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[1] Le 3 octobre 2005, monsieur Dany Savard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 20 septembre 2005, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 28 juin 2005 et refuse le complément de formation demandé par le travailleur suite à son plan individualisé de réadaptation.
[3] À l’audience qui s’est tenue à Longueuil le 11 janvier 2006, le travailleur est présent et représenté. Pour sa part, Olymel St-Hyacinthe (l’employeur) est absent bien que dûment convoqué.
[4] Le travailleur a acheminé au tribunal un complément de preuve qui a été reçu le 16 janvier 2006. L’affaire a été prise en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles qu’elle ordonne à la CSST de vérifier ses compétences et de lui octroyer un complément de formation pour l’emploi convenable déterminé de programmeur analyste.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que puisque le travailleur a réagi tardivement par rapport à la preuve concernant le défaut de formation, sa requête doit être rejetée.
[7] Pour sa part, le membre issu des associations syndicales est d’avis que le témoignage du travailleur est crédible et non contredit et la preuve révèle que ce dernier a pris conscience du défaut de la formation reçue, alors qu’il a écouté un reportage à la télévision qui a été déposé en preuve. Sa requête doit donc être accueillie.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[8] Monsieur Dany Savard est victime d’un accident du travail le 30 septembre 1999. Le 14 septembre 2000, la CSST met en place, avec ce dernier, une mesure de formation visant l’obtention d’une attestation d’études de niveau collégial dispensée par l’Institut Descartes.
[9] Monsieur Savard étudie donc pour devenir programmeur analyste et reçoit son diplôme le 9 septembre 2002. Le 11 septembre 2002, la CSST rend la décision statuant sur la capacité du travailleur d’exercer l’emploi convenable de programmeur analyste client serveur et Web à compter du 9 septembre 2002. Cette décision n’est pas contestée par le travailleur.
[10] Le 22 juin 2005, le représentant du travailleur informe la CSST que le travailleur a complété une formation dispensée par l’Institut Descartes et soutient que la formation offerte était incomplète. Il soumet que l’organisme qui est responsable de la formation a fait l’objet de reportages portant sur l’insatisfaction des étudiants, reportage qui a eu pour effet de miner la crédibilité de la candidature du travailleur pour ses emplois éventuels. Le représentant explique qu’étant donné les résultats négatifs de la démarche de recherche d’emploi qui s’expliquaient surtout par une formation incomplète, le travailleur demande que le programme de formation déjà suivi soit bonifié, ce qui lui permettrait de disposer des outils nécessaires pour trouver un emploi dans le domaine de l’informatique.
[11] Le 20 septembre 2005, la révision administrative confirme la décision initiale du 28 juin 2005, refusant la demande du travailleur, ce qui fait l’objet du présent litige.
[12] À l’audience, le travailleur fait visionner au tribunal le reportage précité.
[13] Par la suite, le travailleur témoigne concernant les cours qui ont été dispensés à l’Institut Descartes et des problèmes rencontrés pour pouvoir passer ses cours. Finalement, le document acheminé par le représentant du travailleur, le 13 janvier 2005, est un jugement autorisant un recours collectif déposé à la Cour supérieure par d’autres étudiants de l’Institut Descartes insatisfaits de la formation reçue.
[14] Le jugement se lit comme suit :
[…]
[3] CONSIDÉRANT que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées, que le recours paraît sérieux et montre apparence de droit;
[4] CONSIDÉRANT que le requérant est apte à représenter adéquatement les membres du groupe et le groupe;
[5] CONSIDÉRANT que les questions identifiées sont similaires, connexes ou identiques;
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[6] ACCUEILLE la requête et AUTORISE le recours collectif pour le compte du groupe décrit comme suit :
« Toutes les personnes ayant conclu un contrat de services éducatifs avec l'Institut Descartes, (maintenant connu sous la raison sociale ¨Institut Isacsoft Inc.¨), qui ont subi des dommages causés par l'Institut, notamment en raison de fausses représentations, de conduite fautive ou non conforme aux attentes normales et raisonnables quant à l'exécution de ses obligations et aux défauts de remplir ses obligations contractuelles et extra-contractuelles ».
[7] ATTRIBUE au requérant Nelson Tavares, assistant gérant, domicilié au 6242 de la 28ième Avenue à Montréal, H1T 3H9, le statut de représentant des membres du groupe décrit ci-dessus, aux fins d'exercer le recours collectif;
[8] IDENTIFIE comme suit les principales questions de fait et de droit et les conclusions recherchées qui s'y rattachent :
« (1) L'intimée Institut Isacsoft et l'Institut Descartes et leurs représentants ont-ils manqué à leurs obligations contractuelles et extra-contractuelles à l'égard des membres et fait des fausses représentations?
(2) Ces manquements et représentations ont-ils causé des dommages aux membres du groupe?
(3) Quels dommages monétaires compensatoires doivent en conséquence être accordés à chaque membre du groupe?
(4) Les membres ont-ils droit à des dommages moraux et à des dommages exemplaires et punitifs?
(5) À quelle somme chaque membre du groupe a-t-il droit?
LES CONCLUSIONS SUIVANTES SONT RECHERCHÉES :
(1) CONDAMNER l'Institut Isacsoft Inc. à payer au requérant et à chaque membre :
(a) 15 115 $ (soit 12 915 $ pour frais de scolarité; 200 $ pour frais d'inscription; 1 000 $ pour achats de manuels et volumes de formation et logiciels; 1 000 $ pour intérêts sur prêts étudiants, le tout à titre de dommages monétaires et compensatoires);
(b) 20 000 $ à titre de dommages moraux et pour troubles et inconvénients;
(c) 500 $ à titre de dommages exemplaires et punitifs;
(d) l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil à compter du 27 avril 2005;
(2) CONDAMNER l'Institut Isacsoft Inc. aux frais et dépens incluant le coût des pièces, d'expertises et de publication d'avis;
(3) ORDONNER le recouvrement collectif desdites condamnations ci-dessus et le dépôt au greffe de cette cour de leur somme totale dans les trente (30) jours du jugement final ».
[15] Les faits de cette requête en recours collectif recoupent pour l’essentiel le témoignage du travailleur à l’audience, témoignage qui n’a pas été contredit.
[16] Donc, dès le début de la formation du travailleur, des problèmes sérieux sont apparus relativement à l’encadrement de la formation en programmation multimédia, notamment.
[17] L’Institut Descartes était complètement désorganisé, tant au niveau des locaux que des ressources humaines et matérielles. À titre d’illustration, les cours regroupaient dans les mêmes classes des étudiants de niveaux complètement différents, des novices aux finissants, ce qui nuisait à tous les étudiants.
[18] L’Institut Descartes n’était pas doté des équipements nécessaires pour prodiguer l’enseignement en programmation multimédia promis, les ordinateurs disponibles étaient soient trop peu nombreux ou simplement pas assez performants pour permettre la programmation multimédia. En fait, des accessoires et équipements aussi indispensables et essentiels que des souris avec roulettes et appareils audio étaient manquants sur les ordinateurs mis à la disposition des étudiants.
[19] Contrairement à ce qu’avait promis l’institut, la majorité des logiciels fournis par celui-ci n’étaient que des versions d’essais gratuites, communément appelés « Shareware », qui par leur nature, sont des versions incomplètes qui ne permettent pas une utilisation et une programmation complète multimédia.
[20] Par surcroît, d’autres logiciels étaient simplement que de vulgaires versions piratées désuètes et/ou incompatibles mises à la disposition des étudiants. En fait, les trop rares logiciels de programmation originaux, qui étaient disponibles pour les étudiants, consistaient en des versions dépassées de plusieurs générations qui fonctionnaient mal avec les équipements informatiques de l’institut, lesquels étaient encore plus désuets.
[21] En raison de cet état de fait, le travailleur a dû acheter lui-même et débourser de ses poches régulièrement pour des logiciels de programmation, et cela, contrairement à ce qui avait été promis par la représentante de l’institut.
[22] Règle générale, les manuels scolaires fournis par l’institut n’étaient que très rarement les manuels d’instruction originaux diffusés par les compagnies. En fait, les manuels fournis consistaient plutôt en des assemblages incomplets de photocopies de mauvaises qualités provenant des manuels d’origine, le tout, en total contradiction avec ce qui avait été promis par l’institut. De plus, la documentation et les manuels essentiels qui devaient être fournis par l’institut étaient, soit non distribués ou simplement distribués en retard de plusieurs semaines après le début des cours, et ainsi, contraignant les étudiants à débourser et à acheter eux-mêmes tout le matériel nécessaire à l’accomplissement du programme de cours.
[23] Quant à la diffusion de l’enseignement par l’institut, il est arrivé que celui-ci soit effectué par de simples étudiants, des étudiants récemment diplômés, des employés de magasins, tel que Futur Shop, et/ou autres personnes sans formation pédagogique.
[24] Quant au service de stage, celui-ci était sporadique, aléatoire et aucun stage viable et/ou rémunéré n’a été offert au travailleur. D’ailleurs, le « prétendu » poste et/ou département affecté à la gestion des stages a été aboli durant les études du représentant chez l’Institut Descartes, laissant le travailleur sans les ressources de placement qui avaient été promises.
[25] De plus, la preuve révèle qu’en aucun temps des ententes existaient entre de grandes firmes de multimédia et l’Institut Descartes, notamment avec la compagnie Ubisoft. Dans les faits, en aucun temps les trop rares stages offerts aux étudiants ne provenaient d’entreprises reconnues mais plutôt de simples particuliers et/ou de petits entrepreneurs cherchant de la main-d’œuvre bon marché et n’offrant ni en substance ni en durée, les conditions minimales requises pour un stage de perfectionnement, le tout contrairement à ce qu’avait promis par l’Institut Descartes. Dans certains cas, c’est l’institut qui fut rémunéré en lieu et place du stagiaire, le tout, à l’insu des étudiants lesquels travaillaient gratuitement pour compléter leurs stages.
[26] Finalement et contrairement aux promesses faites par l’Institut Descartes, en aucun temps cette dernière n’a apporté un soutien tangible et effectif au travailleur dans la recherche pour un stage viable et les interventions de l’institut relevaient davantage d’une mascarade que d’une intention réelle d’honorer ses engagements.
[27] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) édicte ce qui suit aux articles 146, 147 et 171 :
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
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1985, c. 6, a. 146.
147. En matière de réadaptation, le plan individualisé constitue la décision de la Commission sur les prestations de réadaptation auxquelles a droit le travailleur et chaque modification apportée à ce plan en vertu du deuxième alinéa de l'article 146 constitue une nouvelle décision de la Commission.
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1985, c. 6, a. 147.
171. Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent et que son employeur n'a aucun emploi convenable disponible, ce travailleur peut bénéficier de services d'évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l'aider à déterminer un emploi convenable qu'il pourrait exercer.
Cette évaluation se fait notamment en fonction de la scolarité du travailleur, de son expérience de travail, de ses capacités fonctionnelles et du marché du travail.
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1985, c. 6, a. 171.
[28] En l’espèce, la preuve prépondérante et non contredite à l’audience permet de conclure que l’Institut d’enseignement Descartes a procédé à des représentations trompeuses et mensongères lors des démarches précontractuelles dans le but de conclure un contrat de service éducatif avec le travailleur, et ce, via la CSST.
[29] La preuve révèle que cet institut a omis de fournir en temps utile au travailleur, tout le matériel pédagogique spécifique promis et nécessaire à la formation en programmation multimédia.
[30] L’Institut Descartes n’a pas respecté l’engagement de fournir un emploi assuré en multimédia au travailleur et a omis de fournir au travailleur en temps utile, soit notamment un service de placement et d’aide à l’emploi aux étudiants viable, effectif et adéquat.
[31] D’ailleurs, l’Institut Descartes a aboli le département et le poste du responsable des stages et aussi n’a pas fourni au travailleur un réel service de stages viable, et cela contrairement aux promesses de l’institut à cet effet.
[32] L’Institut Descartes a par ailleurs laissé croire faussement au travailleur et à la CSST qu’elle possédait des ententes de stages avec de grandes entreprises reconnues du multimédia ayant notamment pour conséquence d’avoir induit en erreur ces derniers et de ne avoir fourni de stages viables, effectifs et adéquats en programmation multimédia, le tout, contrairement à ce que promis.
[33] L’Institut Descartes a omis de fournir en temps utile le matériel pédagogique promis, tel que notamment : les manuels et logiciels originaux provenant des concepteurs des logiciels. Il a aussi omis de fournir en temps utile au travailleur l’équipement informatique promis et répondant aux standards et/ou des normes de cette industrie et auquel le travailleur était en droit de s’attendre en vertu du concept de l’expectative raisonnable véhiculée par l’institut dans ses promesses d’une formation et d’équipements à la fine pointe de la technologie.
[34] Finalement, l’Institut Descartes n’a pas fourni au travailleur le support et une formation adéquate permettant réellement l’obtention d’un emploi de programmation multimédia.
[35] Bref, la preuve prépondérante et non contredite démontre que la formation dispensée par l’Institut Descartes, pour laquelle la CSST a conclu un contrat de formation professionnelle pour le compte du travailleur, était pour le moins déficiente voire inadéquate. Or, les faits relatés dans le témoignage du travailleur permettent à la Commission des lésions professionnelles de conclure, par prépondérance de preuve, que la formation octroyée au travailleur était inadéquate et ne peut vraisemblablement pas rendre le travailleur capable d’exercer l’emploi convenable identifié. Il y a donc lieu de reprendre l’évaluation de ses compétences dans l’emploi identifié, et ce, compte tenu des circonstances très particulières du présent dossier. Le plan de réadaptation doit donc être modifié, en vertu du deuxième alinéa de l’article 146 et de l’article 147 précités, avec la collaboration du travailleur, et ce, pour tenir compte de ces circonstances nouvelles.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 20 septembre 2005, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le plan individualisé de réadaptation de monsieur Dany Savard doit être modifié.
ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail d’évaluer les compétences de programmeur analyste du travailleur et de lui octroyer une formation professionnelle complémentaire adéquate.
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Éric Ouellet |
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Commissaire |
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M. Guy Rivard |
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T.U.A.C. |
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Représentant de la partie requérante |
AVIS :
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