en utilisant la plateforme hydraulique, celle-ci aurait cédé en raison de la rouille dit-il et il a fait une chute sur l’asphalte.

[27]        Le travailleur précise qu’il s’est retrouvé au sol avec le triporteur par-dessus lui. Le tribunal constate que la hauteur de la plateforme correspond à la hauteur des roues du véhicule, soit environ 30 pouces du sol.

[28]        Dans les notes évolutives, le travailleur décrit à l’agent d’indemnisation les circonstances de sa chute en spécifiant qu’il est tombé d’une hauteur de sept pieds et qu’il est tombé sur la tête.

[29]        Dans sa note de consultation du 4 novembre 2010, le docteur Côté rapporte principalement les antécédents du travailleur. Son examen (difficile à déchiffrer) est sommaire[4]. Il demande une tomodensitométrie cérébrale. Son rapport est transmis au médecin traitant du travailleur, le docteur Lemoyne.

[30]        Le 17 novembre 2010, la tomodensitométrie cérébrale est effectuée et le résultat est normal.

[31]        Le 11 janvier 2011, le travailleur se rend à l’hôpital en ambulance. Ces frais font d’ailleurs l’objet de l’un des litiges soumis au tribunal. Dans les notes de triage, il appert que le travailleur consulte pour mal de tête, histoire de sang dans les selles, étourdissements et faiblesse.

[32]        Le médecin rencontré à l’urgence parle de céphalées avec composante anxieuse importante et symptômes post TCC surajouté. Il transmet son rapport au médecin traitant, le docteur Lemoyne pour assurer le suivi.

[33]        Dans le cadre de ce suivi, le travailleur rencontre le docteur Rémi Bouchard, neurologue, le 21 janvier 2011. Au chapitre de l’historique, le docteur Bouchard parle de la chute du 3 novembre 2010 que le travailleur lui rapporte et indique que le travailleur aurait alors perdu conscience, mais possiblement durant quelques minutes.

[34]        Le docteur Bouchard rapporte également que le travailleur présente des troubles de mémoire depuis sa chute d’une résidence en construction en 1987. Il conclut à la possibilité de légers troubles de mémoire post-traumatiques.

[35]        Le 22 février 2011, un rapport médical fait état de douleurs post TCC.

[36]        Le 21 décembre 2011, le docteur Charles Lajeunesse, psychiatre, effectue une expertise à la demande du procureur du travailleur. Dans son historique, le docteur Lajeunesse traite tant de la chute qui serait survenue sur la tête en 1987 que de la chute d’une hauteur de sept pieds survenue le 3 novembre 2010. Il indique que le travailleur présente des céphalées depuis 1987 avec modifications caractérielles (irritabilité, agressivité, insomnies).

[37]        Le docteur Lajeunesse évoque les troubles cognitifs du travailleur comme suit :

On évalue les troubles cognitifs. Monsieur est bien orienté dans les trois sphères, il garde une attention et une bonne vigilance. Néanmoins, nous notons des troubles de mémoire qui seront confirmés au test de Folstein que nous lui faisons passer, monsieur ayant des bonnes réponses à toutes les questions, même si on note une diminution de la rapidité d’exécution des soustractions, qui reste néanmoins bonne. Monsieur n’a aucune capacité à conserver l’empan; il ne se rappelle pas de trois mots à une minute.

 

 

[38]        Pour le docteur Lajeunesse, ceci témoigne d’une aggravation de ses difficultés amnésiques, entraînant chez le travailleur une insécurité et la nécessité d’une assistance plus importante qu’il avait antérieurement, notamment pour son organisation administrative.

[39]        Le docteur Lajeunesse estime qu’il y a une relation entre la chute subie le 3 novembre 2010 et la lésion professionnelle du 31 octobre 1990. il évalue l’atteinte permanente à 45 % (pour une névrose grave, Code 222565 du barème).

[40]        Lors de l’audience, le travailleur a décrit les circonstances de sa chute survenue le 3 novembre 2010. Il précise qu’il était seul dans son entrée de garage lorsque ceci est arrivé, si ce n’est la présence de travailleurs occupés à terminer l’adaptation de son garage pour son nouveau véhicule. Lorsqu’il s’est retrouvé au sol avec son triporteur par-dessus-lui, il a cru qu’il était paralysé. Il soumet avoir perdu connaissance. Il a crié pour avoir de l’aide. Les travailleurs présents dans le garage l’ont aidé à se relever et il est entré chez lui « pour dormir et vomir ».

[41]        Le travailleur déclare que ses deux fils sont venus le voir dans la soirée et il a refusé leur proposition d’aller à l’hôpital, croyant que ce n’était pas grave. Il craignait également de devoir attendre de longues heures à l’urgence.

[42]        Le lendemain 4 novembre 2010, il s’est rendu à l’hôpital où un diagnostic de trauma crânien a été posé.

[43]        Le travailleur déclare que depuis cet événement, il a vu sa condition se détériorer avec augmentation de son agressivité, besoin de sommeil, diminution de sa mémoire et tremblements.

[44]        Le 6 janvier 2011, alors qu’il était seul chez lui, il a dû appeler l’ambulance pour se rendre à l’hôpital car il avait peur, il avait la sensation d’étouffer (première fois que ça lui arrivait) et avait de gros tremblements.

[45]        Le travailleur déclare qu’à la suite de sa chute du 3 novembre 2010 causée, selon lui, par la rouille de la tige supportant la plateforme hydraulique, la CSST a défrayé les coûts de réparation de ce mécanisme. Cette information n’est toutefois pas corroborée aux notes évolutives.

[46]        Interrogé par sa procureure sur l’objet de sa réclamation, le travailleur déclare qu’il désire obtenir davantage d’aide personnelle, notamment pour du travail administratif qu’il n’est plus en mesure d’effectuer.

[47]        En ce qui concerne sa réclamation relative au frais d’entretien de son véhicule Astro 2003 depuis qu’il possède un nouveau véhicule Dodge Sprinter 2009 adapté aux frais de la CSST, le travailleur déclare qu’il désirait utiliser son ancien véhicule durant l’hiver, afin de ménager son nouveau véhicule. Par conséquent, il désire que la CSST assume également les frais d’entretien pour son premier véhicule, en plus de son nouveau qu’il utilise depuis mars 2011.

L’AVIS DES MEMBRES

[48]        Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis que l’événement survenu le 3 novembre 2010 peut être qualifié de lésion professionnelle en vertu de l’article 31 de la loi.

[49]        Toutefois, le travailleur n’a pas démontré que cet événement a entraîné une détérioration de sa condition psychologique, notamment en ce qui a trait à ses troubles cognitifs par rapport à sa condition évaluée le 15 septembre 1993 par le docteur Couture. Par conséquent, sa réclamation devrait être refusée.

[50]        En ce qui concerne les frais d’ambulance réclamés pour le 6 janvier 2011, les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis que la raison de la consultation fait ressortir des symptômes qui ne peuvent être mis en relation avec la lésion professionnelle subie le 30 octobre 1990 ni avec la chute du 3 novembre 2010, laquelle n’est pas reconnue à titre de lésion professionnelle. La CSST était donc justifiée de refuser d’assumer ces frais.

[51]        Finalement, en ce qui concerne la demande du travailleur pour les frais d’entretien d’un deuxième véhicule alors qu’il utilise un nouveau véhicule adapté aux frais de la CSST depuis le mois de mars 2011, les membres jugent que la CSST était justifiée d’en refuser le remboursement puisque la loi prévoit que la CSST rembourse l’adaptation du véhicule principal du travailleur, ce qui exclut les frais afférents à un deuxième véhicule.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[52]        La Commission des lésions professionnelles doit d’abord décider si l’événement du 3 novembre 2010 constitue une lésion professionnelle.

[53]        Étant donné les circonstances particulières de la présente réclamation, la soussignée se propose d’analyser le tout en fonction de l’article 31 de la loi qui se lit comme suit :

31.  Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :

 

1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

 

2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.

 

Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).

__________

1985, c. 6, a. 31.

 

 

[54]        La preuve révèle que le travailleur a subi une chute lorsque la tige de la plateforme hydraulique de son véhicule adapté a cédé.

[55]        De l’avis de la soussignée, ceci peut être assimilé à une activité prescrite dans le cadre du plan individualisé de réadaptation. En effet, l’utilisation du véhicule adapté est une mesure de réadaptation que la CSST a défrayée dans le cadre d’un plan individualisé de réadaptation, lequel comprend, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle, tel que défini à l’article 146 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[5] (la loi).

[56]        Le tribunal se réfère notamment à une décision rendue par la juge administratif Vallières dans l’affaire Desrosiers et Tratex Textile inc.[6] qui propose une grille d’analyse analogue à ce que la soussignée retient.

[57]        Ceci étant, il y a lieu de se demander, dans un deuxième temps, si une maladie ou une blessure découle de cette activité prescrite dans un plan individualisé de réadapation, selon les termes de l’article 31 de la loi.

[58]        À cet égard, le tribunal retient le rapport médical daté du 4 novembre 2010 qui fait état d’un diagnostic de TCC. Ce rapport n’a nullement été contesté par la CSST et lie donc les parties.

[59]        Toutefois, la Commission des lésions professionnelles considère qu’il y a une distinction à faire entre ce diagnostic et les troubles cognitifs dont le travailleur se plaint et qui justifient sa réclamation d’obtenir une aide personnelle à domicile supplémentaire pour ses besoins administratifs et/ou pour se voir reconnaître une atteinte permanente supplémentaire selon l’expertise réalisée par le docteur Lajeunesse[7].

[60]        Le tribunal considère que la preuve ne permet pas d’établir de relation entre la chute survenue le 3 novembre 2010 et les troubles cognitifs dont se plaint le travailleur, lesquels sont, par ailleurs, bien documentés.

[61]        En effet, le tribunal considère que la preuve qui lui est soumise indique que le fait accidentel revêt une importance moindre que celle que lui attribue le travailleur. Ainsi, par exemple, les photos déposées en preuve révèlent que la hauteur de la plateforme hydraulique qui aurait cédé sous la rouille se situe à la hauteur des roues du véhicule, ce que le tribunal estime à environ 30 pouces du sol. La version du travailleur selon laquelle il aurait fait une chute d’une hauteur de sept pieds s’explique mal dans un tel contexte.

[62]        Par ailleurs, le tribunal n’est pas convaincu de l’importance du trauma crânien que le travailleur a subi du fait qu’il n’y a aucune mention aux notes médicales d’une quelconque lésion aux tissus mous.

[63]        Si le travailleur avait chuté tête la première sur l’asphalte comme il le prétend, des égratignures auraient à tout le moins été notées, ce que la preuve médicale ne démontre pas.

[64]        Le tribunal retient par ailleurs de l’analyse de la preuve que le travailleur a demandé à la CSST, de façon presque simultanée à la présente réclamation d’établir une relation entre le diagnostic de TCC (trauma crânien) posé le 10 juin 2010 et un premier accident du travail subi le 29 octobre 1987 lorsqu’il a fait une chute d’une maison en construction.

[65]        Après avoir analysé la preuve disponible sur le sujet, la Commission des lésions professionnelles refuse cette réclamation dans une décision rendue simultanément au présent dossier[8].

[66]        Force est de constater qu’il existe une certaine confusion dans les demandes du travailleur quant à la survenance d’un trauma crânien ayant entraîné ses problèmes cognitifs. Quoi qu’il en soit, le tribunal constate qu’avant même sa chute du 3 novembre 2010, le travailleur présentait des troubles cognitifs qui ont été analysés, de façon spécifique, pour la première fois le 8 novembre 2010 par madame Geneviève Langlois, psychologue et neuropsychologue et ceci, à la demande du médecin traitant du travailleur.

[67]        Le tribunal retient de cette évaluation faite, de façon rigoureuse et avec un souci évident d’objectivité, que madame Langlois apporte une toute autre explication quant à l’origine des troubles cognitifs du travailleur.

[68]        Selon elle, le profil neuropsychologique de ce dernier relève d’une combinaison de facteurs, soit une grande détresse psychologique présente depuis plusieurs années, surajoutée à un stress chronique et à la présence de douleurs importantes.

[69]        Madame Langlois précise que les résultats retrouvés à son évaluation rendent son hypothèse hautement probable. Le tribunal considère cet avis très probant, étant donné le contexte indépendant dans lequel il est rendu et compte tenu qu’il est corroboré par la preuve documentaire au dossier.

[70]        Le tribunal constate également, en ce sens, que les résultats négatifs de la tomodensitométrie cérébrale passée le 17 novembre 2010 corroborent l’hypothèse de madame Langlois, comme elle le suggérait dans son analyse.

[71]        Bref, le tribunal considère que la relation entre les troubles cognitifs présentés par le travailleur et une chute subie le 3 novembre 2010 n’est pas démontrée.

[72]        Au contraire, l’analyse de la preuve révèle qu’à la suite de sa lésion professionnelle subie le 30 octobre 1990, le travailleur avait développé un trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive sévère, ce qui avait été reconnu à titre de lésion professionnelle par la CSST.

[73]        Cette condition psychologique avait fait l’objet d’une évaluation spécifique par le docteur Couture le 15 septembre 1993. Le docteur Couture notait déjà, à l’époque, un déficit au niveau de la concentration, un trouble d’anxiété, de la fatigue, un trouble de la mémoire et un trouble d’impatience et d’agressivité. Tout ceci avait justifié, selon le docteur Couture, l’octroi d’une atteinte permanente de 45% plus le DPJV, correspondant à un syndrome névrotique grave (Code 222 565 du Règlement sur le barème des dommages corporels[9] (le barème)).

[74]        L’expertise réalisée par le docteur Lajeunesse, psychiatre, le 21 décembre 2011, à la demande du procureur du travailleur, fait état des mêmes résultats au chapitre de l’évaluation des séquelles permanentes, soit une atteinte permanente de 45 % pour le même syndrome névrotique grave correspondant au même Code 222 565 du barème.

[75]        De l’avis de la soussignée, ceci corrobore le fait que la condition du travailleur en 2011 ne s’est pas détériorée par rapport à l’évaluation du docteur Couture qui avait donné lieu à l’octroi d’une atteinte permanente de 69,25 % à l’époque (incluant le DPJV).

[76]        Bref, le tribunal considère que la preuve présentée par le travailleur ne permet pas d’attribuer à la chute survenue le 3 novembre 2010 les troubles cognitifs dont il se plaint.

[77]        Quant au diagnostic de trauma crânien posé le 4 novembre 2010, rappelons qu’un diagnostic semblable avait été retenu par le docteur Bélanger, le 10 juin 2010, soit bien avant la chute du véhicule adapté. Ceci n’avait pas non plus été reconnu à titre de lésion professionnelle.

[78]        Bref, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 3 novembre 2010 au sens de l’article 31 de la loi, ceci n’a pas entraîné de détérioration de son état par rapport aux troubles cognitifs dont il se plaint et pour lesquels il a déjà été compensé en 1993.

[79]        En ce qui concerne l’autre volet de la décision, la Commission des lésions professionnelles considère que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais d’ambulance encourus 6 janvier 2011, puisqu’ils étaient justifiés par un problème ne pouvant être mis en relation avec une lésion professionnelle.

[80]      En effet, il ressort de la note de consultation du médecin consulté à l’urgence, le 6 janvier 2011 que la raison de la consultation est « céphalée ». Le médecin mentionne que le travailleur a subi une chute en novembre avec TCC.

[81]      La Commission des lésions professionnelles remarque, à l’analyse du dossier, que le travailleur avait déjà, dans le passé, consulté pour des céphalées, soit une première fois le 14 juin 1995, une seconde fois le 25 octobre 1995 et une troisième fois le 15 novembre 2000. Il serait difficile, dans les circonstances, de conclure que ce symptôme soit relié à un trauma crânien consécutif à la chute du 3 novembre 2010. D’ailleurs, après la consultation du 6 janvier 2011, la présence de céphalée n’est plus mentionnée.

[82]        Bref, le travailleur n’a pas fait la démonstration que les frais d’ambulance encourus le 6 janvier 2011 découlaient d’une lésion professionnelle.

Dossier 459578

[83]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement des frais d’entretien d’un second véhicule adapté.

[84]        L’article 155 stipule ce qui suit :

155.  L'adaptation du véhicule principal du travailleur peut être faite si ce travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et si cette adaptation est nécessaire, du fait de sa lésion professionnelle, pour le rendre capable de conduire lui-même ce véhicule ou pour lui permettre d'y avoir accès.

__________

1985, c. 6, a. 155.

 

 

[85]        L’article 157 précise par ailleurs ce qui suit :

157.  Lorsque la Commission assume le coût des travaux d'adaptation du domicile ou du véhicule principal d'un travailleur, elle assume aussi le coût additionnel d'assurance et d'entretien du domicile ou du véhicule qu'entraîne cette adaptation.

__________

1985, c. 6, a. 157.

 

 

[86]        Il ressort de ces articles que le travailleur a droit au remboursement de frais d’assurance et d’entretien d’un véhicule principal adapté. La Commission des lésions professionnelles considère que le texte de loi est clair et ne permet pas d’interprétation dans le sens désiré par le travailleur.

[87]        Comme il est souligné dans les notes évolutives, le but du travailleur est peut-être légitime, soit de préserver son nouveau véhicule adapté en utilisant son ancien véhicule Astro 2003 durant l’hiver, sauf que la loi ne permet pas de remboursement pour deux véhicules. Par conséquent, sa demande ne peut être accueillie.


 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 453069

REJETTE en partie la requête de monsieur Jean-Claude Carrier, le travailleur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 13 octobre 2011, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Jean-Claude Carrier a subi une lésion professionnelle le 3 novembre 2010;

DÉCLARE que cette lésion n’a pas entraîné de troubles cognitifs et que monsieur Jean-Claude Carrier n’a pas droit au remboursement de prestations à ce sujet;

DÉCLARE que monsieur Jean-Claude Carrier n’a pas droit au remboursement des frais d’ambulance encourus le 6 janvier 2011.

Dossier 459578

REJETTE la requête de monsieur Jean-Claude Carrier;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 12 janvier 2012, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Jean-Claude Carrier n’a pas droit au remboursement des coûts d’assurance et d’entretien de son ancien véhicule adapté Astro 2003.

 

 

 

 

Marie-Andrée Jobidon

 

Me Lu Chang Kuong

BELLEMARE, AVOCATS

Représentante de la partie requérante

 



[1]           Décision du 13 décembre 2002 (p. 457 du dossier ),  du 26 février 2003 (p. 460 du dossier) et du 1er mai 1995 (p. 454 du dossier).

[2]           Décision du 17 février 2003 (p. 458 du dossier).

[3]           C.L.P. 447974-31-1108.

[4]           P. 447 du dossier

[5]           L.R.Q., c. A-3.001.

[6]           C.L.P. 152379-62-0012, 31 mai 2001, L. Vallières.

[7]           Voir note évolutive du 28 mars 2011, p. 160 du dossier.

[8]           Précitée, note 3.

[9]           (1987) 1999 G.O. II, 5576.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.