Encinas et Hotel Lindbergh inc. |
2013 QCCLP 548 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU RÉVOCATION
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[1] Le 13 avril 2012, monsieur Andrews Encinas (le travailleur) dépose une requête en révocation à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 14 mars 2012.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles se prononce à l’égard de plusieurs litiges, soit trois requêtes déposées par Hotel Lindbergh inc. (l’employeur) et une autre déposée par le travailleur.
[3] Dans le dossier 429823-31-1102, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête déposée le 2 février 2011 par l’employeur, confirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 janvier 2011 à la suite d’une révision administrative, déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 29 juin 2010, qu’il a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et qu’il n’y a pas lieu de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu qui lui est versée, à compter du 30 juin 2010.
[4] Dans le dossier 435952-31-1104, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête déposée par l’employeur, modifie la décision de la CSST rendue le 5 avril 2011 à la suite d’une révision administrative, déclare que la lésion professionnelle du 29 juin 2010 est consolidée depuis le 6 janvier 2011, sans la nécessité de traitements additionnels au-delà de cette date et déclare qu’il n’y a pas lieu d’autoriser un programme de développement des capacités, tenant compte de la consolidation de la lésion professionnelle le 6 janvier 2011, sans la nécessité de traitements additionnels.
[5] Dans le dossier 451882-31-1110, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête déposée par le travailleur le 7 octobre 2011, modifie la décision rendue par la CSST le 23 septembre 2011 à la suite d’une révision administrative, déclare que la lésion professionnelle du 29 juin 2010 n’entraîne aucune limitation fonctionnelle, déclare que le travailleur a la capacité d’exercer son emploi à compter du 6 janvier 2011 et que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu cesse à cette date.
[6] Dans le dossier 452629-31-1110, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête déposée le 26 octobre 2011 par l’employeur, modifie la décision de la CSST du 23 septembre 2011 à la suite d’une révision administrative, déclare que la lésion professionnelle n’entraîne aucune limitation fonctionnelle, déclare que le travailleur a la capacité d’exercer son emploi à compter du 6 janvier 2011 et que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu cesse à cette date.
[7] Fait à noter, la présente requête en révocation ne vise que la portion de la décision rendue par le premier juge administratif relative au dossier 451882-31-1110.
[8] Les parties sont présentes et représentées lors de l’audience de la présente requête en révocation tenue devant la Commission des lésions professionnelles siégeant à Québec le 25 octobre 2012. La cause est mise en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[9] Le travailleur, par l’intermédiaire de sa procureure, demande la révocation de la décision rendue par le premier juge administratif le 14 mars 2012.
[10] Plus précisément, la procureure du travailleur soutient que cette décision doit être révoquée, car ce dernier n’a pu se faire entendre relativement aux limitations fonctionnelles qu’il conserve à la suite de la lésion professionnelle, et ce, pour des raisons jugées suffisantes. Elle s’appuie sur le deuxième paragraphe de l’article 429.56 de la loi à cette fin.
[11] De plus, elle prétend que la décision doit être révoquée, car elle comporte un vice de fond de nature à l’invalider puisque le premier juge administratif a ignoré sa demande d’ordonnance de sauvegarde, se limitant à la mentionner au paragraphe 129 de la décision dans la section traitant des argumentations des parties, mais n’en décidant pas dans le cadre des motifs de sa décision. À son avis, une telle omission de la part du premier juge administratif constitue une erreur donnant ouverture à la révocation conformément au troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi.
L’AVIS DES MEMBRES
[12] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis.
[13] Ils considèrent que le travailleur n’a pas satisfait au fardeau de preuve qui lui incombait en ce qu’il n’a pas démontré, à l’aide d’une preuve prépondérante, l’un des motifs prévus à l’article 429.56 de la loi, donnant ouverture à un recours en révocation de la décision rendue par le premier juge administratif le 14 mars 2012.
[14] Pour en venir à cette conclusion, les membres retiennent que la procureure du travailleur a demandé, à titre de conclusion subsidiaire, si le tribunal considérait que les limitations fonctionnelles n’étaient pas assez élaborées, la permission de fournir une preuve médicale additionnelle relative aux limitations fonctionnelles. Néanmoins, ils constatent qu’en fin d’audience, lorsque le premier juge administratif lui a demandé si sa preuve était close, tel que le démontre l’enregistrement sonore de l’audience produit par l’employeur, elle a répondu par l’affirmative, renonçant ainsi à fournir une preuve médicale additionnelle.
[15] De plus, les membres constatent que le premier juge administratif a, contrairement à ce que plaide la procureure du travailleur, fait référence à la demande de sauvegarde formulée en début d’audience, tel qu’il appert des paragraphes 18 et 129 de la décision du 14 mars 2012.
[16] Cependant, ils sont d’opinion qu’il appartenait à la procureure du travailleur de préciser ses intentions à l’égard de la preuve additionnelle qu’elle voulait faire valoir; ce qu’elle a notamment eu l’occasion de faire en début d’audience, en réponse aux questions du premier juge administratif, tel qu’il appert des notes sténographiques de cette portion de l’audience qui se retrouve au dossier et à la fin de celle-ci, après avoir administré sa preuve.
[17] Or, les membres constatent que les intentions de la procureure du travailleur étaient plutôt vagues et imprécises à ce sujet, si ce n’est qu’elle voulait une ordonnance pour sauvegarder les droits du travailleur à l’égard des limitations fonctionnelles. À ce moment, le premier juge administratif lui a mentionné qu’elle pourrait soumettre des éléments additionnels de preuve si elle le désirait. Cependant, ils retiennent qu’elle n’a pas cru utile de le faire puisqu’elle a déclaré sa preuve close à la fin de l’audience.
[18] Quant au second reproche que formule la procureure du travailleur, soit que ce dernier n’a pu être entendu sur la question des limitations fonctionnelles, les membres ne le retiennent pas puisqu’il n’a pas été démontré.
[19] Plus spécifiquement, les membres constatent que le travailleur a pu témoigner lors de l’audience tenue devant le premier juge administratif. De même, on retrouvait au dossier un rapport final rédigé par son médecin, le docteur Stéphane Maurice, de même qu’un rapport complémentaire par l’intermédiaire duquel le médecin se prononçait relativement aux limitations fonctionnelles que conserve le travailleur à la suite de sa lésion professionnelle. Ils notent que la procureure du travailleur a fait référence à une scintigraphie osseuse de contrôle que devait ultérieurement passer le travailleur, mais ils ne considèrent pas que cette information radiologique constituait un élément pertinent aux limitations fonctionnelles. Néanmoins, dans la mesure où le travailleur considérait essentiel que ce rapport soit déposé au dossier avant la mise en délibéré de la cause, sa procureure avait le loisir de demander un délai additionnel pour le produire, ce qu’elle a renoncé à faire en déclarant sa preuve close à l’issue de l’audience du 27 février 2012. Les membres concluent que le travailleur n’a donc pas démontré qu’il n’a pu être entendu pour des raisons jugées suffisantes.
[20] Par conséquent, les membres sont d’avis de rejeter la requête en révocation déposée par le travailleur le 13 avril 2012.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[21] La Commission des lésions professionnelles doit décider si elle doit ou non révoquer la décision rendue par le premier juge administratif le 14 mars 2012.
[22] Avant de se prononcer spécifiquement sur l’existence ou non de motifs permettant la révocation de la décision rendue par le premier juge administratif, le tribunal considère essentiel de rappeler le droit applicable à l’égard d’un tel recours.
[23] D’abord, les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel. C’est ce que prévoit l’article 429.49 de la loi en ces termes :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[notre soulignement]
[24] Il en découle que le recours en révision ou révocation ne constitue pas un appel et ne doit donc pas donner lieu à une nouvelle appréciation de la preuve.
[25] Pour sa part, l’article 429.56 de la loi prévoit les conditions d’ouverture au recours en révision ou révocation en ces termes :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[notre soulignement]
[26] En l’espèce, dans le cadre de la requête en révocation qu’il dépose, le travailleur invoque les deuxième et troisième paragraphes de l’article 429.56 de la loi.
[27] D’une part, la procureure du travailleur prétend que ce dernier n’a pu se faire entendre pour des raisons jugées suffisantes puisque le premier juge administratif ne lui a pas permis d’administrer l’ensemble de sa preuve à l’égard des limitations fonctionnelles, ignorant sa demande d’ordonnance de sauvegarde. En agissant ainsi, elle prétend qu’il a contrevenu aux règles de justice naturelle et plus particulièrement à la règle « audi alteram partem » dont le respect est assuré par le deuxième paragraphe de l’article 429.56 de la loi et qui constitue un motif de révocation.
[28] D’autre part, la procureure du travailleur argue que la décision rendue par le premier juge administratif le 14 mars 2012 est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider, tel que le prévoit le troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi. Selon elle, le fait qu’il ne se soit pas spécifiquement prononcé à l’égard de l’ordonnance de sauvegarde demandée constitue un vice de fond puisqu’il prive le travailleur d’un moyen de preuve essentiel à sa cause.
[29] C’est en fonction de ces paramètres que la soussignée doit examiner la présente requête.
[30] Il convient à ce stade-ci de résumer les faits du présent dossier. Il va sans dire que cet exercice ne vise pas à revoir l’ensemble de la preuve soumise, mais plutôt à s’attarder aux faits permettant de saisir le contexte entourant le dépôt de la requête en révocation du travailleur.
[31] Le travailleur occupe un emploi d’homme de maintenance chez l’employeur qui exploite un établissement hôtelier, au moment où il subit une lésion professionnelle.
[32] Il décrit ainsi les circonstances entourant la survenance de cette lésion du 29 juin 2010 au formulaire de réclamation qu’il dépose à la CSST le 8 juillet 2010 :
Suite à des manutentions de boîte de papier (lourde) (rapport) et à la mise en place de tête de lit qui s’acroche sur les murs des chambres. J’ai ressenti un petit pincement au dos qui a augmenté durant la nuit. À mon réveil, le matin j’avais le dos barré. [sic]
[33] Le 30 juin 2010, le travailleur consulte la docteure Mélanie Allard en raison de douleurs importantes ressenties au dos à son réveil. Elle pose le diagnostic d’entorse dorsale sur l’attestation médicale destinée à la CSST. Elle prescrit de la médication et des traitements de physiothérapie. De plus, elle autorise une assignation temporaire jusqu’au 13 juillet 2010.
[34] Le 13 juillet 2010, le travailleur fait l’objet d’un congédiement. Il cesse donc d’occuper son emploi.
[35] Le 15 juillet 2010, l’employeur demande à la CSST de réduire ou suspendre les indemnités de remplacement du revenu versées au travailleur puisqu’il ne peut occuper les tâches en assignation temporaire autorisées par son médecin en raison de son congédiement. Il appuie sa demande sur l’article 142 1)c de la loi.
[36] Le 20 juillet 2010, le travailleur consulte le docteur Maurice qui pose le diagnostic d’entorse dorsale et autorise une assignation temporaire jusqu’au 27 juillet 2010.
[37] Le 4 août 2010, le travailleur consulte le docteur André Paradis qui pose les diagnostics d’entorses lombaire et dorsale avec persistance de symptômes. Il prescrit une médication, des traitements de physiothérapie et recommande un arrêt de travail jusqu’au 1er septembre 2010.
[38] Le 17 août 2010, le travailleur est évalué par le docteur Bernard Lacasse, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. Au terme de son évaluation, il retient le diagnostic d’entorse dorsale. Il est d’avis que cette entorse est consolidée à la date de son examen, sans nécessité de traitements additionnels. De plus, il est d’opinion que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou limitation fonctionnelle.
[39] Le 31 août 2010, le travailleur consulte à nouveau le docteur Maurice qui assurera le suivi de sa condition par la suite. Il réitère le diagnostic d’entorse dorsale, note que le travailleur se plaint de légères douleurs persistantes et recommande qu’il reprenne son emploi habituel.
[40] Le 2 septembre 2010, la CSST rend une décision reconnaissant que le travailleur a subi une lésion professionnelle (entorses dorsale et lombaire) le 29 juin 2010. La révision administrative confirme cette décision. L’employeur dépose une requête devant la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de celle-ci, d’où le litige dans le dossier 429823-31-1102.
[41] Le 3 septembre 2010, la CSST rend une décision refusant la demande de suspension de l’indemnité de remplacement du revenu formulée par l’employeur conformément à l’article 142 1)c de la loi. La révision administrative confirme cette décision. L’employeur dépose une requête devant la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de celle-ci, d’où le litige dans le dossier 429823-31-1102.
[42] Le 30 septembre 2010, le travailleur passe une résonance magnétique de la colonne dorsale à la demande de son médecin. Les résultats de ce test révèlent ce qui suit :
OPINION :
Discopathie dégénérative dorsale telle que décrite à D5-D6 avec œdème osseux à la portion antérieure des plateaux vertébraux.
Hernie discale intraspongieuse dans les plateaux vertébraux de l’espace L1-L2 avec œdème osseux adjacent au niveau des plateaux.
Il n’y a aucune évidence de compression des structures du canal dorsal.
[43] Le 23 novembre 2010, le travailleur est évalué par le docteur René Landry, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale. Il conclut que la lésion professionnelle n’est pas consolidée. Le 3 décembre 2010, la CSST rend une décision faisant suite à cet avis. Cette décision est confirmée au stade de la révision administrative. L’employeur dépose une requête devant la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de celle-ci.
[44] Le 6 janvier 2011, le travailleur est évalué par le docteur Paul-O. Nadeau, orthopédiste, à la demande de l’employeur. Au terme de son évaluation, il retient le diagnostic d’entorse dorsolombaire, considère que la lésion est consolidée sans nécessité de traitements additionnels. De plus, il est d’opinion que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou limitation fonctionnelle.
[45] Le 14 janvier 2011, le travailleur revoit le docteur Maurice qui recommande un programme de réadaptation et le réfère en physiatrie.
[46] Le 24 janvier 2011, la CSST rend une décision autorisant le travailleur à bénéficier d’une mesure de réadaptation, soit un programme de développement de ses capacités de travail. Cette décision est confirmée au stade de la révision administrative. L’employeur dépose une requête devant la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de celle-ci, d’où le litige dans le dossier 435952-31-1104.
[47] Le 9 février 2011, le travailleur est évalué par une physiothérapeute et une ergothérapeute au Centre de réadaptation de Québec pour déterminer son potentiel de réadaptation. Au terme de cette évaluation, on lui recommande de suivre un plan d’intervention interdisciplinaire à temps partiel visant à maximiser son autonomie fonctionnelle et à favoriser un retour au travail optimal.
[48] Le 15 mars 2011, le travailleur est évalué par le docteur Réjean Grenier, orthopédiste et membre du bureau d’évaluation médicale. Il doit se prononcer sur la date de consolidation et les soins ou traitements requis. Au terme de son évaluation, il conclut que la lésion n’est pas consolidée et que les traitements en réadaptation active sont indiqués.
[49] Le 22 mars 2011, la CSST rend une décision entérinant les conclusions émises par le membre du bureau d’évaluation médicale. Cette décision est confirmée au stade de la révision administrative. L’employeur dépose une requête devant la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de celle-ci, d’où le litige dans le dossier 435952-31-1104.
[50] Le 6 avril 2011, le travailleur consulte le docteur Pierre Béliveau, physiatre. Ce dernier conclut que le travailleur souffre d’un syndrome facettaire post-entorse sans signe de hernie discale. Il recommande des blocs facettaires sous scopie à la région dorsale moyenne et des exercices de rééducation.
[51] Le 20 juin 2011, le docteur Maurice rédige un rapport final consolidant la lésion professionnelle le 7 juin 2011. Il émet l’opinion que le travailleur ne conserve pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique mais retient des limitations fonctionnelles.
[52] Ce même, jour, le travailleur est évalué à nouveau par le docteur Nadeau à la demande de l’employeur. Au terme de son évaluation, le médecin écrit que l’examen physique ne révèle rien de particulier. Il consolide la lésion sans nécessité de traitements additionnels et est d’avis que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitation fonctionnelle.
[53] Le 20 juillet 2011, en réaction à l’expertise du docteur Nadeau, le docteur Maurice rédige un rapport complémentaire où il exprime son désaccord avec le docteur Nadeau, considérant que le travailleur conserve la limitation fonctionnelle suivante, soit de ne pas soulever d’objets très lourds de façon répétée.
[54] Le 9 août 2011, en raison de problèmes de gardiennage, d’assiduité, de motivation et de santé que vit le travailleur, le Centre de réadaptation physique de Québec met fin prématurément au programme de réadaptation auquel participait le travailleur dès le 9 mars 2011. Seul le suivi en psychologie est maintenu.
[55] Le 24 août 2011, le travailleur est évalué par le docteur Jean-Pierre Lacoursière, orthopédiste et membre du bureau d’évaluation médicale. Il doit se prononcer à l’égard des limitations fonctionnelles. Au terme de son évaluation, il conclut que le travailleur ne conserve pas de limitations fonctionnelles.
[56] Le 30 août 2011, la CSST rend une décision faisant suite à cet avis du bureau d’évaluation médicale. Elle conclut que le travailleur a la capacité d’exercer son emploi à compter du 30 août 2011, date où prend fin son droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu. La révision administrative confirme cette décision. Le travailleur et l’employeur déposent une requête devant la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de celle-ci, d’où le litige dans les dossiers 451882-31-1110 et 452629-31-1110.
[57] Le 5 octobre 2011, le travailleur revoit le docteur Béliveau. Il réitère le diagnostic d’entorse dorsale, prescrit du Lyrica et demande une scintigraphie osseuse que le travailleur passe le 9 novembre 2011. Le radiologiste qui en interprète les résultats retient ce qui suit :
Impression :
· Arthrose dorsale
· Anomalies de captation au niveau D10 approximatif qui méritent une corrélation radiologique dirigée à ce niveau. Y a-t-il histoire de traumatisme? Fracture? Autre?
· Arthrose acromio-claviculaire et des gros orteils
· Un contrôle évolutif scintigraphique est suggéré pour ce patient.
[58] Le 13 février 2012, la procureure du travailleur dépose une demande de remise de l’audience fixée devant la Commission des lésions professionnelles le 27 février 2012. Elle appuie sa demande sur le fait que les évaluations médicales ne sont pas complétées. Elle s’exprime comme suit :
« Or les évaluations médicales de monsieur Encinas ne sont pas terminées. Il doit passer une scintigraphie osseuse dans les prochaines semaines ».
[59] Le 15 février 2012, le représentant de l’employeur s’oppose à la demande de remise. Il s’exprime comme suit à l’égard de cette demande :
« Or, cet examen a pour but d’évaluer principalement l’évolution de l’arthrose, condition strictement personnelle au travailleur et sans lien avec l’événement. Étant donné que cet examen n’apportera rien au présent litige, nous nous opposons donc à cette demande de remise ».
[60] Le 18 février 2012, une décision est rendue par la Commission des lésions professionnelles relativement à cette remise. Le procès-verbal de cette décision énonce les motifs retenus qui se lisent comme suit :
Les litiges portent sur la recevabilité de la lésion professionnelle de même que sur le bien-fondé des avis émis par le membre du BEM entre autres. Par conséquent, l’audience peut se tenir à la date prévue et le fait que le travailleur n’ait pas en main le rapport de la scintigraphie osseuse n’empêche pas d’entendre les témoins. Le juge administratif pourra accorder un délai pour la production du protocole radiologique de cet examen et une argumentation écrite.
[61] Le premier juge administratif devait se prononcer sur l’admissibilité de la réclamation du travailleur pour un accident du travail survenu le 29 juin 2010, la suspension ou non de l’indemnité de remplacement du revenu en application de l’article 142 1)c de la loi, la date de consolidation de la lésion professionnelle, les soins ou traitements requis, l’existence de limitations fonctionnelles, la capacité de travail et la fin du droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[62] L’audience devant le premier juge administratif a lieu le 27 février 2012, date où la cause est mise en délibéré. Il appert du procès-verbal de cette audience que les deux parties sont présentes et représentées. Le travailleur et madame Myriam Tremblay, directrice des ressources humaines chez l’employeur, témoignent. De plus, trois documents sont déposés par le travailleur, soit un croquis des lieux, les billets médicaux rédigés par le docteur Béliveau le 5 octobre 2011 et la fiche relative à la période de probation du 10 mai 2010. Quant à l’employeur, il produit en liasse des avis disciplinaires qu’a reçus le travailleur.
[63] Le 14 mars 2012, le premier juge administratif rend la décision faisant l’objet de la présente requête en révocation.
[64] Par cette décision, il statue sur les différents litiges dont il est saisi en déclarant que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 29 juin 2010 (entorses dorsale et lombaire); qu’il n’y a pas lieu de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu versée à compter du 30 juin 2010; que la lésion professionnelle est consolidée depuis le 6 janvier 2011, sans la nécessité de traitements additionnels au-delà de cette date; qu’il n’y a pas lieu d’autoriser un programme de développement des capacités tenant compte de la consolidation, sans la nécessité de traitements additionnels; qu’il ne conserve aucune limitation fonctionnelle; qu’il a la capacité d’exercer son emploi à compter du 6 janvier 2011 et que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu cesse à cette date.
[65] Le tribunal doit maintenant décider s’il doit révoquer ou non la décision rendue par le premier juge administratif le 14 mars 2012.
[66] En vue de se prononcer à cet égard, la soussignée a eu l’occasion d’écouter l’enregistrement de l’audience tenue devant le premier juge administratif le 27 février 2012.
[67] Il ressort notamment de cette écoute qu’en tout début d’audience, le premier juge administratif a demandé aux représentants des parties de préciser l’objet de leurs requêtes respectives. À ce moment, la procureure du travailleur a demandé à la Commission des lésions professionnelles de confirmer que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 29 juin 2010, de déclarer que cette lésion est consolidée le 7 juin 2011 et que le travailleur conserve les limitations fonctionnelles établies par le médecin qui a charge, soit le docteur Maurice, dans le cadre du rapport complémentaire du 20 juillet 2011.
[68] Subsidiairement, dans l’optique où le premier juge administratif en viendrait à la conclusion que les limitations fonctionnelles déterminées par le docteur Maurice ne sont pas suffisamment précises, la procureure du travailleur demande au tribunal de permettre au travailleur d’élaborer davantage à l’égard des limitations fonctionnelles.
[69] Par ailleurs, la soussignée constate que le travailleur a eu l’occasion de témoigner sur l’ensemble des facettes de son dossier. Après les témoignages du travailleur et de madame Tremblay, les représentants des deux parties ont déclaré leur preuve close.
[70] Finalement, dans le cadre de l’argumentation du travailleur, sa procureure a confirmé les conclusions recherchées, soit que le tribunal retienne la date de consolidation et les limitations fonctionnelles établies par le docteur Maurice ou, subsidiairement, dans la mesure où le tribunal conclurait que les limitations fonctionnelles déterminées par le docteur Maurice ne sont pas suffisamment détaillées, qu’il permette au travailleur d’obtenir une évaluation plus poussée de ses limitations fonctionnelles.
[71] À ce stade-ci de son analyse, le tribunal croit opportun de se référer plus spécifiquement au libellé de la décision rendue par le premier juge administratif le 14 mars 2012.
[72] Aux paragraphes 1 à 13 de la décision, le premier juge administratif introduit les quatre requêtes dont la Commission des lésions professionnelles est saisie.
[73] Puis, aux paragraphes 14 à 18, il énonce l’objet des contestations. Plus spécifiquement, au paragraphe 18, il écrit ce qui suit :
[18] À défaut de retenir celles déterminées par le médecin qui a charge, il demande de sauvegarder ses droits afin qu’une évaluation de ses limitations fonctionnelles ait lieu.
[74] Par la suite, aux paragraphes 19 à 122, le premier juge administratif résume les faits et la preuve offerte à l’audience. Cette portion de la décision ne semble causer aucun problème puisque la procureure du travailleur n’a fait aucune représentation particulière à cet effet.
[75] Il appert des paragraphes 123 à 129 que le premier juge administratif résume l’argumentation des parties. Il inscrit ce qui suit aux paragraphes 128 et 129 :
[128] Elle plaide également que cette lésion professionnelle est consolidée le 20 juin 2011, soit à la date retenue par le médecin qui a charge, le docteur Maurice. Elle soumet également que la lésion professionnelle du travailleur entraîne des limitations fonctionnelles, lesquelles sont décrites par le docteur Maurice.
[129] Si le tribunal ne peut retenir de telles limitations fonctionnelles, elle demande à ce que le droit du travailleur soit sauvegardé afin que ce dernier puisse être évalué pour la détermination des limitations fonctionnelles.
[76] Aux paragraphes 130 à 133 se retrouve l’avis des membres. La soussignée constate qu’il est partagé puisque le membre issu des associations d’employeurs conclut à l’absence de lésion professionnelle. Ce faisant, il ne se positionne pas à l’égard des conclusions médicales résultant de la lésion professionnelle.
[77] Quant au membre issu des associations syndicales, il est plutôt d’opinion que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 29 juin 2010. Il est d’avis que cette lésion est consolidée depuis le 6 janvier 2011, date après laquelle aucun traitement additionnel n’est requis. Il croit que le travailleur a la capacité d’exercer son emploi à compter de cette date puisqu’il ne conserve pas de limitations fonctionnelles.
[78] À compter du paragraphe 134, et ce, jusqu’au paragraphe 195, le premier juge administratif livre les motifs de sa décision.
[79] Plus spécifiquement, des paragraphes 134 à 163, le premier juge administratif se prononce à l’égard de l’admissibilité de la lésion. Pour ce faire, il réfère aux dispositions législatives applicables, puis apprécie la preuve offerte en fonction de ces paramètres.
[80] Aux paragraphes 164 à 182, il se prononce relativement à la date de consolidation de la lésion et aux soins ou traitements requis.
[81] Puis, à compter du paragraphe 184, le premier juge traite des limitations fonctionnelles. La soussignée considère pertinent de citer au long ce passage de la décision puisqu’il est au cœur du présent litige :
[184] Dans un troisième temps, le tribunal doit statuer sur la question des limitations fonctionnelles, à laquelle se rattache celle concernant la capacité du travailleur d’exercer son emploi et le droit à l’indemnité de remplacement du revenu qui en découle.
[185] En ce qui concerne les limitations fonctionnelles, celles-ci traduisent une restriction ou une réduction de la capacité physique ou psychique du travailleur à accomplir normalement une activité quotidienne de nature personnelle ou professionnelle en raison de la lésion professionnelle.
[186] À ce sujet, le docteur Maurice propose que le travailleur ne puisse soulever d’objets très lourds, de façon répétée.
[187] Très peu de détails cliniques sont livrés pour justifier de telles limitations fonctionnelles. Surtout que dans son rapport final du 20 juin 2011, le docteur Maurice précise que la lésion professionnelle n’entraîne aucune atteinte permanente à l'intégrité physique. Alors, sans plus de détails cliniques, le tribunal comprend difficilement ce qui peut justifier la reconnaissance de limitations fonctionnelles.
[188] Il faut d’ailleurs garder à l’esprit que le 20 juin 2011, date de ce rapport médical final, le travailleur est également examiné par le docteur Nadeau.
[189] À la suite de cet examen du docteur Nadeau, rien ne justifie la reconnaissance de limitations fonctionnelles. Cet examen s’accorde d’ailleurs avec celui du docteur Lacoursière du 24 août 2011.
[190] À l’examen, le docteur Lacoursière ne constate aucun élément clinique permettant de justifier l’octroi de limitations fonctionnelles. Il n’est question que de symptomatologie résiduelle.
[191] Le docteur Lacoursière est d’avis que l’ensemble du tableau clinique milite en faveur d’une prépondérance essentiellement subjective. L’intensité et la nature du traumatisme subi n’ont aucune concordance avec la symptomatologie résiduelle rapportée. Il y a dissociation subjectivo-objective évidente, selon le docteur Lacoursière.
[192] Il précise d’ailleurs que son examen est comparable à celui du docteur Nadeau du 20 juin 2011 et qu’ainsi, il conclut à l’absence de limitations fonctionnelles.
[193] Dans un tel contexte, le tribunal s’en remet donc à la conclusion du docteur Lacoursière, soit que la lésion professionnelle du 29 juin 2010, une entorse dorsale, n’entraîne aucune limitation fonctionnelle.
[82] Bien que la loi ne définisse pas la notion de limitations fonctionnelles, au paragraphe 185 de la décision, le premier juge administratif énonce la définition habituellement reconnue par la Commission des lésions professionnelles.
[83] Puis, au paragraphe 186, il réfère aux limitations fonctionnelles proposées par le docteur Maurice.
[84] Aux paragraphes 187 à 193, il explique les raisons qui l’amènent à retenir les conclusions du docteur Lacoursière, au plan clinique, soit que la lésion professionnelle du 29 juin 2010 n’a entraîné aucune limitation fonctionnelle.
[85] Finalement, aux paragraphes 194 et 195, le premier juge administratif se prononce relativement à la capacité de travail du travailleur et à son droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu sur la base des conclusions médicales retenues, soit la consolidation de la lésion le 6 janvier 2011, sans nécessité de traitement additionnel, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles.
[86] Tel que mentionné plus haut, la procureure du travailleur appuie sa requête en révocation sur les deuxième et troisième paragraphes de l’article 429.56 de la loi.
[87] Concernant le deuxième paragraphe de l’article 429.56 de la loi, dans l’affaire Imbeault et S.E.C.A.L.[2], la Commission des lésions professionnelles a établi que lorsqu’une partie invoque l’application du second paragraphe de l’article 429.56 de la loi, il revient au juge administratif qui siège en révision d’apprécier la preuve et de décider si des raisons jugées suffisantes ont été démontrées pour expliquer que la partie n’a pu se faire entendre.
[88] Pour être jugées suffisantes, ces raisons doivent être sérieuses et il ne doit pas y avoir négligence de la part de la partie qui prétend n’avoir pu se faire entendre. Le principe qui doit guider le tribunal dans ce contexte est celui du respect des règles de justice naturelle.
[89] Par ailleurs, dans l’affaire Jean-Baptiste et Algorithme Pharma inc.[3], la travailleuse demandait la révocation de la décision rendue par le premier juge administratif au motif qu’il avait rendu sa décision avant qu’elle ne puisse faire valoir ses arguments. Le juge administratif saisi de la requête en révocation a écrit ce qui suit relativement à la portée du motif de révocation prévu au deuxième paragraphe de l’article 429.56 de la loi :
[11] Cependant, tel que le souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Dicom Express inc. et Giguère2, la jurisprudence retient que le fait d’être empêché de présenter une preuve ou de soumettre des arguments peut aussi être considéré comme un manquement aux règles de justice naturelle qui s’analyse sous l’angle du vice de fond de nature à invalider la décision prévu au troisième paragraphe du deuxième alinéa de l’article 429.56 de la loi.
[12] En accord avec les raisons exposées dans l’affaire Valois et Service d’Entretien Macco ltée3, la Commission des lésions professionnelles souligne que le deuxième motif de l’article 429.56 de la loi vise davantage la situation où une partie n’a pu se présenter à l’audience pour des raisons jugées suffisantes. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles expose comme suit son raisonnement :
[50] La Commission des lésions professionnelles estime en effet que ce deuxième motif vise davantage la situation où une partie n'a pu se présenter à l'audience pour des raisons que le tribunal juge suffisantes. Cette interprétation s'impose, ne serait-ce que s'il fallait y inclure les cas de violation des règles de justice naturelle par un commissaire, le dernier alinéa de l'article 429.56 n'aurait aucun sens puisque le commissaire à qui on reproche un tel manquement pourrait à la limite être saisi de la requête en révision ou en révocation de sa propre décision, situation qui ne peut se présenter si ces cas sont analysés dans le cadre du troisième motif de l'article 429. 56.
[13] Ainsi, le tribunal siégeant en révision estime que, dans le présent cas, la requête de la travailleuse doit être analysée sous l’angle du troisième motif de l’article 429.56 de la loi.
2 C.L.P. 239120-63-0407, 20 décembre 2005, L. Nadeau.
3 [2001] C.L.P. 823 ; Voir également Lebrasseur et Société de l'assurance-automobile, C.L.P. 208251-09-0305, 15 décembre 2004, D. Beauregard.
[notre soulignement]
[90] La soussignée partage cette position et est d’avis que dans le dossier à l’étude, la requête en révocation du travailleur ne peut être analysée sous l’angle du deuxième paragraphe de l’article 429.56 de la loi puisque le travailleur était présent à l’audience et a pu témoigner. La requête doit plutôt être analysée sous l’angle du troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi.
[91] À ce sujet, la décision rendue dans l’affaire Jean-Baptiste et Algorithme Pharma inc. précitée rappelle ce qui suit à l’égard du motif de révocation visé par le troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi :
[14] Tel que l’enseigne également la jurisprudence, s’il y a eu un manquement aux règles de justice naturelle, notamment au droit d’être entendu, la décision doit être révoquée puisqu’elle comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider4, et dans un tel cas, il n’y a pas lieu d'examiner si ce manquement a eu un effet déterminant sur le sort du litige5.
4 Esen et Lingerie Hago inc., C.L.P. 193051-72-0210, 15 juillet 2004, C.-A. Ducharme, requête en révision judiciaire accueillie en partie sur un autre point, [2004] C.L.P. 1841 (C.S.); Proulx et Osram Sylvania ltée, C.L.P. 142547-04B-0007, 1er septembre 2004, L. Boudreault; La Cie d’Amarrage ltée et Gladu, C.L.P. 231862-04-0404, 4 mai 2007, M. Carignan; Dicom Express inc. et Giguère, précitée, note 2; Lahaie et Sonaca Canada inc., C.L.P. 291149-71-0606, 15 janvier 2009, S. Di Pasquale.
5 Casino de Hull et Gascon, [2000] C.L.P. 671 ; Dallaire et Jeno Neuman & fils inc., [2000] C.L.P. 1146 ; Esen et Lingerie Hago inc., Proulx et Osram Sylvania ltée, Lahaie et Sonaca Canada inc., précitée, note 4.
[92] Vu ce qui précède, le tribunal doit déterminer si le travailleur a démontré un vice de fond de nature à invalider la décision rendue par le premier juge administratif le 14 mars 2012.
[93] La notion de vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision fait l’objet d’une interprétation constante par la Commission des lésions professionnelles selon laquelle elle réfère à une erreur manifeste, de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du recours[4].
[94] Cette interprétation a été confirmée par la Cour d’appel à plus d’une occasion[5]. Il ressort des décisions rendues par cette instance sur le sujet qu’après avoir approuvé les principes qui se dégagent des décisions de la Commission des lésions professionnelles, la Cour d’appel incite les tribunaux supérieurs à faire preuve de retenue lorsqu’ils sont saisis d’une requête en révision judiciaire. Elle rappelle qu’il ne faut pas substituer son opinion ou son interprétation des faits ou du droit à celle émise par le premier juge administratif. Il ne doit pas s’agir d’un appel à l’égard des mêmes faits et une partie ne peut utiliser la requête en révision ou révocation pour parfaire sa preuve ou ajouter des arguments qu’elle a omis de faire valoir en premier lieu. Selon la Cour d’appel, l’erreur requise pour conclure à un vice de fond de nature à invalider la décision est celle qui est « grave, évidente et déterminante ».
[95] En l’espèce, le tribunal doit donc déterminer, dans l’optique où cette situation est démontrée, si le fait de ne pas avoir permis au travailleur de produire une preuve additionnelle à l’égard des limitations fonctionnelles consécutives à sa lésion professionnelle constitue un vice de fond de nature à invalider la décision rendue par le premier juge administratif.
[96] Or, à la lumière du dossier, le tribunal siégeant en révocation conclut que le travailleur n’a pas démontré qu’il a été privé d’un moyen de preuve pour les motifs ci-après exposés.
[97] Il est vrai qu’au début de l’audience devant le premier juge administratif, la procureure du travailleur a demandé la permission de produire une preuve plus élaborée à l’égard des limitations fonctionnelles. Cependant, le tribunal croit nécessaire de remettre cette demande en perspective.
[98] En effet, les conclusions recherchées par le travailleur devant le premier juge administratif ont été énoncées en termes clairs par sa procureure, soit que la Commission des lésions professionnelles retienne les conclusions émises par le médecin qui a charge, le docteur Maurice, relativement à la date de consolidation et aux limitations fonctionnelles.
[99] Ce n’est que de manière subsidiaire que la procureure du travailleur a demandé la permission de fournir une preuve plus élaborée à l’égard des limitations fonctionnelles si le premier juge administratif le croyait nécessaire.
[100] De plus, à la fin de l’audience, la procureure du travailleur ne fait aucune demande particulière visant la production d’une preuve médicale additionnelle. Pourtant, le premier juge administratif l’a invitée à le faire à au moins deux occasions, si elle le considérait nécessaire.
[101] De même, il appert du dossier, et plus particulièrement d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles sur une demande de remise formulée par la procureure du travailleur avant l’audience du 27 février 2012, que le juge administratif qui entendrait la cause pourrait prévoir un délai pour permettre au travailleur de produire les résultats de la scintigraphie osseuse qu’il devait passer postérieurement à l’audience. Pourtant, sa procureure n’a formulé aucune demande en ce sens.
[102] Il ressort plutôt des représentations qu’elle a faites devant le premier juge administratif que le travailleur n’avait pas investi dans un rapport d’évaluation médicale avant l’audience, car il n’avait pas les moyens de mandater un expert au privé, mais attendait plutôt d’être évalué par un médecin œuvrant dans le secteur public si le tribunal considérait que l’évaluation du médecin qui a charge n’était pas suffisamment élaborée relativement aux limitations fonctionnelles.
[103] Or, le tribunal rappelle que le travailleur a contesté les conclusions du bureau d’évaluation médicale (docteur Lacoursière) selon lesquelles il ne conserve pas de limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle subie. Il lui incombait donc de fournir une preuve médicale prépondérante supportant ses prétentions.
[104] À cette fin, le travailleur a été suivi par le docteur Maurice qui a rédigé le rapport final où il a coché que le travailleur conservait des limitations fonctionnelles et a déterminé celles-ci dans le rapport complémentaire sur lequel s’appuie la procureure du travailleur devant le premier juge administratif. Si cette dernière considérait que les limitations fonctionnelles émises par le docteur Maurice n’étaient pas assez élaborées, elle se devait d’obtenir des précisions de sa part, ce qu’elle pouvait vraisemblablement faire avant l’audience du 27 février 2012, à moins de preuve du contraire dont le présent tribunal ne dispose pas. Il appartenait à la partie qui conteste, en l’espèce, le travailleur, de fournir une preuve visant à convaincre le tribunal et non au premier juge administratif de la conseiller sur la preuve à offrir.
[105] Puisque la procureure du travailleur semble avoir renoncé à produire une preuve médicale additionnelle, en déclarant sa preuve close à l’audience dans les circonstances décrites plus haut, le tribunal siégeant en révocation ne peut retenir son argument selon lequel la décision rendue par le premier juge administratif comporte un vice de fond de nature à l’invalider.
[106] En effet, le tribunal siégeant en révocation ne dispose d’aucune preuve démontrant qu’une règle de justice naturelle a été enfreinte par la décision rendue par le premier juge administratif le 14 mars 2012, privant le travailleur du droit d’être entendu.
[107] Par conséquent, le tribunal siégeant en révocation conclut qu’il ne dispose d’aucun motif justifiant la révocation de la décision rendue par le premier juge administratif le 14 mars 2012.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révocation déposée par monsieur Andrews Encinas, le travailleur, le 13 avril 2012.
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Ann Quigley |
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Mme Patricia Claude |
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TREMBLAY LAFLEUR PETITCLERC |
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Représentante de la partie requérante |
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M. Frédéric Boucher |
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MÉDIAL CONSEIL SANTÉ SÉCURITÉ INC. |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] C.L.P. 84137-02-9611, 24 septembre 1999, M. Carignan (99LP-136).
[3] 2012 QCCLP 726 .
[4] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783 ; Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau.
[5] CSST et Fontaine et Commission des lésions professionnelles [2005] C.L.P. 626 (C.A.); Bourassa et Commission des lésions professionnelles [2003] C.L.P. 601 (C.A.); CSST et Touloumi, C.A. Montréal 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette et Bich.
AVIS :
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