Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Lamy (Succession de) et Stork Bronswerk inc.

2012 QCCLP 4969

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Salaberry-de-Valleyfield

27 juillet 2012

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

463721-62C-1202

 

Dossier CSST :

137097465

 

Commissaire :

Norman Tremblay, juge administratif

 

Membres :

Ronald G. Hébert, associations d’employeurs

 

Mario Benjamin, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Jean-Marie Latreille, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Jacques Lamy (succession)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Stork Bronswerk inc. (F)

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 24 février 2012, la succession Jacques Lamy (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 25 janvier 2012 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 7 octobre 2011 et déclare que la réclamation du travailleur pour une maladie professionnelle a été soumise hors délai.

[3]           La Commission des lésions professionnelles tenait une audience à Salaberry-de-Valleyfield le 17 juillet 2012 en la présence de la représentante de la succession du travailleur ainsi que son procureur.

L’AVIS DES MEMBRES

[4]           Le membre issu des associations syndicales ainsi que le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis d’accueillir la requête du travailleur. Ils sont d’avis que le travailleur a produit sa réclamation à l’intérieur du délai de six mois prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et que la preuve démontre que le travailleur a contracté une maladie professionnelle pulmonaire soit, en l’occurrence, l’amiantose et le cancer du poumon et qu’il en est décédé.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           La Commission des lésions professionnelles doit décider, dans un premier temps, si la réclamation produite par la succession le 26 octobre 2010 a été faite à l’intérieur du délai prévu à l’article 272 de la loi. Cet article prévoit ce qui suit :

272.  Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.

 

Ce formulaire porte notamment sur les noms et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.

 

La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.

__________

1985, c. 6, a. 272.

 

 

[6]           La réclamation doit donc être produite dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle ou qu’il en est décédé.

[7]           Qu’en est-il en l’espèce?

[8]           Le dossier révèle que la CSST a compris d’une lettre datée du 17 août 2010 de madame Nadine Lamy, qui est la représentante de la succession, l’exécutrice testamentaire et unique héritière du travailleur, que ce dernier a su en 2006 qu’il avait l’amiantose, mais qu’il n’a pas produit de réclamation parce qu’il ne voulait pas « se casser la tête avec ça ».

[9]           Dans cette lettre, madame Lamy explique que le travailleur a été exposé à l’amiante au début de sa carrière alors qu’il travaillait à titre de mécanicien en réfrigération sur les bateaux pour la compagnie Équipement Galt enr., entre 1970 et 1980. Elle ajoute que lors d’une consultation médicale en 2006, le travailleur est informé qu’une radiographie des poumons démontre une exposition à l’amiante.

[10]        La CSST en conclut qu’en 2006 le travailleur avait connaissance du fait qu’il était porteur d’une maladie professionnelle, et rend la décision faisant l’objet de la présente contestation.

[11]        La preuve entendue à l’audience est toute autre. Madame Lamy réitère que son père avait été exposé à l’amiante durant les années 1970 à 1980 lorsqu’il travaillait pour la compagnie Équipement Galt enr., à titre de mécanicien en réfrigération. Tous les tuyaux qui se trouvaient sur le bateau étaient isolés avec de l’amiante, de telle sorte que quand son père avait à les scier, il était exposé à de l’amiante.

[12]        Le travailleur était un fumeur (environ un paquet et demi de cigarettes par jour) et en 2006, il a commencé à avoir des problèmes de nature obstructive pulmonaire qui l’ont amené à consulter.

[13]        Le dossier médical du travailleur est déposé en preuve et on y retrouve effectivement une consultation datée du 22 juin 2006 où le travailleur explique à son médecin qu’il se sent « pas nécessairement essoufflé, mais qu’il a l’impression d’avoir un blocage au niveau du poumon »[2]. Il explique à son médecin qu’il avait eu une exposition à l’amiante et qu’il craint que ses problèmes de poumons soient reliés à cette exposition.

[14]        Une investigation est donc entreprise par le médecin qui trouve effectivement des plaques pleurales non calcifiées au niveau des poumons, qui témoignent que le travailleur aurait été exposé à de l’amiante. Par contre, l’investigation se poursuit, et l’impression diagnostique est « plaques plurales sans amiantose pour l’instant »[sic][3] ainsi qu’une bronchite persistante.

[15]        À compter de cette date, le travailleur ne consulte pas pour un problème au niveau des poumons jusqu’à ce qu’il entre à l’hôpital au début de l’année 2010 en rapport avec un problème de perte de sensibilité à l’hémicorps gauche. On a vite diagnostiqué un cancer du poumon en phase terminale. On informe madame Lamy que son père a environ trois mois à vivre. Il est effectivement décédé trois mois plus tard, soit le 17 mai 2010.

[16]        Au mois de juin 2010, on remet à madame Lamy le certificat de décès sur lequel il est inscrit « amiantose » comme l’une des causes du décès. Cette mention incite madame Lamy à s’enquérir de ses droits auprès de la CSST, d’où la lettre du 17 août 2010 mentionnée plus haut, et ensuite à produire une réclamation à la CSST le 26 octobre 2010.

[17]        De cette preuve, le tribunal conclut que la réclamation produite par la succession a été faite à l’intérieur du délai prescrit à l’article 272 de la loi.

[18]        En effet, il est faux de prétendre qu’en 2006, le travailleur avait connaissance du fait qu’il était porteur d’une maladie professionnelle, bien au contraire.

[19]        La preuve démontre plutôt qu’en 2006, le travailleur avait des craintes d’être aux prises avec une maladie reliée à l’exposition de l’amiante lorsqu’il a consulté en raison de ses difficultés respiratoires.

[20]        Par contre, l’investigation médicale révèle qu’il est aux prises avec une bronchite persistante. Quant à l’exposition à l’amiante, dont on avait tenu compte dans cette investigation, on retrouve des plaques pleurales non calcifiées qui confirment une exposition à l’amiante, mais on conclut qu’il n’est pas aux prises avec la maladie de l’amiantose.

[21]        Ainsi, en 2006, il a été porté à l’attention du travailleur qu’il n’était pas aux prises avec une maladie professionnelle pulmonaire.

[22]        Entre 2006 et le décès du travailleur, il n’a plus été question de problèmes pulmonaires et il n’a d’ailleurs jamais consulté pour ce motif jusqu’à son hospitalisation au début de 2010. Une fois hospitalisé, il décède très rapidement d’un cancer du poumon, soit à l’intérieur de trois mois.

[23]        La connaissance que le travailleur était possiblement atteint d’une maladie professionnelle est transmise à la succession par l’entremise du certificat de décès du travailleur où on y indique, comme cause possible du décès, le fait qu’il était porteur d’une amiantose.

[24]        Pour le tribunal, le point de départ de la prescription de l’article 272 de la loi est donc le début de juin 2010, date où madame Lamy a reçu une copie du certificat de décès.

[25]        La réclamation de la succession est donc recevable.

[26]        Le tribunal doit maintenant décider si le travailleur a contracté une maladie professionnelle pulmonaire.

[27]        La maladie professionnelle est définie comme suit aux articles 29 et 30 de la loi :

29.  Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[28]        L’amiantose est décrite à l’annexe 1, section V de la loi, où l’on retrouve ce qui suit :

SECTION V

 

MALADIES PULMONAIRES CAUSÉES PAR DES POUSSIÈRES ORGANIQUES ET INORGANIQUES

 

 

 

MALADIES

 

 

GENRES DE TRAVAIL

 

1.         Amiantose, cancer             pulmonaire ou             mésothéliome causé par             l’amiante

 

 

            Un travail impliquant une             exposition à la fibre             d’amiante;

 

 

 

 

 

 

[29]        Ainsi, une personne atteinte d’amiantose, de cancer pulmonaire ou de mésothéliome causé par l’amiante, qui a exercé un travail impliquant une exposition à la fibre d’amiante est présumée avoir contracté une maladie professionnelle.

[30]        Le législateur a également prévu des dispositions particulières aux maladies professionnelles pulmonaires en ce qui concerne la procédure d’évaluation médicale, notamment au niveau du diagnostic et autre constatation. Les articles pertinents à cet égard sont :

226.  Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.

__________

1985, c. 6, a. 226.

 

 

[…]

 

 

230.  Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.

 

Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.

__________

1985, c. 6, a. 230.

 

 

231.  Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.

 

Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.

 

Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.

__________

1985, c. 6, a. 231.

 

 

[…]

 

233.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article 231 .

__________

1985, c. 6, a. 233.

 

 

[31]        En vertu de ces articles, dès qu’il y a allégation de maladie professionnelle pulmonaire, la CSST doit se conformer à la procédure d’évaluation médicale qu’on trouve aux articles cités plus haut.

[32]        Dans le présent cas, le dossier du travailleur a été transmis à un Comité des maladies professionnelles pulmonaires (CMPP) composé des pneumologues Raymond Bégin, André Cantin et Pierre Larivée. Le rapport du CMPP du 14 juillet 2011 démontre que les membres doutaient que le travailleur ait contracté l’amiantose au motif que l’imagerie scanographique thoracique dont ils disposaient « démontre de multiples plaques pleurales avec un épaississement pleural gauche plus important, mais sans atteinte interstitielle ».

[33]        Comme le travailleur a une histoire de tabagisme non investiguée, le CMPP préfère attendre de recevoir une étude complémentaire sur ce sujet. Cette étude complémentaire indique que le travailleur a fumé d’un paquet à un paquet et demi pendant environ 35 ans et qu’il avait cessé de fumer 12 ans avant sa consultation du début l’année 2010.

[34]        Cette information amène le CMPP, dans un rapport complémentaire du 9 septembre 2011, à conclure que le travailleur n’était pas porteur d’amiantose et qu’il n’y a donc pas de relation entre son décès et l’exposition à l’amiante.

[35]        Comme le prévoit la loi, le dossier fut ensuite transmis au Comité spécial des présidents (CSP) qui était composé des docteurs André Cartier, Neil Colman et Francis Laberge qui ont émis un avis en date du 22 septembre 2011.

[36]        Le CSP interprète l’imagerie scanographique différemment du CMPP. On retrouve ce qui suit dans l’avis du CSP :

[…]

 

L’imagerie scanographique dont nous disposons actuellement démontre de nombreuses plaques pleurales ainsi qu’une réticulation assez diffuse dans l’interstice du poumon compatible avec une amiantose.

 

 

 

 

Le CSP poursuit en mentionnant ce qui suit :

Dans le contexte, ils modifient les conclusions émises par le comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke et reconnaissent que monsieur Lamy était porteur d’amiantose et qu’il était également porteur d’un cancer pulmonaire professionnel.

 

 

[37]        Le CSP complète son avis en mentionnant que le travailleur est décédé des suites de sa maladie pulmonaire professionnelle et qu’on doit lui reconnaître un déficit anatomo-physiologique de 120 %.

[38]        Le tribunal estime que l’avis du CSP est prépondérant. En effet, ce qui séparait les deux comités en regard du diagnostic est une divergence d’interprétation de résultat de scanographie thoracique.

[39]        Or, une autre scanographie thoracique effectuée le 25 février 2010, interprétée par le docteur Gilles Dubuc, mentionne que l’on retrouvait des « plaques pleurales dont quelques-unes postérieure gauche, présentant des petites calcifications d’origine probablement amiantostiques ».

[40]        Cette opinion supplémentaire de l’avis du tribunal vient dissiper tout doute sur le diagnostic d’amiantose. Si la scanographie thoracique interprétée par le CMPP et le CSP était sujette à interprétation, ce n’est plus cas à la suite de la scanographie du 25 février 2010.

[41]        Le travailleur a donc contracté la maladie de l’amiantose. Ce diagnostic s’ajoute au diagnostic de cancer du poumon.

[42]        Le tribunal est d’avis que le travailleur a été exposé à la fibre d’amiante lors du travail qu’il a effectué pour la compagnie Équipement Galt enr. à titre de mécanicien en réfrigération sur des bateaux.

[43]        La présomption de l’article 29 de la loi s’applique donc en faveur du travailleur, ce qui amène le tribunal à conclure que le travailleur a contracté une maladie professionnelle pulmonaire soit, en l’occurrence, l’amiantose et un cancer du poumon.

[44]        La preuve démontre également que le travailleur est décédé de cette maladie. À cet égard, l’avis émis par le CSP indique clairement que le travailleur est décédé d’une maladie professionnelle pulmonaire. Implicitement, ils acceptent donc qu’il y eût une interaction entre l’amiantose du travailleur et le développement du cancer pulmonaire qui a mené à son décès malgré ses habitudes tabagiques.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de la succession Jacques Lamy;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité au travail rendue le 25 janvier 2012 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la réclamation de la succession Jacques Lamy est recevable;

DÉCLARE que monsieur Jacques Lamy a contracté une maladie professionnelle pulmonaire, à savoir, l’amiantose et le cancer du poumon;

DÉCLARE que monsieur Jacques Lamy est décédé de cette maladie professionnelle pulmonaire;

DÉCLARE que la succession de monsieur Jacques Lamy a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

__________________________________

 

Norman Tremblay

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Vincent Boulet

SLOGAR

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Notes du docteur Sydney Maynard du 18 aout 2006.

[3]           Notes du docteur Herrera du 22 aout 2006.

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