Industries J. Hamelin et Laramée |
2011 QCCLP 3687 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 6 octobre 2010, Les Industries J. Hamelin (l’employeur) déposent une requête en révision ou en révocation à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 2 septembre 2010.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles :
Dossier 380533-61-0906
REJETTE la requête d’Industries J. Hamelin (Les);
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 5 juin 2009 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Michel Laramée a subi une lésion professionnelle et qu’il a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Dossier 391258-61-0910
REJETTE la requête d’Industries J. Hamelin (Les);
CONFIRME en partie la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 18 septembre 2009 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Michel Laramée a subi une lésion professionnelle, soit une tendinite épicondylienne du coude droit, que cette lésion professionnelle n’est pas consolidée et qu’elle nécessite des soins et des traitements;
Dossier 392014-61-0910
ACCUEILLE la requête de monsieur Michel Laramée;
CONFIRME en partie la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 18 septembre 2009 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le diagnostic de syndrome d’accrochage à l’épaule droite avec tendinopathie de la coiffe des rotateurs est en relation avec le travail de monsieur Michel Laramée et constitue une lésion professionnelle;
DÉCLARE que monsieur Michel Laramée a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[3] À l’audience portant sur la présente requête tenue à Laval le 18 mars 2011, l’employeur était représenté. Monsieur Michel Laramée (le travailleur) était aussi présent et représenté. La requête a été mise en délibéré le 18 mars 2011.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur, par l’entremise de son procureur, demande à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir sa requête en révision ou révocation de la décision et, sur le fond, de déclarer que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 3 novembre 2008 ou, subsidiairement, de reconnaître que cette lésion professionnelle était consolidée le 8 avril 2009 sans autres soins ou traitements.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis d’accueillir la requête en révocation.
[6] Ils estiment que plusieurs éléments importants de la preuve n’ont pas été discutés et commentés, ce qui a un effet sur la motivation de la décision.
[7] L’appréciation de la preuve présentée permet d’arriver aux mêmes conclusions pour des motifs différents.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[8] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 2 septembre 2010.
[9] C’est l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui énonce les conditions d’ouverture du recours en révision :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[10] Le procureur de l’employeur invoque que la décision est entachée d’un vice de fond de nature à invalider la décision.
[11] Il importe de rappeler que les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel[2]. Il en découle que le recours en révision se distingue d’un appel et ne doit pas donner lieu à une nouvelle appréciation de la preuve.
[12] Les termes « vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision » font l’objet d’une interprétation constante par la Commission des lésions professionnelles. Ils sont interprétés comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue du recours[3].
[13] Cette interprétation est confirmée par la Cour d’appel, notamment dans l’affaire Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[4] :
[21] La notion est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fon requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments. (1)
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(1) Voir : Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Les Éditions Thémis, 1997, p.506-508. J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p.127-129.
[14] Et, dans l’affaire C.S.S.T. c. Fontaine et Commission des lésions professionnelles[5], la Cour d’appel, sous la plume du juge Morissette, rappelait que l’erreur dont il est question, pour constituer un « vice de fond », doit être grave, évidente et déterminante.
[15] C’est en se fondant sur ces critères que la soussignée doit examiner la présente requête.
Arguments des parties concernant la requête
[16] Dans sa requête en révision ou en révocation, l’employeur allègue que la décision est entachée d’un vice de fond.
[17] Il allègue que le premier juge administratif a commis une erreur de droit en retenant le diagnostic de « tendinite épicondylienne ». L’avis du Bureau d’évaluation médical semble avoir été retenu, mais sans dire pourquoi alors que le docteur Michel Blanchet arrivait à la conclusion qu’il n’y avait pas d’épicondylite et a témoigné en ce sens à l’audience. Ces éléments n’ont pas été discutés.
[18] Le procureur de l’employeur plaide que le premier juge administratif a commis une erreur de droit en appliquant la présomption de l’article 29 de la loi, laquelle ne peut s’appliquer en présence d’un diagnostic d’épicondylite, selon la jurisprudence bien établie du tribunal.
[19] Il estime aussi que l’application de la présomption de l’article 29 de la loi a pris les parties par surprise, puisque les deux parties ont plaidé l’article 30 de la loi, le procureur de l’employeur s’étant limité à énoncer que l’article 29 ne s’appliquait pas en présence d’un diagnostic d’épicondylite, considérant la jurisprudence bien établie du tribunal à cet effet.
[20] Il reproche aussi au premier juge administratif d’avoir retenu le diagnostic de syndrome d’accrochage et de tendinopathie de l’épaule droite sans mentionner les éléments objectifs sur lesquels il s’est fondé pour retenir ce diagnostic.
[21] Quant à la relation causale, le premier juge administratif a écarté les éléments de preuve justifiant la non-reconnaissance des lésions sans les discuter, dont notamment :
· En février 2008, alors que le travailleur déclare pour la première fois des douleurs au coude et à l’épaule, il effectue un travail différent que celui d’assembleur au centre disque;
· Les douleurs à l’épaule droite ont débuté en mars 2008 alors que le travailleur effectuait un autre travail que celui d’assembleur au centre disque, tel qu’il appert de l’avis d’accident déposé en preuve lors de la première audience;
· Le cycle de sollicitation de la région épicondylienne au poste de travail des centres disques est d’environ 20 secondes sur 2 minutes, ce qui ne peut équivaloir à des mouvements répétitifs;
· Les facteurs de risque de développer des pathologies au coude ou à l’épaule ne sont pas présents et les périodes de récupération sont suffisantes;
· Aucun diagnostic d’une lésion à l’épaule droite n’a été posé avant le mois de mars 2009.
[22] De manière plus générale quant à la relation causale, le procureur de l’employeur plaide que la preuve présentée par l’employeur n’a pas été discutée et commentée, ce qui affecte aussi la motivation, qui est absente ou insuffisante.
[23] Plus spécifiquement quant à la lésion à l’épaule droite, aucun élément d’admissibilité n’est discuté de sorte qu’il est impossible de savoir comment et sur quel fondement légal cette lésion a été acceptée, sous l’article 29 ou l’article 30 de la loi.
[24] Et, après avoir conclu à la reconnaissance des deux lésions, le premier juge administratif a omis de discuter de la date de consolidation et de la nécessité des soins alors que, de manière subsidiaire, l’employeur demandait de retenir les conclusions du docteur Blanchet, soit que la lésion était consolidée le 8 avril 2009 avec suffisance de soins à cette date.
[25] Bien que le dispositif de la décision déclare que la lésion professionnelle n’est pas consolidée et qu’elle nécessite des soins, aucun élément de la preuve n’est rapporté ni discuté à cet égard dans les motifs de la décision.
[26] La représentante du travailleur est d’avis que la décision est fondée sur la preuve et qu’elle n’est entachée d’aucun vice de fond. Elle soumet que le fait de clouer jusqu’à 3000 clous par jour constitue un travail répétitif.
[27] Quant à la douleur à l’épaule droite, le travailleur en a parlé, mais, au départ, le médecin croyait à une douleur du coude qui irradiait aussi à l’épaule. Le travailleur ne doit pas être préjudicié des agissements et conclusions de ses médecins.
[28] Elle estime que la décision est suffisamment motivée et que le juge n’est pas obligé de tout rapporter dans une décision.
Décision dont on demande la révision
[29] La Commission des lésions professionnelles rend sa décision le 2 septembre 2010. Le litige est exposé de manière conforme aux paragraphes 1 à 8 de la décision pour lesquels l’employeur n’allègue aucune erreur.
[30] La Commission des lésions professionnelles devait donc décider quel était le ou les diagnostic(s) à retenir et si ceux-ci constituent une lésion professionnelle et, le cas échéant, de la date de consolidation de la lésion et de la nécessité des soins.
[31] Dans une décision qui combine les faits et motifs, le premier juge administratif s’attarde plus spécifiquement aux faits suivants aux paragraphes 14 à 21, dont un extrait de l’avis du docteur Sevan Gregory Ortaaslan :
[14] Le 1er octobre 2008, le travailleur, assembleur pour l’employeur, prétend avoir subi une lésion professionnelle, soit une épicondylite, en raison de son travail constant et répétitif. Son travail consiste à faire l’assemblage, à l’aide d’un fusil à clous à air comprimé, de pièces en bois devant servir à enrouler des câbles électriques. Le travailleur effectue ce travail depuis 2006, et utilise des gants dans le cadre de ses tâches. Le travailleur explique qu’il doit positionner les pièces de bois sur une table et fixer celles-ci avec le fusil à clous.
[15] À l’audience, suite au visionnement du poste de travail, le travailleur précise qu’il n’effectue pas exactement les mêmes gestes en raison de son gabarit et de sa méthode de travail.
[16] Le travailleur consulte le 4 novembre 2008, le docteur Leroux qui pose le diagnostic d’épicondylite du coude droit. Le diagnostic d’épicondylite du coude droit est médicalement parlant une tendinite épicondylienne du coude droit, ce qui donne ouverture à l’application de l’article 29 de la loi puisque la preuve a révélé que les gestes effectués par le travailleur étaient répétitifs, nécessitant une prise la main fermée et nécessitant une force pour manipuler le fusil à clous.
[17] De plus, le travailleur porte des gants, ce qui augmente la contrainte et la force nécessaire à utiliser pour manipuler le fusil à clous et actionner la détente en raison de la résistance du matériel qui s’ajoute aux autres résistances. Il y a quelques différences entre les données avancées par le travailleur et celles présentées par l’employeur concernant la fréquence, le type et la grosseur des pièces qu’il devait fabriquer.
[18] Toutefois, ces éléments ne sont pas suffisamment importants pour écarter la présomption de l’article 29 qui prévoit :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
[19] Le travailleur a démontré les éléments prévus à l’annexe IV, soit qu’il effectue un travail répétitif de mouvements et de pression sur des périodes de temps prolongées. La fabrication de pièces telle que le travailleur l’effectuait entre facilement dans cette catégorie et la lésion diagnostiquée correspond à une lésion musculo-squelettique prévue à l’annexe IV.
[20] Le travailleur a été examiné par le docteur Michel Blanchet qui ne retient pas de lésion professionnelle au coude. Il consolide la lésion au 1er octobre 2008. Le dossier est acheminé au Bureau d'évaluation médicale et entre temps, le travailleur reçoit des soins et des traitements en raison de sa lésion au coude.
[21] Le 16 juillet 2009, le docteur Sevan Gregory Ortaaslan, orthopédiste, émet un avis médical dans lequel il indique :
Activement, les amplitudes articulaires de l’épaule droite sont légèrement diminuées versus l’épaule gauche. La flexion antérieure est de 170o versus 180o, l’abduction est de 170o versus 180o, la rotation interne L2 versus T12 avec la rotation externe symétrique à 90o.
Passivement, les amplitudes articulaires des deux épaules sont normales et symétriques comme dans le tableau suivant :
ÉPAULES
|
Droite |
Gauche |
Élévation antérieure (flexion) |
180o |
180o |
Abduction |
180o |
180o |
Rotation externe |
90o |
90o |
Rotation interne |
40o |
40o |
Extension (rétropulsion) |
40o |
40o |
Adduction |
20o |
20o |
Le test de Neer est légèrement positif à l’épaule droite, négatif du côté gauche. Le test de Jobe provoque une douleur sous-acromiale droite, négatif du côté gauche avec une absence de faiblesse. Les tests de Hawkins, Yerguson, Speed, « cross over » et « lift off » sont négatifs et symétriques.
L’inspection démontre un tatouage sur la poitrine gauche, à l’épaule et à l’avant-bras droit. Il y a absence d’inflammation cutanée, de spasme musculaire ou d’asymétrie dans la région cervicale, para-cervicale, péri-scapulaire ainsi que le long des deux membres supérieurs.
L’examen palpatoire démontre une absence de douleur à la région cervicale, para-cervicale, péri-scapulaire et au contour des deux épaules incluant l’espace sous-acromial, la longue portion du biceps et l’articulation acromioclaviculaire symétriquement. Le long des deux membres supérieurs est silencieux à l’examen palpatoire excepté à la région épicondylienne droite, négatif du côté opposé. Le reste des deux coudes est silencieux.
[…]
DISCUSSION :
Nous évaluons monsieur Laramée aujourd’hui par rapport à l’événement du 3 novembre 2008.
Le docteur Archambault parle d’une épicondylite au coude droit.
Le docteur Blanchet parle d’une absence de lésion musculo-squelettique.
Le patient déclare qu’il a toujours eu des problèmes incluant l’épaule et que dernièrement, son médecin l’a investigué par échographie qui a démontré une déchirure partielle de ses tendons à l’épaule avec inflammation. Malgré cette découverte, il reçoit uniquement des traitements pour son coude droit qui est beaucoup amélioré, soit d’environ 80% mais demeure toujours avec une difficulté lorsqu’il résiste.
Diagnostic
L’examen d’aujourd’hui est compatible avec une tendinite épicondylienne droite de degré léger. De plus, l’examen de l’épaule droite démontre une évidence de syndrome d’accrochage avec une probable tendinopathie de la coiffe des rotateurs. Notre examen ne supporte pas les conclusions du docteur Blanchet tel que son examen musculo-squelettique normal n’est pas retenu.
Il demeure par contre le mandat de la CSST de déterminer un lien avec tout diagnostic retenu et l’événement en question.
Date ou période prévisible de consolidation de la lésion
Suite à l’étude du dossier et l’examen d’aujourd’hui, nous concluons que monsieur Laramée nécessite toujours des traitements pour son coude droit ainsi que pour le diagnostic retenu pour l’épaule droite. Nous recommandons que le patient reçoive une dernière infiltration cortisonée au coude droit et débute des exercices de renforcement pour le coude droit. Un chirurgien orthopédiste pourrait aider avec la supervision de ces traitements.
Par rapport à l’épaule droite, les séances de physiothérapie sont aussi indiquées ainsi qu’une infiltration cortisonée et le tout peut toujours être supervisé par un chirurgien orthopédiste consulté.
En conséquence, la lésion n’est pas encore consolidée.
Nature, nécessité, suffisance ou durée des soins ou traitements administrés ou prescrits
Comme mentionné ci-haut, une consultation en orthopédie est indiquée autant pour le coude et l’épaule droite pour superviser les traitements de physiothérapie ainsi que des infiltrations cortisonées.
Après une troisième et dernière infiltration cortisonée et une période maximale de six semaines de renforcement du coude droit, nous recommandons une consolidation de la lésion pour ce site. Les traitements pour l’épaule droite devraient suivre basé sur les recommandations de l’orthopédiste consulté.
CONCLUSION :
1- DIAGNOSTIC :
Syndrome d’accrochage à l’épaule droite avec tendinopathie de la coiffe des rotateurs ;
Tendinite épicondylienne du coude droit.
2- DATE OU PÉRIODE PRÉVISIBLE DE CONSOLIDATION DE LA LÉSION :
Les lésions ne sont pas encore consolidées.
3- NATURE, NÉCESSITÉ, SUFFISANCE OU DURÉE DES SOINS OU TRAITEMENTS ADMINISTRÉS OU PRESCRITS :
Une consultation avec un chirurgien orthopédiste est recommandée pour superviser les infiltrations cortisonées et les traitements de physiothérapie. [sic]
[32] Les motifs de la décision sont ensuite exposés aux paragraphes 22 à 25, qui se lisent comme suit :
[22] Le tribunal retient cette opinion, d’autant plus, que le travailleur bénéficie de la présomption de l’article 29, qui n’a pas été écartée. Le médecin a plusieurs mots pour dire la même chose, ainsi une tendinopathie est une maladie du tendon qui aurait pu aussi être appelée tendinite, sans qu’il soit possible de les distinguer l’une de l’autre. Toutefois, la preuve démontre que le travail est responsable de la lésion à l’épaule et le travailleur rencontre aussi définition de lésion professionnelle de l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[23] Concernant la douleur à l’épaule, le travailleur rappelle avoir déclaré, dès les premières consultations, ressentir de la douleur à l’épaule. Il semble que dans les premiers temps, on ait ignoré la douleur à l’épaule sous prétexte que la douleur au coude pouvait être responsable de celle-ci. Les notes de consultation confirment la version du travailleur.
[24] D’ailleurs, sur la feuille de déclaration ou registre des lésions de l’employeur, il est bien fait mention que le travailleur présente une douleur à l’épaule droite et les examens subséquents ont mis en évidence une lésion à l’épaule. D’ailleurs, le travailleur s’est plaint à plusieurs occasions de cette douleur à l’épaule auprès de l’employeur.
[25] À l’audience, le docteur Blanchet a repris pour l’essentiel les éléments de son expertise et commente la littérature médicale déposée à l’appui de sa position. Toutefois, cette littérature révèle des points qui jouent en faveur de la reconnaissance du travailleur, en raison même de la prise du fusil à clous à main fermée et du geste du bras, alors qu’il doit actionner une clenche et appliquer une pression sur le fusil pour qu’il fonctionne, ce qui nécessite une certaine force de la main et du bras. De plus, le travailleur, en raison de sa position de travail, met aussi à contribution les muscles de l’épaule lorsqu’il pose les clous surtout les plus éloignés. Le témoignage du docteur Blanchet ne permet pas d’écarter la reconnaissance de la lésion professionnelle, alors que la preuve permet de reconnaître la lésion à l’épaule comme étant professionnelle.
Motifs de la décision sur la requête en révision ou en révocation
Application de la présomption de l’article 29 de la loi
[33] Quant à la décision du premier juge administratif d’appliquer la présomption de l’article 29 de la loi, il ne peut s’agir ici d’une erreur de droit. Malgré qu’une très grande majorité de décideurs à la Commission des lésions professionnelles suivent le même raisonnement que celui développé dans l’affaire Société canadienne des postes et Grégoire-Larivière[6] et interprète l’énumération contenue à la section IV de l’annexe I de loi comme étant exhaustive, certaines décisions en sens contraire ont été rendues.
[34] Dans l’affaire Trans-Herb E. inc. et St-Gelais[7], la Commission des lésions professionnelles retient que l’épicondylite est souvent retrouvée sous la rubrique des tendinites du coude, ce qui permet de considérer qu’il s’agit d’une maladie énumérée à l’annexe. Quelques décisions ont été rendues dans le même sens[8].
[35] Une divergence d’interprétation ne donne pas ouverture au recours en révision[9].
Omission de rapporter et discuter des éléments de la preuve et absence ou insuffisance de la motivation de la décision.
[36] Ces deux motifs de révision, soit l’omission de tenir compte ou de discuter d’éléments importants de la preuve et l’absence ou l’insuffisance de la motivation, sont souvent liés et c’est le cas dans le présent dossier.
[37] L’employeur allègue ce même type d’erreur à l’égard de toutes les questions que devait trancher le premier juge administratif, le diagnostic en ce qui concerne la lésion au coude et à l’épaule, la relation causale pour les deux types de lésions ainsi que la détermination de la date de consolidation et des soins.
[38] La jurisprudence a reconnu à plusieurs reprises que l’omission de discuter d’éléments importants de la preuve peut donner ouverture à la révision s’ils ont un effet déterminant sur l’issue du litige[10].
[39] L’absence totale de motivation sur une question en litige contrevient non seulement à l’obligation de motiver, mais constitue aussi un manquement à la règle audi alteram partem qui entraîne la nullité de la décision et conduit à sa révocation.
[40] Dans l’affaire Blanchard et Control Data Canada Ltd.[11], la partie appelante alléguait que la sentence arbitrale était insuffisamment motivée au point de conduire à sa nullité. Voici comment le juge Lamer répond à la question :
Reste donc le dernier argument de l’intimée, que la Cour d’appel a accepté aussi, à l’effet que la sentence arbitrale est insuffisamment motivée et qu’elle est donc « nulle et rendue en l’absence de toute juridiction ».
À mon avis, cet argument doit être rejeté. Tenant pour acquis, pour les fins de la discussion, que les motifs sont effectivement insuffisants ou ambigus, comme le suggère l’intimée, il s’agit d’une erreur de droit apparente à la lecture du dossier.
L’erreur de droit pourra aussi être plaidée pour contrôler l’insuffisance apparente au dossier de la motivation des décisions des organismes administratifs
(Principes de contentieux administratif, G. Pépin et Y. Ouellette, 2 éd., 1982, Yvon Blais Inc., à la p.277)
Or, en présence d’une clause privative, de telles erreur sont à l’abri du contrôle judiciaire, sauf en conformité avec les principes que j’ai énoncés précédemment. Au surplus, il m’est difficile de voir comment un tel défaut dans les motifs pourrait porter atteinte à la juridiction de l’arbitre d’entendre le litige et de rendre la décision qu’il juge appropriée, saur dans la mesure où l’insuffisance des motifs est tellement importante qu’elle équivaut à une violation des règles de justice naturelle.
Il me semble que ce n’est pas le cas ici. Il n’y a pas absence totale de motifs. Même si, selon l’intimée, la formulation de la sentence n’est pas des plus heureuses, les motifs de l’arbitre sont intelligibles et permettent de comprendre les fondements de sa décision. Cette formulation est loin d’équivaloir à une violation des règles de justice naturelle. Je rejetterais donc ce dernier argument.
[41] Dans plusieurs cas, la Commission des lésions professionnelles a considéré qu’il y avait une insuffisance telle que cela équivalait à une absence totale de motifs conduisant à la révocation de toute la décision[12].
[42] Lorsqu’une disposition législative oblige un tribunal administratif à motiver sa décision, comme c’est le cas pour la Commission des lésions professionnelles[13], les motifs doivent être suffisants[14].
[43] Même en tenant compte du principe selon lequel le décideur n’est pas tenu de tout rapporter et de tout discuter et même en considérant que certains motifs s’infèrent parfois implicitement[15], ceux-ci doivent être exposés de manière intelligible pour permettre au lecteur d’en comprendre les fondements ou le raisonnement[16].
[44] De même, une motivation ne doit pas être lacunaire au point de rendre illusoire tout contrôle judiciaire[17]. C’est pourquoi il doit exister un lien rationnel entre l’analyse de la preuve et la motivation de la décision, laquelle doit s’appuyer sur des faits démontrés. Et, à juste titre, le professeur Yves Ouellette rappelait à ce propos :
En s’abstenant d’indiquer les faits pertinents considérés comme prouvés et évalués, au soutien de ses conclusions finales, un tribunal administratif rendrait difficile ou illusoire le contrôle de la légalité des décisions prises après «enquête»[18].
[45] La suffisance des motifs doit s’analyser dans le contexte de la question à décider, de sa complexité et de la nature de la preuve présentée, tel qu’il appert des propos suivants du professeur Ouellette :
Le degré de précision de la motivation en fait pourra varier en fonction de divers facteurs, comme la complexité des questions débattues (58) et le caractère plus ou moins rapide de la procédure envisagée. (59)
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(58) Petro Canada c. Canada-Newfoundland Offshore Petroleum Board (1995)127 D.L.r. (4th) 483 (Nfld S.c.)
(59) Dome Petroleum Ltd c. Grekul, (1984) 5 Admin L.R. 252 ( Alta Q.B.)[19]
[46] Qu’en est-il?
[47] Le premier juge administratif retient le diagnostic du docteur Ortaaslan, médecin désigné du Bureau d’évaluation médicale, soit celui de tendinite épicondylienne. Au paragraphe 16 de sa décision, il explique que le diagnostic d’épicondylite est « médicalement parlant une tendinite épicondylienne ». La soussignée comprend de cet énoncé qu’il s’agit de deux nomenclatures différentes pour désigner une même lésion.
[48] Le témoignage du docteur Blanchet n’est pas rapporté spécifiquement quant à ses commentaires portant sur le diagnostic d’épicondylite. Une seconde expertise avait été réalisée le 10 juin 2010 et le docteur Blanchet avait repris plus en détail ses conclusions dans son témoignage à l’audience.
[49] La seule mention du diagnostic retenu par le docteur Blanchet, soit « absence de lésion musculo-squelettique et syndrome douloureux non spécifique » est rapportée dans la décision.
[50] Les motifs qui soutiennent l’analyse et la conclusion du docteur Blanchet à cet égard ne sont ni rapportés ni commentés.
[51] Bien qu’il n’existait pas une grande controverse sur l’aspect du diagnostic, il aurait été nécessaire de dire, même succinctement, les motifs pour lesquels le diagnostic d’épicondylite était retenu. Le premier juge administratif cite l’avis du docteur Ortaaslan, dont ses commentaires et sa conclusion quant au diagnostic, et mentionne qu’il fait sien cet avis au paragraphe 22 sans autre discussion.
[52] La décision ne permet pas de connaître quelle appréciation de la preuve a faite le premier juge administratif et quels éléments de la preuve médicale il retient pour conclure à l’existence d’une épicondylite, si ce n’est les considérations du membre du Bureau d’évaluation médicale qu’il fait siennes dans les passages qu’il reproduit. Cela ne permet pas de savoir pourquoi les conclusions du docteur Blanchet ne sont pas retenues.
[53] Quant à la relation causale, le procureur de l’employeur soumet que la preuve des facteurs de risque de développer une épicondylite n’a pas été rapportée ni discutée et que, de ce fait, la décision n’est pas motivée et ne permet pas de comprendre quels éléments ont été retenus. Même en appliquant la présomption de l’article 29 de la loi, ce qui fait présumer la relation, l’employeur avait présenté une preuve portant sur la relation causale qui devait être discutée au stade du renversement de la présomption.
[54] Le premier juge administratif conclut au paragraphe 16 de sa décision que les gestes effectués par le travailleur étaient répétitifs et qu’ils nécessitaient une prise la main fermée avec force pour manipuler le pistolet à clous sans autre quantification. Il retient aussi au paragraphe 17 que le port de gants peut augmenter la contrainte et la force nécessaire pour manipuler le fusil à clous en raison de la résistance du matériel.
[55] Au paragraphe 17 de sa décision, il est aussi question de différences entre les données avancées par le travailleur et celles présentées par l’employeur concernant la fréquence, le type et la grosseur des pièces, mais sans identifier, discuter et trancher de ces aspects contradictoires de la preuve. Mais, au paragraphe 18 de sa décision, le premier juge administratif ne les juge pas suffisamment importants pour écarter la présomption.
[56] Au paragraphe 25 de sa décision, la preuve, dont l’opinion du docteur Blanchet, est discutée comme suit :
[25] À l’audience, le docteur Blanchet a repris pour l’essentiel les éléments de son expertise et commente la littérature médicale déposée à l’appui de sa position. Toutefois, cette littérature révèle des points qui jouent en faveur de la reconnaissance du travailleur, en raison même de la prise du fusil à clous à main fermée et du geste du bras, alors qu’il doit actionner une clenche et appliquer une pression sur le fusil pour qu’il fonctionne, ce qui nécessite une certaine force de la main et du bras. De plus, le travailleur, en raison de sa position de travail, met aussi à contribution les muscles de l’épaule lorsqu’il pose les clous surtout les plus éloignés. Le témoignage du docteur Blanchet ne permet pas d’écarter la reconnaissance de la lésion professionnelle, alors que la preuve permet de reconnaître la lésion à l’épaule comme étant professionnelle.
[57] La preuve concernant les mouvements et les facteurs de risque n’est pas discutée. Les éléments factuels de la preuve quant à la nature du travail et les différences entre les données quantitatives et leur portée n’ont pas été analysés.
[58] On ne sait pas quels sont les éléments de la preuve le premier juge administratif retient pour conclure à un travail qui comporte des répétitions de mouvements sur des périodes de temps prolongées. Le seul fait de le conclure constitue un énoncé non motivé.
[59] Concernant le diagnostic de la lésion à l’épaule droite, la décision ne contient pas de motifs pour lesquels le diagnostic du docteur Ortaaslan est retenu. Les éléments de la preuve n’ont pas été rapportés ni commentés. On ne sait pas quels sont les éléments qui ont incité à retenir cette opinion plutôt qu’une autre, si ce n’est l’opinion du docteur Ortaaslan qui est rapportée et retenue dans sa généralité.
[60] En ce qui a trait à la relation causale pour la lésion de l’épaule, il faut s’en référer aux paragraphes 23, 24 et 25 de la décision. Les commentaires du docteur Blanchard sur cet aspect ont été moins élaborés que pour l’étiologie de l’épicondylite. Mais ces éléments de la preuve devaient néanmoins être rapportés et discutés, même succinctement. On ne sait pas si cette lésion a été acceptée sous l’égide de l’article 29 ou de l’article 30 de la loi.
[61] De plus, le premier juge administratif explique la présence d’une douleur à l’épaule qui a été rapportée par le travailleur dès le début des consultations, mais il ajoute, en référant au registre des lésions, que le travailleur a déclaré une douleur à l’épaule droite, mais sans préciser l’origine de cette douleur, la nature du travail ou la survenance de cet événement précis. L’impact de cet événement n’a pas été discuté.
[62] Quant à la date de consolidation et la nécessité des soins, la décision ne contient aucune explication y faisant référence, à l’exception des conclusions et de l’examen du docteur Ortaaslan rapportés. On ne connaît pas les critères utilisés pour déterminer la consolidation. Il y a donc absence totale de motifs sur cette question.
[63] En conclusion, l’ensemble de ces manquements fait en sorte que la décision dans son ensemble manque de motivation, qui est parfois absente, parfois insuffisante alors que des éléments importants de la preuve n’ont pas été rapportés ni discutés. Dans un tel cas, à l’instar des principes développés par la jurisprudence, il y a lieu de conclure à une absence de motivation.
[64] Dans l’affaire Rodrigue c. Commission des lésions professionnelles[20], la Cour supérieure a accueilli une requête en révision judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles rejetant la requête en révision pour absence de motivation à l’encontre d’une première décision de la Commission des lésions professionnelles :
[46] Bref, ce n’est pas tant la brièveté des explications ou des motifs de la décision qui pose problème, mais l’absence d’introspection pertinente et d’analyse cognitive qu’elle omet de faire; cela équivaut à un manque de transparence. C’est donc le critère de l’intelligibilité pour comprendre les fondements de la décision qui trouve application.
[47] Bien qu’indiscutablement la commissaire pouvait exercer sa prérogative de mettre de côté l’expertise du Dr SABOURET ou encore le témoignage de RODRIGUE qu’elle avait entendu; mais pour y arriver, elle n’a d’autre choix, que d’expliquer clairement le raisonnement juridique l’ayant conduit à une telle appréciation.
[48] Et, force est de constater que sa décision ne contient aucune appréciation de la preuve entendue et analysée.
[49] L’analyse et l’introspection étant un exercice obligatoire lorsque le décideur décide de mettre de côté des éléments de preuve pertinente pour établir le lien de causalité, un manquement équivaut en l’espèce à une absence de motivation.
[65] De même, dans l’affaire Fortier et Hydro-Québec[21], la Commission des lésions professionnelles concluait aussi dans le cadre d’une requête en révision à une absence de motivation dans le cas où des éléments de la preuve n’avaient pas été discutés, ce qui ne permettait pas de comprendre le fondement de la décision :
(55) Comme le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l'affaire Emballage Workman, il n'est pas nécessaire de commenter tous les faits mis en preuve dans une affaire. Cependant, l'obligation de motiver une décision impose, à tout le moins, une discussion de la preuve qui permette de comprendre le raisonnement suivi par le commissaire pour en arriver à la conclusion à laquelle il en vient. Lorsque, comme dans la présente affaire, ce n'est pas le cas, il y a lieu de conclure à une absence totale de motivation.
[66] Dans le présent dossier, toutes les questions sont liées et la décision forme un tout. Il n’est pas possible d’accueillir en partie la requête et la décision doit donc être révoquée.
[67] Dans le cas d’une révocation, la décision initiale n’existe plus.
[68] Dans l’affaire Mervilus et Skytex Knitting Mills inc.[22], la Commission des lésions professionnelles a eu à analyser l’effet de la révocation d’une décision :
[60] Lorsque des décisions sont révoquées, cela a pour effet de remettre les parties dans l’état où elles étaient avant l’existence de ces décisions. Ces décisions n’existent plus. La doctrine et la jurisprudence reconnaissent cet effet de l’annulation d’une décision. Citons Yves Ouellette à ce propos :
«Si la décision est déclarée nulle par la cour parce qu’elle est ultra vires, on a affirmé qu’il s’agit d’une nullité absolue, équivalant en droit à une absence totale de décision. [Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848 , 862 (j. Sopinka)]5.»
______________
5 Supra note (1) p. 489. [Yves OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, preuve et procédure, Montréal, Les éditions Thémis, 1997; p.520.]
[69] Dans le présent dossier, la soussignée a requis l’opinion des parties quant à savoir si elles voulaient qu’il y ait une nouvelle audience. La représentante du travailleur l’a demandé dans un premier temps mais l’employeur s’est ensuite objecté à cette demande puisque la cause a déjà entendue.
[70] Les parties ont finalement donné leur accord pour que la Commission des lésions professionnelles, dans l’éventualité où la requête en révision ou en révocation était accueillie, rende la décision à partir de la preuve qui a déjà été présentée, soit pour réviser et corriger une erreur ou rendre la décision à la suite de la révocation de la première.
[71] La Commission des lésions professionnelles dans la mesure où elle a pris connaissance du dossier, du vidéo du poste de travail et des notes sténographiques de l’audience et que la crédibilité des témoins n’était pas directement en cause bien que certains éléments de la preuve étaient contradictoires, peut dans les circonstances rendre la décision sur le fond.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LE FOND
[72] Pour une meilleure compréhension du dossier, il y a lieu de résumer les faits de manière détaillée.
La preuve factuelle et médicale
[73] Le travailleur, né en 1963, occupe un emploi d’assembleur chez l’employeur depuis une dizaine d’années. Il travaille sur le quart de travail de jour.
[74] Dans son témoignage à l’audience, il précise que, du mois de mai 2007 jusqu’à son arrêt de travail au mois de novembre 2008, il travaille au poste d’assembleur de centres disques seulement, à l’exception des demandes d’assistance sur d’autres postes de travail d’assemblage. Il admet travailler de trois à quatre jours par semaine au poste d’assemblage des centres disques depuis le mois de mai 2007. Plus tard dans son témoignage, le travailleur mentionne faire ce travail dans une proportion d’environ 60 % du travail.
[75] Avant 2007, il effectuait le travail d’assembleur de jantes. Sur ce poste de travail, il utilisait le pistolet à clous exceptionnellement seulement.
[76] Sur son formulaire de réclamation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le travailleur indique la date d’événement du 3 novembre 2008.
[77] Le 4 novembre 2008, il consulte le docteur Héroux qui complète une attestation médicale CSST en écrivant le diagnostic d’épicondylite du coude droit accompagné de la mention « maladie professionnelle ». Du Naprosyn est prescrit.
[78] Le travailleur situe le début des douleurs au mois de février 2008. La douleur était située au bras droit allant de la région de l’épaule jusqu’aux doigts. Cette douleur est apparue graduellement et a augmenté avec les mois.
[79] Au registre des accidents, le travailleur a déclaré deux événements, un le 11 février 2008, où il a reçu une planche sur le coude droit, et un autre le 11 mars, où il reçoit une planche sur l’épaule droite. À ces deux occasions, il n’effectuait pas le travail d’assembleur au centre disque et n’a pas cessé de travailler.
[80] Le travailleur explique dans son témoignage qu’il avait déjà des douleurs avant ces deux événements qui ne l’ont pas empêché de travailler. Après ces deux événements, la douleur ne s’est pas aggravée, mais a continué d’évoluer vers une intensification graduelle. Lorsqu’il cesse de travailler et consulte un médecin en novembre 2008, la douleur était devenue intolérable et, le matin, en débutant sa journée, il ne pouvait plus tenir le pistolet à clous dans sa main droite.
[81] Quant à la nature du travail au centre disque, le travailleur doit assembler des centres disques. Il travaille debout face à une table qui lui arrive au nombril. Il doit assembler des centres disques dont le diamètre est variable. En général, les dimensions varient de 42 à 68 pouces de diamètre. Le travail consiste à prendre des planches et à les installer à plat sur la table. Ensuite, le travailleur mesure la circonférence et place deux travers qu’il cloue sur la planche à l’aide d’une cloueuse à air, « gun à clou ».
[82] Une vidéo du poste de travail d’assembleur au centre disque de quelques minutes a été présentée à l’audience et le travailleur a pu faire des commentaires. Contrairement à ce qui est visualisé, le travailleur porte toujours des gants de travail et il utilise le pistolet à clous de la main droite seulement.
[83] Le travailleur travaille parfois à bout de bras pour rejoindre la partie la plus éloignée sur la table. Il installait plus de clous que ce qui est montré sur la vidéo.
[84] Quant au clouage, le travailleur mentionne qu’il doit clouer 10 clous par planche. S’il en place 10, il doit clouer 100 clous. Le nombre varie en fonction du nombre de planches. Ce nombre peut être plutôt de 50 à 60 en général. Le travail de clouage est effectué dans une seule séquence, sans interruption, et s’effectue à la fin du cycle. Lorsque les planches sont clouées, le travailleur doit en assembler un nouveau et ainsi de suite.
[85] Le temps requis pour assembler un centre disque est d’un peu plus de deux minutes. Sur la bande vidéo, le travailleur en assemble deux en un peu plus de quatre minutes et il s’agissait de six planches pour des centres disques de 32 pouces.
[86] Le travailleur mentionne qu’il doit donner des coups lorsqu’il utilise le pistolet à clous.
[87] Lorsqu’il fait le travail d’assemblage à un autre poste de travail, le travailleur peut utiliser un « pistolet à tack » qui est un outil moins lourd.
[88] Selon les données de l’employeur, le pistolet à clous pèse 11 livres et demie alors que, selon le travailleur, lorsque le pistolet est rempli de clous, il pèse plutôt 15 livres.
[89] Le travailleur entreprend des traitements de physiothérapie. À compter du 18 novembre 2008, son médecin donne son aval à une assignation temporaire. Il reçoit deux infiltrations au coude droit qui ont apporté une amélioration.
[90] Dans les notes de physiothérapie, on peut lire que le travailleur est traité pour des douleurs au coude droit.
[91] Le 5 février 2009, la CSST rend une décision dans laquelle elle reconnaît que le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle, soit une épicondylite du coude droit. Cette décision est contestée par l’employeur et confirmée par la révision administrative de la CSST le 5 juin 2009 qui reconnaît que l’épicondylite est reliée aux risques particuliers du travail.
[92] Le 20 mars 2009, le docteur Leroux mentionne que l’épicondylite du coude droit persiste et que le travailleur doit poursuivre la physiothérapie. Il ajoute en plus, pour la première fois, un accrochage de l’épaule droite. Il demande à la même date une échographie de l’épaule droite.
[93] Selon une première expertise du docteur Blanchet qui a examiné le travailleur à la demande de l’employeur le 8 avril 2009, les mouvements de flexion et de déviation radiale et cubitale des poignets n’engendrent pas de douleurs.
[94] Le travailleur se plaint aussi d’une douleur localisée à la région postérieure de la clavicule droite et à la région antérieure externe et supérieure du bras droit. Les douleurs au coude se manifestent lors des mouvements de déviation cubitale et radiale du poignet. Quant à l’épaule droite, les douleurs se manifestent lors de l’abduction de plus de 90 degrés et lors des mouvements de flexion et d’extension de l’épaule.
[95] Lors de l’examen objectif de l’épaule, le docteur Blanchet note une douleur à la palpation à la région postérieure de l’épaule dans la région du trapèze droit. Les amplitudes articulaires de l’épaule droite sont diminuées en flexion antérieure et en abduction en actif et sont normales en passif. La manœuvre de Hawkins est positive à droite alors que les manœuvres de Neer et de Jobe sont négatives.
[96] Considérant que les manœuvres de mise en tension des muscles épicondyliens sont négatives, il conclut à une absence de lésion musculosquelettique et à un syndrome douloureux non spécifique. Il estime donc la lésion consolidée le jour de son examen, le 8 avril 2009.
[97] Le 17 avril 2009, le médecin traitant, le docteur Archambault, maintient le diagnostic d’épicondylite du coude droit, mais indique que le patient va mieux.
[98] Dans un rapport complémentaire, le docteur Archambault précise que l’épicondylite est en voie de résolution et que le travailleur présente aussi une tendinite de l’épaule sous investigation. Concernant la tendinite de l’épaule droite, il écrit que le Hawkins est positif et que l’amplitude est limitée. Les lésions ne sont pas consolidées.
[99] Selon le rapport de l’échographie de l’épaule droite, le travailleur présente une déchirure partielle de la portion supérieure droite de l’insertion du tendon sous-scapulaire et une atteinte possible du tendon sous-épineux. Une résonance magnétique est recommandée, mais celle-ci n’a pas eu lieu.
[100] Le 19 juin 2009, le docteur Leroux retient le diagnostic d’épicondylite du coude droit et celui de tendinite de l’épaule droite. Il recommande la poursuite des traitements de physiothérapie.
[101] Le 2 juillet 2009, le travailleur est examiné par le docteur Ortaaslan, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale. Il relate que, le 3 novembre 2008, il était rendu à la limite de ses capacités d’utiliser un pistolet à clous et avait des douleurs depuis quelques temps qui élançaient de son épaule jusqu’au bout des doigts du côté droit. L’amélioration est évaluée à 80 %.
[102] Au moment de cet examen, le travailleur effectue du travail léger et reçoit des traitements de physiothérapie trois fois par semaine. Il nie tout symptôme, mais, lorsqu’il doit forcer de manière soutenue avec la main ou le poignet droit, il ressent une douleur à la région latérale de son coude droit. Lorsqu’il surélève son épaule droite, il ressent une douleur à la région antérolatérale de l’épaule droite.
[103] Selon son examen objectif, les amplitudes articulaires de l’épaule droite sont normales lorsqu’elles sont mobilisées passivement alors qu’activement, elles sont légèrement diminuées en flexion antérieure et en abduction. Le test de Neer est légèrement positif à droite et le test de Jobe provoque une douleur sous-acromiale droite. Les tests de Hawkins, Speed, Yerguson et « cross over » sont négatifs des deux côtés. Les amplitudes articulaires des coudes et des poignets sont normales et symétriques. Il existe une légère sensibilité lors de la supination résistée à la région épicondylienne droite. Les extenseurs des doigts et des poignets contre résistance sont indolores de même que les fléchisseurs des doigts et des poignets contre résistance. Le docteur Ortaaslan, avant de conclure quant au diagnostic, retient les dires du travailleur qu’il a toujours eu des problèmes incluant l’épaule et que dernièrement son médecin l’a investigué par échographie qui a démontré une déchirure partielle de ses tendons avec inflammation. Malgré cette découverte, il ne reçoit des traitements que pour le coude droit. Il conclut que son examen est compatible avec une tendinite épicondylienne droite légère avec un syndrome d’accrochage de l’épaule droite avec une tendinopathie probable de la coiffe des rotateurs. Il estime que le travailleur devrait recevoir des traitements aussi pour l’épaule droite. Il retient donc le diagnostic de « tendinite épicondylienne du coude droit et de syndrome d’accrochage de l’épaule droite avec tendinopathie de la coiffe des rotateurs » non consolidé.
[104] Le 12 août 2009, la CSST rend une décision faisant suite à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale et déclare que le syndrome d’accrochage et la tendinite de l’épaule droite ne sont pas en relation avec l’événement du 3 novembre 2008, mais ne remet pas en cause la maladie professionnelle d’épicondylite droite. Cette décision est contestée par le travailleur et l’employeur. Le 18 septembre 2009, la révision administrative de la CSST confirme intégralement la décision. Cette décision est contestée par les deux parties, d’où la décision de la Commission des lésions professionnelles du 2 septembre 2010 qui fait l’objet de la présente requête en révision présentée par l’employeur.
[105] Le 13 octobre 2009, le docteur Leroux rédige un billet médical dans lequel il est écrit que « le patient présentait dès le début une irradiation à l’épaule droite de sa douleur au coude ».
[106] Le 28 avril 2010, le travailleur passe une résonance magnétique du coude droit dont la conclusion est une « tendinopathie du tendon commun des extenseurs accompagnée d’une déchirure partielle proximale et une légère chondropathie intéressant la surface articulaire de la tête radiale ».
[107] Dans son témoignage à l’audience, le travailleur mentionne que sa douleur au coude droit s’est améliorée. Après avoir été retiré du travail, il ne ressentait plus de douleurs au repos, mais seulement à l’effort.
[108] Une seconde expertise du docteur Blanchet est réalisée après avoir examiné le travailleur le 10 juin 2010.
[109] Au moment de cet examen fait par le docteur Blanchet, le travailleur relate qu’il ne s’est produit aucune amélioration pour l’épaule droite et que les douleurs au coude droit se sont améliorées de l’ordre de 80 %.
[110] Lors de l’examen objectif, le docteur Blanchet décrit une douleur à la palpation au niveau de l’articulation acromioclaviculaire alors que la coiffe des rotateurs est indolore. Les amplitudes articulaires de l’épaule droite sont normales et seule la manœuvre du foulard reproduit une douleur à droite. L’examen du coude droit est normal. L’extension contrariée du poignet droit contre résistance, l’extension contrariée des doigts contre résistance et la supination contrariée du poignet contre résistance sont indolores. Les tests diagnostiques d’épicondylite sont négatifs. Le docteur Blanchet retient les mêmes conclusions que dans son expertise précédente. Il ajoute des commentaires médico-administratifs dont il convient de reproduire les extraits suivants :
Lors de l’examen physique du 8 avril 2009, j’avais écarté la relation entre ce diagnostic d’épicondylite et le travail d’opérateur de cloueuse de monsieur Laramée. Les facteurs de risque de développer une épicondylite sont les facteurs qui combinent une posture extrême et force suffisante. Les seuls mouvements répétitifs ne sont pas des facteurs de risque de développer une épicondylite.
Le poids du fusil était de 11,5 livres. J’ai évalué ce poids comme étant léger, et j’ai conclu que l’effort pour utiliser ce fusil ne demandait pas de force significative, et que ceci ne comportait donc pas un facteur de risque. J’en arrive aujourd’hui aux mêmes conclusions.
[111] L’employeur dépose en preuve à l’audience une vidéo du poste de travail sur laquelle on peut observer durant quelques minutes un autre travailleur exécuter des tâches similaires et de la littérature médicale concernant l’épicondylite et les facteurs de risques associés. Le travailleur, monsieur Denis Allaire et le docteur Blanchet ont témoigné à l’audience.
[112] Dans son témoignage à l’audience, le docteur Blanchet a traité des facteurs de risque pour développer une épicondylite en s’appuyant sur la littérature déposée. Entre la répétitivité, la force et la posture contraignante, le docteur Blanchet mentionne que la force est le facteur le plus important dans le développement d’une épicondylite et que l’association de plusieurs facteurs, dont la force et la répétitivité, en augmente le risque.
[113] En tentant de définir ce que constitue la notion de « force », il conclut que celle-ci n’est pas documentée. En se référant à la classification des professions, le docteur Blanchet affirme qu’un travail effectué en position debout et exigeant de soulever de manière fréquente des poids supérieurs à 10 livres jusqu’60 livres est un travail classé comme étant « léger » ou « moyen ». À son avis, un pistolet de 11 à 15 livres est un poids plutôt léger.
[114] Il estime donc que le travail n’est pas suffisamment forçant pour engendrer une épicondylite. Il est aussi d’avis que le clouage n’est pas constant, puisque, sur un cycle de deux minutes, la partie la plus significative du travail s’effectue dans le reste des tâches, ce qui constitue une période de repos. Questionné sur le fait que durant ces périodes le travailleur continuait à manutentionner des planches de différentes dimensions avec ses deux membres supérieurs, le docteur Blanchet admet qu’il ne s’agit pas d’un repos complet, mais que le poids des planches est plutôt léger.
[115] Questionné quant à savoir si le fait que le travailleur n’effectue finalement le travail d’assemblage des centres disques que dans une proportion de 60 % du temps, le docteur Blanchet répond « Je pense que ce n’est pas le fait d’effectuer la tâche 3 jours ou 5 par semaine qui va faire la différence, c’est les forces en présence et la répétitivité des mouvements. » [sic]
[116] D’ailleurs, le docteur Blanchet réitère les résultats de ces deux examens quant aux signes cliniques d’épicondylite et, à une question du procureur de l’employeur quant à savoir s’il y avait des signes cliniques suffisants pour poser ce diagnostic, il répond : « Ce n’est pas une épicondylite carabinée. »
[117] Quant aux notes cliniques des médecins traitants, elles ne réfèrent pas à des signes cliniques objectifs permettant de retenir ce diagnostic. Il en conclut de même de l’examen du docteur Ortaaslan qui n’avait pas trouvé de signes prononcés, puisque les manœuvres contre résistance étaient négatives, même s’il conserve ce diagnostic.
[118] Quant à une lésion à l’épaule droite, le docteur Blanchet mentionne que les signes cliniques qu’il a trouvés à son examen ne sont pas corroborés avec l’examen du docteur Ortaaslan qui en trouve d’autres. Appelé à commenter le résultat de l’échographie de l’épaule droite, il conclut qu’il s’agit d’une déchirure d’origine dégénérative.
[119] Dans le travail décrit et visionné, le docteur Blanchet ne retrouve pas de mouvements à risque. Il spécifie que le travailleur n’effectue pas des mouvements d’élévation antérieure dans des angles supérieurs à 70 degrés. De plus, il utilise toujours ses deux membres supérieurs pour manipuler les planches, ce qui distribue les efforts des deux côtés.
Motifs de la décision sur le fond
[120] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer le ou les diagnostic(s) et, ensuite, déterminer si ceux-ci constituent une lésion professionnelle et, le cas échéant, de la date de consolidation et de la nécessité des soins.
[121] Concernant les questions de nature médicale, la Commission des lésions professionnelles doit décider selon la preuve prépondérante, et plus particulièrement, la preuve médicale.
[122] Il n’y a pas véritablement de controverse médicale quant au diagnostic d’épicondylite du coude droit. Le médecin traitant et le docteur Ortaaslan du Bureau d’évaluation médicale l’ont retenu. Seul le docteur Blanchet ne le retient pas dans ses deux expertises. Cependant, dans son témoignage à l’audience, à la question posée par le procureur de l’employeur, à savoir si les signes cliniques étaient suffisants pour poser le diagnostic d’épicondylite, le docteur Blanchet répond : « Ce n’est pas une épicondylite carabinée. », ce qui n’infirme pas totalement ce diagnostic.
[123] Même des signes très légers peuvent permettre de conclure qu’il s’agit néanmoins du diagnostic le plus probable. Il s’est écoulé plus de cinq mois entre le début de l’arrêt de travail et l’examen le 8 avril du docteur Blanchet. Du propre aveu du travailleur, la lésion au coude s’était améliorée, ce qui peut expliquer que les symptômes étaient moins apparents, mais sans non plus nier le fait qu’une telle lésion existait lorsque le médecin traitant a retenu ce diagnostic le 4 novembre 2008.
[124] De plus, la résonance magnétique a révélé une tendinopathie du tendon commun des extenseurs accompagnée d’une déchirure proximale, ce qui corrobore une lésion au site de l’épicondyle. L’imagerie vient donc corroborer les examens cliniques.
[125] Quant au diagnostic de la lésion de l’épaule droite, il ressort de la preuve que le travailleur présentait des douleurs allant de l’épaule jusqu’aux doigts du membre supérieur droit. Ces douleurs ont débuté vers le mois de février 2008 et n’ont pas été aggravées véritablement par les deux événements qui sont survenus en février et en mars 2008, impliquant le coude droit et l’épaule droite. Le travailleur affirme qu’il a continué d’avoir des douleurs, avant et après ces deux événements, qui ne l’ont pas empêché de faire son travail et à la suite desquels il n’a pas consulté. Les douleurs qui impliquaient la région de l’épaule et du coude se sont poursuivies et se sont intensifiées.
[126] De l’avis du médecin traitant au début, le travailleur souffre d’une douleur référée à l’épaule droite qu’il mentionne dans une note ultérieure, ce qui explique qu’il ne pose que le diagnostic d’épicondylite, malgré la présence d’une douleur qui englobe l’épaule.
[127] Vers le mois de mars 2008, le médecin traitant identifie plus clairement une pathologie spécifique à l’épaule droite. Dans un rapport complémentaire, le docteur Archambault constate un signe de Hawkins positif et une diminution d’amplitude de l’épaule droite. Il retient un diagnostic de tendinite de l’épaule droite. Il demande une échographie de l’épaule droite.
[128] Selon le résultat de l’échographie, le travailleur présente une déchirure partielle de la portion supérieure du tendon sous-scapulaire et une atteinte possible du tendon sus-épineux.
[129] Lorsqu’il est examiné par le docteur Ortaaslan, les amplitudes articulaires de l’épaule droite sont diminuées en actif seulement. Toutefois, il retient de son examen un signe de Neer légèrement positif de même que le test de Jobe qui provoque une douleur sous-acromiale. Il retient un diagnostic de syndrome d’accrochage de l’épaule droite avec tendinopathie de la coiffe des rotateurs.
[130] Lors des deux examens faits par le docteur Blanchet, lors du premier examen du 8 avril 2009, les amplitudes articulaires de l’épaule droite étaient diminuées. Le 10 juin 2010, il retrouve une douleur à la palpation au niveau de l’articulation acromioclaviculaire alors que la coiffe n’est pas douloureuse. Seule la manœuvre du foulard est douloureuse alors que les amplitudes articulaires sont normales.
[131] Tous les médecins ayant examiné le travailleur ont trouvé des anomalies à l’épaule droite.
[132] L’examen du médecin traitant et celui du docteur Ortaaslan convergent vers un syndrome d’accrochage et une tendinopathie de la coiffe des rotateurs.
[133] L’échographie milite en faveur d’une tendinopathie de la coiffe, ce qui est corroboré par les signes cliniques. Le travailleur n’a pas passé de résonance magnétique.
[134] Le docteur Blanchet explique dans son témoignage avoir retrouvé à l’examen objectif des signes cliniques différents de ceux observés par le docteur Ortaaslan et que son examen ne corrobore pas le sien.
[135] En pareilles circonstances, le tribunal retient les examens qui sont le plus concordants entre eux plutôt que celui qui est isolé. Les conclusions du médecin traitant ont été maintenues par le docteur Ortaaslan et par l’échographie.
[136] La preuve permet donc de retenir le diagnostic du docteur Ortaaslan.
[137] Il y a donc lieu de déterminer si ces lésions constituent une lésion professionnelle.
[138] La loi définit ainsi les notions de « lésion professionnelle » et de « malade professionnelle » :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[139] De même, il y a lieu de reproduire les articles 29 et 30 de la loi qui se lisent comme suit :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[140] Dans le présent cas, le travailleur allègue que ses douleurs sont apparues progressivement, malgré la survenance de deux événements. Il n’allègue pas avoir subi un accident du travail et il n’y a pas lieu d’examiner sa réclamation sous cet angle. En effet, la preuve a démontré que ces deux événements n’ont pas entraîné d’arrêt de travail et de consultation médicale et, surtout, le travailleur avait déjà ressenti des douleurs au membre supérieur droit englobant le coude et l’épaule avant la survenance de ces deux événements, selon son témoignage. Après ces événements, la même douleur continue d’évoluer progressivement.
[141] La soussignée n’applique pas la présomption de l’article 29 de la loi en présence d’un diagnostic d’épicondylite et s’appuie sur un courant jurisprudentiel encore largement majoritaire à cet effet.
[142] Toutefois, la preuve permet de conclure que l’épicondylite est reliée aux risques particuliers du travail pour les motifs qui suivent.
[143] En effet, du témoignage du docteur Blanchet, la répétitivité et la force sont les deux facteurs principaux à rechercher en présence d’une épicondylite. Quant à la répétitivité, la preuve permet d’établir que le travailleur assemble un centre disque en un peu plus de deux minutes. Pour un centre disque, même si les dimensions sont variables, le nombre de clous à poser par planche est de 10. Dans la mesure où le travailleur peut assembler un nombre variable de planches, le nombre de clous peut varier de 60 à 100, 100 étant le maximum. Le fait de clouer de 60 à 100 clous à chaque deux minutes toute la journée, et ce, de trois à quatre jours par semaine, représente un nombre et une fréquence significative.
[144] De l’aveu du docteur Blanchet, ce n’est pas tellement le nombre de jours où le travailleur assemble des centres disques que l’intensité de ce travail qui importe.
[145] Les critères d’évaluation de la force ne sont pas reconnus, ce qui en fait une donnée difficile à apprécier. Le docteur Blanchet a référé à des nomenclatures de catégories de travail de léger à modéré en fonction des poids généraux à manipuler sans égard aux types de mouvement exercés, à leur fréquence et autres considérations concernant le travail précis exercé par le travailleur. Une telle preuve ne permet pas de porter une appréciation du geste posé par le travailleur lorsqu’il tient un outil à air comprimé.
[146] De plus, le travailleur a mentionné dans son témoignage qu’il y a une notion de « coups » qui s’ajoute en plus de tenir l’outil. Le travailleur filmé utilise ses deux mains pour tenir l’outil, ce qui peut être un indice de son poids. Le travailleur a mentionné qu’il le portait de la main droite seulement, ce qui ajoute au poids qui n’est pas ici réparti.
[147] La force de préhension pour tenir le fusil, dont le poids varie entre 11 et 15 livres, apparaît plus importante que ce qu’en a dit le docteur Blanchet. Cet effort s’ajoute au port de gants qui peut atténuer la sensation de préhension et requérir une pression plus soutenue de la main.
[148] De plus, le fait de manipuler des planches de plus grandes dimensions que celles visualisées sur la vidéo accentue les angles des mouvements, ce qui augmente la sollicitation des épaules et du coude.
[149] De plus, de l’admission du docteur Blanchet, les périodes de récupération ne sont pas des temps de repos complet, puisque le travailleur continue de manipuler des planches dans un mouvement de préhension des mains.
[150] Quant à la tendinite de l’épaule droite, la preuve permet aussi de reconnaître qu’il s’agit d’une maladie professionnelle reliée aux risques particuliers du travail.
[151] Quant à la preuve de relation causale, la vidéo corrobore le fait que certains mouvements des membres supérieurs doivent être exercés plus loin du corps, quand il s’agit de placer et clouer les pièces de bois les plus éloignées de la table de travail.
[152] Le docteur Blanchet, même si la donnée exacte du poids des planches de bois n’est pas connue, de par leur longueur et leur largeur visualisée sur le vidéo, on peut en déduire qu’elles ne sont pas aussi lourdes que l’outil à utiliser d’un poids de 11 à 15 livres. Mais le travailleur assemble des planches de dimensions qui peuvent être plus grandes.
[153] Le docteur Blanchet a affirmé qu’une élévation de l’épaule dans des angles supérieurs à 70 degrés peut représenter une sollicitation significative pour développer une tendinopathie de la coiffe. Toutefois, des images filmées, on peut observer que le clouage se fait parfois dans des positions plus contraignantes pour l’épaule dans des mouvements combinés de flexion antérieure dans un angle avoisinant parfois 70 degrés, d’abduction dans des angles de 30 à 40 degrés et de rotation interne.
[154] De plus, l’effort utilisé pour tenir le pistolet à clous du poids de 11 à 15 livres d’une main sollicite aussi l’épaule, à plus forte raison lorsque le travailleur cloue « à bout de bras » dans des régions plus éloignées de la table.
[155] La preuve permet donc de conclure que la tendinite de l’épaule droite est reliée au travail.
Consolidation et nécessité des soins
[156] La notion de « consolidation » est prévue à l’article 2 de la loi et se lit comme suit :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« consolidation » : la guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur victime de cette lésion n'est prévisible;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[157] Selon la jurisprudence, la stabilité de l'état d'un travailleur n'est pas suffisante pour conclure à la consolidation. Il faut aussi prouver qu'aucune amélioration de son état de santé n'est prévisible, mais aussi éviter un acharnement dans les traitements lorsqu’il est démontré que ceux-ci ont atteint leur finalité[23].
[158] La preuve permet de constater que, bien que grandement améliorée, un plateau thérapeutique n’a pas été constaté pour l’épicondylite, le travailleur alléguant encore des douleurs à l’effort. D’ailleurs, le médecin traitant et le docteur Ortaaslan recommandaient des traitements pour les deux lésions.
[159] En ce qui a trait à la lésion de l’épaule droite, le travailleur n’a pas reçu de traitements spécifiques pour cette lésion. En retenant une lésion à l’épaule droite à titre de lésion professionnelle, une lésion qui n’avait pas été reconnue antérieurement et pour laquelle le travailleur n’a pas reçu de traitements et dont son état en requiert, il y a lieu de conclure que cette lésion n’est pas consolidée.
[160] Compte tenu de la nature du présent dossier, la Commission des lésions professionnelles ajoute que la preuve permet de constater que, selon l’état du dossier en date de l’audience à la Commission des lésions professionnelles, la lésion n’était pas consolidée et des soins étaient nécessaires.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision ou en révocation présentée par Les Industries J. Hamelin, l’employeur;
RÉVOQUE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 2 septembre 2010;
ET SUR LE FOND
Dossiers 380533-61-0906, 391258-61-0910 et 392014-61-0910
REJETTE les requêtes présentées par l’employeur;
ACCUEILLE la requête présentée par le travailleur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative le 5 juin 2009;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative le 18 septembre 2009;
DÉCLARE que les diagnostics de la lésion professionnelle sont ceux d’épicondylite du coude droit et de syndrome d’accrochage avec tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite;
DÉCLARE que monsieur Michel Laramée, le travailleur, a subi une lésion professionnelle le 3 novembre 2008;
DÉCLARE qu’en date du 7 juillet 2010, les lésions n’étaient pas consolidées et des traitements étaient nécessaires.
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Anne Vaillancourt |
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Me Dominique L’Heureux |
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FASKEN MARTINEAU DUMOULIN, AVOCATS |
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Représentant de l’employeur |
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Madame Silvy Vaudry |
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SYNDICAT DES MÉTALLOS |
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Représentante du travailleur |
[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] Voir article 429.49 de la loi.
[3] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 ; Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau.
[4] [2003] C.L.P. 601 (C.A.)
[5] [2005] C.L.P. 626 (C.A.)
[6] [1994] C.A.L.P. 285 , révision rejetée, [1995] C.A.L.P. 1120 ; Kasak et Groupe Parima inc., C.L.P. 401000-71-1001, 18 novembre 2010, M. Zigby.
[7] C.L.P. 197472-71-0212, 14 février 2006, G. Robichaud
[8] Côté Lalonde et Norkraft Quévillon inc. (Domtar inc.), C.L.P. 217039-08-0310, 20 juin 2007, F. Daigneault; Drouin et Data Group L.P.Division Data, C.L.P. 385201, 19 novembre 2010, J.M. Dubois.
[9] Travers et Messagerie Courriertel inc., C.L.P. 252931-64-0501, 10 juillet 2007, S. Di Pasquale; Coopérative forestière Hautes-Rives Laurentides et Aubry, C.L.P. 307591-07-0701, 8 décembre 2008.
[10] Corswarem et Commission scolaire Lac-Abitibi, C.L.P. 291308-08-0606, 22 juillet 2008, L. Nadeau; C.S.S.S. du Nord de Lanaudière, C.L.P. 346091-63-0804, 2 novembre 2009, C.-A. Ducharme; Langevin et Bowater Pâtes et Papiers Canada inc., C.L.P. 279646-07-0601, 15 février 2010; Lemay et Défense nationale RHDCC et Direction travail, C.L.P. 364069-63-0811, 13 avril 2010.
[11] [1984] 2 RCS 476 , p.500, 501
[12] Voir : Emballage Workman inc. et Martinez, [2002] C.L.P. 139 ; Lombardi et Construction Dosca inc., C.L.P. 164437-71-0106, 4 novembre 2002, L. Boucher; Fortier et Hydro-Québec, C.L.P. 189935-71-0208, 13 juillet 2004, C.-A. Ducharme; Alary et Fer Ornemental Waverly inc., C.L.P. 260376-64-0504, 20 novembre 2006, L.Nadeau.
[13] Voir article 429.50 de la loi.
[14] Cité de la santé et Heynemand, C.L.P. 69547-64-9505, 26 octobre 1999, Anne Vaillancourt
[15] Boulanger c. Commission des affaires sociales, C.S. Québec, 200-05-002317-902, 11 octobre 1990, j. Moisan; Brasserie Molson O’Keefe ltée c. Boucher, C.S. Montréal, 500-05-009440-932, 29 septembre 1993, j. Gomery; Drouin et Goodyear Canada inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 295637-62C-0608, 22 novembre 2007, J.-F. Cément.
[16] Ozanam inc. c. Commission municipale du Québec, [1994] R.J.Q. 364
[17] Dupont et Université du Québec à Trois-Rivières, 200-09-006306-085, 19 novembre 2008, Les Honorables Thibault, Morin et Dutil, j.C.A.
[18] Yves OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve, Montréal, Éditions Thémis, 1997, 755 p.444
[19] Précitée, note 18
[20] C.S. Montréal, 500-17-035647-075, 18 décembre 2007, j. Léger
[21] C.L.P. 189935-71-0208, 13 juillet 2004, C.A. Ducharme
[22] C.L.P. 90859-73-9708, 28 octobre 1999, Anne Vaillancourt; Voir aussi Hôpital Sainte-Justine et Gravel, [1999] C.L.P. 954 .
[23] Groupe Aecon ltée et Lafrance, C.L.P. 258210-09-0503, 25 janvier 2006, J.-F. Clément; Fini-Excellence et Théberge, C.L.P. 309854-01A-0702, 1er février 2008, R. Napert.
AVIS :
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