DÉCISION
[1] Le 29 juin 2000, monsieur Claude Lussier, le travailleur, dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue en révision administrative le 25 mai 2000.
[2] La décision contestée déclare que le travailleur a droit à une allocation bimensuelle de 119,74 $ pour aide personnelle à domicile, à un remboursement maximum de 1 000 $, pour adaptation de sa piscine extérieure et qu’il n’a pas droit au remboursement du coût d’achat d’un bracelet épicondylien et de chaussures orthopédiques.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[3] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue par la CSST en révision administrative pour déclarer qu’il a droit à une allocation bimensuelle pour aide personnelle à domicile supérieure à celle accordée et au remboursement du coût total requis pour l’adaptation de sa piscine extérieure ainsi que des coûts d’achat d’un bracelet épicondylien et de chaussures orthopédiques.
[4] Steinberg inc., l’employeur est absent à l’audience de la présente cause.
LES FAITS
[5] Le 18 novembre 1988, le travailleur est victime d’une lésion professionnelle pour laquelle des diagnostics de traumatismes au coude gauche, au pied gauche et à la cheville gauche, de syndrome du sinus tarsien gauche, d’entorse du ligament collatéral externe de la cheville gauche, de séquelles d’entorse de la cheville gauche et d’arthrose sous-astrale gauche furent retenus. Un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour atteinte des tissus mous fut reconnu.
[6] Le 13 mai 1994, le travailleur est victime d’une seconde lésion professionnelle pour laquelle des diagnostics de contusion du coude gauche, de distrophie réflexe du membre inférieur gauche, d’entorse cervicale et de lombosciatalgie furent déclarés reliés à cette lésion professionnelle avec atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de l’ordre de 12 % pour syndrome de distrophie réflexe du membre inférieur gauche et 2 % pour entorse cervicale. Le travailleur fut déclaré inapte à faire quelque travail que ce soit.
[7] À compter du 16 septembre 1994, l’utilisation d’un fauteuil roulant est requise et la CSST en assume le coût.
[8] Le 7 octobre 1997, le docteur G. R. Tremblay écrit que des exercices en piscine seraient très bénéfiques pour le travailleur.
[9] Le 24 juillet 1998, madame M. Martin, ergothérapeute et ergonome, procède à l’évaluation des besoins du travailleur pour aide personnelle.
[10] Cette évaluation reconnaît un besoin d’assistance pour les activités impliquant le coucher, l’habillage, le déshabillage, l’utilisation des commodités du domicile, le ménage léger, le ménage lourd, le lavage du linge et l’approvisionnement.
[11] En plus de ces besoins, madame Martin suggère l’installation d’une passerelle entre la galerie et la piscine hors terre du domicile du travailleur ainsi que l’installation d’un système de levier sous forme de chaise fixée à un cylindre hydraulique pour faciliter l’accès à la piscine.
[12] Le 17 septembre 1998, la CSST rend une décision fixant à 119,74 $ le montant d’aide personnelle à domicile auquel le travailleur a droit aux deux semaines.
[13] La CSST reconnaît également le droit du travailleur au remboursement des coûts nécessaires pour adapter son domicile à sa condition physique.
[14] En ce qui concerne l’adaptation de la piscine du travailleur, la CSST rend une décision le 9 février 1999 par laquelle elle accorde au travailleur un montant maximum de 1 000 $ pour «adaptation d’équipement de loisir». Les notes évolutives de la CSST mentionnent que ce montant maximum est déterminé conformément à une politique de la CSST.
[15] Par la suite, le travailleur souffre d’épicondylite du membre supérieur droit pour laquelle il demande à la CSST d’assumer les coûts d’achat d’un bracelet épicondylien, ce que refuse la CSST dans une décision du 22 septembre 1999.
[16] Le 5 décembre 1999, la CSST refuse d’assumer les coûts d’achat de chaussures orthopédiques.
[17] Le 17 novembre 2000, le docteur G. R. Tremblay écrit que le travailleur doit constamment utiliser un fauteuil roulant manuel et que cette utilisation a grandement contribué à l’apparition de l’épicondylite affectant le travailleur.
[18] Lors de son témoignage devant la Commission des lésions professionnelles, le travailleur mentionne qu’il a fait l’acquisition d’une piscine hors terre il y a plus de dix ans et qu’avant 1994, alors que l’utilisation d’une chaise roulante fut nécessaire, il se baignait régulièrement.
[19] Depuis 1994, cette activité n’est plus accessible car il ne peut accéder à cette piscine sans aide extérieure.
[20] Il précise utiliser une chaise roulante manuelle pour ses déplacements dans son domicile et une chaise électrique pour ses déplacements à l’extérieur.
[21] Le travailleur est droitier et actionne sa chaise roulante manuelle principalement à l’aide de son bras droit. Il affirme que ses déplacements à l’intérieur de sa résidence sont fréquents car il n’aime pas rester à la même place longtemps.
[22] En ce qui concerne l’aide personnelle à domicile, le travailleur déplore que la CSST n’ait pas reconnu la nécessité d’une aide pour la préparation de son souper.
[23] Il n’effectuait pas cette tâche domestique avant ses lésions professionnelles mais depuis quelques temps son épouse doit à l’occasion s’absenter et il lui incombe de préparer ce repas.
[24] Le travailleur croit avoir droit au remboursement du coût d’achat de chaussures orthopédiques. Il mentionne que cette dépense est défrayée par la CSST depuis 1988 et que même s’il se déplace en chaise roulante, il doit à l’occasion dégourdir sa jambe droite laquelle est plus mobile que la gauche.
L'ARGUMENTATION DES PARTIES
[25] Le travailleur soutient que les articles 152 et 153 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [L.R.Q., chapitre A-3.001] (la Loi) permettent à la CSST de défrayer les coûts d’adaptation requis pour adapter sa piscine à son incapacité à y accéder, incapacité attribuable aux séquelles de ses lésions professionnelles.
[26] Il s’en remet à l’expertise du docteur Tremblay pour soutenir que l’épicondylite dont il souffre est causée par l’utilisation de sa chaise roulante et qu’en conséquence il a droit au remboursement du coût d’achat d’un bracelet épicondylien.
[27] Selon le travailleur, son témoignage démontre qu’il a besoin d’aide pour la préparation de son souper et que le montant d’aide personnelle à domicile auquel il a droit doit être majoré en conséquence.
[28] Finalement, le travailleur prétend que la CSST a toujours assumé le coût d’achat de chaussures orthopédiques et qu’il n’y a aucune raison pour mettre fin à ce besoin reconnu par le passé.
L'AVIS DES MEMBRES
[29] La membre issue des associations syndicales est d’avis d’accueillir en partie la requête du travailleur en ce qui concerne son droit au remboursement des frais nécessaires pour l’adaptation de sa piscine en vertu de l’article 153 de la Loi ainsi qu’au remboursement du coût d’achat d’un bracelet épicondylien car selon toute probabilité cette dépense est attribuable aux conséquences des lésions professionnelles du travailleur.
[30] Cependant, cette membre est d’avis de rejeter la requête du travailleur en ce qui concerne l’aide personnelle à domicile et le remboursement du coût d’achat de chaussures orthopédiques car le travailleur ne préparait pas son souper avant ses lésions professionnelles et que l’utilisation d’une chaise roulante anéantit le besoin de porter des chaussures orthopédiques.
[31] La membre issue des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête du travailleur car la Loi et les règlements ne couvrent pas les frais requis pour l’adaptation d’une piscine et qu’il y a absence de preuve médicale établissant une relation entre l’épicondylite dont souffre le travailleur et ses lésions professionnelles.
[32] Les mêmes motifs que ceux retenus par la membre issue des associations syndicales sont retenus pour le rejet de la requête portant sur l’aide personnelle à domicile et le remboursement du coût d’achat de chaussures orthopédiques.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[33] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit à une allocation pour aide personnelle à domicile supérieure à celle accordée par la CSST.
[34] Les articles 158, 159 et 160 de la Loi prévoient les modalités en vertu desquelles une aide personnelle à domicile peut être octroyée à un travailleur victime d’une lésion professionnelle. En voici la teneur :
158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui - même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
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1985, c. 6, a. 158.
159. L'aide personnelle à domicile comprend les frais d'engagement d'une personne pour aider le travailleur à prendre soin de lui‑même et pour effectuer les tâches domestiques que le travailleur effectuerait normalement lui‑même si ce n'était de sa lésion.
Cette personne peut être le conjoint du travailleur.
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1985, c. 6, a. 159.
160. Le montant de l'aide personnelle à domicile est déterminé selon les normes et barèmes que la Commission adopte par règlement et ne peut excéder 800 $ par mois.
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1985, c. 6, a. 160; 1996, c. 70, a. 5.
[35] Le paragraphe 2.1 de l’article 454 de la Loi permet à la CSST de faire des règlements pour «déterminer, aux fins de l’article 160, les normes et barèmes de l’aide personnelle à domicile et prévoir la méthode de revalorisation annuelle des montant qui y sont fixés».
[36] Conformément aux articles 160 et 454, le règlement sur les normes et barèmes de l’aide personnelle à domicile fut adopté.
[37] L’article 6 de ce règlement prévoit que le montant d’aide personnelle à domicile est établi selon une grille d’évaluation contenue à l’annexe I du règlement.
[38] La grille d’évaluation à laquelle réfère l’article 6 du règlement énumère divers besoins personnels pour lesquels sont prévus des pointages selon le degré de besoins requis (besoin d’assistance partielle ou complète). Cette grille précise qu’aucun pointage n’est accordé lorsque le travailleur ne réalisait pas lui-même l’activité ou la tâche de façon habituelle avant l’événement ayant causé la lésion professionnelle.
[39] Aucun point ne fut attribué pour l’activité consistant dans la préparation du souper.
[40] Or, selon l’admission même du travailleur, ce dernier ne réalisait pas lui-même cette tâche quotidienne avant sa lésion professionnelle.
[41] Il s’ensuit que le travailleur n’a pas droit à une aide personnelle à domicile pour cette tâche et qu’il ne peut bénéficier d’une aide personnelle à domicile supérieure à celle reconnue par la CSST.
[42] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant se prononcer sur le droit du travailleur à obtenir un montant supérieur à 1 000 $ pour l’adaptation de sa piscine.
[43] L’article 153 de la Loi prévoit la possibilité d’adapter le domicile d’un travailleur aux conditions qui y sont prévues. Cet article se lit comme suit :
153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si :
1 le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;
2 cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et
3 le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.
Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.
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1985, c. 6, a. 153.
[44] Aucun pouvoir réglementaire ou autre n’est prévu à la Loi pour circonscrire, énumérer ou limiter les coûts inhérents à l’adaptation d’un domicile d’un travailleur.
[45] La Commission des lésions professionnelles doit donc interpréter l’article 153 précité et déterminer si une piscine extérieure fait partie des biens et commodités prévus dans l’adaptation d’un domicile.
[46] Cet article doit être interprété à la lumière de l’article 151 qui précise le but de la réadaptation sociale dans laquelle est inclus le droit à l’adaptation d’un domicile :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
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1985, c. 6, a. 151.
[47] Selon le témoignage du travailleur, l’utilisation de la piscine hors terre dont il bénéficiait avant la lésion professionnelle survenue en 1994, était une activité habituelle en saison estivale.
[48] L’achat et l’installation de cette piscine n’auraient pu être possible, n’eut été l’existence de son domicile et du terrain sur lequel est érigé ce domicile.
[49] Il s’ensuit que cette piscine constitue un accessoire du domicile du travailleur et qu’en tant que tel, elle doit être considérée comme bien ou commodité du domicile.
[50] Le travailleur a ainsi droit au coût d’adaptation de sa piscine selon la solution appropriée la plus économique conformément à l’article 181 de la Loi et après avoir présenté deux estimations des travaux à exécuter selon les exigences de l’article 159 de la Loi.
[51] Le bracelet épicondylien réclamé par le travailleur constitue une assistance médicale couverte par les articles 188 et suivants de la Loi.
[52] L’article 188 définit ce qu’est une assistance médicale. Cet article se lit ainsi :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
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1985, c. 6, a. 188.
[53] Cet article précise clairement que l’assistance médicale n’est couverte que si cette assistance est requise en raison d’une lésion professionnelle.
[54] Les lésions professionnelles dont fut victime le travailleur n’ont d’aucune façon impliqué les muscles épicondyliens du membre supérieur droit.
[55] L’épicondylite pour laquelle le port d’un bracelet épicondylien est prescrit pourrait être reconnue à titre de lésion professionnelle en vertu de l’article 31 de la Loi :
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A‑25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C‑20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I‑6).
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1985, c. 6, a. 31.
[56] Cependant, seul le docteur Tremblay mentionne dans sa lettre du 17 novembre 2000 que l’épicondylite du travailleur est attribuable à l’utilisation de la chaise roulante utilisée par le travailleur sans étayer davantage cette affirmation.
[57] La Commission des lésions professionnelles ignore en quoi l’utilisation d’une chaise roulante peut contribuer au développement d’une épicondylite, quels sont les muscles sollicités et la force requise lors de la manipulation de la chaise, tout comme le temps d’utilisation nécessaire pour éventuellement endommager ces muscles.
[58] Il y a donc absence de preuve médicale prépondérante pouvant permettre de considérer que l’épicondylite dont souffre le travailleur est survenue par le fait de ses lésions professionnelles.
[59] Ne demeure que le remboursement des chaussures orthopédiques.
[60] La Commission des lésions professionnelles ne dispose d’aucune preuve médicale indiquant que l’utilisation de telles chaussures est prescrite par un professionnel de la santé en raison des lésions professionnelles dont fut victime le travailleur comme l’exige le quatrième paragraphe de l’article 189 de la Loi :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
4º les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur la protection de la santé publique (chapitre P‑35), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance‑maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23.
[61] Il est possible qu’une telle assistance ait été justifiée avant que le travailleur ne se déplace qu’en chaise roulante mais depuis lors, la Commission des lésions professionnelles ignore en quoi le port de telles chaussures serait requis en raison des lésions professionnelles dont fut victime le travailleur.
[62] Le seul fait que la CSST ait continué après 1994, à défrayer cette assistance ne peut justifier la prolongation du paiement de cette assistance si les critères d’octroi ne sont plus rencontrés.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE en partie la requête du travailleur, monsieur Claude Lussier;
CONFIRME en partie la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue en révision administrative le 25 mai 2000;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit à une aide personnelle à domicile supérieure à celle accordée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement des coûts d’achat d’un bracelet épicondylien et de chaussures orthopédiques;
ACCUEILLE en partie la requête du travailleur;
INFIRME en partie la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue en révision administrative le 25 mai 2000;
DÉCLARE que le travailleur a droit au coût d’adaptation de sa piscine selon la solution la plus économique.
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Me Ginette Godin |
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Commissaire |
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GUYON HARVEY MORIN & DAOUD |
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(Me Yasmine C. Daoud) 24, de Gentilly Ouest, bureau 205 Longueuil (Québec) J4H 1Y8 |
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Représentante de la partie requérante |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.