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[1] Le 7 mai 2002, monsieur Yvan Larrivée (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de l’article 359 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) par laquelle il conteste une décision rendue le 24 avril 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 20 décembre 2001, par laquelle elle détermine que le travailleur conserve un déficit anatomo-physiologique de 10,35 %, incluant 1,35 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie, à la suite de sa maladie professionnelle.
[3] Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue le 29 octobre 2003 à Rimouski. L’employeur, Cambior inc. - Mine géant dormant, est absent, mais son représentant a transmis par écrit son argumentation et ses autorités. La CSST est également absente.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la CSST rendue le 24 avril 2002. Il soumet qu’au moment de la préparation du rapport d’évaluation médicale qui soutient cette décision, le docteur Éric Dupras n’était plus son médecin traitant. Il considère que le docteur Pierre L. Auger, hématologue, a été substitué au docteur Dupras. Il demande donc à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que le rapport d’évaluation médicale du docteur Auger établissant l’atteinte permanente à son intégration physique à 30 % a été produit par ce dernier en sa qualité de médecin traitant.
LES FAITS
[5] Le travailleur, actuellement âgé de 41 ans, témoigne qu’il souffre de douleurs aux mains depuis un certain temps. Il a d’ailleurs déjà été opéré pour un tunnel carpien. Il décrit des sensations d’engourdissement et de picotement dans les mains. Il mentionne que les douleurs, parfois nocturnes, sont accentuées par le froid, la préhension ainsi que par certains mouvements demandant de la précision.
[6] Le 28 février 2001, le travailleur est examiné par le docteur Éric Dupras, chirurgien vasculaire et thoracique à l’Hôtel-Dieu d’Amos. Ce dernier complète une attestation médicale initiale et pose un diagnostic de syndrome de Raynaud professionnel. Le même jour, il transmet une lettre au docteur Robert Adam, médecin de famille du travailleur, dans laquelle il consigne l’impression diagnostique suivante :
« Je crois que monsieur Larrivée présente effectivement un phénomène de Raynaud que l’on pourrait attribuer à une lésion professionnelle étant donné l’histoire d’exposition chronique aux outils vibratoires même si l’exposition la plus importante est survenue depuis une période relativement courte et récente. »
Quant au traitement, le docteur Dupras n’en recommande aucun, à l’exception d’éviter les facteurs précipitants, soit le froid et l’humidité. Il ajoute ce qui suit :
« J’ai fais une demande d’ouverture de dossier à la C.S.S.T. si ceux-ci accepte la réclamation de phénomène de Raynaud comme maladie professionnelle, nous procéderons par la suite une évaluation médicale. » [sic]
Il complète un rapport final dans lequel il mentionne que la lésion professionnelle est consolidée et qu’elle entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur ainsi que des limitations fonctionnelles.
[7] Le 14 mars 2001, la docteure Hélène Roy complète un formulaire intitulé « Déclaration du médecin traitant » pour une compagnie d’assurance de personnes. Elle s’identifie comme étant médecin traitant et elle inscrit le docteur Dupras comme médecin spécialiste vers qui elle le dirige.
[8] Le 20 juin 2001, l’agente d’indemnisation poursuit l’analyse de la réclamation du travailleur. Elle le dirige vers le docteur Gilles Laroche, chirurgien vasculaire et thoracique, afin d’avoir une opinion supplémentaire. Elle consigne aux notes évolutives ce qui suit :
« Considérant que le Dr Dupras n’a pas fait le test de photophlélismographe je demande au Dr Marcil de faire voir le travailleur par le Dr Laroche à [Québec]. »
[9] Le 8 août 2001, le docteur Laroche prépare une expertise médicale à la demande de la CSST. Il expose son mandat comme suit :
« Je vois ce patient aujourd’hui, le 8 août 2001, afin de déterminer le diagnostic, la date de consolidation, le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique, la nécessité de traitement, l’évaluation, et déterminer s’il s’agit d’une lésion professionnelle. »
Il répond aux questions qui lui sont posées de la façon suivante :
« 1) Le diagnostic à mon avis est celui d’une maladie professionnelle : Syndrome vibratoire vasculaire et neurologique.
2) Date de consolidation : Le phénomène vasospastique persistera fort probablement. Dans l’état où il est, je crois qu’il peut être compensé et consolidé le 8-8-2001. Cependant, toute la composante musculo-squelettique et neurologique a des chances de s’améliorer […]. »
[10] Le 5 septembre 2001, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte la réclamation du travailleur et reconnaît le phénomène de Raynaud comme maladie professionnelle, et ce, à compter du 28 février 2001. Dans une seconde lettre, la CSST demande au travailleur de fournir le nom du médecin qui procèdera à l’évaluation de son atteinte permanente. Une copie de cette lettre est également transmise au docteur Dupras.
[11] Le 17 septembre 2001, le travailleur transmet un document à la CSST dans lequel il identifie le docteur Dupras comme le médecin qui fera son évaluation. Il précise que ce dernier lui a été suggéré par son médecin traitant. Il indique également que son évaluation aura lieu le 2 octobre 2001.
[12] À l’audience, le travailleur explique que le docteur Dupras a refusé de l’examiner quand il s’est présenté pour son évaluation le 9 octobre 2001. Il explique que le médecin n’avait pas en main son dossier médical complet. Il témoigne qu’il lui a remis une copie de l’expertise du docteur Laroche et que sa rencontre avec le docteur Dupras a duré moins de cinq minutes. Son témoignage confirme le contenu de la lettre qu’il a transmise à la CSST le 30 janvier 2002, concernant ses démarches préalables et le déroulement de cette rencontre, dans laquelle il indiquait :
« C.S.S.T. vous me demander par écrit de me trouver un médecin de mon choix pour fournir une évaluation de mon atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, en me recommandant en bas de la lettre Dr Éric Dupras.
Je fait des démarche dans plusieurs cliniques et rien ne marche. Alors je prends rendez-vous au bureau de monsieur Dupras pour le 09 octobre 2001 en Abitibi. Je me rend chez-eux. À mon arrivée il pensait que je venait passée les examens à votre demande comme il m’avait dit que ça se passerait. Quand il a pris connaissance de l’expertise du Dr Larocque, il m’a demandé pourquoi je n’était pas venu chez-eux. Alors je lui ai dit que ce n’était pas mon choix. Il m’a dit qu’il ne pouvait rien faire pour moi, parce que le Docteur Larocque était un très bon médecin, et qu’il ne comprenait pas pourquoi la C.S.S.T. voulait me faire voir un autre médecin. Alors cet discussion dure environ deux minutes. Bonjour merci. Aucune examen et aucune question. » [sic]
[13] Le 21 octobre 2001, le travailleur communique avec l’agente d’indemnisation pour l’informer que le docteur Dupras ne veut plus produire le rapport d’évaluation médicale. L’agente d’indemnisation résume la conversation ainsi :
« Retour d’appel au [travailleur] : est allé en Abitibi pour rien ® était allé voir Dr Dupras pour [rapport d’évaluation médicale] le 08-10-2001. Le [travailleur] avait apporté l’expertise (204) et le Dr. Dupras n’en n’avait pas eu de copie (??).
Dr. Dupras était insulté et n’a pas voulu faire le [rapport d’évaluation médicale].
[Travailleur] s’est trouvé un autre [médecin] pour faire le [rapport d’évaluation médicale] : Martine (Pariagon?) le 31-10-2001 à 9:00 hre. [Travailleur] dit avoir la copie de son dossier.
J’informe [travailleur] que je m’apprêtais à envoyer la copie de l’expertise à Dr. Dupras lui demandant le [rapport complémentaire]. » [sic]
[14] Le 25 novembre 2001, l’agente d’indemnisation communique avec le travailleur et consigne aux notes évolutives ce qui suit :
« A vu le [médecin] mercredi
Le 1er siégeait à la [Commission des lésions professionnelles]
Le 2e ne fait pas de [déficit anatomo-physiologique]
Par contre les 2 [médecins] vont s’occuper de lui faire passer des tests afin que l’évaluation puisse se faire ® ils veulent que [travailleur] soit vu par un dermatologue car [travailleur] a des « bobos » sur les doigts depuis septembre. Doit aussi voir un autre spécialiste ([travailleur] ne sait pas qui). [Travailleur] attend des nouvelles pour [rendez-vous] avec ces 2 spécialistes la semaine prochaine et sera vu par Dr Pierre Auger (même endroit) pour le [rapport d’évaluation médicale] par la suite. »
[15] Le 3 décembre 2001, l’agente d’indemnisation consigne aux notes évolutives que le travailleur a vu le docteur Auger le 26 novembre 2001 pour la production d’un rapport d’évaluation médicale. Le même jour, la CSST reçoit un rapport d’évaluation médicale dûment complété par le docteur Dupras. Au chapitre de l’examen objectif, le docteur Dupras écrit ce qui suit :
« On note un patient en bon état général. L’examen physique est dans la limite de la normale en particulier l’examen neuro-vasculaire des deux membres supérieurs. Les différentes manœuvres du défilé thoracique ne reproduisent pas les symptômes du patient. Il n’y a pas d’évidence de compression vasculaire. Les pouls radiaux sont bien frappés de chaque côté avec une pulsation cubitale qui est présente mais diminuée et une arcade palmaire perméable aux 2 membres supérieurs avec une dominance de l’artère radiale. On note des doigts qui sont bien perfusés quoique plus frais que la normale. Le reste de l’examen physique est par ailleurs dans les limites de la normale et non contributoire pour les autres systèmes. »
Quant aux examens paracliniques, le docteur Dupras mentionne ne pas avoir effectué une nouvelle évaluation vasculaire car :
« [...] Les trouvailles au questionnaire et aux examens vasculaires non évasifs effectués par le Dr Laroche sont en tous points conformes à ma propre évaluation. Je n’ai pas procédé à de nouvelles évaluations vasculaires non évasives, acceptant intégralement le résultat des examens du Dr Laroche qui reflète un phénomène de Raynaud associé au syndrome vibratoire sévère. »
Il indique que la lésion professionnelle du travailleur est consolidée depuis le 8 août 2001, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Il les énumère comme suit :
« Les limitations fonctionnelles émises par Dr Laroche sont retenues intégralement en précisant cependant que le patient ne devrait pas avoir de travail à des températures de moins de 10o Celsius de façon permanente et non de -10o Celsius, sans protection manuelle adéquate (gants imperméables et chauffants). »
Quant au déficit anatomo-physiologique, le docteur Dupras accorde 3 % pour le phénomène de Raynaud sévère au membre supérieur droit, 3 % pour le membre supérieur gauche et 3 % pour la bilatéralité.
[16] Le 9 décembre 2001, le docteur Auger complète un rapport d’évaluation médicale dans lequel il décrit les limitations fonctionnelles comme suit :
« Monsieur ne pourra plus utiliser d’outils vibrants quel qu’ils soient. Il ne pourra plus non plus être exposé à des températures froides et humides. Comme les crises surviennent même en été, je ne crois pas que l’on puisse établir de plancher de non exposition. De plus, ce monsieur devra éviter les mouvements répétitifs de flexion, extension, pronation, supination du poignet. Il aura de la difficulté à manipuler des charges dépassant 10 kilo et ceci de façon répétitive. » [sic]
Quant au déficit anatomo-physiologique, il l’évalue comme suit :
« 1. SÉQUELLES ACTUELLES DAP
121362 syndrome vibratoire main droite 3 %
121362 syndrome vibratoire main gauche 3 %
113059 atteinte du médian droit 5 %
113059 atteinte du médian gauche 5 %
Bilatéralité :
121362 syndrome vibratoire 3 %
113059 nerf médian 5 %
DPJV
225251 6 %. »
Le docteur Auger explique dans la conclusion de son évaluation qu’il considère que le travailleur a également une atteinte du nerf médian. Il s’exprime ainsi :
« Ce Monsieur souffre d’un syndrome vibratoire important apparu en très jeune âge. Il ne souffre pas de diabète ou autres conditions médicales pouvant expliquer cette maladie. J’accorde 5% d’atteinte du nerf médian même si l’examen neurologique du docteur Roy est normal. Je trouve à l’examen en utilisant des tiges de Semmes-Weinstein une anomalie et je trouve aussi une diminution du sens vibratoire par rapport à moi-même. Par contre, l’évaluation des sens épicritiques est normale. Par contre, Monsieur raconte avoir de la difficulté à mobiliser des objets fins ce qui laisse présager une atteinte au niveau des méchano-récepteurs entre autres les « slow reacting. »
[17] Le 20 décembre 2001, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine que le travailleur possède un déficit anatomo-physiologique de 9 % auquel s’ajoute 1,35 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie.
[18] Le 28 janvier 2002, le travailleur communique avec l’agente d’indemnisation pour l’informer qu’il est d’avis que la CSST a fait une erreur en déterminant son déficit anatomo-physiologique. À cet égard, l’agente d’indemnisation consigne au dossier ce qui suit :
« [...] [Travailleur] me dit que nous n’avons pas appliqué le [rapport d’évaluation médicale] de son [médecin} mais plutôt le 204. [...]
Rappel à [travailleur]. Laissé message de me rappeler car le [rapport d’évaluation médicale] appliqué est bien celui de son [médecin], Dr Éric Dupras. Le nouveau [rapport d’évaluation médicale] du Dr Auger n’est pas applicable.
[...] Je lui explique que nous avons bel et bien appliqué le [rapport d’évaluation médicale] de son [médecin], Dr Dupras daté du 9 [octobre] 2001. [Travailleur] allègue que le Dr Dupras n’est pas son [médecin] et qu’il n’a pas procédé à une véritable expertise lorsqu’il est allé le voir le 9 [octobre] à Amos. [Travailleur] est très au courant que l’expertise demandée par la CSST accordait 9% de [déficit anatomo-physiologique] et comprend que le Dr Dupras est d’accord avec ce [déficit anatomo-physiologique]. [Travailleur] me dit qu’il veut contester parce que nous n’appliquerons pas l’évaluation du Dr Auger, puisque nous étions tenus d’appliquer le [rapport d’évaluation médicale] de son [médecin], qui était le Dr Dupras, [rapport d’évaluation médicale] du 9 [octobre] 2001 reçu à la CSST le 3 [décembre] 2001.
J’informe [travailleur] que nous étions justifiés d’émettre le paiement d’[atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique] puisque le délai de contestation était terminé. Il appartiendra à la [Révision administrative] de décider si [travailleur] peut être relevé du hors délai puisque [travailleur] avait bien reçu la décision re : [atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique] mais ne l’avait pas lue. » [sic]
[19] Le 30 janvier 2002, le travailleur rencontre un conseiller en réadaptation pour discuter de la décision fixant le déficit anatomo-physiologique à 9 % en fonction du rapport d’évaluation médicale produit par le docteur Dupras. Les discussions sont résumées comme suit :
« [...] J’explique au [travailleur] que nous avons au dossier une évaluation du Dr Dupras en date du 28/02/01 confirmant que le [travailleur] avait un phénomène de Raynaud relié à une lésion professionnelle que par la suite en date du 01/02/28 nous avons une attestation médical ainsi qu’un [rapport médical final] fait tout les deux par le Dr Dupras. Pour la commission ces documents médicaux associés au [rapport d’évaluation médicale] que le Dr Dupras a fait, confirment que ce dernier est le [médecin] traitant du [travailleur]. Le [travailleur] n’est pas d’accord il dit qu’il va contester la décision. Je lui explique que c’est son droit mais aussi je l’informe que nous devons entreprendre les démarches de réadaptation. Le [travailleur] dit ne pas être prêt. Je prends le temps de lui expliquer le contexte médico-légal et lui brosse un tableau des étapes à venir. J’explique au [travailleur] que nous allons l’aider à se trouver un [emploi convenable] que nous allons compenser pour sa perte salariale. » [sic]
[20] Le 31 janvier 2002, le docteur Dupras communique avec l’agente d’indemnisation pour l’informer des raisons faisant qu’il a produit un rapport d’évaluation médicale. Elle consigne aux notes évolutives le résumé de la conversation téléphonique de la façon suivante :
« [...] Il n’y a pas d’erreur cléricale, le [rapport d’évaluation médicale] produit est bel et bien pour son patient, M. Larrivée. Lorsqu’il a vu [travailleur] le 9 [octobre], il lui a dit qu’il devait vérifier auprès de la CSST si il devait produire un [rapport d’évaluation médicale] puisque [travailleur] lui disait avoir été expertisé 3 [semaines] plus tôt à Québec. Le Dr Dupras a produit son [rapport d’évaluation médicale] après avoir vérifié et il était en accord avec l’expertise du Dr Laroche. Le Dr Dupras a tout expliqué à [travailleur] lors de son appel du 29 janvier et il tenait à nous en informer également. » [sic]
L’ARGUMENTATION DU REPRÉSENTANT DE L’EMPLOYEUR
[21] Le 28 octobre 2003, la Commission des lésions professionnelles reçoit les notes et autorités produites par le représentant de l’employeur. Le tribunal reproduit ci-après certains extraits de son argumentation :
« I- DE LA QUESTION EN LITIGE:
[...]
La question en litige est donc de savoir si l’évaluation de l’atteinte permanente ayant conduit à l’attribution d’un pourcentage d’atteinte permanente totalisant 10.35 % a, d’une part, été fait conformément à la loi et, d’autre part, émane d’un professionnel de la santé pouvant être considéré comme étant, à tout le moins au stade de la production d’un R.E.M., le médecin traitant de M. Larrivée ou le médecin en ayant charge au sens de la loi.
Subsidiairement, si la Commission des lésions professionnelles arrivait à la conclusion que le docteur Dupras n’était pas le médecin qui avait la charge du travailleur, ladite Commission devrait évaluer si, d’une part, le R.E.M. émis par le docteur Pierre Auger est conforme au règlement sur le Barême des dommages corporels et si oui, déterminer si l’employeur compte tenu de la décision rendue par la CSST n’a pas été privé de l’opportunité de contester ce R.E.M. du docteur Auger.
II- DES FAITS PERTINENTS AU DOSSIER INDIQUANT QUE LE DOCTEUR DUPRAS ÉTAIT LE MÉDECIN EN CHARGE DU TRAVAILLEUR:
Il s’agit donc de déterminer si le docteur Éric Dupras qui a émis un R.E.M. dans la présente affaire était le médecin traitant ou non du travailleur.
Le travailleur prétend que non.
La CSST prétend que oui de même que l’employeur.
[...]
Nous avons un rapport du docteur Éric Dupras, spécialiste en chirurgie générale, vasculaire et thoracique, adressé aux docteurs Guay et Adam, qui explique qu’après avoir examiné le patient, il conclut que M. Larrivée est affecté d’un phénomène de Raynaud à caractère professionnel.
L’on constate aisément que c’est le docteur Adam qui a référé M. Larrivée au docteur Dupras compte tenu de la nature de la spécialité médicale qui était requise étant donné l’origine spécifique de la pathologie dont on craignait être affecté le travailleur.
D’ailleurs, c’est ce même docteur Dupras qui a émis une attestation, en date du 28 février 2001, portant le numéro 60141 portant le diagnostic de Raynaud professionnel (p. 37 dossier CLP).
C’est le même docteur Dupras qui le même jour, soit le 28 février 2001, émettait un rapport final reprenant le même diagnostic et précisant qu’il y aurait atteinte permanente, des limitations fonctionnelles et qu’il produirait un rapport d’évaluation en conformité avec le barême des dommages corporels. (p. 38 dossier CLP)
Il s’agit des seules attestations médicales au dossier sur cette maladie professionnelle et elles ont tous été émises par le docteur Dupras.
Comment alors ne pas considérer le docteur Dupras comme le médecin ayant charge du travailleur même si le travailleur a été référé au docteur Dupras par d’autres médecins traitants du travailleur.
D’ailleurs, la Commission des lésions professionnelles dans de semblables circonstances a toujours reconnu que le médecin spéciale auquel le médecin de famille référait le travailleur devenant le médecin qui avait charge du travailleur au sens de la LATMP.
[...]
Si la Commission des lésions professionnelles considérait que le docteur Dupras n’est pas le médecin traitant du travailleur, il faudra annuler tout le processus de reconnaissance de la maladie professionnelle étant donné que si le docteur Dupras n’est pas un médecin traitant pour émettre une R.E.M., il ne l’était pas plus pour faire une attestation médicale ainsi qu’un rapport final. Ces attestations sont à la base de la reconnaissance par la CSST de la maladie professionnelle du travailleur.
Nous vous soumettons qu’il ne suffit pas qu’un travailleur soit insatisfait de l’évaluation que fait son médecin traitant pour s’en départir et trouver des excuses pour se choisir un autre médecin évaluateur.
Il est manifeste que le docteur Dupras est le médecin traitant dans le présent dossier. Non seulement M. Larrivée lui a été référé par le docteur Adam mais en plus il lui a été référé par le docteur Hélène Roy qui est le médecin de famille de M. Larrivée.
En effet, dans une déclaration du médecin traitant, sans doute destinée à l’assurance, il est clairement indiqué à la partie II, section 7 b) que le docteur Dupras est un des spécialistes auquel Mme Hélène Roy a référé M. Larrivée (p. 39 dossier CLP).
Il est à noter cependant que le docteur Dupras a mis un certain temps avant de produire son rapport d’évaluation médical. (R.E.M.)
En effet, même s’il le promettait de le faire rapidement dans son rapport final, il ne l’a fait que bien ultérieurement.
[...]
Le docteur Dupras, ultérieurement au rapport du 8 août 2001 du docteur Laroche, a pris connaissance de ce rapport d’expertise et a émis un R.E.M.
On retrouve d’ailleurs en page 40 du dossier de la Commission des lésions professionnelles un rapport d’évaluation médicale daté du 27 avril 2001 et expédié à la CSST par le docteur Dupras. Il se déclare d’accord avec l’évaluation du docteur Laroche. [...]
Le R.E.M. produit par le docteur Dupras à la fin de l’année 2001 a été produit conformément à ce qu’il avait indiqué dans son rapport final du mois de février 2001.
D’ailleurs pour que le docteur Dupras puisse produire un R.E.M., il a fallu que le travailleur aille le voir, ce qu’il a fait le 8 octobre 2000.
Pourquoi serait-il allé le voir s’il n’était pas son médecin traitant étant donné qu’il n’y était pas convoqué par la CSST.
C’est le travailleur qui a déterminé avec le docteur Dupras quelle date ils devaient se voir et contrairement aux prétentions du travailleur que l’on voit aux notes évolutives (p. 13) le docteur Dupras manifestement n’a pas refusé de faire un R.E.M.
Le docteur Dupras a sans doute indiqué au travailleur lors de cette rencontre qu’il était d’accord avec l’évaluation du docteur Laroche puisqu’il est consigné au dossier de la CSST que le travailleur confirme avoir apporté copie de cette expertise. Le travailleur a sans doute été déçu de l’atteinte permanente que le docteur Dupras était pour lui accorder, ce qui explique qu’il a commencé à trouver un autre médecin évaluateur.
Cependant, malgré cette insatisfaction que nous présumons, le travailleur n’a pas informé le docteur Dupras qu’il n’était plus son médecin traitant et n’a pas indiqué non plus à la CSST que le docteur Dupras n’était plus son médecin traitant. Pourtant, cela aurait été une belle occasion de le faire.
Nous vous référons deux décisions portant sur des faits relativement similaires, à savoir :
M. Serge Clément et Soudure Rondeau & Fils inc., décision rendue le 6 juillet 2000, à Montréal, par la commissaire Marie-Hélène Côté (C.L.P.)
[...]
M. Gérald Simard et Steamatic, decision rendue le 29 octobre 1999, `Chicoutimi, par le commissaire Me Pierre Simard (C.L.P.)
[…]
En conséquence, nous soumettons à la Commission des lésions professionnelles que le docteur Dupras était le médecin traitant du travailleur puisque le travailleur a accepté de plein gré de le rencontrer tant pour une attestation initiale que pour le rapport final et la production d’un R.E.M.
[…]
La Commission des lésions professionnelles a, à de très nombreuses reprises, indiqué que l’insatisfaction du travailleur par rapport au médecin qui a charge de son cas n’est pas suffisante pour changer de médecin traitant et tenté d’imposer une évaluation d’un autre médecin qui serait plus généreuse.
Nous vous référons notamment à la décision suivante :
Michelle Galipeau et Ville de Deux-Montagnes, décision rendue le 3 février 2000, à Montréal, par la commissaire Me Yolande Lemire (C.L.P.)
[...]
Le docteur Pierre Auger n’est pas, de toute façon, le médecin traitant du travailleur puisque les services de ce dernier n’ont été requis que lorsque le travailleur étant insatisfait des conclusions, qui seraient contenues au R.E.M. produit par le docteur Dupras, lui ont été communiquées par ce dernier.
D’ailleurs, le docteur Auger ne répond pas aux critères du médecin qui a charge défini par la jurisprudence. En effet, il n’a pas été référé par aucun des médecins ayant suivi M. Larrivée et son rôle s’est borné à ne produire qu’une expertise.
Nous vous référons à la décision suivante de la Commission des lésions professionnelles, soit celle rendue dans l’affaire José Armanda Osorio et Fabrique Notre-Dame de Quadalupe :
[…] décision rendue le 29 novembre 2000, à Montréal, par la Commissaire Me Danièle Gruffy (C.L.P.)
[…]
III- DE L’HYPOTHÈSE OÙ LE DOCTEUR AUGER EST RETENU COMME MÉDECIN TRAITANT DU TRAVAILLEUR:
Si vous arriviez à la conclusion que c’est le docteur Auger qui est le médecin traitant du travailleur et que c’est son R.E.M. qui devrait être retenu, vous devrez vous assurer que son R.E.M., au niveau du bilan des séquelles, est conforme au Règlement sur le barême des dommages corporels.
La seule différence, qui existe entre le R.E.M. du docteur Auger et le R.E.M. du docteur Dupras et l’expertise du docteur Laroche, est que le docteur Auger accorde des atteintes permanentes suite à un diagnostic qu’il pose d’atteinte du médian droit et gauche. Il accorde donc une atteinte permanente pour ce nouveau diagnostic et compte tenu du fait que, selon lui, il est bilatéral.
Or, pour être d’accord avec le R.E.M. du docteur Auger, il faudrait accepter qu’il y ait effectivement un nouveau diagnostic d’introduit dans la présente affaire.
Or, le docteur Auger ne peut introduire un nouveau diagnostic étant donné que ce diagnostic n’est pas mentionné aux attestations médicales émises par le médecin traitant qui est le docteur Dupras ne serait-ce, et ce, sans l’ombre d’un doute, jusqu’à l’émission du rapport final.
Non seulement la Commission des lésions professionnelles n’est pas soumise à la question d’un nouveau diagnostic puisque ceci n’a pas fait l’objet d’aucun débat mais toutes les parties en cause sont liées par le seul et unique diagnostic retenu relativement à la maladie professionnelle diagnostiquée chez M. Larrivée, soit "phénomène de Raynaud".
Nous vous référons à cet égard à l’arrêt Léo Beaumont et Ville de Chicoutimi,
[...] décision rendue le 10 janvier 2002, à Chicoutimi, par le commissaire Me Robert Deraiche (C.L.P.)
[…]
Le chapitre IV du Règlement sur le barême des dommages corporels, visant le système nerveux et périphérique, et plus particulièrement le tableau 15, section b) parlant de l’atteinte sensitive, spécifie qu’on ne peut accorder une indemnité pour des déficits sensitifs que s’ils sont objectivés sur une base reconnue scientifiquement. Il s’agit donc d’une évaluation objective et non subjective.
Or, dans le cas qui nous intéresse le docteur Auger se fie essentiellement sur ce que lui rapporte le travailleur, ce qui est subjectif et met de côté l’examen neurologique du docteur Roy qui était pourtant la manière scientifique et objective de l’évaluer.
Donc, même si on retenait que le docteur Auger est le médecin traitant du travailleur et qu’il pouvait produire un R.E.M., encore faudrait-il que ce R.E.M. soit conforme.
[…]
IV- QU’EN EST-IL DES DROITS DE CONTESTATION DE L’EMPLOYEUR:
Compte tenu de ce qui a été produit au dossier, l’employeur n’a jamais eu l’opportunité de contester le R.E.M. du docteur Auger étant donné que la CSST a toujours représenté à l’employeur que le docteur Auger n’était pas le médecin traitant du travailleur mais que c’était le docteur Dupras.
En conséquence, advenant le cas où la Commission des lésions professionnelles décidait que c’est le docteur Auger qui est le médecin traitant du travailleur, l’employeur afin de ne pas être lésé demande que la Commission des lésions professionnelles lui accorde un délai de 30 jours pour demander un arbitrage médical afin de contester cette évaluation du docteur Auger.
Il faut comprendre que l’employeur n’a jamais eu l’opportunité de le faire étant donné que le rapport du docteur Auger n’a jamais été considéré par la CSST comme émanant d’un médecin qui avait charge du travailleur, tel qu’en fait foi d’ailleurs la décision de la CSST retenant le R.E.M. du docteur Dupras. » [sic]
L’AVIS DES MEMBRES
[22] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la décision de la CSST devrait être confirmée. Il considère que le docteur Dupras agissait comme médecin traitant du travailleur. Pour conclure ainsi, il retient le fait que le docteur Dupras a émis une attestation médicale initiale ainsi qu’un rapport final le 28 février 2001 dans lesquels il retient le diagnostic de syndrome de Raynaud. À la même occasion, il annonce son intention de produire un rapport d’évaluation médicale. De plus, le membre issu des associations d’employeurs souligne que le travailleur a identifié le docteur Dupras comme médecin traitant dans un document transmis à la CSST le 5 septembre 2001. Il estime qu’il est le médecin le plus impliqué dans le dossier du travailleur et donc, la meilleure personne pour évaluer l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
[23] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la décision de la CSST devrait être infirmée. Il considère que la preuve prépondérante établit que le mandat de produire un rapport d’évaluation médicale a pris fin durant la rencontre du travailleur avec le docteur Dupras le 9 octobre 2001. Pour conclure ainsi, il souligne que le docteur Dupras ne l’a pas examiné lors de cette rencontre. De plus, il mentionne que le rapport d’évaluation médicale produit par le docteur Dupras ne confirme pas une nouvelle évaluation de la condition du travailleur, mais réfère à son examen antérieur et aux résultats des examens effectués par d’autres médecins. Il considère également crédible le témoignage non contredit du travailleur au sujet de son différend avec le docteur Dupras. Il se réfère aux notes évolutives du 21 octobre 2001 où l’agente d’indemnisation consigne que le travailleur a informé la CSST qu’il avait trouvé un autre médecin pour produire le rapport d’évaluation médicale. Il estime que le docteur Auger agissait comme médecin traitant en remplacement du docteur Dupras le 26 novembre 2001, moment où il a examiné le travailleur et produit un rapport d’évaluation médicale. En conséquence, il est d’avis qu’au moment de la réception du rapport d’évaluation médicale du docteur Dupras aux bureaux de la CSST, ce dernier n’était plus le médecin traitant du travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[24] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’atteinte permanente de la lésion professionnelle subie par le travailleur a été correctement établie dans la décision rendue par la CSST le 20 décembre 2001.
[25] Pour ce faire, le tribunal doit d’abord répondre aux prétentions du travailleur et statuer sur l’identité du médecin qui avait charge du travailleur lors de la production du rapport d’évaluation médicale.
[26] Pour disposer de cette question préliminaire, le tribunal se réfère aux dispositions suivantes de la loi :
192. Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.
________
1985, c. 6, a. 192.
199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:
1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou
2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.
Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.
__________
1985, c. 6, a. 199.
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
__________
1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
[27] La Commission des lésions professionnelles a déjà énoncé, dans l’affaire Marceau et Gouttière Rive-Sud Fabrication inc.[2], quatre critères d’identification du médecin qui a charge du travailleur. La commissaire Marchand énumère ces critères comme suit :
« 1) celui qui examine le travailleur; 2) celui choisi par le travailleur par opposition à celui qui lui serait imposé lors d'une expertise médicale demandée par la CSST ou l'employeur, par opposition également au médecin qui n'agit dans un dossier qu'à titre d'expert sans jamais suivre l'évolution médicale du patient; 3) celui qui établit un plan de traitement et enfin 4) celui qui assure le suivi du dossier du patient en vue de la consolidation de la lésion. »
[28] Plus récemment, dans l’affaire Leduc et Commission scolaire du Val-des-Cerfs[3], la Commission des lésions professionnelles s’est interrogée sur le rôle de deux médecins actifs dans le suivi du dossier d’une travailleuse. Dans cette affaire, il y avait un médecin traitant et un deuxième vers qui il avait dirigé la travailleuse pour une opinion supplémentaire. La preuve révèle que le médecin consultant avait suggéré un traitement bien que le médecin traitant ait continué de suivre activement la travailleuse. Le tribunal a conclu ainsi :
« [...] Qu’en est-il alors du docteur Younès ? Le docteur Tanguay a indiqué que c’est elle qui a requis l’opinion de ce médecin. Ce n’est donc pas par choix que la travailleuse a rencontré le docteur Younès, s’agissant plutôt d’une référence de son médecin traitant. Par contre, il est vrai que la travailleuse ne s’est pas objectée à ce que le docteur Younès l’examine et celui-ci a quand même fait un certain suivi médical. C’est lui qui a suggéré les épidurales et il faisait rapport de l’évolution de la situation au docteur Tanguay. Par contre, c’est le docteur Tanguay qui a examiné le plus souvent la travailleuse. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les notes évolutives fort détaillées du docteur Tanguay et voir le nombre de rapports médicaux qu’elle a remplis, une quinzaine, par rapport aux deux seuls du docteur Younès.
C’est le docteur Tanguay qui a suivi l’évolution de la travailleuse, qui a établi un plan de traitement et qui, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, doit ainsi être reconnu à titre de médecin qui a charge de la travailleuse. »
[29] Dans le présent dossier, la preuve révèle que le travailleur a été dirigé au docteur Dupras par son médecin de famille. L’implication du docteur Dupras s’est limitée à l’examen du travailleur et à la détermination d’un diagnostic qui a été reconnu par la CSST comme maladie professionnelle. Bien qu’il ait proposé, lors de la rédaction de son rapport final, de produire un rapport d’évaluation médicale, il n’a ni prescrit de traitements ni effectué de suivi médical.
[30] Même si le docteur Dupras ne rencontre pas tous les critères d’identification du médecin qui a charge du travailleur émis par la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, le tribunal reconnaît qu’il aurait été le médecin le mieux placé dans les circonstances pour produire le rapport d’évaluation médicale. D’ailleurs, le travailleur a confirmé son choix de retenir le docteur Dupras comme médecin évaluateur dans un document transmis à la CSST le 17 septembre 2001. Toutefois, le tribunal reconnaît que dans la présente affaire, une fois le diagnostic établi, la détermination de l’atteinte permanente aurait pu être faite par tout médecin connaissant la maladie de Raynaud.
[31] Comme l’a mentionné la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire St-Louis et Centre hospitalier de soins de longue durée René-Lévesque[4],le législateur a consacré dans la loi le principe de la primauté de l’avis du médecin ayant charge du travailleur sur les questions d’ordre médical. De plus, le tribunal a déjà statué que le libre choix du médecin traitant énoncé à l’article 192 de la loi est un principe fondamental. Dans l’affaire Lapointe[5], le tribunal s’est exprimé ainsi :
« Cet article de la loi accorde au travailleur le libre choix de son médecin traitant. Ce libre choix est un principe fondamental, d’autant que l’enjeu et les conséquences sont de taille pour le travailleur : les conclusions émises par le médecin ayant charge du travailleur peuvent lier la CSST aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi. »
[32] Le droit de choisir son professionnel de la santé infère également qu’un travailleur a le droit de changer de médecin si nécessaire. Bien qu’il aille à l’encontre de l’esprit de la loi qu’un travailleur « magasine » l’opinion médicale qui lui plaît, il a le droit de choisir un médecin en qui il a confiance. Il revient donc au tribunal d’apprécier les motifs du changement de médecin afin de déterminer si la substitution est légitime.
[33] En droit québécois, toute analyse de la preuve doit commencer par la déclaration ou la revendication de la personne qui exerce un droit, en l’occurrence, le travailleur. À moins d’indication contraire, la bonne foi du réclamant se présume. Le Code civil du Québec[6] nous enseigne ce principe : « [...] Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon l’exigence de la bonne foi [...] ». Dans le chapitre concernant la preuve[7], le législateur a établi : « [...] La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n’exige expressément de la prouver [...] ».
[34] La bonne foi d’un témoin s’analyse en conjonction avec l’appréciation de sa crédibilité. Celle-ci s’apprécie à l’aide de différents éléments notamment la perception, l’interprétation, le mensonge et l’expression. Voici ce que Phipson a écrit à ce sujet[8] :
« [...] Amongst the more obvious matter affecting the weight of a witness’s evidence may be classed his means of knowledge, opportunities of observation, reasons for recollection or belief, experience, powers of memory and perception and any special circumstances affecting his competency to speak to the particular case … all of which may be inquired into either in direct examination to enhance, or in cross-examination to impeach, the value of this testimony. […] »
[35] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le témoignage du travailleur est crédible et sans reproche. Il a répondu à toutes les questions qui lui ont été posées et a expliqué adéquatement les quelques contradictions qui apparaissaient au dossier entre sa version des faits et celle fournie à l’agente d’indemnisation de la CSST par le docteur Dupras.
[36] Le tribunal retient de la preuve que le travailleur a eu un différend avec le docteur Dupras lors de sa consultation du 9 octobre 2001. Ce différend découle non pas de considérations médicales, mais d’une mésentente ou d’une mauvaise compréhension du rôle du médecin désigné de la CSST, le docteur Laroche. Selon le témoignage du travailleur, le docteur Dupras n’a pas apprécié le fait que son opinion médicale ait été réévaluée par un deuxième médecin. Le tribunal retient également que la rencontre avec le docteur Dupras n’a duré que cinq minutes, et que ce dernier n’a pas examiné le travailleur de nouveau et l’a informé qu’il ne produirait pas de rapport d’évaluation médicale. Le témoignage du travailleur est confirmé en partie par le docteur Dupras lui-même, dans son rapport d’évaluation médicale, lorsqu’il écrit : « Je n’ai pas procédé à de nouvelles évaluations vasculaires non évasives, acceptant intégralement le résultat des examens du Dr Laroche qui reflète un phénomène de Raynaud associé au syndrome vibratoire sévère ». Le tribunal considère également que le délai de production du rapport d’évaluation médicale reflète les priorités du docteur Dupras.
[37] À son retour de son rendez-vous avec le docteur Dupras, le travailleur a informé la CSST qu’il entreprenait des démarches pour choisir un autre professionnel de la santé afin de produire le rapport d’évaluation médicale. La preuve non contredite établit que la démarche du travailleur n’avait pas pour but d’écarter l’opinion du docteur Dupras mais uniquement d’identifier un nouveau médecin évaluateur, étant donné qu’il refusait de produire ledit rapport. Il appert également, à la lecture des notes évolutives, que l’agente d’indemnisation de la CSST a accepté tacitement que le travailleur désigne un nouveau médecin pour produire le rapport d’évaluation médicale.
[38] Après avoir analysé les circonstances propres au présent dossier, le tribunal est d’avis que lorsque le docteur Dupras a produit le rapport d’évaluation médicale, le travailleur avait déjà désigné un nouveau médecin évaluateur, et ce, sans objection de la CSST. Il souligne que le rapport du docteur Dupras a été produit une semaine après l’examen du docteur Pierre L. Auger. Le tribunal estime que les particularités du présent dossier commandent la reconnaissance du docteur Auger comme médecin traitant lors de la production du rapport d’évaluation médicale.
[39] Toutefois, le tribunal partage l’opinion du représentant de l’employeur quant à son droit d’entamer un processus lui permettant d’obtenir, si nécessaire, un avis du Bureau d’évaluation médicale. L’article 212 de la loi accorde à l’employeur un délai de 30 jours, de la date de réception de l’attestation ou du rapport, pour le contester. Néanmoins, le traitement administratif du présent dossier a fait en sorte qu’il n’a pas contesté le rapport d’évaluation médicale du docteur Auger dans le délai prescrit, se fiant à la décision de la CSST qui retenait le déficit anatomo-physiologique établi par le docteur Dupras. Compte tenu que la présente décision infirme la décision de la CSST et substitue le rapport d’évaluation médicale produit par le docteur Auger à celui du docteur Dupras, relativement à la détermination du déficit anatomo-physiologique, un délai de 30 jours, à compter de la réception de la présente, est accordé à l’employeur pour transmettre à la CSST un rapport infirmant les conclusions du docteur Auger, en conformité avec la procédure d’évaluation médicale.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE EN PARTIE la requête de monsieur Yvan Larrivée, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 24 avril 2002 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le docteur Pierre L. Auger était le médecin traitant qui avait charge du travailleur lorsqu’il a produit son rapport d’évaluation médicale le 9 décembre 2001;
CONFIRME le droit de l’employeur de contester le rapport d’évaluation médicale du docteur Pierre L. Auger;
ACCORDE à l’employeur un délai de 30 jours, de la présente, pour transmettre à la Commission de la santé et de la sécurité du travail un rapport infirmant les conclusions dudit rapport d’évaluation médicale, tel que stipulé à l’article 212 de la loi;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, afin qu’une nouvelle décision soit rendue relativement à l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de travailleur.
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Marceau et Gouttière Rive-Sud Fabrication inc., C.L.P. 91084-62-9709, 22 octobre 1999, H. Marchand.
[3] Leduc et Commission scolaire du Val-des-Cerfs, C.L.P. 136313-62B-0004, 11 avril 2001, N. Blanchard.
[4] St-Louis et Centre hospitalier de soins de longue durée René-Lévesque, C.L.P. 114337-62-9903, 15 juin 2000, L. Vallières.
[5] Lapointe et Compagnie métropolitaine d’arboriculture, C.L.P. 164522-64-0106, 5 septembre 2001, B. Lemay.
[6] Code civil du Québec, 7e édition, Les Éditions Yvon Blais, art. 6.
[7] Ibid., art. 2805.
[8] Phipson, On Evidence, 13e éd., par Buzzard, May et Howard, London, Sweet and Maxwell, 1982, p. 590, no 27-60 à 27-71.