Abbes et Industries Plastique Transco ltée |
2009 QCCLP 7363 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 13 mars 2008, monsieur Ramzi Abbes (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il réclame la révision ou la révocation d’une décision rendue par le premier juge administratif le 18 février 2008.
[2] Par celle-ci, le premier juge administratif rejette la contestation déposée par le travailleur, il confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative et il déclare que la CSST a raison de refuser de rouvrir le plan individualisé de réadaptation mis en place et finalisé le « 10 février 2006 [sic] ».
[3] Le travailleur ayant requis la tenue d’une audience, celle-ci a lieu à Longueuil le 9 octobre 2009. Y assistent le travailleur, son représentant, Me Daniel Thimineur, madame Chantal Girard présente au nom de l’employeur, Industries Plastique Transco ltée, sa représentante, madame Nancy Evoy et Me Marie-Anne Lecavalier, représentante de la CSST.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le représentant du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue par le premier juge administratif le 18 février 2008, de déclarer qu’il y a lieu de rouvrir le plan individualisé de réadaptation mis en place par la CSST et de retourner le dossier à cet organisme afin qu’il détermine un nouvel emploi convenable.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Conformément à ce qui est prévu à l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), la soussignée recueille l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sur la question soulevée par la présente requête.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête déposée par le travailleur, de réviser la décision rendue par le premier juge administratif et de déclarer que la CSST doit rouvrir le plan individualisé de réadaptation et déterminer un nouvel emploi convenable.
[7] En effet, le membre issu des associations syndicales estime que le premier juge administratif commet une erreur lorsqu’il applique un courant jurisprudentiel minoritaire erroné et lorsqu’il refuse de revoir l’emploi convenable déterminé. À cet égard, il remarque qu’aucun délai n’est imposé à l’article 146 de la loi. De plus, le membre issu des associations syndicales considère qu’un emploi créé de toutes pièces pour le travailleur n’est pas convenable et que la mise à pied dont le travailleur fait l’objet n’est pas liée à des motifs économiques. Elle ne vise que ses limitations fonctionnelles et elle démontre que cet emploi ne comporte aucune possibilité raisonnable d’embauche pour le travailleur. Le plan individualisé de réadaptation doit donc être rouvert et revu par la CSST.
[8] Le membre issu des associations d’employeurs est plutôt d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête déposée par le travailleur.
[9] En effet, le membre issu des associations d’employeurs estime que le travailleur n’a démontré aucune erreur manifeste et déterminante dans la décision dont il demande la révision. Le premier juge administratif a évalué la preuve disponible, il l’a appréciée et a décidé conformément à celle-ci. Ce n’est pas le rôle du Tribunal siégeant en révision de revoir cette preuve afin de décider autrement. De plus, le membre issu des associations d’employeurs considère que le premier juge administratif appuie sa décision sur un certain courant jurisprudentiel. Or, il n’appartient pas à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de favoriser un courant jurisprudentiel au détriment d’un autre. Enfin, le membre issu des associations d’employeurs croit que le représentant du travailleur tente de bonifier son argumentation, ce qu’il ne peut faire au stade de la révision.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[10] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la décision rendue par le premier juge administratif le 18 février 2008 doit être révisée comme le réclame le travailleur.
[11] Avant même d’aborder le fond de la présente requête, la Commission des lésions professionnelles rappelle que les décisions rendues par le Tribunal sont finales et sans appel[2].
[12] Cependant, l’article 429.56 de la loi permet à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu’elle a rendue lorsqu’une partie lui en fait la demande et lorsque les conditions qui y sont énoncées sont respectées, à savoir lorsqu’il est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente, lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre, ou lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
[13] Le représentant du travailleur invoque le vice de fond de nature à invalider la décision. Cette notion de vice de fond a fait l’objet d’une interprétation constante et unanime de la part de la Commission des lésions professionnelles depuis son introduction à la loi. Elle réfère à l’erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur le sort du litige[3].
[14] La Cour d’appel du Québec approuve cette interprétation mise de l’avant par la Commission des lésions professionnelles et elle vient également préciser le rôle du Tribunal en matière de révision et de révocation et le niveau de preuve requis afin de conclure à la présence d’une erreur manifeste équivalant à un vice de fond.
[15] Ainsi, dans les décisions CSST c. Fontaine[4] et CSST c. Touloumi[5], elle invite d’abord la Commission des lésions professionnelles à faire preuve de retenue lorsque saisie d’un recours en révision. Elle indique qu’il « ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première »[6].
[16] La Cour d’appel ajoute que « le recours en révision ne doit pas être un appel sur les mêmes faits : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut ajouter de nouveaux arguments au stade de la révision »[7].
[17] La Cour d’appel recommande donc une certaine réserve dans l’utilisation et l’analyse de ce motif de révision et de révocation, puisque la décision rendue par le Tribunal fait autorité et ne devrait que très rarement être l’objet d’une intervention de la part de la Commission des lésions professionnelles.
[18] En outre, la Cour d’appel signale que la partie qui requiert la révision ou la révocation d’une décision pour un tel motif a un fardeau de preuve relativement imposant. En effet, elle doit établir l’existence d’une erreur grave, évidente, fondamentale et déterminante dans la décision dont elle veut obtenir la révision ou la révocation.
[19] Selon la Cour d’appel, « la faille que vise cette expression dénote de la part du décideur une erreur […] voisine d’une forme d’incompétence, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception courante plutôt que dans son acception juridique »[8].
[20] Ces éléments doivent donc être établis afin que la Commission des lésions professionnelles puisse conclure à un vice de fond au sens de l’article 429.56 de la loi.
[21] Or, afin de bien comprendre les arguments soulevés par le représentant du travailleur, la Commission des lésions professionnelles croit opportun de dresser un bref tableau des faits sur lesquels repose la décision attaquée en l’espèce.
[22] Le travailleur est assistant opérateur de presse pour l’employeur. Le 8 juin 2005, il est victime d’une lésion professionnelle lors de laquelle il se blesse à la main et au poignet gauches. Cette lésion est consolidée avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et, dès lors, la CSST amorce un processus de réadaptation.
[23] Le 10 février 2006, la CSST avise le travailleur qu’il a droit à la réadaptation prévue à la loi et elle l’informe qu’elle évaluera son poste prélésionnel et sa capacité à l’exercer à la lueur de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles déterminées.
[24] Or, durant ce processus, l’employeur offre au travailleur un poste d’opérateur de presse sans mise au point des machines. Ce poste est exercé durant la fin de semaine, sur deux quarts de 12 heures, mais, selon la convention collective, le travailleur est rémunéré sur une base de 36 heures ou de 38 heures de travail (selon les données retrouvées au dossier ou selon le témoignage livré par le travailleur lors de l’audience devant la première formation). En outre, durant la fin de semaine, il est assisté de deux aides opérateurs ce qui lui évite de manipuler des pièces lourdes comme les barils d’encre, les mandrins et les rouleaux de plastique. Le travailleur occupe cet emploi à compter du 22 mars 2006.
[25] Par ailleurs, la CSST retient les services d’un ergothérapeute afin d’analyser le poste prélésionnel ainsi que celui occupé par le travailleur depuis mars 2006. L’ergothérapeute estime que ce dernier ne peut plus effectuer les tâches prévues dans l’emploi prélésionnel, mais que l’emploi d’opérateur de presse sans mise au point respecte ses limitations fonctionnelles.
[26] Le 13 juin 2006, la CSST rend une décision où elle détermine que l’emploi d’opérateur de presse est convenable et que le travailleur est en mesure de l’exercer à compter du 22 mars 2006. Elle met donc fin au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à cette date. Le 27 juillet 2006, la Révision administrative maintient cette décision et, à la suite d’une contestation déposée par le travailleur, le litige est soumis à la Commission des lésions professionnelles.
[27] Or, à l’automne 2006, le travailleur fait l’objet d’une mise à pied. Il n’est pas le seul travailleur mis à pied puisque que douze à quinze personnes sont touchées à cette occasion. Le motif pour lequel cette mise à pied est effectuée est le manque de travail.
[28] Le travailleur n’est toujours pas rappelé au travail lorsque, le 5 décembre 2006, il se désiste de la requête déposée à la Commission des lésions professionnelles au sujet de l’emploi convenable déterminé. La décision rendue par la CSST sur cette question devient donc finale à la suite de ce désistement.
[29] Cependant, dès le 13 décembre 2006, le représentant du travailleur s’adresse à la CSST. Il réclame une réouverture du plan individualisé de réadaptation pour les motifs suivants :
Nous représentons les intérêts de Monsieur Ramzi Abbes au niveau de son dossier de CSST.
Suite à sa lésion professionnelle qui a laissé une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, un plan individualisé de réadaptation a été établi et une décision rendue le 10 février 2006 [sic] par Madame Diane Biron.
Toutefois, la semaine dernière, notre client a appris qu’un rappel au travail a été fait chez son employeur puisque certains collègues de travail ayant moins d’ancienneté au sein de l’entreprise étaient à l’emploi.
D’ailleurs, Transco inc. confirmait à Monsieur Abbes que n’eut été de ses limitations fonctionnelles, il pourrait travailler mais compte tenu qu’il ne peut pas soulever de charge [sic], il n’y a pas d’emploi au sein de l’entreprise pour lui.
Compte tenu qu’il s’agit de circonstances nouvelles, nous vous demandons de rouvrir le plan individualisé de réadaptation, le tout conformément à l’article 146 (2) de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et de reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
De plus, compte tenu que Monsieur Abbes a exercé l’emploi convenable que quelques mois et que nous ne pouvons prédire quand ce dernier aura un rappel au travail, nous considérons qu’une des caractéristiques que l’emploi convenable ne doit pas avoir, soit celle de la possibilité raisonnable d’embauche, ne s’y retrouve pas. [sic]
Advenant le cas où vous refuseriez d’acquiescer à la présente, veuillez transférer le dossier à la révision administrative afin qu’une décision soit rendue. [sic]
[30] Le 23 janvier 2007, la CSST refuse de rouvrir le plan individualisé de réadaptation. Elle rappelle que sa décision à cet égard est rendue le 13 juin 2006 et que, en raison du désistement produit par le travailleur, elle est devenue finale et irrévocable. Le travailleur demande la révision de cette décision mais, le 25 avril 2007, elle est maintenue par la Révision administrative.
[31] Ce litige est soumis à la Commission des lésions professionnelles et, le 9 janvier 2008, le premier juge administratif entend les parties à ce sujet.
[32] Les notes sténographiques de cette audience sont déposées devant la présente formation.
[33] La Commission des lésions professionnelles constate que le travailleur est entendu. Il admet être capable d’exercer l’emploi d’opérateur de presse sans mise au point. Il reconnaît que la mise à pied de l’automne 2006 touche un grand nombre de travailleurs et qu’elle est provoquée par un manque de travail dans l’entreprise. Il déplore toutefois le fait de ne pas avoir été rappelé alors que des employés ayant moins d’ancienneté ont fait l’objet d’un tel rappel. Il croit qu’il n’est pas rappelé en raison de ses limitations fonctionnelles et il dépose d’ailleurs un grief à ce sujet. Enfin, le travailleur indique qu’il est rappelé quelques mois à l’été 2007 au poste d’opérateur sans mise au point et qu’il est toujours à l’emploi de l’employeur, même s’il est actuellement en mise à pied.
[34] Monsieur Robert Gendron est aussi entendu. Il est agent d’affaire pour le syndicat dont le travailleur fait partie. Il affirme que la mise à pied de l’automne 2006 est massive et qu’elle est due au manque de travail. Il s’occupe réellement du dossier du travailleur en février 2007. Il apprend alors que ce dernier n’est pas rappelé en raison de ses limitations fonctionnelles. En fait, il ne peut occuper qu’un travail d’opérateur sans mise au point et ce travail n’est pas disponible en tout temps chez l’employeur.
[35] Monsieur Mario Moore témoigne à la demande de l’employeur. Il est superviseur chez ce dernier. Il explique que le poste occupé par le travailleur est unique dans l’entreprise, mais que l’employeur peut le mettre sur pied car, en mars 2006, son carnet de commandes ainsi que les exigences des clients justifient le quart de travail occupé par le travailleur et les ressources qui lui sont allouées. Toutefois, monsieur Moore mentionne que l’employeur perd des clients et qu’il y a donc baisse du travail et de la production. Cela oblige l’employeur à faire une mise à pied généralisée et à annuler le quart de fin de semaine couvert par le travailleur. Par la suite, monsieur Moore reconnaît qu’il y a une légère reprise du travail, mais rien qui permette de rappeler le travailleur à ce moment-là. Bien entendu, monsieur Moore admet que, si le travailleur n’avait pas de limitations fonctionnelles, il serait au travail. Cependant, l’employeur n’ayant pas de commandes à effectuer sans mise au point, il ne peut utiliser les services de ce dernier. Il ajoute que, dès que l’employeur a eu un tel travail, à l’été 2007, il s’est empressé de rappeler le travailleur. Il a dû le mettre à pied par la suite toujours en raison d’un manque de travail.
[36] Les parties ont longuement plaidé.
[37] Le représentant du travailleur a soutenu que des circonstances nouvelles étaient prouvées et qu’elles donnaient ouverture à une modification du plan individualisé de réadaptation en vertu de l’article 146 de la loi. Il a énuméré ces circonstances nouvelles durant sa plaidoirie, soit le fait qu’il y ait eu une entente particulière entre l’employeur, la CSST et le travailleur sur la création d’un emploi convenable d’opérateur sans mise au point, le fait que cet emploi ait été exercé par le travailleur et qu’il était donc convenable à ce moment-là, le fait qu’un patron aurait dit que cette entente n’était pas économiquement viable, le fait qu’il y ait eu une mise à pied générale, mais que le travailleur n’ait pas été rappelé et le fait que monsieur Moore admette que, n’eut été des limitations fonctionnelles reconnues, le travailleur aurait fait l’objet d’un tel rappel au travail.
[38] Le représentant du travailleur a cité de nombreuses décisions et il a conclu que le plan individualisé de réadaptation devait être modifié pour tenir compte de ces circonstances nouvelles.
[39] La représentante de l’employeur a soutenu qu’aucune des circonstances soulevées par le travailleur n’était nouvelle. Elle a rappelé que les mises à pied pour des motifs économiques n’étaient pas considérées comme des circonstances nouvelles par la jurisprudence et elle en a commenté certains extraits.
[40] De son côté, le représentant de la CSST a plutôt insisté sur le fait que le représentant du travailleur tentait, par un moyen détourné, de faire revivre sa contestation sur l’emploi convenable dont il s’était désisté en décembre 2006. Il ne décelait pas de circonstances nouvelles dans celles décrites par le représentant du travailleur et il rappelait que les motifs économiques ne s’assimilaient pas à de telles circonstances.
[41] Dans la décision rendue le 18 février 2008 et dont le travailleur demande la révision, le premier juge administratif détermine d’abord que la lettre de la CSST est une décision au sens de la loi.
[42] Ensuite, il s’interroge sur l’application de l’article 146 de la loi et, plus particulièrement, sur la période durant laquelle la CSST peut modifier un plan individualisé de réadaptation.
[43] Le premier juge administratif cite une décision de la Commission des lésions professionnelles se prononçant spécifiquement sur cette question et dans laquelle d’autres décisions sont évoquées. Cette décision énonce que l’article 146 de la loi ne peut être invoqué que lorsque le plan individualisé de réadaptation est en cours et que cet article n’est plus utile lorsque le programme est complété, qu’un emploi convenable est déterminé et que la capacité d’exercer l’emploi est acquise. Le premier juge administratif cite également deux décisions des Bureaux de révision paritaire qui reprennent ce raisonnement et qui sont maintenues, sans discussion particulière sur ce point, par la Commission des lésions professionnelles.
[44] Le premier juge administratif retient cette approche et il conclut, au paragraphe [46] de la décision, que le plan individualisé de réadaptation ne peut être modifié que lorsqu’il est en cours. Les circonstances nouvelles doivent donc se produire lorsque ce plan est en cours de réalisation et lorsque le plan est réalisé et finalisé, on ne peut plus le modifier. Il s’agit donc de la raison principale pour laquelle le premier juge administratif rejette la contestation.
[45] Cependant, il ajoute que le motif pour lequel le travailleur est mis à pied et non rappelé est la perte des clients de l’employeur ou la modification de leur pratique en raison du ralentissement de l’économie. Dans de telles circonstances, le travail pouvant être assigné au travailleur se fait rare et cette rareté justifie sa mise à pied. Le premier juge administratif y voit donc des motifs économiques qui ne peuvent, selon la jurisprudence, être assimilés à des circonstances nouvelles.
[46] Le premier juge administratif détermine donc que la CSST « était en droit de refuser de rouvrir le plan individualisé de réadaptation mis en place le 10 février 2006 [sic] ».
[47] C’est de cette décision dont le travailleur réclame la révision.
[48] Dans la requête transmise à la Commission des lésions professionnelles à cette fin, le représentant du travailleur invoque le vice de fond de nature à invalider la décision. Il soutient que celle-ci comporte des erreurs manifestes et déterminantes de faits et de droit.
[49] Il remarque, d’abord, que le premier juge administratif omet de mentionner que, n’eut été des limitations fonctionnelles reconnues, le travailleur n’aurait pas subi de mise à pied et qu’il serait toujours à l’emploi de l’employeur.
[50] Il reproche également au premier juge administratif d’introduire un délai à l’article 146 de la loi alors qu’aucune telle limite de temps n’est prévue à cet article.
[51] Enfin, il indique que le premier juge administratif commet une erreur lorsqu’il conclut que la mise à pied est motivée par des raisons économiques et en omettant de relier cette situation au fait que l’emploi déterminé n’existe pas sur le marché du travail ou au fait que, si le travailleur est mis à pied, c’est qu’il est porteur de limitations fonctionnelles.
[52] Le représentant du travailleur demande donc à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir sa requête, de réviser la décision rendue par le premier juge administratif, de déclarer que le plan individualisé de réadaptation doit être modifié en raison de circonstances nouvelles et de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle détermine un nouvel emploi convenable.
[53] À l’audience, le représentant du travailleur reprend les faits pertinents et il réitère que le travailleur n’est pas rappelé à la suite de la mise à pied en raison de ses limitations fonctionnelles.
[54] Il identifie deux motifs de révision dans la décision attaquée, à savoir le fait que le premier juge administratif estime que seuls des motifs économiques sont à l’origine de la mise à pied et du non rappel du travailleur et le fait qu’il introduit à l’article 146 de la loi un délai qui n’existe pas.
[55] Le représentant du travailleur indique que la mise à pied et le non rappel du travailleur sont attribuables au fait que ce dernier est porteur de limitations fonctionnelles, qu’un poste est créé de toutes pièces pour celui-ci et que ce poste n’existe nulle part ailleurs sur le marché du travail. Il ajoute que l’article 146 de la loi ne prévoit aucun délai pour modifier le plan individualisé de réadaptation et que l’introduction d’un tel délai est une erreur révisable. Il considère que la jurisprudence qu’il dépose à l’audience aurait dû être retenue et que celle invoquée par le premier juge administratif ne représente pas le courant majoritaire et ne pouvait, dès lors, être privilégiée.
[56] Le représentant du travailleur soutient que le travailleur n’a aucun intérêt à contester la décision portant sur l’emploi convenable avant de réaliser qu’il n’est pas rappelé au travail. C’est pourquoi son désistement de décembre 2006 est légitime tout comme sa demande de modification du plan mis de l’avant par la CSST. Enfin, le représentant du travailleur note que ce dernier a raison de refuser le poste d’opérateur de chariot élévateur car le salaire n’est pas équivalent à celui d’opérateur de presse et que la CSST refuse de défrayer la différence entre ces deux revenus. Il répète que la CSST doit modifier le plan individualisé de réadaptation afin que le travailleur reçoive ce qui lui est dû.
[57] Le représentant du travailleur cite de larges extraits des notes sténographiques à ce sujet. Il dépose également de la doctrine[9] et de la jurisprudence[10] au soutien de ses prétentions.
[58] La représentante de l’employeur indique, d’entrée de jeu, qu’il est évident que si un plan individualisé de réadaptation est mis sur pied et qu’un emploi convenable est déterminé, c’est parce que le travailleur est porteur de limitations fonctionnelles.
[59] C’est aussi évident qu’en l’absence de telles limitations, le travailleur serait en mesure d’exercer son travail prélésionnel.
[60] Ces faits sont donc connus du premier juge administratif, ils sont soupesés et ils ne peuvent donner ouverture à la révision revendiquée.
[61] La représentante de l’employeur poursuit en indiquant que, le 5 décembre 2006, le travailleur se désiste de sa contestation de l’emploi convenable en toute connaissance de cause, alors qu’il n’a toujours pas fait l’objet d’un rappel au travail. Pourtant, dès le 13 décembre 2006, il invoque des circonstances nouvelles.
[62] Or, selon la représentante de l’employeur, il n’y a aucune circonstance nouvelle permettant la modification du plan individualisé de réadaptation. Le travailleur est mis à pied avec plusieurs autres travailleurs au motif que l’employeur perd des clients et ne peut plus justifier le maintien du quart de fin de semaine ou le travail sans mise au point. Donc, le seul motif pour lequel le travailleur ne travaille pas est économique, ce qui ne constitue pas une circonstance nouvelle selon la jurisprudence. De plus, tout cela est connu du travailleur lorsqu’il se désiste de sa contestation. Il ne peut faire revivre cette contestation par l’entremise de l’article 146 de la loi ou en portant la décision en révision.
[63] La représentante de l’employeur commente certaines décisions déposées par le représentant du travailleur et elle les distingue du cas en l’espèce. Elle déplore le fait que plusieurs de ces décisions n’aient pas été présentées au premier juge administratif et que le représentant du travailleur tente de bonifier son argumentation devant la présente formation.
[64] Elle ajoute que la jurisprudence n’est pas claire sur la question du délai et qu’il existe des décisions mettant de l’avant l’un ou l’autre des points de vue. Or, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne doit pas trancher entre ces décisions contradictoires.
[65] La représentante de l’employeur demande donc à la Commission des lésions professionnelles de rejeter la requête en révision produite par le travailleur et elle dépose une décision[11] appuyant son argumentation.
[66] La représentante de la CSST plaide également au nom de cet organisme.
[67] Elle estime qu’il n’y a pas matière à révision ou à révocation dans le présent dossier.
[68] Elle rappelle les termes de l’article 429.56 de la loi et le fait qu’un vice de fond réfère à une erreur manifeste et déterminante. Il ne s’agit pas d’un appel déguisé ou d’une occasion de bonifier la preuve ou l’argumentation.
[69] Ainsi, la représentante de la CSST note que le travailleur invoque deux erreurs, à savoir la question du délai et les motifs économiques.
[70] Or, elle signale que, sur la question du délai, le premier juge administratif motive sa décision en se basant sur un certain courant jurisprudentiel. Il aurait pu arrêter sa décision à ce stade car, selon les décisions citées par celui-ci, le plan individualisé de réadaptation est mis sur pied, l’emploi convenable est déterminé, une décision finale est rendue et aucune circonstance nouvelle ne survient durant cette période. L’article 146 de la loi est donc inapplicable.
[71] Cependant, le premier juge administratif va plus loin et il analyse les circonstances nouvelles alléguées par le représentant du travailleur. Il conclut qu’il s’agit de motifs économiques qui ne donnent pas ouverture à la modification revendiquée.
[72] La représentante de la CSST remarque que le premier juge administratif analyse la preuve disponible et il décide selon celle-ci. Elle estime que le représentant du travailleur tente de bonifier son argumentation en déposant de nouvelles décisions, ce qu’il ne peut faire au stade de la révision. Elle constate aussi que le représentant du travailleur reproche au premier juge administratif de ne pas avoir suivi la jurisprudence qu’il invoque. Or, elle rappelle qu’un conflit jurisprudentiel ne constitue pas un motif de révision.
[73] Elle commente certaines décisions déposées par le représentant du travailleur et elle dépose une décision[12] au soutien de ses prétentions.
[74] La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si la requête en révision produite par le travailleur doit être accueillie.
[75] Après avoir considéré les arguments soulevés de part et d’autre, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’aucun vice de fond de nature à invalider la décision attaquée n’a été démontré.
[76] En effet, la Commission des lésions professionnelles rappelle que le recours en révision n’est pas un appel déguisé ou une occasion de bonifier la preuve ou l’argumentation. Une erreur manifeste et déterminante doit être mise en lumière.
[77] Or, le travailleur ne soulève aucune telle erreur. Il reproche certes au premier juge administratif de ne pas avoir retenu sa vision de la preuve sur la question des circonstances nouvelles. Cependant, l’appréciation de la preuve relève du premier juge administratif. Il est celui qui entend les témoins, qui reçoit les argumentations et qui est, somme toute, le mieux placé pour l’analyser et dégager la preuve prépondérante. La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne peut s’immiscer dans ce processus, à moins que la décision ne repose sur aucune preuve, ce qui est loin d’être le cas en l’espèce.
[78] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles note qu’il ressort des témoignages de messieurs Gendron et Moore que la mise à pied du travailleur fait partie d’un processus plus vaste touchant tous les départements chez l’employeur. Cette mise à pied massive est attribuable au contexte économique difficile et, plus particulièrement, à la perte de certains clients et à la modification des habitudes de certains autres. Maintenant, il y a deux façons de considérer le non rappel du travailleur. En effet, il ressort de la preuve que le quart de travail de ce dernier est suspendu en raison d’un manque de travail ou encore qu’il n’y a plus de travail d’opérateur de presse sans mise au point en raison du ralentissement des activités de l’employeur. Cela fait appel à des motifs économiques et c’est ce point de vue qui est retenu par le premier juge administratif. Une autre vision prônée par le représentant du travailleur veut que la mise à pied et le non rappel du travailleur aient pour seule origine les limitations fonctionnelles reconnues à la suite de la lésion professionnelle et l’emploi convenable particularisé créé pour ce motif. Cette thèse n’est pas favorisée par le premier juge administratif.
[79] Or, il appartient au premier juge administratif saisi d’une contestation de faire ce travail d’analyse, de choisir, dans la preuve présentée et la preuve au dossier, celle qui est pertinente et prépondérante, d’expliquer les choix effectués et de décider conformément à la preuve retenue et à la législation pertinente. C’est exactement ce qu’il a fait. Les choix faits et la décision à laquelle ils ont conduit ne satisfont certes pas le travailleur, mais la Commission des lésions professionnelles ne décèle aucune erreur manifeste et déterminante dans la décision attaquée par celui-ci.
[80] En somme, la Commission des lésions professionnelles constate que, sous le prétexte d’un vice de fond, le représentant du travailleur requiert une nouvelle appréciation de la preuve ou de l’argumentation présentées devant la première formation. Or, ce n’est pas la mission de la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de revoir la preuve, d’en réévaluer la valeur probante ou de lui donner un poids différent de celui considéré par le premier juge administratif.
[81] La Cour d’appel a d’ailleurs rappelé, à quelques reprises, le rôle restreint du Tribunal dans ce domaine. Ainsi, dans la cause Bourassa c. Commission des lésions professionnelles et Hydro-Québec[13], la plus haute Cour du Québec énonce que « sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments ».
[82] La Commission des lésions professionnelles ne peut donc intervenir pour ce motif.
[83] Le représentant du travailleur plaide également l’erreur dans l’interprétation de l’article 146 de la loi.
[84] Il considère que l’introduction d’un délai non prévu par le législateur est un ajout à la loi et il déplore le fait que le premier juge administratif n’ait pas adhéré aux conclusions retenues dans les décisions soumises par celui-ci.
[85] Or, le premier juge administratif n’était aucunement tenu de suivre le raisonnement retrouvé dans les décisions déposées par le représentant du travailleur.
[86] En effet, dans l’affaire Amar et CSST et Locations d’autos et camions Discount et C.L.P.[14], la Cour d’appel du Québec explique que les décideurs bénéficient d’une marge de manœuvre appréciable lorsque vient le temps d’interpréter le texte d’une loi ou d’un règlement. Elle écrit :
[27] L’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique. L’exercice d’interprétation exige de l’interprète de procéder à des choix qui, bien qu’encadrés par les règles d’interprétation des lois, sont sujets à une marge d’appréciation admissible.
[87] L’interprétation favorisée par le premier juge administratif dans le présent dossier est privilégiée dans certaines décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles et citées dans le cadre de la décision attaquée.
[88] Or, ce n’est pas le rôle de la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de trancher les conflits jurisprudentiels ou de favoriser un courant au détriment de l’autre[15].
[89] La Commission des lésions professionnelles doit plutôt respecter l'interprétation du premier juge administratif dans la mesure où elle ne contient pas d'erreur manifeste de fait ou de droit ayant un effet déterminant sur le litige.
[90] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur n’a pas démontré de motifs permettant la révision de la décision rendue initialement par le premier juge administratif et elle rejette donc la requête déposée par ce dernier.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision déposée par le travailleur, monsieur Ramzi Abbes.
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Carmen Racine |
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Me Daniel Thimineur |
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TEAMSTERS QUÉBEC (C.C. 91) |
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Représentant de la partie requérante |
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Madame Nancy Evoy |
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SANTINEL INC. |
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Représentante de la partie intéressée |
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Me Marie-Anne Lecavalier |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Article 429.49 de la loi.
[3] Voir ces décisions de principe qui établissent le courant jurisprudentiel à cet égard : Produits forestiers Donahue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783 .
[4] [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[5] [2005] C.L.P. 921 (C.A.).
[6] Voir la décision Fontaine précitée à la note 4, pp. 21 et 22.
[7] Voir la décision Fontaine précitée à la note 4, p. 22.
[8] Voir la décision Fontaine précitée à la note 4, p. 17.
[9] Letreiz Michel, Les circonstances nouvelles permettant la modification du plan de réadaptation et l’emploi convenable à temps partiel : mythe ou réalité, Développements récents en santé et sécurité, Avril 2009, pp. 67 à 97.
[10] Tessier et Holiday Inn, C.L.P. 182735-31-0204, le 2 août 2002, P. Simard; Brodeur et Coopers & Lybrand inc, syndic et Transport Provost inc. (faillite), C.L.P. 106594-61-9811, le 25 février 1999, M. Cuddihy; Papin et Ferme Francel enr., C.L.P. 318223-63-0705, le 18 avril 2008, J.P. Arsenault, révision rejetée, le 12 février 2009, S. Moreau, révision judiciaire rejetée, le 26 octobre 2009, j. B. Riordon (C.S.); Soares et Simard Beaudry Construction et CSST, C.L.P.336067-64-0712, le 18 juin 2009, R. Daniel; Fugère et Abitibi-Consolidated inc. (div. Belgo), C.L.P. 341572-04-0803, le 25 mars 2009, D. Lajoie; Beaupré et Holiday Inn, C.L.P. 187820-31-0207, le 22 avril 2003, M. Beaudoin.
[11] Ladinardi et Manufacturiers de bas de nylon Doris ltée, C.L.P. 318386-71-0705-R, 318454-71-0705-R et 331474-71-0710-R, le 4 août 2009, A. Vaillancourt.
[12] Légaré et Columbia International ltée, C.L.P. 263205-31-0505-R, le 5 mars 2007, G. Marquis.
[13] Précitée à la note 13.
[14] C.A. Mtl : 500-09-011643-012, le 28 août 2003, jjj Mailhot, Rousseau-Houle et Rayle.
[15] Desjardins et Réno-Dépôt, [1999] C.L.P. 898 ; Robin et Hôpital Marie Enfant, C.L.P. 87973-63-9704, le 13 octobre 1999, J.-L. Rivard; Buggiero et Vêtements Eversharp ltée, C.L.P. 93633-71-9801, le 11 novembre 1999, C.-A. Ducharme (requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Mtl : 500-05-054889-991, le 30 mars 2001, j. Baker; (Olymel) Turcotte & Turmel inc. et CSST, C.L.P. 91587-04B-9710, le 31 juillet 2001, M. Allard; Gaumond et Centre d'hébergement St-Rédempteur inc. [2000] C.L.P. 346 ; Prévost Car inc. et Giroux, C.L.P. 160753-03B-0105, le 10 février 2004, M. Beaudoin; Couture et Les immeubles Jenas [2004] C.L.P. 366 ; Vêtements Golden Brand Canada ltée et Cardenas, C.L.P. 187742-72-0207, le 1er mars 2006, M. Zigby.
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