Fontaine et Knirps Canada inc. (fermé) |
2007 QCCLP 98 |
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Dossier 263575-61-0506
[1] Le 6 juin 2005, M. Denis Fontaine (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 26 mai 2005 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme deux décisions initialement rendues le 24 février 2005. La première décision déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais reliés à l’achat d’un coussin chauffant pour le dos.
[3] La deuxième décision déclare que le travailleur n’a pas droit aux bénéfices du programme d’aide financière pour les travaux d’entretien courant du domicile et notamment pour le déneigement.
Dossier 272187-61-0509
[4] Le 28 septembre 2005, le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 22 septembre 2005 à la suite d’une révision administrative.
[5] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 30 mai 2005 et déclare que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation le 1er décembre 2004 de l’événement initial du 11 décembre 1989.
[6] L’audience s’est tenue à Laval le 10 avril 2006 en présence du travailleur et de sa représentante. L’employeur a cessé ses opérations. La CSST est intervenue dans ce dossier et elle était représentée par procureur à l’audience. Avec la permission du tribunal les parties ont déposé après l’audience un rapport complémentaire du Dr Claude Lamarre daté du 9 juin 2006, un rapport complémentaire du Dr G.R. Tremblay daté du 14 juin 2006, le rapport d’un examen par résonance magnétique du 20 avril 2006 ainsi que des notes et autorités. L’affaire a été prise en délibéré après la réception de tous ces documents, soit le 6 octobre 2006.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
[7] Le travailleur demande dans le premier dossier le remboursement des frais reliés à l’achat d’un coussin chauffant et du déneigement à son domicile.
[8] Dans le second dossier il demande de reconnaître qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 1er décembre 2004 de la lésion professionnelle initiale du 11 décembre 1989 et d’autoriser le paiement des indemnités de remplacement du revenu en conséquence.
LES FAITS
[9] Le travailleur est actuellement âgé de 50 ans. Le 11 décembre 1989, il est victime d’un accident du travail alors qu’il occupait un emploi de sérigraphiste. Il se blesse à la région lombaire en soulevant un lourd contenant d’acide.
[10] Le diagnostic final retenu en relation avec cet événement est une hernie discale L4-L5 gauche. La lésion est consolidée le 20 août 1990 avec une atteinte permanente à l’intégrité physique évaluée à 3 % et des limitations fonctionnelles.
[11] Une première récidive, rechute ou aggravation est acceptée en date du 4 octobre 1990. Cette lésion est consolidée en novembre 1991 et le diagnostic retenu est un dérangement intervertébral L4-L5 et L5-S1, avec irritation sciatique bilatérale, sans atteinte permanente additionnelle mais avec une augmentation des limitations fonctionnelles. Le travailleur est admis en réadaptation et un emploi convenable de pelliculeur électronique est déterminé. Le travailleur n’a jamais occupé cet emploi.
[12] Une nouvelle réclamation pour récidive, rechute ou aggravation est acceptée le 4 avril 1995, date à laquelle une première chirurgie est pratiquée, soit une discectomie L5-S1 gauche.
[13] Le 30 janvier 1998, le Dr Hany Daoud, orthopédiste, agissant à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale émet son avis et retient le diagnostic de «failed back surgery syndrom», de radiculopathie S1 résiduelle et de pachyméningite associée. Il fixe la date de la consolidation de la lésion au 3 décembre 1997 avec une atteinte permanente évaluée à 16 % et des limitations fonctionnelles.
[14] Le travailleur est à nouveau admis en réadaptation le 11 septembre 1998. L’emploi convenable de gérant de bar est retenu. La CSST déclare que le travailleur est capable d’exercer cet emploi à compter du 10 septembre 1998.
[15] Une troisième intervention chirurgicale est pratiquée le 7 décembre 1999, soit une exérèse de pachyméningite.[1]
[16] Le Dr Marc-F. Giroux produit un rapport final le 11 décembre 2000 et fixe la date de consolidation de la lésion au 15 juillet 2000. Dans son rapport d’évaluation médicale, il indique que la lésion a entraîné une atteinte permanente évaluée à 15 % et des limitations fonctionnelles de classe 3 selon l’échelle de l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail (l’IRSST) considérant que «ce patient conserve des séquelles de douleurs lombaires très incapacitantes et qu’il ne pourra faire que des travaux légers».
[17] La réclamation du travailleur pour la récidive, rechute ou aggravation du 7 décembre 1999 est acceptée par décision de la Commission des lésions professionnelles le 8 janvier 2001 entérinant un accord signé par les parties. De plus, les parties signent une transaction déclarant que l’emploi de préposé à l’information constitue un emploi convenable pour le travailleur et qu’il est capable de l’exercer à compter du 15 juillet 2000.
[18] Un examen par résonance magnétique est réalisé le 14 mars 2001. Le Dr Pierre C. Milette, radiologiste interprète cet examen comme suit :
Status post-laminectomie gauche de L5. Modifications de L5-S1 compatibles avec une ancienne discectomie sans évidence de hernie discale récidivante. Fibrose péridurale post-opératoire au pourtour de la racine S1 gauche. Minime arachnoïdite adhésive.
[19] Le 1er avril 2001, le travailleur consulte le Dr Michel Cardin qui écrit dans un certificat médical que le travailleur a de «la douleur chronique dans le dos». Le 2 avril 2001, le Dr Giroux lui prescrit du Percocet.
[20] Le 8 avril 2002, le Dr Richer examine le travailleur et écrit dans un rapport médical que le travailleur présente une lombalgie chronique, un status post-chirurgie, une douleur chronique et ajoute que le travailleur est suivi en psychologie.
[21] Une nouvelle résonance magnétique est réalisée le 25 avril 2002. Des modifications dégénératives et postopératoires à L5-S1 avec fibrose péridurale et périradiculaire sont notées avec possibilité d’une petite protrusion discale. Il n’y a pas de compression durale ni de sténose spinale.
[22] Le 9 janvier 2003, le travailleur revoit le Dr Giroux qui parle de status post-discoïdectomie lombaire et d’invalidité. Il prescrit quelques jours plus tard, le 14 janvier 2003, de la marijuana en usage médical pour la douleur chronique.
[23] Le travailleur est vu par le Dr Cardin en février et mars 2003. Il fait état de lombalgie chronique et dépression secondaire. Le Dr Cardin prescrit du Neurontin, du Celexa et de l’Oxycontin. Le 3 avril 2003, le travailleur produit une nouvelle réclamation à la CSST. Le Dr Giroux, dans un rapport daté du 3 avril 2003, parle de «douleur lombaire» et de «fibrose L5-S1». Il indique que le travailleur a plus de douleurs et qu’il est inapte au travail.
[24] Le 9 octobre 2003, le travailleur est évalué par le Dr Normand Moussette, neurologue. Dans son rapport daté du 17 décembre 2003, le Dr Moussette précise que l’échec thérapeutique est constaté depuis de nombreuses années et le travailleur est fort limité. Il partage l’avis des experts qui ont déjà évalué le travailleur qu’il existe un niveau de chronicité irréversible ainsi qu’un niveau de récupération qu’il croit être nul. Il ajoute «Actuellement, ce patient est fortement handicapé par le syndrome douloureux chronique et ce, tant physiquement, psychologiquement, qu’au point de vue sexuel (dysfonction sexuelle secondaire) …». À l’examen physique, il note une importante diminution des amplitudes articulaires. La flexion est limitée à 80°, l’extension à 10°, la rotation droite et gauche à 20° et la latéralisation droite et gauche à 30°. Il note une aréflexie achilléenne gauche ainsi qu’une atteinte sensitive pour le tact et la piqûre dans le territoire de S1 des deux côtés.
[25] Le Dr Moussette estime que les restrictions du travailleur correspondent à des limitations de classe 4, selon l’échelle de l’IRSST et selon lui, ces limitations sont incompatibles avec un emploi convenable. Il croit que «le syndrome douloureux chronique, la pachyméningite, l’arachnoïdite et la sciatalgie S1 bilatérale font en sorte que le travailleur est incapable de fonctionner de façon normale».
[26] Par décision datée du 28 mai 2004, la Commission des lésions professionnelles entérine un accord intervenu entre les parties reconnaissant que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 3 avril 2003. Une transaction accompagnant cet accord prévoit que le travailleur est toujours capable d’exercer l’emploi convenable de préposé aux informations à raison de 20 heures par semaine considérant qu’il est porteur de limitations fonctionnelles de classe 4.
[27] Le travailleur continue d’être suivi, même après la décision de la Commission des lésions professionnelles, par le Dr Cardin et le Dr Gilles Roger Tremblay et les deux parlent de lombalgie chronique.
[28] Le 29 septembre 2004, une évaluation des besoins d’aide personnelle du travailleur est réalisée afin de déterminer ses besoins d’aide personnelle à domicile. Madame Lucie Denoncourt, l’ergothérapeute, indique dans son rapport que le travailleur dit souffrir de douleurs persistantes depuis des années à la région lombaire irradiant aux membres inférieurs jusqu’aux orteils. Il allègue un engourdissement des membres inférieurs et une faiblesse surtout de la jambe droite.
[29] L’ergothérapeute recommande différentes aides techniques et une aide partielle pour la préparation des repas complexes, le ménage léger, le ménage lourd, le lavage de linge et l’approvisionnement. La CSST accorde une allocation pour aide personnelle à domicile, le 3 novembre 2004.
[30] Le 1er décembre 2004, le travailleur consulte le Dr Yvon Beauchamp. Dans ses notes de consultation il indique que le travailleur est «dépressif» et qu’il «ne veut plus souffrir». À l’examen, le Lasègue est négatif et il n’a pas mis en évidence de troubles importants de l’esthésie. Il précise qu’il n’y a pas d’hypoesthésie ou hyperalgésie sur un dermatome particulier. La proprioception est normale, le «wind-up» est normal et l’allodynie est négative. Il prescrit de la Méthadone à 3 mg par jour. Dans le rapport médical rempli à l’intention de la CSST le Dr Beauchamp écrit : «low back fail surgery. Douleur neuropathique. Chronic pain d’origine radiculaire L5-S1».
[31] Le 9 décembre 2004, le Dr Cardin voit le travailleur et écrit dans un rapport médical «lombalgie chronique, invalidité».
[32] Le travailleur consulte à nouveau le Dr Beauchamp le 23 janvier 2005. Ce médecin parle d’une douleur centrale et augmente la Méthadone à 20 mg par jour. Il ajoute que M. Fontaine ne peut travailler et prescrit un coussin chauffant pour le dos.
[33] Le 1er février 2005, le travailleur produit une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation du 1er décembre 2004. La CSST rend deux décisions le 24 février 2005. Elle refuse le remboursement du coussin chauffant par la première décision et, par la deuxième, elle refuse le remboursement des frais de déneigement. Ces deux décisions sont confirmées par la CSST le 26 mai 2005 à la suite d’une révision administrative (dossier 263575).
[34] Le 4 avril 2005, le Dr Beauchamp augmente la Méthadone à 100 mg par jour et prescrit du Viagra.
[35] Un examen par résonance magnétique est réalisé le 12 avril 2005. Le radiologiste, le Dr François Hudon, compare les résultats de cet examen à ceux de l’examen précédent réalisé en avril 2002 et conclut qu’il n’y a «pas de changements vraiment appréciables». Il note aussi que le conus médullaire est normal.
[36] La CSST, par décision datée du 30 mai 2005, refuse la réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation du 1er décembre 2004. Cette décision est confirmée par la CSST le 22 septembre 2005, à la suite d’une révision administrative (dossier 272187).
[37] Une expertise préparée par le Dr Tremblay, chirurgien orthopédiste, datée du 22 novembre 2005 est produite au dossier. Il décrit le travailleur comme étant «incapable de se tenir en position monopodale gauche et de monter sur la pointe du pied gauche ou sur le talon». À l’examen physique de la région lombaire il note une douleur importante à la palpation de l’émergence du nerf sciatique au niveau du membre inférieur gauche et à la fesse gauche avec douleur aussi à la palpation du creux poplité gauche et du tendon d’Achille gauche. La flexion antérieure atteint 30° et l’extension ne dépasse pas la position neutre. Les inclinaisons latérales sont limitées à 10° de chaque côté et les rotations ne dépassent pas 20° de chaque côté.
[38] Le Dr Tremblay note également une diminution de la force de flexion plantaire et de la dorsiflexion du gros orteil gauche comparée à la flexion plantaire et la dorsiflexion du gros orteil droit. Il précise que le travailleur présente une hypoesthésie sévère englobant la face latérale du mollet gauche, la face dorsale du pied gauche, la face plantaire du talon gauche et la bordure latérale du pied gauche.
[39] Le Dr Tremblay est d’avis que le travailleur s’est aggravé depuis les dernières évaluations, notamment au niveau des amplitudes articulaires. Il présente maintenant une atteinte neurologique sensitive et motrice de S1 gauche et de L5 gauche, et le travailleur est à son avis totalement inemployable et nécessite une aide à domicile.
[40] Le travailleur consulte le Dr Beauchamp le 22 mars 2006. Dans son rapport médical et ses notes de consultation pour cette date, le médecin indique la présence d’un nouveau symptôme, soit une difficulté à initier la miction et la défécation. Il parle d’une augmentation de la douleur au membre inférieur droit et s’interroge sur une atteinte nouvelle de la queue de cheval. Le travailleur est dirigé en neurochirurgie et un examen par résonance magnétique est demandé.
[41] Le 29 mars 2006, le travailleur est examiné par le Dr Claude Lamarre, orthopédiste, à la demande de la CSST. À l’examen, le travailleur a de la difficulté à se tenir sur les talons, il se dit incapable de faire le jogging sur place, de s’accroupir, de faire la station unipodale et se tient continuellement après les meubles et les murs. Il écrit que le travailleur «refuse totalement de marcher sur la pointe des pieds». Il dit qu’il est incapable de faire un mouvement de la colonne. Cependant, à l’examen, le Dr Lamarre ne sent pas de spasme ni de contracture musculaire. Il constate une force musculaire en dorsiflexion du pied et des orteils qui est satisfaisante «malgré le manque de coopération». Il ajoute que le travailleur mentionne ressentir «une modification de sensation dans les deux membres inférieurs au complet sans dermatome précis tant au toucher qu’à l’aiguille».
[42] Le Dr Lamarre retient le diagnostic de hernie discale L5-S1 du côté gauche pour laquelle il a été opéré à plusieurs reprises avec de la fibrose péridurale. Il est d’avis cependant que le travailleur présente «des signes assez importants de non-organicité, de somatisation et de «illness behaviour». Il n’y pas à son avis «d’atteinte neurologique grave décelable à l’examen clinique et à l’électromyogramme». Il ne voit aucun signe de syndrome de queue de cheval, il n’y a aucune anesthésie du périnée, aucune modification des réflexes, aucune perte urinaire, aucune perte de selles et les problèmes d’érection sont les mêmes qu’il avait auparavant. Il ne suggère aucun autre traitement et suggère les mêmes limitations fonctionnelles que celles émises par le Dr Daoud. Il croit que le travailleur peut faire un travail régulier à temps complet qui respecte les limitations fonctionnelles reconnues.
[43] Un examen par résonance magnétique est répété le 20 avril 2006. Le radiologiste, le Dr Phoebe A. Kaplan est d’avis qu’il n’y a pas de changement depuis l’examen précédent d’avril 2005.
[44] À l’audience, le travailleur précise qu’il est très souffrant mais que la douleur est demeurée la même depuis 1999. Il mentionne qu’il s’est procuré le coussin chauffant pour le dos et que cela le soulage. Il confirme aussi qu’au moment de son accident du travail en 1989 il était locataire et qu’il ne faisait pas de déneigement. La Méthadone soulage la douleur mais sa concentration en est affectée. Il ajoute que ses problèmes sexuels sont présents depuis 3 ans.
[45] Le Dr Tremblay témoigne à l’audience. Il avait vu le travailleur en consultation à 2 ou 3 reprises en 1990 et ensuite en 2005 pour les fins d’une expertise médicale. Il mentionne que la présence de fibrose et de pachyméningite a été notée après la première chirurgie.
[46] Il commente la résonance magnétique réalisée le 14 mars 2001. Le radiologiste rapporte la présence d’une minime arachnoïdite adhésive. Il précise que ceci signifie que la fibrose se répand à l’intérieur du sac dural et les racines sont agglutinées ensemble. Il indique que la fibrose donne de la douleur sous forme de brûlure qui irradie jusqu’au mollet et jusqu’à la face plantaire du pied avec ou sans atteinte sensitive ou motrice.
[47] Il relate que le travailleur a reçu des infiltrations de cortisone et qu’elles peuvent dans certains cas causer plus de fibrose.
[48] Il réfère ensuite à la consultation avec le Dr Beauchamp du 1er décembre 2004 où celui-ci a débuté le traitement à la Méthadone. Il indique que ce médicament crée de la confusion, une difficulté de concentration mais qu’il diminue les douleurs neuropathiques. Il explique que ce type de douleur est causée par une inflammation du nerf mais qui ne résulte pas d’une compression mais est plutôt due à une irritation chimique ou une inflammation de voisinage ou encore une pachyméningite. Les douleurs neuropathiques répondent difficilement aux analgésiques mais répondent bien à la Méthadone et Lyrica.
[49] Toutefois, une personne qui prend ces médicaments n’a pas la capacité nécessaire pour exercer un emploi.
[50] Le Dr Tremblay rappelle les résultats de l’examen objectif du travailleur. Il indique que le travailleur présente une irritation inflammatoire du nerf sciatique. Il note une faiblesse dans le territoire de L5-S1 mais de nature antalgique, causée par la douleur. Il explique que le travailleur ne peut faire la position monopodale ou marcher sur la pointe des pieds ou forcer en raison de la douleur. Il conclut donc que le travailleur présente une atteinte neurologique de L5-S1 gauche par phénomène antalgique et une diminution des amplitudes articulaires, donc une aggravation du déficit anatomo-physiologique. Il considère que le travailleur est incapable d’exercer un emploi à cause de l’augmentation de la douleur et de sa médication.
[51] L’expertise du Dr Lamarre est ensuite commentée et le Dr Tremblay explique que les examens sont semblables, la différence entre les deux est qu’il croit le travailleur alors que le Dr Lamarre ne le croit pas.
[52] En contre-interrogatoire, le Dr Tremblay confirme que les éléments d’information contenus dans son rapport d’expertise représentent de façon exhaustive les résultats de l’examen médical qu’il a réalisé. Cependant, par la suite, il précise avoir effectué d’autres tests mais les résultats ne sont pas mentionnés dans son rapport parce qu’il ne rapporte que ce qui est anormal. Concernant son examen des amplitudes articulaires, ce sont les mouvements actifs qui ont été considérés.
[53] Finalement, le Dr Tremblay explique qu’il y a deux composantes dans l’aggravation de la condition du travailleur, une augmentation de la douleur de type neuropathique (problème de «management» de la douleur chronique) et une atteinte sensitive L5-S1 qui n’était pas décrite auparavant ainsi qu’une atteinte motrice qu’il qualifie d’antalgique. Il fixerait le déficit anatomo-physiologique à 20 % pour une diminution des amplitudes articulaires et une atteinte sensitive. Il estime cependant qu’il ne peut conclure à une aggravation uniquement en raison d’une diminution des amplitudes articulaires car les ankyloses peuvent varier d’une journée à l’autre. Il considère qu’une aggravation devrait être reconnue à compter du 1er décembre 2004, date de l’introduction d’un médicament de classe nouvelle, la Méthadone.
[54] Le Dr Lamarre, après avoir écouté l’enregistrement des témoignages du travailleur et du Dr Tremblay lors de l’audience du 10 avril 2006, a produit un rapport complémentaire le 1er juin 2006. Le Dr Lamarre indique dans ce rapport qu’il est en désaccord avec certaines affirmations du Dr Tremblay et notamment l’affirmation que les symptômes présentés par le travailleur relèvent d’un problème de neuropathie au niveau de la racine de S1. Le Dr Lamarre ajoute que cette atteinte n’est pas confirmée par l’électromyogramme ni par l’examen clinique où il n’a trouvé aucun signe de tension, aucun signe d’irritation, ni de compression au niveau de S1. Il estime que «le Lasègue et le tripode sont complètement négatifs et le réflexe achilléen est revenu en grande partie». Il est d’avis que les douleurs lombaires présentées par le travailleur sont des douleurs de type mécanique et non neuropathiques.
[55] Le Dr Lamarre réfère à la littérature récente qui semble déconseiller le plus possible l’emploi de narcotiques ou d’opiacés dans le traitement de douleur chronique.[2] De plus, il réfère à cette même littérature pour déclarer que si les opioïdes sont donnés à bon escient et à la bonne dose, ceux-ci ne devraient causer aucune confusion ni sédation.
[56] En conclusion le Dr Lamarre écrit :
En conclusion, on ne peut retenir l’opinion du Dr Tremblay au fait que Monsieur Fontaine ne puisse travailler à cause de la douleur : La douleur qu’il présente n’est pas objectivée d’aucune façon et l’on peut constater de nombreux phénomènes de non-organicité qui viennent contredire cette affirmation. De plus, il affirme que les douleurs qu’il ressent sont causées par une pachyméningite. Malheureusement, dans les rapports des résonances magnétiques, surtout les dernières en 2005, on ne constate aucune atteinte de pachyméningite et en plus, on constate que la fibrose qu’il a déjà présentée au niveau de la racine de S1 est en voie de régression.
[57] Le Dr Tremblay a pris connaissance du rapport complémentaire du Dr Lamarre et produit une note complémentaire le 14 juin 2006. Il indique que les signes de non-organicité de Waddell sont inapplicables au travailleur car il présente une lésion sérieuse au niveau rachidien, ce qui constitue un cas d’exception.
[58] Il précise que, lorsqu’il a examiné le travailleur, le tripode était positif à 10° de flexion du genou et la douleur se répandait jusqu’au deux mollets. Il est d’avis que le tripode est donc positif en contre-latéral.
[59] Il est d’avis que le travailleur s’est vraiment détérioré. Il écrit :
De plus, monsieur Fontaine est sur la Méthadone et, même si la résonance magnétique démontre l’absence de fibrose péridurale à la dernière résonnance, ce patient s’est aggravé de façon importante avec atteinte neurologique.
L’AVIS DES MEMBRES
[60] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis de rejeter la requête du travailleur dans le premier dossier. Ils estiment que le travailleur n’a pas droit au remboursement des coûts du coussin chauffant puisque cet item n’est pas prévu au Règlement sur l’assistance médicale[3] (le Règlement). Le travailleur n’a pas non plus droit aux coûts reliés au déneigement à son domicile puisqu’il n’a pas démontré qu’il effectuerait normalement lui-même le déneigement si ce n’était de sa lésion.
[61] Les deux membres ne sont pas du même avis en ce qui concerne le second dossier.
[62] Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête dans le second dossier et de conclure que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation, le 1er décembre 2004. Le changement de médication témoigne d’une détérioration de son état et de plus il y a relation avec la lésion professionnelle initiale. Dans son état actuel, le travailleur ne peut exercer un emploi même à temps partiel.
[63] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête du travailleur et de conclure qu’il n’a pas subi une récidive, rechute ou aggravation le 1er décembre 2004. Le travailleur souffre de douleurs chroniques depuis des années et la preuve ne démontre pas de changement ou de détérioration de son état de santé. Un changement de médication ne témoigne pas nécessairement d’une détérioration de la lésion. La Méthadone a été prescrite pour soulager la douleur comme les autres médicaments auparavant.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
Dossier 263575-61-0506
[64] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer dans ce premier dossier si le travailleur a droit au remboursement du coût d’un coussin chauffant pour le dos et au remboursement des frais de déneigement à son domicile.
[65] L’article 188 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] (la loi) prévoit que le travailleur a droit à l’assistance médicale que requiert son état :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
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1985, c. 6, a. 188.
[66] L’article 189 précise le contenu de l’assistance médicale :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons, les services ambulanciers et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
__________
1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
[67] En l’espèce, le Dr Beauchamp prescrit un coussin chauffant pour le dos le 23 janvier 2005.
[68] La Commission des lésions professionnelles estime qu’un coussin doit être considéré comme une aide technique et que c’est le paragraphe 5 de l’article 189 de la loi qui s’applique dans ce cas.
[69] Le Règlement prévoit ce qui suit aux articles 2, 3 et 18 :
2. Les soins, les traitements, les aides techniques et les frais prévus au présent règlement font partie de l’assistance médicale à laquelle peut avoir droit un travailleur, lorsque le requiert son état en raison d’une lésion professionnelle.
3. La Commission de la santé et de la sécurité du travail assume le coût des soins, des traitements et des aides techniques reçus au Québec, selon les montants prévus au présent règlement, si ces soins, ces traitements ou ces aides techniques ont été prescrits par le médecin qui a charge du travailleur avant que les soins ou traitements ne soient reçus ou que les dépenses pour ces aides techniques ne soient faites; à moins de disposition contraire, ces montants comprennent les fournitures et les frais accessoires reliés à ces soins, traitements ou aides techniques.
De plus, toute réclamation à la Commission concernant ces soins, traitements ou aides techniques doit être accompagnée d’une copie de l’ordonnance du médecin qui a charge du travailleur, de la recommandation de l’intervenant de la santé le cas échéant, et des pièces justificatives détaillant leur coût.
L’ordonnance du médecin peut être détaillée ou prendre la forme d’une adresse à un intervenant de la santé.
18. La Commission assume le coût de location, d’achat et de renouvellement d’une aide technique prévue à l’annexe II, aux conditions et selon les montants prévus à la présente section et à cette annexe, lorsque cette aide technique sert au traitement de la lésion professionnelle ou qu’elle est nécessaire pour compenser des limitations fonctionnelles temporaires découlant de cette lésion.
La Commission assume également les frais prévus à l’annexe II, aux conditions et selon les montants indiqués à cette annexe sur présentation de pièces justificatives détaillant leur coût.
[70] Un coussin chauffant n’est pas prévu à l’annexe II. La jurisprudence a établi que les énumérations des mesures d’assistance médicale prévues à l’article 189 de la loi et au Règlement sont exhaustives[5]. Par conséquent, le travailleur n’a pas droit au remboursement du coût d’un coussin chauffant même s’il a été prescrit par son médecin puisqu’il n’est pas prévu au Règlement. La CSST ne peut rembourser que le coût des aides techniques énumérés à l’annexe II du Règlement.
[71] Reste la demande de remboursement pour les frais de déneigement au domicile du travailleur.
[72] L’article 165 de la loi prévoit ce qui suit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[73] En l’espèce, le travailleur fait une demande pour obtenir le remboursement des frais de déneigement mais n’offre aucune preuve à l’audience. La CSST refuse sa demande au motif que le travailleur n’effectuait pas normalement ces travaux de déneigement avant la survenance de la lésion professionnelle.
[74] À l’audience, le travailleur confirme qu’il n’effectuait pas lui-même cette tâche au moment de la survenance de sa lésion professionnelle du 11 décembre 1989 et ne dit rien de plus.
[75] Dans son argumentation écrite la représentante du travailleur écrit :
En ce qui concerne le déneigement, nous laissons le tout à votre discrétion.
[76] La Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur n’a pas fait la preuve qu’il rencontre les critères prévus à l’article 165 de la loi pour avoir droit au remboursement des frais de déneigement. Le travailleur n’a pas démontré qu’il effectuerait normalement le déneigement lui-même si ce n’était de sa lésion professionnelle. Il n’a donc pas droit au remboursement des frais pour le déneigement.
[77] La requête du travailleur dans le premier dossier est donc rejetée.
Dossier 272187-61-0509
[78] La Commission des lésions professionnelles doit décider dans ce dossier si le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 1er décembre 2004 de la lésion professionnelle du 11 décembre 1989.
[79] La récidive, rechute ou aggravation est comprise dans la définition de lésion professionnelle qu’on retrouve à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[80] Par ailleurs, ces notions n’étant pas définies dans la loi, la jurisprudence a établi qu’il y a lieu de s’en remettre au sens courant de ses termes pour en comprendre leur signification, notamment une reprise évolutive, une réapparition ou un recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes.[6]
[81] Le travailleur doit également démontrer par une preuve prépondérante l’existence d’une relation entre la lésion professionnelle initiale et la récidive, rechute ou aggravation alléguée. Toutefois, en l’espèce, la question de la relation n’est pas en litige. De toute évidence, la relation entre l’état actuel du travailleur et la lésion professionnelle est établie. Mais est-ce que la preuve d’une détérioration de l’état de santé est nécessaire pour conclure à une récidive, rechute ou aggravation?
[82] La représentante du travailleur allègue d’une part que l’état du travailleur s’est aggravé. D’autre part, même en l’absence d’une détérioration objective de l’état du travailleur, elle estime que le tribunal devrait reconnaître qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation à partir du 1er décembre 2004, en raison de l’introduction de la Méthadone comme médicament pour soulager la douleur.
[83] La représentante de la CSST allègue plutôt qu’il existe deux conditions indispensables afin qu’une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation puisse être acceptée, la preuve de la relation entre la lésion d’origine et la lésion alléguée à titre de récidive, rechute ou aggravation ainsi que la preuve d’une détérioration de l’état de santé du travailleur.
[84] La Commission des lésions professionnelles a lu attentivement toute la jurisprudence produite par les deux représentantes. Elle estime que pour reconnaître une récidive, rechute ou aggravation le travailleur doit faire la preuve d’un changement dans son état de santé et de la relation entre ce changement et l’événement initial.
[85] Dans l’affaire Lafontaine et C.H. - C.H.S.L.D. de Papineau[7], la Commission des lésions professionnelles réfère au traité de Les accidents du travail et les maladies professionnelles, où les auteurs Cliche et Gravel soulignent que les situations de récidive, rechute ou aggravation sont «en quelque sorte une nouvelle manifestation d’une lésion professionnelle déjà reconnue»[8]. Le commissaire Lacroix poursuit comme suit :
[38] Les mêmes auteurs soulignent, en ce qui concerne la détérioration de l’état d’un travailleur, ce qui suit :
Par ailleurs, même en présence d’une similitude des diagnostics et des douleurs et de la continuité des symptômes, il serait difficile d’indemniser un travailleur dans la mesure où sa condition physique ou psychique ne s’est pas réellement détériorée. Il est donc nécessaire que la preuve démontre que l’état de santé du travailleur s’est détérioré à la suite de l’événement allégué comme récidive, rechute ou aggravation, c’est-à-dire, qu’une évolution de la symptomatologie douloureuse est observable. (p. 345)
[39] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles a retenu qu’une aggravation ne peut pas être entièrement subjective. Elle doit être objectivée et la chronicité d’un état ne constitue pas une récidive, rechute ou aggravation. Il faut un changement significatif de l’état de santé de la travailleuse et la simple affirmation de la réapparition ou de la persistance des symptômes ne peut permettre de conclure à une récidive, rechute ou aggravation15.
Encore une fois, on réitère que le caractère continu des symptômes à raison d’une lombalgie chronique ne constitue pas un facteur d’aggravation.
__________
15 Voir Dilollo et Les Services d’entretien Montcalm ltée (note 4); Chabot et Commission scolaire Chomedey de Laval (note 6; Iannone et Tapisa inc.(voir 7); Bailey et Pâtisserie Yiangello (note 8); Simony et Marticotte (note 8).
[86] La Commission des lésions professionnelles partage entièrement cet avis. La chronicité d’un état ne peut constituer une récidive, rechute ou aggravation. De plus, comme le souligne la commissaire Lajoie dans l’affaire Cantin et Industries Leclerc inc.[9], la seule preuve de la présence de douleurs chroniques ne peut justifier la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation d’autant plus si le travailleur a déjà été indemnisé pour des dommages corporels, lesquels comprennent une compensation pour les douleurs.
[87] La représentante du travailleur réfère le tribunal à trois décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles où elle a reconnu une récidive, rechute ou aggravation en l’absence d’une détérioration objective de l’état de santé.
[88] Dans l’affaire Alain St-Pierre et 154860 Canada inc.[10], la Commission des lésions professionnelles énonce qu’on ne peut rejeter une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation sur la seule base de l’absence de détérioration d’un état de santé. «Il faut examiner la présence ou l’absence ou recrudescence ou réapparition de la lésion ou de ses symptômes».
[89] Le tribunal est d’accord avec cet énoncé car un travailleur peut présenter une réapparition d’une lésion sans qu’il en résulte une aggravation permanente de son état. Toutefois, dans ce cas, il doit s’agir d’une nouvelle manifestation d’une lésion déjà reconnue.
[90] Dans l’affaire Lapointe et Commission scolaire des Rives-du-Saguenay[11], la commissaire Jobidon tient le même discours lorsqu’elle déclare qu’un travailleur peut subir une rechute ou une récidive de sa lésion sans pour autant présenter une aggravation objective de son état se traduisant par une augmentation de son atteinte permanente. Le tribunal constate cependant que dans cette affaire la Commission des lésions professionnelles avait conclu que l’état du travailleur s’était détérioré, les limitations fonctionnelles avaient été augmentées et la commissaire ajoute que son état s’était détérioré au point où il a nécessité un traitement supplémentaire, soit l’administration de la morphine.
[91] La troisième décision à laquelle réfère la représentante du travailleur est l’affaire Gingras et Zellers[12]. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles a conclu que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation puisqu’il y a eu reprise évolutive ou recrudescence des symptômes sans que cela entraîne une incapacité permanente additionnelle.
[92] Dans ces trois cas, il y a eu une nouvelle manifestation de la lésion professionnelle, ce qui n’est pas le cas dans ce dossier. La continuité de la même symptomatologie ne permet pas de conclure à une récidive, rechute ou aggravation. Il est nécessaire, pour conclure à une récidive, rechute ou aggravation, de démontrer qu’il y a eu un changement de l’état de santé ou qu’il y a eu une nouvelle manifestation de la lésion et que ce changement ou cette nouvelle manifestation est en relation avec la lésion professionnelle.
[93] Qu’en est-il en l’espèce?
[94] Le travailleur a subi un accident du travail le 11 décembre 1989. Il a subi par la suite plusieurs récidives, rechutes ou aggravations et il n’est jamais retourné sur le marché du travail. Il a été opéré à trois reprises, la dernière fois en décembre 1999. Le travailleur est demeuré à la suite de ces chirurgies avec une symptomatologie douloureuse importante. Les diagnostics de «failed back surgery syndrom» et de lombalgie chronique ont été retenus par plusieurs médecins dans ce dossier.
[95] En décembre 2003, le travailleur est examiné par le Dr Moussette et le neurologue écrit dans son rapport que le travailleur présente «un niveau de chronicité irréversible». Il indique que le travailleur est très limité dans ses activités et retient des limitations fonctionnelles de classe 4.
[96] Le travailleur prétend qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 1er décembre 2004 et à l’appui de cette prétention il offre l’expertise du Dr Tremblay et son témoignage à l’audience.
[97] Selon le Dr Tremblay, le travailleur a, en décembre 2004, subi une détérioration de son état de santé. Ses motifs tiennent essentiellement à l’apparition d’une atteinte sensitive dans les territoires radiculaires de L5 et S1 gauche, d’une atteinte motrice que lui-même qualifie d’antalgique et surtout, selon lui, d’une exacerbation de la douleur chronique qui a nécessité l’introduction, dans l’arsenal thérapeutique analgésique, d’un médicament de classe nouvelle chez le travailleur, la Méthadone.
[98] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas l’opinion du Dr Tremblay, pour les motifs qui suivent. D’abord la présence d’une atteinte sensitive n’est de l’avis du tribunal pas démontrée. Il est exact que les observations du Dr Tremblay, à son examen du 1er novembre 2005, notamment «une hypo-esthésie sévère englobant la face latérale du mollet gauche, la face dorsale du pied gauche, la face plantaire du talon gauche et la bordure latérale du pied gauche», suggèrent fortement la présence d’une radiculopathie sensitive de L5 et S1. Cependant ces constatations, en outre du fait qu’elles sont faites quelque 11 mois après la récidive, rechute ou aggravation alléguée, sont isolées dans le dossier.
[99] Le 1er décembre 2004, précisément à la date de la rechute alléguée, le Dr Beauchamp écrit spécifiquement ne pas avoir «mis en évidence de troubles importants de l’esthésie». Il ajoute qu’il n’y a «pas d’hypo-esthésie ou d’hyperalgésie sur dermatome particulier» et il est question de «proprioception normale». Le Dr Beauchamp a d’ailleurs continué à suivre le travailleur en 2005 et il n’est nullement question dans ses notes de consultation d’une atteinte sensitive. En fait, ce n’est que le 22 mars 2006, quelque 2 ou 3 semaines avant l’audience, que le médecin fait état d’un «nouveau symptôme», soit une difficulté à initier la miction et la défécation. Il s’interroge alors sur l’existence d’une «atteinte nouvelle de la queue de cheval» et suggère une consultation au Dr Giroux, neurochirurgien. Toutefois, cette hypothèse du Dr Beauchamp n’a pas été démontrée. Quoiqu’il en soit, rien dans les notes du Dr Beauchamp ne permet de conclure, ni même de soupçonner, en 2004 ou en 2005, une atteinte sensitive de L5 ou S1.
[100] Par ailleurs, le Dr Lamarre a, à son examen du 29 mars 2006, relaté que le travailleur «ressent une modification de sensation dans les deux membres inférieurs au complet sans aucun dermatome précis tant au toucher qu’à l’aiguille». Il ne retient pas la notion d’un déficit radiculaire sensitif.
[101] La Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur n’a pas établi, par prépondérance de preuve, l’existence d’un tel déficit de sensibilité.
[102] Le Dr Tremblay a également fait état d’un déficit de force, mais qui serait d’origine antalgique, par opposition à neurologique. À son expertise il décrit le travailleur comme étant «incapable de se tenir en position monopodale gauche et de monter sur la pointe du pied gauche ou sur le talon». Il note aussi une diminution importante de la force de flexion plantaire et de dorsiflexion du premier orteil gauche.
[103] La description que fait le Dr Lamarre n’est pas très différente de celle du Dr Tremblay. Selon lui le travailleur «refuse totalement de marcher sur la pointe des pieds» mais «finalement, il se tient un peu debout sur la pointe des pieds». Le travailleur a «de la difficulté à se tenir sur les talons». Selon le Dr Lamarre, la force musculaire de dorsiflexion du pied et des orteils est «satisfaisante malgré le manque de coopération».
[104] Ni le Dr Lamarre, ni le Dr Tremblay n’observe d’atrophie significative aux membres inférieurs.
[105] Le Dr Tremblay attribue les déficits à un phénomène antalgique puisque selon lui, un déficit moteur de cette ampleur s’accompagnerait s’il était d’origine neurologique, d’atrophie. Le Dr Lamarre y voit pour sa part des phénomènes de non-organicité.
[106] La Commission des lésions professionnelles ne croit pas nécessaire de trancher ce débat. Quoiqu’il en soit de l’origine, organique ou non de la douleur, celle-ci est un phénomène subjectif qui ne peut être mieux décrite que par le travailleur lui-même. Dans son témoignage et, en particulier, en réponse aux questions de sa procureure, le travailleur a clairement affirmé qu’aucune modalité de traitement n’avait, de façon durable, atténué la douleur chronique depuis 1999 et que cette douleur est demeurée, depuis la dernière chirurgie, «la même». D’ailleurs lorsque le travailleur consulte en décembre 2004 le Dr Beauchamp, il n’est nullement question d’une exacerbation récente de la douleur. Les notes de ce médecin, qui écrit que le travailleur est «dépressif ++» et qu’il «ne veut plus souffrir», invitent plutôt à penser à un état de découragement face à la chronicité de la douleur, qu’une médication analgésique pourtant lourde n’arrive pas à maîtriser. Le travailleur était à l’époque sous traitement avec les médicaments Césamet, Oxycontin et Percocet.
[107] Le Dr Tremblay fait état dans son expertise et rappelle lors de son témoignage qu’il a constaté une augmentation des ankyloses au niveau du rachis lombaire. Toutefois, à l’audience, il a admis ne pouvoir fonder son constat d’aggravation sur l’augmentation des ankyloses puisque ces données peuvent varier d’un jour à l’autre. Le Dr Lamarre n’a pas mesuré les amplitudes articulaires, le travailleur se disant incapable d’effectuer quelque mouvement que ce soit. L’allégation non prouvée du Dr Tremblay concernant l’augmentation des ankyloses ne peut permettre l’acceptation de la réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation.
[108] Il y a aussi l’investigation radiologique qui ne permet aucunement de conclure à une détérioration ou changement de l’état du travailleur.
[109] Finalement, le Dr André Brodeur, médecin conseil à la CSST, dans une note consignée au dossier et datée du 9 mai 2005, indique avoir étudié le dossier et notamment avoir pris connaissance des examens effectués par le Dr Cardin le 9 décembre 2004 et par le Dr Beauchamp le 1er décembre 2004 ainsi que de l’examen par résonance magnétique du 12 avril 2005. À son avis, il n’y a aucune démonstration objective d’une aggravation.
[110] La Commission des lésions professionnelles ne voit donc pas, dans la preuve documentaire et testimoniale, une détérioration ou un changement de l’état du travailleur, mais plutôt la continuité d’un phénomène de douleur chronique initié depuis plusieurs années.
[111] Reste la question du changement de médicaments en décembre 2004, en faveur de la Méthadone, changement que le docteur Tremblay interprète comme un indice d’aggravation. Le docteur Tremblay a expliqué que les douleurs neuropathiques sont mal contrôlées par les analgésiques narcotiques conventionnels et que la Méthadone serait dotée de propriétés la rendant plus efficace dans le traitement de ce type de douleur. La documentation médicale déposée après l’audience semble en effet lui donner raison[13] :
Accumulating evidence has identified a number of potential advantages for methadone over other opioids, including agonist action at both µ and δ opioid receptors (161, 162), NMDA antagonist activity (163-168) and the ability to inhibit the reuptake of monoamines (165). These properties, in addition to pharmacoeconomic issues related to the very low cost of the generic hydrochloride methadone powder that is generally available (169, 170), have led to increased interest in the use of methadone for the treatment of cancer pain (169-174), neuropathic pain (169, 170, 175, 176) and chronic, noncancer pain.
[112] Cela dit, la Commission des lésions professionnelles ne croit pas qu’une modification de la médication témoigne, en soi, d’une aggravation. Le travailleur, au moment de consulter le docteur Beauchamp, prenait déjà des analgésiques narcotiques (Oxycontin, Percocet et Césamet) et le changement apporté par le docteur Beauchamp reflète plutôt un constat d’insuffisance du traitement en cours à contrôler la douleur chronique qu’une aggravation ou modification de la douleur évoluant depuis 1999. Un ajustement thérapeutique ne correspond pas nécessairement à une modification de l’état du patient mais peut aussi, comme en l’espèce, témoigner d’une recherche de la meilleure combinaison thérapeutique dans un cas donné. C’est, de l’avis du tribunal, ce qui s’est passé en l’espèce. D’ailleurs le docteur Beauchamp, dans les mois qui ont suivi la consultation du 1er décembre 2004, a modifié les doses de médicaments afin d’en arriver au meilleur équilibre possible.
[113] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur n’a pas démontré par une preuve prépondérante qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 1er décembre 2004.
[114] La représentante de la CSST a formulé des commentaires dans son argumentation écrite concernant l’expertise produite par le Dr Tremblay et son témoignage à l’audience. La CSST soumet que l’expertise du Dr Tremblay ne répond pas aux exigences préconisées par son ordre professionnel et que plusieurs affirmations qu’il a faites durant son témoignage sont discutables d’un point de vue médical.
[115] Compte tenu de la conclusion à laquelle en arrive le tribunal, soit de ne pas retenir l’avis du Dr Tremblay pour les motifs susmentionnés, il n’est pas nécessaire de répondre à ces allégations.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête du travailleur, monsieur Denis Fontaine;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 26 mai 2005 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais reliés à l’achat d’un coussin chauffant;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais reliés au déneigement de son domicile.
Dossier 272187-61-0509
REJETTE la requête du travailleur, monsieur Denis Fontaine;
CONFIRME la décision rendue par la CSST le 22 septembre 2005 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation le 1er décembre 2004.
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Santina Di Pasquale |
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Commissaire |
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Me Sophie Mongeon |
DESROCHES, MONGEON, BONENFANT |
Représentante de la partie requérante |
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Me Martine St-Jacques |
PANNETON LESSARD |
Représentante de la partie intervenante |
[1] Le protocole opératoire déposé au dossier mentionne qu’une discoïdectomie L4-L5 a été pratiquée le 29 septembre 1999 mais ce document semble comporter une erreur quant à la date de la chirurgie et la nature de l’intervention pratiquée.
[2] Mary LYNCH, Peter WATSON, The Pharmacotherapy of Chronic Pain : A review, Pain Research & Management, The Journal of the Canadian Pain Society, volume II, number 1, Spring 2006; Opioid Use In Chronic Non-Malignant Pain, A discussion paper, Workers’ Compensation Board of British Columbia; Darrel BRODKE, Stephen RITTER, Nonoperative Management of Low Back Pain and Lumbar Disc Degeneration, JBJS, August 2004
[3] (1993) 125 G.O. II, 1331
[4] L.R.Q., c. A-3.001
[5] C.L.P. 244581-63-0409, 7 juin 2006, J.-P. Arsenault
[6] Lapointe et Cie minière Québec-Cartier, [1989] C.A.L.P. 38
[7] C.L.P. 170168-07-0110, 1er octobre 2003, N. Lacroix
[8] Bernard CLICHE, Martine GRAVEL et Louis STE-MARIE, Les accidents du travail et les maladies professionnelles : indemnisation et financement, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, 995 p.
[9] C.L.P. 265203-04-0506, 14 février 2006, D. Lajoie
[10] C.L.P. 159441-63-0104, 12 mars 2002, M. Gauthier
[11] C.L.P. 171780-32-0111, 9 juillet 2003, M.-A. Jobidon
[12] C.L.P. 194259-62A-0211, 31 octobre 2003, G. Robichaud
[13] Mary LYNCH, Peter WATSON, The Pharmacotherapy of Chronic Pain : A review, Pain Research & Management, The Journal of the Canadian Pain Society, volume II, number 1, Spring 2006, p. 25
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.