Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

RÉGION:

MONTÉRÉGIE

MONTRÉAL, le 25 juin 1999

 

DOSSIER:

100090-62-9804

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Me Lucie Couture

 

 

 

 

ASSISTÉE DES MEMBRES :

Alain Crampé

 

 

Associations d'employeurs

 

 

William Basque

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

ASSESSEUR :

Docteur Pierre Phénix

 

 

 

DOSSIER CSST :

109274043

AUDIENCE TENUE LE :

PRISE EN DÉLIBÉRÉ :

17 mai 1999

7 juin 1999

 

DOSSIER BRP :

62300001

À :

Longueuil

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MICHEL ROY

120, Place de l’Adage

La Prairie (Québec)

J5R 4K8

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

ET

 

 

 

 

 

HAWKER SIDDELEY Canada INC.

3, Robert Speck Parway,  #700

Mississauga (Ontario)

L4Z 2G5

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


DÉCISION

 

[1.]             Le 2 avril 1998, monsieur Michel Roy, (le travailleur), dépose une contestation à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue le 27 janvier 1998 par le Bureau de révision de la région de Longueuil.  Cette décision majoritaire confirme la décision rendue le 5 août 1996 qui refusait la réclamation du travailleur pour la maladie de Parkinson suite à une intoxication au manganèse et qui s’est manifestée le 1er juillet 1993.

[2.]             Seul le travailleur est présent à l’audience du 17 mai 1999 et représenté.

OBJET DU LITIGE

[3.]             Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la maladie de Parkinson dont il souffre découle ou est en relation avec une intoxication au manganèse et qu’il a droit aux indemnités prévues par la loi.

LES FAITS

[4.]             Le travailleur produit une réclamation pour une maladie de Parkinson qu’il attribue à une intoxication au manganèse subie, alors qu’il était à l’emploi de l’employeur, du 16 août 1978 au 13 novembre 1993, date de sa mise à pied.

[5.]             Cette réclamation est datée du 6 septembre 1995.  Il indique avoir travaillé dans le manganèse et dans le cyanure.  Il énumère les divers postes de travail qu’il a occupés sans préciser toutefois la durée de chacun.  Cette liste se lit comme suit :

« J’ai travaillé dans le manganèse 3e homme sur les fournaises, travailler opérateur de lift truck, travailler manipulateur de roues, travailler aide inspecteur, travailler skid blouwer, travailler aide mécanicien travailler utilité main dans la forge travailler de presse emboutir travailler elper dans le pit, travailler comme peseur de blocs, travailler comme nettoyeur de poussières, travailler comme décapeuse à la granaille, travailler comme aide-inspecteur de roues, travailler comme ….huileur, travaille comme journalier, travail opérateur de machine à encocher, aide briquet, aide mécanicien d’entretien. »

 

 

 

[6.]             Le travailleur a consulté le docteur André Bellavance, neurologue, suite à la référence faite par son médecin de famille, le docteur Suzanne Côté.  Ce neurologue pose, le 9 janvier 1995, un diagnostic de maladie de Parkinson.  Une tomographie axiale datée du 15 mars 1995 démontre des calcifications bilatéralement symétriques du « globus palidus ».

[7.]             Le 5 septembre 1995, le docteur Bellavance pose un diagnostic d’intoxication et maladie de Parkinson secondaire au manganèse et réfère le travailleur en toxicologie.

[8.]             Dans un rapport daté du 8 septembre 1995, le docteur Lecours pose un diagnostic de manganisme probable.  Il pose ce diagnostic après avoir fait une revue de l’histoire de cas du travailleur.

[9.]             Une dosimétrie urinaire demandée par le docteur Lecours, et subie en octobre 1995, a montré un niveau de manganèse de 5,2nmol/l, alors que la valeur de référence est inférieure à 20 nmol/l.  Une dosimétrie sanguine datée du 3 octobre 1995 s’est également avérée normale.

[10.]         Le 15 novembre 1995, le docteur Bellavance pose un diagnostic d’intoxication au manganèse et indique que le travailleur est sous investigation.

[11.]         Le 19 décembre 1995, le docteur S. Lecours indique, sur un rapport de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, (la CSST), que le manganèse dans l’air au poste de travail est supérieur à la norme.

 

[12.]         Dans un rapport daté du 15 avril 1996 adressé à la CSST, monsieur Norman King du CLSC des Faubourgs indique ce qui suit :

« Dans son chapitre sur les désordres du système nerveux central, Longstreth mentionne les contaminants associés au développement du parkinsonisme (voir extrait ci-joint).  Deux des contaminants mentionnés sont le manganèse et le monoxyde de carbone.  L’auteur précise également que pour le monoxyde de carbone, une seule exposition sévère peut causer la maladie, tandis que le manganèse agit suite à une exposition chronique.

 

Il est donc possible d’affirmer que les travailleurs de la Forge CSW ont été exposés à deux contaminants reconnus comme cause de parkisonisme, soit le manganèse et le monoxyde de carbone.  Toutefois les données élaborées dans le P.S.S. élaboré par le DSC sont fragmentaires et elles ne permettent pas d’établir un véritable portrait d’exposition des travailleurs à ces deux contaminants. »

 

 

[13.]         Le 10 juin 1996, le docteur Bellavance réitère son diagnostic de parkinsonisme secondaire à une intoxication au manganèse.

[14.]         Le 5 août 1996, la CSST refuse la réclamation du travailleur au motif que sa maladie n’a pas été contractée par le fait ou à l’occasion du travail, qu’elle ne résulte pas d’un accident du travail, ni qu’elle est caractéristique du travail ou reliée aux risques particuliers de ce travail. Cette décision a été confirmée par le bureau de révision, le 27 janvier 1998, d’où l’appel du travailleur.

[15.]         Lors de l’audience, le travailleur a témoigné quant aux circonstances l’ayant amené à produire une réclamation à la CSST.  Le travailleur avait constaté, depuis septembre 1993, une fatigue importante suite à son travail. À cette époque, il avait noté un début de tremblement dans son bras gauche qu’il attribuait à de la fatigue et au stress occasionné par son travail.  Il a  consulté le docteur Suzanne Côté qui pose, en octobre 1994, un diagnostic de maladie de Parkinson, pour laquelle, elle le dirige à un neurologue.  Le docteur André Bellavance confirme ce diagnostic en janvier 1995.

 

[16.]         Le travailleur a ensuite témoigné avoir travaillé chez l’employeur  du 16 août 1978 au 13 novembre 1993 date de sa mise à pied.  Il a décrit en détail les diverses tâches qu’il a occupées au cours de ces nombreuses années. Ces tâches sont identifiées au document intitulé : « EMPLOYMENT HISTORY RECORD » déposé en preuve.

[17.]         Le premier poste de travail est le « Scale Blower ».  Ce travail consistait à souffler les scories se trouvant sur les blocs de fonte qui sortaient de la fournaise.  Ce poste de travail était situé à environ 60 pieds de la fournaise.  Il a occupé ce poste du 16 août 1978 au 3 février 1979.  Par la suite, il a travaillé comme journalier jusqu’au 30 avril 1979.  Il devait aider à monter et à nettoyer les moules dans le département de la fusion.  Il a œuvré comme « manipulateur de roues », dans le département de l’usinage et ce, du 30 avril 1979 au 6 août 1979.  Il devait donner les roues aux machinistes pour ensuite les reprendre et les placer.  Il a travaillé ensuite à l’ébarbage des roues, c’est-à-dire qu’il devait polir les roues et les décaper afin d’enlever l’excédent de métal avant qu’elles ne soient dirigées aux machinistes.  À ce poste, il y avait particulièrement beaucoup de poussières et des morceaux de métal.  Il occupe ce poste du 6 août 1979 au 1er octobre 1979, date à laquelle il a commencé à occuper un poste de conducteur de chariot élévateur.  Il a occupé ce poste jusqu’au 6 juillet 1981, à l’exception d’une courte période en mars 1981 où il occupe le poste de huileur.  Il doit, pour cela, se déplacer dans toute l’usine afin d’huiler les diverses machines.  Après le 6 juillet, il a alterné entre le poste de conducteur de chariot élévateur et celui de journalier jusqu’au 16 août 1982, date où il occupe, durant une courte période, le poste de 3ième homme de coulée, soit du 13 septembre 1982 au 3 octobre 1982.  À ce poste, il devait remplir une brouette de manganèse pour ensuite la vider dans la fournaise avec le métal en fusion.

[18.]         Le travailleur témoigne quant au procédé utilisé pour fabriquer les nouvelles roues de chemin de fer.  Ces roues étaient fabriquées à partir de rebuts de métaux de toutes sortes qui étaient fondus et auxquels on ajoutait du manganèse.  Par la suite, le métal en fusion était coulé dans des moules, et par la suite, les blocs de métal alors obtenus étaient moulés selon le type de roue voulue, puis ces pièces étaient ensuite machinées pour obtenir le produit fini désiré.

[19.]         Le travailleur a principalement travaillé, au cours de ces nombreuses années, comme conducteur de chariot élévateur et comme journalier à pelleter des scories.  Du 19 octobre 83 au 25 octobre 1983, il a travaillé comme « Pitt Helper » au département de la fusion où on coule le métal dans les moules.  À l’usine, divers types de chariots élévateurs étaient employés : chariot électrique, au gaz  propane et au diesel.  Il a travaillé un peu partout dans l’usine.  Le travailleur souligne que dans plusieurs départements la poussière et la fumée étaient particulièrement denses.

[20.]         Il est revenu au poste de « scale blower » du 3 novembre 1983 au 26 mars 1984.  Puis, il travaille jusqu’au 25 mai 1984 comme « block Weigher ».  Il doit alors aider à la pesée des blocs de métal.  Il a travaillé à nouveau comme huileur, du 10 juin 1985 au 13 août 1985 et une autre période en juin 1988.  Il devait huiler toutes les pièces nécessitant un tel traitement.  Il a travaillé comme « encocheur » durant quelques jours en 1990 et un travail équivalent en 1991, comme « knicker »  À ce poste, il devait marquer les blocs de métal avant qu’ils ne soient cassés.  Il utilisait alors un chalumeau et effectuait une incision dans le métal.  De la fumée et de l’huile de coupe étaient alors projetés dans l’atmosphère.  Le travailleur n’utilisait pas de masque. 

[21.]         Le programme de santé de l’usine, préparé par le département de santé communautaire de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, a été déposé au dossier de la CSST.  Dans ce programme de santé, on identifiait les divers facteurs de risques présents dans l’usine.  Pour ce faire, divers échantillonnages ont été prélevés aux divers postes de travail présents dans l’usine, dont le manganèse.  Il ressort de ces échantillonnages que les niveaux de manganèse prélevés varient de .01 mg/m3 à 1,72 mg/m 3  et ce dépendant du poste de travail observé, alors que la norme admissible, selon le Règlement sur la qualité du milieu du travail [S-2.1, R.15, 1982] est de 1mg/m3.  Ces échantillonnages ont été effectués en juillet 1984, septembre 1984 et octobre 1984 et aux divers postes identifiés.  Aucun échantillonnage n’a été fait au poste de conducteur de chariot élévateur compte tenu que ce travail nécessite des déplacements constants dans les divers départements de l’usine.  Il en est de même pour le poste de huileur.  Le travailleur soumet également avoir travaillé au nettoyage des ventilateurs chargés d’aspirer les fumées dégagées lors des coulées de métal.  Il indique que lors de ce nettoyage, il devait entrer dans les ventilateurs et de ce fait se trouvait à être en contact avec les poussières accumulées dans ces ventilateurs.  Il respirait alors ces poussières.  Il en était ressorti couvert de poussières, dans les yeux, la bouche, le nez.  Il a effectué à une seule reprise ce travail parce que c’était trop exigeant.

[22.]         Le docteur Serge Lecours, médecin spécialisé en toxicologie, a témoigné. Il relate avoir été consulté par le docteur Bellavance, neurologue traitant du travailleur, afin d’analyser l’histoire occupationnelle du travailleur et ainsi déterminer si les symptômes retrouvés pouvaient être attribuables à une intoxication au manganèse ou s’il s’agissait plutôt d’une maladie de Parkinson.  Il a alors produit, en août 1997, un rapport dans lequel il explique les motifs lui permettant de conclure à la présence d’un maganisme.  Ces éléments se retrouvent au rapport d’évaluation médicale et se lisent comme suit :

« […]

 

Le diagnostic de maganisme repose sur les éléments suivants :

 

Le patient présente un syndrome parkinsonien non typique d’une maladie de parkinson idiopathique.

 

Selon la littérature (Lauwerys), une durée d’exposition de quelques mois est suffisante.

L’âge du patient ne permet pas de différentier entre un parkinson idiopathique et un maganisme.  Cependant, le manganisme peut survenir à des âges inférieurs à 45 ans.

 

Le manganisme peut être diagnostiqué après l’arrêt de travail.  Des troubles neurologiques ont été identifiés à des niveaux inférieurs à 1mg/m3 (regren-présentation et discussion lors d’uneconférence à l’IRSST-Montréal). Le niveau d’exposition exact auquel a été exposé ce patient n’est pas connu.  Ce niveau a été probablement sous-estimé, étant donné la nature de certaines tâches de ce patient(pelletage dans un environnement empoussiéré).

 

La résonance magnétique nucléaire démontre des lésions dans les noyaux gris centraux, qui distingue le manganisme du parkinson idiopathique.

 

Monsieur Roy a présenté en 1992, et 1993 des symptômes de bronchite, comme nous retrouvons dans cet environnement.

 

Docteur Bellavance, spécialiste de cette maladie, conclut aussi à un manganisme , c’est-à-dire à une intoxication au manganèse.

 

[…] »

 

 

[23.]         Le docteur Lecours ajoute, au surplus, que les tremblements retrouvés chez le travailleur sont davantage typiques d’un manganisme que d’une maladie de Parkinson, en ce qu’ils se présentent comme des tremblements d’intention.  Dans les cas de manganisme, les patients présentent des difficultés à manger, ce qui n’est pas le cas du Parkinson.  De plus, il ajoute que la résonance magnétique a démontré des calcifications des «globus palidus », des noyaux gris centraux.  Ce type d’atteinte est typique du manganisme.  Il indique également que le travailleur a été traité pour des bronchites avant que ne soit diagnostiquée sa maladie.  Ce dernier élément, quoique non déterminant, se retrouve également dans les cas de manganisme. 

[24.]         Le docteur Lecours insiste sur le fait que le docteur Bellavance a posé le diagnostic de manganisme.  Cette opinion du neurologue est importante puisqu’il est un spécialiste de la maladie de Parkinson.  Il ajoute que le docteur Bellavance a travaillé avec un éminent spécialiste de cette maladie, le docteur André Barbeau.

[25.]         Il insiste sur les divers postes de travail occupés par le travailleur au cours de ces nombreuses années.  Pour lui, le pourcentage de manganèse qui se retrouve dans le mélange de métal est significatif.  Il insiste sur les diverses sources de contamination soit, celle venant de la fumée à laquelle était exposé le travailleur aux divers postes de travail, ainsi que la contamination venant de la poussière présente dans toute l’usine, et plus particulièrement, au département d’ébarbage,  Il insiste pour dire qu’à ce poste, les particules de métal libérées peuvent être transportées dans l’air et les mesures des poussières retombant ainsi dans l’environnement n’ont pas été prises.  Il s’agit, selon lui, d’une exposition bien importante.  Il ajoute que des gens très exposés, durant une seule journée, ont développé le manganisme.  Pour lui, l’oxydation des cellules des noyaux gris centraux est le résultat, non pas d’un seul dommage, mais celui de l’addition de multiples petits dommages.  Il s’agit là, selon lui, d’une distinction à faire d’avec une intoxication au CO2. Dans ce type d’intoxication, une seule grosse exposition aurait pu suffire, à causer le syndrome parkinsonien.

[26.]         Quant au seuil sécuritaire, il n’en existe aucun et, à cet effet, il réfère au document produit par monsieur Norman King.  Il ajoute que le programme de santé doit être regardé avec circonspection parce qu’on y retrouve des données étranges.  Ainsi à divers postes où on aurait dû s’attendre à retrouver du manganèse, les échantillonnages n’en rapportent aucune trace.  Il mentionne aussi que les données prises seulement en 1984 ne sont pas suffisantes pour évaluer l’environnement de travail au cours de toutes les années où le travailleur a travaillé dans l’usine.  Ces données ne reflètent la situation qu’à ce moment.

[27.]         Il précise également qu’il est possible que l’exposition combinée au manganèse et au monoxyde de carbone ait un effet additif.  Cependant, aucune étude ne le démontre.  Il est clair, dans ce cas particulier, qu’il ne s’agit pas d’un cas d’intoxication aiguë au monoxyde de carbone. 

[28.]         Il précise que dans le cas de manganisme, trois situations peuvent prévaloir :  soit le patient s’améliore, soit son état se détériore ou soit l’état du patient demeure stationnaire.  Dans le cas du travailleur, son état s’est amélioré après qu’il ait subi quelques traitements aux Etats-Unis.  Les réactions du travailleur au médicament « L-dopa » ne permettent pas toutefois de faire la différence entre le Parkinson et le manganisme.

[29.]         Il termine en précisant que, selon lui, le poste occupé par le travailleur comme « encocheur » représente un niveau d’exposition élevé puisque dès qu’on coupe de l’acier sans masque, les poussières et fumées ainsi produites, se retrouvent dans l’air et sont respirées par les travailleurs.  Il indique également que le travail effectué dans les ventilateurs, même si effectué qu’une seule fois, représente un niveau d’exposition très important.  De plus, il ajoute que le nombre d’années où le travailleur a œuvré dans l’usine est un facteur à prendre en compte, même si les échantillonnages sont en déca des normes dans plusieurs cas.  En effet, comme le travailleur travaillait principalement dans le département de la fusion, même s’il pouvait être moins exposé que certains autres travailleurs, il était quand même exposé aux poussières présentes dans l’usine.  De plus, comme huileur, il était appelé à se rendre partout dans l’usine et dans des endroits où les niveaux d’exposition étaient plus élevés.  Il insiste que l’ensemble du tableau doit être pris en compte puisque ce n’est pas une seule exposition qui peut amener la maladie, mais l’effet cumulatif des expositions.  Le fait qu’aucun autre travailleur n’ait produit de réclamation pour une maladie semblable n’est pas suffisant pour empêcher la reconnaissance d’une maladie professionnelle puisque, suite à la fermeture de l’usine, aucun suivi n’a été fait auprès des autres travailleurs.  On ne peut présumer qu’aucun autre travailleur n’est atteint de symptômes identiques.  Il ne faut pas perdre de vue non plus, les facteurs individuels qui font en sorte qu’une personne exposée à certains produits développe une maladie alors qu’une autre personne également exposée n’en développe aucune. 

[30.]         Ce dernier argument est repris par monsieur Norman King sous l’angle de l’épidémiologie.  Il précise que l’exposition à une substance augmente la probabilité de développer une maladie.  Il insiste cependant sur le fait que, dans la plupart des cas, les gens exposés à une substance quelconque ne développeront pas de maladie.  Il réfère la Commission des lésions professionnelles à un texte sur la susceptibilité individuelle.  Ce texte ainsi que de nombreux articles de doctrine médicale ont été produits en preuve.  Ces textes sont énumérés en annexe à la présente décision.

 

ARGUMENTATION DES PARTIES

[31.]         Lors de l’audience, un délai a été accordé au procureur du travailleur jusqu’au 7 juin 1999 afin qu’elle produise une argumentation écrite.  Le travailleur soumet que la présomption prévue à l’article 29 de la loi doit trouver application dans le présent cas puisque le diagnostic retenu dans le présent cas est un parkinsonisme secondaire à une intoxication au manganèse, que l’intoxication à ce métal est une maladie listée à l’annexe 1 section I de la loi et que d’autre part, l’histoire occupationnelle du travailleur démontre qu’il a effectué un travail impliquant l’utilisation, la manipulation ou une autre forme d’exposition au manganèse au cours des nombreuses années où il a travaillé pour l’employeur.  Le travailleur bénéficie de la présomption de maladie professionnelle.  Aucune preuve n’a été soumise à l’encontre de cette présomption.  Les données fragmentaires retrouvées à l’étude du Département de santé communautaire ne sont pas représentatives de l’exposition réelle du travailleur au cours de ces nombreuses années.  Le législateur n’a pas exigé un niveau d’exposition.  De plus, cette étude ne reprend pas les niveaux d’exposition à plusieurs des postes de travail occupés par le travailleur.  Les études épidémiologiques ne permettent pas d’identifier un seuil sécuritaire d’exposition au manganèse en bas duquel, il n’y a aucun risque de développer un parkinsonisme.  Le travailleur souffre donc d’une maladie professionnelle et a droit aux indemnités prévues par la loi.  Plusieurs décisions ont été produites par le travailleur et sont reprises en annexe à la présente décision.

 

AVIS DES MEMBRES

[32.]         Monsieur William Basque, membre issu des associations syndicales et monsieur Alain Crampé, membre issu des associations d’employeurs, sont d’avis de faire droit à la réclamation du travailleur.  En effet, le diagnostic de manganisme posé dans le dossier représente un diagnostic d’intoxication par le métal que l’on retrouve à l’annexe I de la loi. Cet élément correspond à la première condition d’application de la présomption de maladie professionnelle.  La seconde condition d’application de cette présomption est également rencontrée puisque la preuve prépondérante démontre que le travailleur a effectué un travail où il était exposé et utilisait et manipulait du manganèse.  Cet élément conjugué à l’absence de seuil sécuritaire pour l’exposition à ce métal permettent de conclure à l’application de la présomption de l’annexe I de la loi.  Cette présomption n’ayant pas été renversée, le travailleur a donc été victime d’une maladie professionnelle et a droit aux indemnités prévues par la loi.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[33.]         La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a été victime d’une maladie professionnelle et s’il a droit en conséquences, aux indemnités prévues par la loi.

[34.]         L’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles définit ainsi la notion de maladie professionnelle :

            « maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail ;

 

 

 

 

[35.]         L’article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit ce qui suit :

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

Maladie présumée professionnelle.

            Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

--------

1985, c. 6, a. 29.

 

 

 

[36.]         L’annexe I de la loi stipule ce qui suit :

ANNEXE I

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

 

SECTION I

 

MALADIES CAUSÉES PAR DES PRODUITS OU SUBSTANCES TOXIQUES

                                               

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

 

1  Intoxication par les métaux et leurs composés toxiques organiques ou inorganiques ;

 

un travail impliquant l’utilisation la manipulation ou une autre forme d’exposition à ces métaux ;

 

[37.]         Dans le présent dossier, le diagnostic qui lie la Commission des lésions professionnelles est un diagnostic de maladie de Parkinson secondaire à une intoxication au manganèse et de manganisme.  En effet, ce diagnostic est posé par le docteur Bellavance, neurologue, en date du 5 septembre 1995 et repris en novembre 1995 et juin 1996.  Ce diagnostic n’a pas été contesté ni par l’employeur, ni par la CSST.

 

[38.]         La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le diagnostic de manganisme correspond à un diagnostic d’intoxication au manganèse.  En effet, le Dictionnaire de médecine Flammarion [1]définit ainsi le manganisme :

« Manganisme s.m. (angl. manganism).  Intoxication chronique par le manganèse ou ses sels, notamment le bioxyde de manganèse, caractérisée par une atteinte du système nerveux de type parkinsonien ou une atteinte pulmonaire.

Maladie professionnelle reconnue notamment dans l’industrie du verre (39e tableau des maladies professionnelles du régime général de Sécurité Sociale). »

 

 

 

[39.]         La Commission des lésions professionnelles estime donc ne pas avoir à faire une analyse médicale des symptômes ayant permis, au Docteur Bellavance, d’écarter le diagnostic de maladie de Parkinson idiopathique, pour retenir celui de manganisme.  Comme ce diagnostic posé par le docteur Bellavance et repris par le docteur Lecours n’a pas été contesté, il lie la Commission des lésions professionnelles.  Celle-ci n’a pas, contrairement à ce qu’a dû effectuer la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles dans la décision John Stanley Stacey et Allied Siganl Aérospatiale inc.[2], à s’interroger si le diagnostic posé dans ce dossier en est un d’intoxication au manganèse puisque tel est l’avis du médecin qui a charge du travailleur.  Dans le cas précité, le diagnostic posé ne correspondait pas d’emblée à un diagnostic d’intoxication, c’est pourquoi, la Commission d’appel a procédé à une analyse du diagnostic, avant de conclure qu’il s’agit d’un diagnostic équivalent ou assimilable à une intoxication aux hydrocarbures.    Cet exercice n’a pas à être repris dans le cas sous étude compte tenu que le diagnostic n’a pas été contesté.

 

 

[40.]         Dans le cas sous étude, la preuve démontre que le premier élément de l’annexe I est rencontré.

[41.]         La Commission des lésions professionnelles est d’avis, que la preuve prépondérante est à l’effet que le second élément de la présomption de maladie professionnelle est rencontré, en ce que le travailleur a démontré qu’il a effectué un travail impliquant l’utilisation, la manipulation ou une autre forme d’exposition au manganèse.  Il a donc droit à l’application de la présomption prévue à l’article 29 de la loi.

[42.]         En effet, la Commission des lésions professionnelles estime, contrairement à ce qu’a décidé le bureau de révision, que le travailleur n’avait pas à être exposé à un seuil minimal pour pouvoir bénéficier de l’application de cette présomption.  La Commission des lésions professionnelles rejoint ainsi l’opinion exprimée par la Commission des affaires sociales, dans les décisions déposées par le travailleur [3]. En effet, ce n’est pas parce que les échantillonnages prélevés en 1984 sont inférieurs pour la plupart, au seuil maximal prévu au Règlement sur la qualité du milieu de travail [S-2.1, r. 15], que le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle.  En effet, nulle part à l’annexe I de la loi, le législateur n’a cru bon d’indiquer qu’il fallait, pour bénéficier de la présomption de maladie professionnelle, être exposé à un niveau particulier de produit.  La Commission des lésions professionnelles estime au contraire, que le législateur a justement voulu, en ne précisant pas de seuil particulier, faciliter la preuve du travailleur.  La Commission des lésions professionnelles est du même avis que celui exprimé dans la décision  précitée, comme quoi, le but visé par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [L.R.Q. chap. A.3-001] est distinct de celui visé par la Loi sur la santé et la sécurité du travail [L. R. Q. chap.S-2.1]; ainsi que les règlements qui en découlent.  La Commission des lésions professionnelles est d’avis que les présomptions prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles n’ont pas à être interprétées selon les normes édictées en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et les règlements en découlant.  Ce n’est donc pas parce que le travailleur a été exposé à des doses inférieures à ce qui est prévu au Règlement sur la qualité du milieu de travail que la présomption prévue à l’article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne peut s’appliquer.  Ceci ne veut pas dire qu’une fois appliquée, cette présomption ne puisse pas être renversée, bien au contraire.  La Commission des lésions professionnelles estime que la preuve du niveau d’exposition pourrait, dans certains cas, permettre le renversement de cette présomption.  Mais, ce n’est pas le cas ici.

[43.]         La preuve soumise et non contredite est à l’effet que les symptômes d’intoxication au manganèse peuvent se développer, même dans des cas d’exposition minimale au produit.  Il suffit que cette exposition ait duré durant plusieurs années.  La Commission des lésions professionnelles réfère particulièrement à l’extrait suivant de littérature médicale :

«Syndrome parkinsonien, traduction d’intoxications professionnelles chroniques [4]

[…]

L’apparition des signes cliniques d’intoxication, c’est-à-dire le parkinsonisme, n’est pas conditionnée par les concentrations du manganèse dans l’atmosphère des lieux de travail, mais par la durée d’exposition.

[…] »

 

 

[44.]         De plus, selon le témoignage du docteur Lecours, les auteurs rapportent des cas de manganisme survenus après une seule exposition d’importance.

[45.]         Selon la preuve soumise, le travailleur a été exposé durant une quinzaine d’année aux fumées et poussières présentes dans l’usine et contenant du manganèse.  En effet, les échantillonnages effectués par le Département de santé communautaire en 1984 révèlent la présence de manganèse à divers postes de travail dont ceux de troisième homme de coulée, d’encocheur et celui de souffleur de scories.  Le travailleur a ainsi été exposé au manganèse.  La Commission des lésions professionnelles retient également que les niveaux d’exposition retrouvés, lors des échantillonnages effectués en 1984, ne reflètent que les données disponibles à la date de ces tests.  Ils ne reflètent nullement l’ensemble des niveaux d’exposition auxquels le travailleur a été confronté durant toute sa vie professionnelle.  Au surplus, la bande vidéo regardée durant l’audience démontre que les fumées dégagées par la fusion du métal et la coulée de l’acier se retrouvaient à plusieurs endroits de l’usine, dont plusieurs constituaient des postes de travail occupés par le travailleur au cours de ces nombreuses années. 

[46.]         La Commission des lésions professionnelles retient également que, lors du travail effectué dans le ventilateur, le travailleur a été exposé à des niveaux importants de poussières dégagées lors de la coulée du métal et, par conséquent, à du manganèse.  En effet, l’acier ainsi coulé contenait un pourcentage de manganèse de l’ordre de 10 %, selon la preuve soumise. 

[47.]         La Commission des lésions professionnelles prend aussi en compte, l’élément soumis par le docteur Lecours et repris par Monsieur King, quant à la susceptibilité individuelle qui fait en sorte que deux individus, confrontés au même niveau d’exposition, ne réagiront pas de la même façon et ce, en fonction de particularisme propre à chacun, dont le facteur génétique.

[48.]         Ces éléments, conjugués au fait que la preuve démontre qu’aucun seuil d’exposition sécuritaire n’existe pour ce produit, permettent à la Commission des lésions professionnelles de conclure que, non seulement la


présomption de maladie professionnelle s’applique au présent cas, mais qu’elle n’a pas été renversée.  Le travailleur est donc atteint d’une maladie professionnelle et a droit aux indemnités prévues par la loi.

POUR CES MOTIFS LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la demande du travailleur;

INFIRME la décision rendue le 28 janvier 1998 par le Bureau de révision de la région de Longueuil;

DÉCLARE que le manganisme dont est porteur monsieur Michel Roy est une maladie professionnelle.  Il a donc droit aux indemnités prévues par la loi.

 

 

 

 

 

Me Lucie Couture

 

Commissaire

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Annie Gagnon

F.A.T.A.

6839-A rue Drolet

Montréal (Québec)

H2S 2T1

 

 

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Dictionnaire de médecine Flammarion, Kernbaum, Serge, Médecine-Sciences Flammarion, Paris, 6e édition, 1998

[2] [1997]CALP, 1713 à 1742

[3] AT-61967 et AT64818, CAS, Commissaire Pierre Le Blanc et Christine Truesdel, 18  février 1991

[4] Syndrome parkinsonien, traduction d’intoxications professionnelles chroniques  Petkova.V, Kostova, V, Revue générale , Arch. Mal. Prof, 1992, 53, No 2, 99-102

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