DÉCISION
[1] Le 21 décembre 2000, Gagnotec inc (le requérant) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q. c. A-3.001) (la Loi) à l’encontre d’une décision de ce Tribunal rendue le 30 novembre 2000.
[2] Par cette décision, le Tribunal accueille une requête en révocation présentée par monsieur Régent St-Pierre (le travailleur) et convoque à nouveau les parties pour être entendues sur le fond du litige.
[3] Le requérant est représenté lors de l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles sur la présente requête. Le travailleur se présente seul.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le requérant demande de réviser ou de révoquer la décision rendue et d’annuler la convocation ordonnée par la Commission des lésions professionnelles.
LES FAITS ET L'ARGUMENTATION DES PARTIES
[5] Pour un historique complet des faits, le lecteur est invité à se référer à la décision rendue le 30 novembre 2000.
[6] Pour une meilleure compréhension, notons toutefois qu’il s’agissait alors d’une requête présentée par le travailleur. Ce dernier alléguait des motifs expliquant pourquoi il ne s’était pas présenté à l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles le 6 octobre 1999. À la suite de cette dernière audience, la Commission des lésions professionnelles avait rendu une décision le 23 novembre 1999 et déclaré que le travailleur n’avait pas subi une lésion professionnelle le 24 décembre 1996.
[7] Le procureur du requérant allègue deux erreurs de fait et une erreur de droit dans la décision du 30 novembre 2000.
[8] Il allègue d’abord que le Tribunal commet une erreur de fait lorsqu’il conclut que le travailleur ne connaissait pas la date d’audience prévue le 6 octobre 1999 puisque celle-ci avait été fixée le 2 mars 1999 selon l’accord des parties et que le travailleur a rencontré son procureur à plusieurs reprises à la suite du 2 mars.
[9] Il allègue ensuite, comme deuxième erreur de fait, que Me Michel Cyr, qui était le procureur au dossier du travailleur depuis l’année 1997, est un avocat qui pratique dans un cabinet privé, à son propre compte, indépendamment du syndicat. Il est par conséquent manifestement déraisonnable que le Tribunal conclut que le travailleur a été diligent en n’avisant que son syndicat de son changement d’adresse et jamais son procureur et la Commission des lésions professionnelles.
[10] Comme erreur de droit, le procureur du requérant soulève qu’il était loisible pour Me Cyr de demander une remise de l’audience. Il a toutefois choisi de procéder sans le travailleur et donc sans apporter un supplément de preuve. Le Tribunal, par sa décision, permet une réouverture d’enquête alors qu’aucune demande en ce sens n’a été formulée. Le fait d’accorder une réouverture d’enquête, alors que la preuve était disponible au moment de l’audience, constitue une erreur de droit.
[11] Le travailleur souligne que c’est son syndicat qui l’avait référé à Me Cyr et qu’il a toujours cru «qu’ils marchaient ensemble». Il n’a donc pas jugé opportun de signaler son changement d’adresse au procureur.
L'AVIS DES MEMBRES
[12] Monsieur Marc-André Regnier, membre issu des associations des employeurs, est d’avis d’accueillir la requête. Il considère que le Tribunal a d’abord commis une erreur de droit en appliquant l’article 429.56 2ième, paragraphe puisque le représentant du travailleur, dûment mandaté, a été en mesure de faire valoir ses représentations lors de l’audience et que s’il y a eu mauvaise représentation du mandataire, ceci ne peut justifier une révocation.
[13] De plus, il considère qu’il y a une erreur de fait manifeste au paragraphe 46 de la décision lorsque le Tribunal conclut à la diligence du travailleur lors de son changement d’adresse au syndicat, alors qu’il est représenté depuis longue date par un procureur indépendant du syndicat et qu’il n’a pas signalé son changement d’adresse à ce dernier. Qui plus est, la date d’audience visée était une date convenue par les parties et fixée bien avant le déménagement du travailleur, tel qu’il apparaît au paragraphe 39 de la décision. La conclusion du Tribunal, voulant que ce soit en raison de «circonstances imprévisibles» que le travailleur n’a pu être entendu, ne tient pas.
[14] Monsieur Claude Bouthillier, membre issu des associations syndicales, est d’avis de rejeter la requête puisqu’il s’agit d’une question d’appréciation des faits par le Tribunal et qu’aucune erreur manifeste et déterminante n’a été démontrée.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[15] L’article 429.56 de la Loi permet à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue.
[16] Cette disposition définit les critères donnant ouverture à la révision ou la révocation d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[17] Elle doit être lue en conjugaison avec le troisième alinéa de l’article 429.49 de la Loi qui édicte le caractère final et sans appel des décisions de la Commission des lésions professionnelles :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[18] Le législateur a voulu ainsi assurer la stabilité juridique des décisions rendues par le Tribunal. Il y a donc lieu d’interpréter ces deux dispositions de façon à concilier les objectifs législatifs.
[19] Comme l’a rappelé récemment la Cour supérieure, dans le cadre des anciens articles 405 et 406 de la Loi, mais dont le principe s’applique intégralement aux articles 429.56 et 429.49, les décisions sont finales et sans appel et la Commission des lésions professionnelles ne peut agir comme un tribunal d’appel.[1]
[20] En ce qui concerne le « vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision », motif qui est soulevé en l’instance, la Commission des lésions professionnelles, s’inspirant des interprétations données par les tribunaux supérieurs et d’autres tribunaux chargés d’appliquer des dispositions similaires, s’est prononcée à plusieurs occasions sur la portée de ce terme.[2]
[21] Il ressort de ces décisions qu’une erreur de fait ou de droit peut constituer un « vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision » si le requérant démontre que cette erreur est manifeste et qu’elle a un effet déterminant sur la décision rendue. Une erreur manifeste est une erreur flagrante [3].
[22] Le pouvoir de révision ne peut servir de prétexte à la demande d’une nouvelle appréciation de la preuve soumise au premier Tribunal ou à un appel déguisé. Il ne peut également être l’occasion de compléter ou bonifier la preuve ou l’argumentation soumise au Tribunal[4].
[23] Malgré ces paramètres exigeants et, malgré le fait que la décision qu’avait à rendre le Tribunal constitue principalement une question d’appréciation des faits, la Commission des lésions professionnelles en révision est d’avis, après avoir lu attentivement la décision rendue le 30 novembre 2000, que la conclusion à laquelle en vient le Tribunal au paragraphe 49, soit que « c’est en raison de circonstances imprévisibles que le travailleur n’a pu être entendu » n’est pas supportée par les faits rapportés dans la décision. Il s’agit ici de la reconnaissance d’une erreur manifeste et non d’une nouvelle appréciation des faits[5].
[24] En effet, les faits rapportés aux paragraphes 7 à 30 révèlent :
· que la date d’audience a été reportée au 6 octobre 1999, après accord des parties. Cette information est tirée à partir d’un procès-verbal de la Commission des lésions professionnelles complété le 2 mars 1999. Il s’agit de la troisième fois qu’une date d’audience est fixée;
· que le travailleur a rencontré son procureur à quatre ou cinq reprises pour préparer son dossier et que la dernière rencontre a eu lieu en mai ou juin 1999;
· que le travailleur est déménagé en mai 1999 et qu’il a avisé son syndicat de son changement d’adresse pendant le mois de juillet ou août 1999. Il n’a pas avisé son procureur et la Commission des lésions professionnelles de son changement d’adresse. Il y a toutefois une admission du travailleur quant au fait que le Service des postes faisait suivre son courrier;
· que l’avis d’audience, transmis au travailleur, n’a pas été retourné à la Commission des lésions professionnelles par la Société canadienne des postes ce qui justifiait la Commission des lésions professionnelles le 6 octobre 1999 de conclure que le travailleur l’avait bien reçu;
· que le travailleur était représenté par un procureur et que ce dernier a accepté de procéder en son absence;
[25] Avec respect pour l’opinion contraire, la Commission des lésions professionnelles en révision est d’avis que le simple énoncé de ces faits objectifs permet de comprendre que les faits ne convergent pas dans le sens conclu par le Tribunal. Il y a donc une erreur manifeste.
[26] Cette erreur manifeste est déterminante puisqu’elle a eu pour effet de révoquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 23 novembre 1999.
[27] Procédant maintenant à rendre la décision qui aurait dû être rendue, après avoir entendu les cassettes d’audience et constaté que les faits tels que rapportés dans la décision rendue le 30 novembre 2000 sont conformes à la preuve présentée, la Commission des lésions professionnelles en révision est d’avis que le travailleur n’a pas démontré qu’il n’a pu se faire entendre pour des raisons jugées suffisantes.
[28] D’une part, il savait ou devait savoir la date d’audience, celle-ci ayant été établie, avec l’accord des parties, le 6 mars 1999 pour le 6 octobre suivant, donc avant que le travailleur ne rencontre son procureur en mai ou juin suivant.
[29] D’autre part, il a fait preuve de négligence en n’avisant ni la Commission des lésions professionnelles ni son procureur de son changement d’adresse. Après deux remises des dates d’audience fixées pour entendre sa demande d’appel, qui elle était déposée depuis le mois de juillet 1998, il devait s’attendre, s’il est vrai qu’il ne connaissait pas la nouvelle date d’audience convenue, à recevoir un nouvel avis d’audience. De plus, même si le travailleur affirme ne pas avoir reçu l’avis d’audience, on ne peut ignorer qu’il n’y a eu aucun retour de courrier à la Commission des lésions professionnelles et que la Société des postes faisait suivre son courrier à sa nouvelle adresse.
[30] Enfin, le travailleur était dûment représenté par avocat lors de l’audience tenue le 6 octobre 1999. Comme l’a déjà reconnu la Commission des lésions professionnelles[6], elle n’a pas la compétence de déterminer si Me Cyr, avocat d’expérience devant la Commission des lésions professionnelles, a bien ou mal agi dans l’exercice de son mandat. Sa compétence se limite à déterminer si le travailleur ne s’est pas fait entendre pour des raisons jugées suffisantes. Dans la détermination de telles raisons, le fait d’être représenté par un procureur expérimenté peut être pris en considération.
[31] Pour ces différents motifs, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur n’a pas fait la démonstration qu’il n’a pu être entendu pour des raisons jugées suffisantes.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Gagnotec inc;
RÉVOQUE la décision rendue le 30 novembre 2000;
RÉTABLIT la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 23 novembre 1999.
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Me Pauline Perron |
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Commissaire |
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MONSIEUR ÉRIC
THIBODEAU |
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Représentant de la partie requérante |
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PANNETON, LESSARD (MTL-2) (Me
Micheline Plasse) |
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Représentante de la partie intervenante |
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[1] Pétrin c.C.L.P. et Roy et Foyer d’accueil de
Gracefield, C.S. 550-05-008239-991, 15 novembre 1999, l’Honorable juge Jean
R.Dagenais
[2] Produits Forestiers Donahue inc et Villeneuve [1998] C.L.P. 733;
Franchellini et Sousa
[1998]
C.L.P. 783
;
Hôpital Sacré-Cœur de Montréal et Gagné, C.L.P.
89669-61-9707, 12 janvier 1998,C.A. Ducharme commissaire.
[3] Lamarre et Day &
Ross inc
[1991] C.A.L.P. 729
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[4] Moschin et Communauté Urbaine de Montréal
[1998] C.L.P. 860
;
Lamarre et Day &
Ross déjà cité note 3;
Sivaco et C.A.L.P. [1998]
C.L.P.180;
Charrette et Jeno Neuman & fils inc.C.L.P. 87190-71-9703, 1999-03-26, N. Lacroix, commissaire.
Pétrin c.C.L.P. et Roy et Foyer d’accueil de Gracefield, note 1.
[5] Bourassa et C.L.P. et
Hydro-Québec C.S. Montréal, 500-05-058020-007, 2001-05-03, J C. Champagne.
[6] John Scott Bouchard et Laboratoires Assayers et CSST Abitibi-Témiscamingue C.L.P.
117932-08-9906 R, 12-10-2000 Me N. Lacroix, commissaire.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.