Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

8 novembre 2004

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

224947-72-0312-R

 

Dossier CSST :

4027969

 

Commissaire :

Me Bertrand Roy

 

Membres :

Pierre Gamache, associations d’employeurs

 

Gertrude Laforme, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Concordia Construction inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

C.S.N. Construction Montréal

 

 

 

F.T.Q. - Conseil conjoint

 

 

 

Syndicat de la Construction

 

 

 

Syndicat des travailleurs de la construction du Québec inc.

 

Parties intéressées

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 14 avril 2004, Concordia Construction inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) par laquelle il demande la révision ou la révocation d’une décision rendue le 30 mars 2004.

[2]                Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles déclare qu’un agent de sécurité doit être affecté à temps plein pour les travaux de réfection et d’amélioration du tunnel Atwater et de ses approches.

[3]                À l’audience qui a eu lieu le 7 juillet 2004, l’employeur était présent. Les autres parties, bien que dûment convoquées, n’avaient aucun représentant.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer sa décision du 30 mars 0203 et de déclarer que la présence d’un agent de sécurité sur le chantier de construction du tunnel Atwater n’était pas nécessaire en vertu de la loi.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête de l’employeur doit être accueillie. La première décision comporte un vice de fond et porte atteinte aux règles de justice naturelle en ce qu’il y a mention de faits qui n’ont pas été mis en preuve lors de la première audience. La décision s’écarte des critères établis par la jurisprudence en ce qui concerne la notion de chantier et, pour cette raison, elle est manifestement erronée et elle doit être révoquée.

[6]                Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête en révocation de l’employeur doit être rejetée puisque, en définitive, la première décision ne comporte pas de vice de fond de nature à l’invalider. La première commissaire a interprété les règles de droit applicables sans commettre d’erreur manifeste et elle a procédé à l’appréciation de la preuve pour conclure de façon rationnelle que les travaux de réfection et d’amélioration du tunnel Atwater ont été effectués dans le cadre d’un seul chantier de construction. Elle a conclu, avec raison, que l’employeur avait l’obligation légale d’assurer la présence d’un agent de sécurité sur ce chantier.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]                La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser ou révoquer sa décision du 30 mars 2004.

[8]                L’article 429.56 de la loi permet à la Commission des lésions professionnelles de réviser une de ces décisions. Cet article se lit comme suit :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[9]                L’employeur soutient que la première décision comporte un vice de fond de nature à l’invalider en ce que la Commission des lésions professionnelles a interprété de façon manifestement erronée les dispositions de la loi applicable et la jurisprudence sur la notion de « chantier ». De plus, la Commission des lésions professionnelles s’est inspirée de faits qui n’ont pas été mis en preuve. Elle s’est appuyée sur un faux principe en affirmant que l’employeur ne subirait pas de préjudice en assurant le coût des gardiens de sécurité pour le chantier du tunnel Atwater.

[10]           Aux paragraphes [18], [19] et [20] de la première décision, on y trouve une description de la question dont devait disposer la Commission des lésions professionnelles de même que les dispositions de la loi applicables en l’espèce. Ces paragraphes se lisent comme suit :

 

[18] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a l’obligation légale d’assurer la présence d’un agent de sécurité sur le chantier de construction identifié comme étant « travaux de réfection et d’amélioration du tunnel Atwater et des ses approches ».

 

[19] L’article 2.5.3 du Code de sécurité pour les travaux de construction[2] (le Code) édicte ce qui suit :

2.5.3  Agent de sécurité :

1)         Au moins un agent de sécurité doit être affecté à plein temps, à compter du début des travaux, sur tout chantier de construction :

qui emploie 150 travailleurs ou plus à un moment quelconque des travaux;

ou

b)         dont le coût total des travaux dépasse 8 000 000 $ à l’exception des travaux de construction, d’entretien ou de réparation de routes autres que les ponts, tunnels ou viaducs.

 

[20] Puisque le nombre de travailleurs affectés au chantier est inférieur à 150, l’alinéa a) de l’article 2.5.3 1) du Code ne s’applique pas. La Commission des lésions professionnelles doit toutefois décider s’il s’agit ici d’un seul et même chantier de construction, dont le coût total des travaux dépasse 8 000 000 $

 

 

[11]           La Commission des lésions professionnelles note ensuite que c’est l’alinéa b) de l’article 2.5.3  1) du Code de sécurité pour les travaux de construction[3] (le Code) qui s’applique dans la mesure où il s’agit d’un seul et même chantier.

[12]           Après avoir fait état de la jurisprudence invoquée par l’employeur pour soutenir l’argument selon lequel il y a eu deux chantiers de moins de 8 000 000 $ puisque la réfection du tunnel Atwater s’est effectuée en deux phases et en deux temps, la première commissaire expose les motifs de sa décision aux paragraphes [26] à [32]. Ces paragraphes se lisent ainsi :

 

[26] Avec respect pour l’opinion contraire, la Commission des lésions professionnelles hésite à diviser un contrat en phases pour soustraire l’employeur d’une obligation qui vise la sécurité des travailleurs. Elle estime que, pour des raisons qui sont propres au législateur, il a prévu qu’à un coût total des travaux d’un chantier de construction dépassant huit millions de dollars, un agent de sécurité était nécessaire. C’est le critère du coût total d’un chantier qui a été retenu et non du coût par fraction ou par phase de chantier. D’ailleurs, à ce titre, rappelons que le législateur a prévu une exception à l’article 2.5.3 1) b) :

 

b)    dont le coût total des travaux dépasse 8 000 000 $ à l’exception des travaux de construction, d’entretien ou de réparation de routes autres que les ponts, tunnels ou viaducs.

[27] On peut raisonnablement conclure que cette exception, pour les travaux de routes autre que les ponts, tunnels ou viaducs, a été prévue en raison du fait que ce type de travaux sur les routes se déroule souvent en phases et sur de longues périodes et qu’un agent de sécurité n’a pas à être constamment présent. Toutefois, cette exception exclut spécifiquement les ponts, tunnels ou viaducs, qui se font également souvent par phases, comme dans le présent cas. Le législateur n’a pas émis une exception à une exception pour ne rien dire et il faut lui donner un sens.

 

[28] Par ailleurs, dans la décision Génisag Construction c. CSST[4], dossier où l’on demandait d’exclure certains coûts du montant inscrit sur l’avis d’ouverture de chantier pour qu’il soit inférieur à 8 000 000 $, la Cour supérieure souligne avec justesse que le maître d'œuvre a pu et dû prévoir les coûts d’un agent de sécurité dans sa soumission :

 

Il nous paraît en effet tout à fait raisonnable de considérer que puisque l’article 2.5.3 du Code de sécurité pour les travaux de construction prévoit que l’agent de sécurité doit être affecté à compter du début des travaux, le coût total des travaux doit être déterminé avant même que les travaux ne débutent et qu’à première vue l’estimation du coût total des travaux doit être basée sur le montant du contrat. Si le maître d’œuvre soumissionne pour un montant excédant 8 000 000,00 $ il pourra ainsi savoir qu’il devra prévoir la nécessité d’affecter un agent de sécurité ainsi que les coûts supplémentaires que cela entraînera.

 

[29] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis qu’un maître d'œuvre qui fait une ouverture de chantier avec un montant supérieur à 8 000 000 $ n’est pas pénalisé par cette obligation légale car il a pu en prévoir les coûts dans sa soumission. Dans le cas qui nous occupe, il y a eu un contrat donnant une ouverture de chantier à un coût supérieur à 15 000 000 $ et l'employeur n'est pas pénalisé. Il n'a pas à être soustrait de l'application du Code en raison qu'il y a un arrêt entre les deux phases du chantier, à la saison hivernale. L'article 2.5.3 du Code est clair et n'a pas à être interprété.

 

[30] Au surplus, la Commission des lésions professionnelles note que le gérant de projet, lorsqu’il a transmis conformément à l’article 197 de la LSST l’avis d’ouverture du chantier de construction à la CSST, s’est conformé à l’obligation d’inscrire le montant du contrat et a indiqué, comme période de durée des travaux, « huit mois », sans préciser qu’il y aurait un arrêt pour une période. La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il savait exactement ce qu’il remplissait. Par son témoignage, le témoin a en somme tenté de contredire ce document alors qu’il a été complété, selon la soussignée, conformément aux dispositions de la LSST et du Code. Par ailleurs, le signataire de ce document n’est pas venu expliquer à la Commission des lésions professionnelles qu’il a fait une omission ou une erreur. Elle peut ainsi raisonnablement conclure qu’il l’a complété en toute connaissance de cause.

 

[31] Soulignons, pour terminer, qu’aucun avis de fermeture du chantier n’a été mis en preuve, élément supplémentaire qui démontre qu'il ne s'agit que d'un chantier.

 

[32] La Commission des lésions professionnelles est ainsi d’avis que c’est le coût total du contrat des travaux de construction, d’entretien ou de réparation d’un tunnel qui doit être pris en considération pour déterminer si la présence d’un agent de sécurité sur le chantier est nécessaire et ce, quel que soit le nombre de phases du projet.

 

 

[13]           Il ressort de la lecture de la première décision que la Commission des lésions professionnelles s’est déclarée hésitante « à diviser un contrat en phases pour soustraire l’employeur d’une obligation qui vise la sécurité des travailleurs » (nos soulignements). Elle a retenu que « le critère du coût total d’un chantier est celui qui est applicable et non du coût par fraction ou par phase de chantier ».

[14]           Au paragraphe [27] de la décision, la Commission des lésions professionnelles discute de la raison pour laquelle le législateur, à l’article 2.5.3  1) b) a créé « l’exception » qui fait que les travaux de construction d’entretien ou de réparation de route ne sont pas assujettis à l’obligation de prévoir un gardien de sécurité, même si le coût des travaux dépasse 8000 000 $. Il faut comprendre que, pour rendre sa décision, la première commissaire n’avait pas à s’interroger sur les motifs qui ont amené le législateur à prévoir le régime d’exception pour les routes. Ainsi, qu’à cette occasion elle ait invoqué un « fait » qui n’a pas été mis en preuve ne change rien puisque cette discussion n’était pas pertinente, comme l’a reconnu l’employeur lui-même.

[15]           Concernant ce dernier texte de loi, la commissaire finit par conclure que « le législateur n’a pas émis une exception à une exception pour ne rien dire et il faut lui donner un sens ». Cette conclusion en droit n’est pas manifestement erronée et ne peut donner ouverture à la révision ou la révocation demandée par l’employeur.

[16]           Quant aux paragraphes [28] et [29], la commissaire cite une décision de la Cour supérieure qui a affirmé que si un maître d’œuvre soumissionne pour un montant de plus de 8 000 000 $, il doit savoir qu’il devra prévoir dans son budget un agent de sécurité. La commissaire s’est inspirée de cette décision pour ajouter que « le maître d’œuvre qui fait une ouverture de chantier avec un montant supérieur n’est pas pénalisé par cette obligation légale car il a pu en prévoir les coûts dans sa soumission ».

[17]           L’employeur a soutenu avec raison que la notion d’absence de préjudice n’a pas sa place dans l’application des dispositions pertinentes de la loi. Toutefois, force est de constater que la Commission des lésions professionnelles ne s’est pas fondée sur cette notion pour trancher la question dont elle était saisie. On peut comprendre qu’à l’instar de la Cour supérieure, le tribunal s’est arrêté, en passant, sur le fait que l’employeur ne saurait prétendre être victime d’une injustice ou d’une iniquité. Ce n’est cependant pas la ratio decidendi de cette décision. Or, il n’y a pas lieu de réviser une décision en raison d’un texte qui est de la nature d’un obiter dictum. En effet, si erreur il y a, elle n’est pas déterminante.

[18]           Par contre, ce qui semble avoir été déterminant pour la première commissaire est le fait qu’à tort ou à raison, la position adoptée par l’employeur ne lui est pas apparue comme crédible. Ainsi, au paragraphe [30], elle explique que l’Avis d’ouverture du chantier indiquait clairement que la période de durée des travaux serait de huit mois sans préciser qu’il y aurait deux phases ou un arrêt pour une période de plusieurs mois. Le témoignage du représentant de l’employeur qui a voulu expliquer le sens de cet Avis a fait l’objet d’une analyse de la part de la commissaire. À l’issue de l’appréciation de cet élément de preuve, elle en vient à la conclusion que c’est le coût total du contrat d’un tunnel qui doit être pris en considération, quel que soit le nombre de phases du projet.

[19]           Cette conclusion de la Commission des lésions professionnelles découle donc de son appréciation de la preuve. Il n’est pas question, à l’occasion d’une requête en révision ou révocation, de reprendre cet exercice qui appartenait manifestement à la première commissaire. En effet, la décision qui a été rendue est sensée être finale et sans appel, comme l’a voulu le législateur.

[20]           Par ailleurs, à l’audience, l’employeur a fait valoir que la décision dont il s’agit s’éloigne des principes établis par la jurisprudence concernant la notion de « chantier ».

[21]           À ce sujet, le soussigné rappelle que la jurisprudence du tribunal ne liait pas la commissaire et qu’elle avait à décider selon les dispositions de la loi en fonction de la preuve dont elle disposait. Quoi qu’il en soit, il n’y aurait pas lieu d’intervenir en révision pour le motif qu’une décision s’écarte de la jurisprudence.

[22]           Le soussigné n’entend donc pas procéder à la révision ou la révocation de la première décision.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision ou révocation de l’employeur, Concordia Construction inc.

 

 

__________________________________

 

Bertrand Roy

 

Commissaire

 

 

 

Me Christian Tétreault

Bourque, Tétreault & Associés

Procureur de la partie requérante

 

 

JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR LA PARTIE REQUÉRANTE

 

 

Vézina c. Commission des lésions professionnelles, [2000] C.L.P. 1003 ;

Beaulieu et Carrossier Vincent Lavoie inc., [2003] C.L.P. 615 ;

Hôpital Sacré-Cœur de Montréal et Construction Beaudoin (1977) inc. et Génar Construction inc., [2003] C.L.P. 1750 .

 

 

DOCTRINE DÉPOSÉE PAR LA PARTIE REQUÉRANTE

 

 

René NAPERT, Les Cahiers de Droit, vol. 29, no 1, mars 1988 « Le maître d’œuvre sur un chantier de construction », pp. 162-163.



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]          R.R.Q., 1981, c. S-2.1, r. 6.

[3]          R.R.Q., 1981, c. S-2.1, r. 6

[4]          C.S. 605-36-000012-898, 15 mars 1990, j. Viens

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