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[1] Le 1er novembre 2004, monsieur Rémy Vézina (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 27 octobre 2004 à la suite d’une révision administrative (la révision administrative).
[2] Par celle-ci, la CSST maintient deux décisions qu’elle a initialement rendues les 14 et 27 juillet 2004 et, en conséquence, elle détermine :
-que le travailleur est en mesure d’exercer son emploi habituel à compter du 15 juillet 2004 et que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu prend fin à cette date;
-qu’il n’y a pas lieu de reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu ou de reconnaître une récidive, rechute ou aggravation le 15 juillet 2004.
[3] L’audience dans cette affaire a lieu à Montréal, le 17 janvier 2006, en présence du travailleur, de Me Lucie Lefebvre, représentante de ce dernier, de monsieur Noël Taillon, agissant au nom de l’employeur, Entreprise d’électricité NT ltée, et de Me Linda Lauzon, représentante de celui-ci.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La représentante du travailleur soulève d’abord une question préalable de nature à régler l’ensemble des litiges. En effet, elle demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le rapport d’évaluation médicale émis par le docteur Dahan à la suite de l’examen réalisé le 9 juin 2004 est irrégulier et ne peut être retenu. En conséquence, la décision portant sur la capacité de travail du travailleur, décision basée sur ce rapport, doit être annulée et la question de la capacité doit être retournée à la CSST pour détermination conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Le versement de l’indemnité de remplacement du revenu devant se poursuivre durant ce processus, le second aspect de la décision rendue par la révision administrative devient sans objet.
[5] De façon subsidiaire, si la Commission des lésions professionnelles ne retient pas l’argumentation concernant l’irrégularité du rapport du docteur Dahan, la représentante du travailleur demande au tribunal de déclarer que le travailleur est incapable d’exercer son emploi à compter du 15 juillet 2004 et que, dès lors, il a subi une récidive, rechute ou aggravation à cette date.
[6] Afin de bien comprendre la question préalable soulevée par la représentante du travailleur et l’argumentation présentée à cet égard, la Commission des lésions professionnelles croit opportun d’exposer les faits de la présente affaire.
LES FAITS
[7] Des documents au dossier, de ceux déposés à l’audience et du témoignage du travailleur, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments suivants.
[8] Le travailleur est né le 11 septembre 1964 et il travaille comme apprenti électricien chez l’employeur.
[9] Le 27 juin 2003, il est victime d’une lésion professionnelle lorsqu’un luminaire lui tombe sur la main droite et lui inflige deux lacérations à ce niveau.
[10] À cette même date, le travailleur se rend à l’urgence de l’Hôpital Général Juif où le médecin consulté note de multiples lacérations au tendon extenseur du majeur de la main droite. Il dirige ce dernier en plastie où le docteur Tassos Dionisopoulos, chirurgien plasticien, note que le tendon est intact au niveau du poignet. Il procède donc à une réparation de ce tendon au niveau de la main et il appose une attelle. La main du travailleur est immobilisée environ deux mois à la suite de cette intervention chirurgicale.
[11] Le travailleur fait, par la suite, l’objet d’un suivi médical par le docteur Dionisopoulos. Ce dernier réajuste l’attelle et il prescrit des traitements de physiothérapie pour un problème de « post extensor tendon repair of R forearm with contractures and subcutaneous edema of R hand ».
[12] L’amélioration de la condition est lente mais constante.
[13] Le 13 novembre 2003, le physiothérapeute observe que le travailleur est toujours incapable de fermer son poing droit et d’effectuer et de maintenir un mouvement de préhension avec cette main. Il suggère d’entreprendre des traitements d’ergothérapie afin d’en accroître la force, la fonction et l’endurance et afin d’améliorer la motricité fine de cette main et des doigts.
[14] Le 25 décembre 2003, le physiothérapeute rencontre le travailleur et il rapporte ses observations en ces termes :
ROM/STRENGTH :
opp pinch R12,12 lat pinch R20,19 3jaw chuck R17,16 Jamar Dynamometer R57,32
(kg) L14,13.5 (kg) L21.5,20.5 (kg) L21.5,21.5 Grip (level2) L41,39
Functional pinch + grip strengths showing ø significant differences. Pt can hold grip when pulling […] away but č compensation. Pt has plateau’d č physio tx. Req work specific exercises/functional use of R hand. Pt informed. Pt states would not be safe č returning to work 2e inability to execute job tasks properly 2e ↓ tuck/grip hold.
Pt con’t to see OT at JGH - Would benefit from work hardening program.
[15] Le 20 janvier 2004, le docteur Dionisopoulos requiert une consultation auprès du docteur Thierry Dahan, physiatre au Centre de réadaptation physique HTB.
[16] Le 3 mars 2004, le docteur Dahan examine le travailleur et il constate ce qui suit :
Clinical examination reveals mild deficits, may be 5º to 10º lag or phalangeal joint flexion mostly at the proximal interphalangeal joint and distal interphalangeal joints. The wrist however does have a significant 10º flexion lag compared to the left. Examination of scapholunate joint mobility during radial and ulnar deviation raises the possibility of a mild instability in that area.
This raises the question of a possible wrist sprain injury concomitant to his tendon injury that was possibly missed. This will be clarified in arthro MRI of the right wrist.
[17] Le docteur Dahan dresse les recommandations suivantes :
Final impression :
From the rehabilitation perspective, I think that there are 2 issues. One is clarifying this patient’s medical diagnosis at the level of the right wrist. The other is trying to understand the recent stiffening of his hand movements. I believe that the recent stiffening of his hand movements might be attributable to scar contraction at the site of his tendon lacerations and repairs which can occur even several months after an injury. The patient also seems to have fear of using his hand vigorously for fear of worsening this stiffness. Our therapist will work on reversing that false notion.
The other perspective on this patient’s rehabilitation is reluctance to return to work and fear of not being able to work as an electrician which I do not think is founded. For this reason, seeing that the patient has now been off work for 8 months, we will be directing him towards a work hardening program where he will be present for a full time 35 hour a week schedule in our rehabilitation wing in order to assess his functional capacities and develop to help reintegrate the patient into the work force.
The patient has been directed towards appropriate rehabilitation services.
[18] Le 3 mars 2004, le docteur Dahan produit un rapport médical à la CSST. Il diagnostique un « statut 8 mois post multiples lacérations tendineuses +/- déchirure ligamentaire poignet D » et il ajoute :
Patient semble aprocher un plateau dans l’amélioration de ces douleurs et capacité avec un Tx conservateur usuel. Suggérons un programme de préparation au travail formelle en ergo. Je crois que ce dossier mérite l’intervention d’un agent de réadaptation de la CSST en coordination avec notre intervention multidisciplinaire pour faciliter une ré-intégration vocationel éventuel - entre temps, continuez mêmes médicaments, arrêt de travail et thérapies au même rythme. [sic]
[19] En outre, le docteur Dahan prescrit une arthrographie et une résonance magnétique du poignet droit, des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie au Centre de réadaptation HTB où il travaille et des traitements d’acupuncture pour des fins analgésiques et relaxantes.
[20] Le 8 mars 2004, le travailleur est évalué par le physiothérapeute. Celui-ci note qu’il présente des douleurs au poignet et aux inter phalangiennes proximales droites, une diminution de l’amplitude des mouvements et de la force des doigts et du poignet du côté droit. Il prévoit administrer des traitements afin de corriger ces problèmes. De plus, le 29 mars 2004, une telle évaluation est également réalisée par un ergothérapeute qui signale que le travailleur éprouve des difficultés au niveau de la souplesse des articulations de la main droite et de la proprioception ce qui limite les prises en force. Il se propose d’améliorer ces conditions.
[21] Le travailleur fait donc l’objet de traitements de physiothérapie, d’ergothérapie et d’acupuncture, cinq jours par semaine, une heure et demie par jour, à l’initiative du docteur Dahan.
[22] Entre temps, le 9 mars 2004, le docteur Dionisopoulos produit un rapport final. Il consolide la lésion à cette date, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Il y indique qu’il cesse de suivre le travailleur, il réfère la CSST au rapport du docteur Dahan et il demande à cet organisme de s’occuper de l’évaluation finale de ce dernier.
[23] Le 12 mars 2004, le travailleur discute avec l’agente d’indemnisation et il confirme que le docteur Dionisopoulos désire confier son évaluation médicale finale à un médecin de la CSST.
[24] Le 17 mars 2004, le docteur Paul Mailhot, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur. Le 19 mars 2004, il produit un rapport qu’il conclut en ces termes :
OPINION ET CONCLUSION
Il s’agit donc d’un jeune homme qui a été blessé à la face dorsale de la main droite tant au niveau du poignet qu’au niveau du 3e doigt de la main droite. Il y a section tendineuse possiblement au deux niveaux au niveau de l’extenseur du 3e doigt. Cet accident est survenu le 27 juin 2003 et le docteur Dionisopoulos procédait le jour même à une réparation tendineuse. Malheureusement, nous n’avons pas le protocole opératoire pour déterminer exactement les lésions que ce patient a subies au niveau des tendons extenseurs.
Ce patient aurait été immobilisé pendant une période de deux mois et à sa sortie de cette immobilisation il se plaignait d’une raideur du poignet. Son médecin lui aurait dit sur-le-champ qu’il devait envisager rester avec une ankylose de son poignet.
Ce patient a été dirigé en physiothérapie et a suivi des traitements de physiothérapie pendant une période prolongée. Il y a eu une amélioration progressive mais il semble qu’il ait atteint un plateau il y a environ un à deux mois.
Ce patient a été référé en physiatrie au docteur Dahan il y a à peine deux semaines et celui-ci envisage une amélioration de sa condition en le soumettant à un programme de physiothérapie beaucoup plus intensif s’accompagnant d’ergothérapie et d’acupuncture.
L’examen de ce patient nous montre en effet qu’il y a chez lui une limitation principalement de la dorsiflexion du poignet qui est d’environ 10º à 20º alors que la flexion palmaire est pratiquement normale et les mouvements de déviation radiale et cubitale sont normaux. Il présente encore actuellement une limitation des mouvements de tous les doigts de la main droite, même si la section semble avoir intéressé uniquement l’extenseur du 3e doigt.
Il y a eu vraisemblablement un phénomène d’œdème et d’ankylose, possiblement un syndrome d’atrophie de Sudeck fruste. Actuellement, il ne présente aucune décoloration de la main, ni moiteur ou froideur de la main droite. Donc s’il y a eu atrophie de Sudeck celle-ci est vraiment très fruste mais pourrait expliquer une raideur inusitée en relation avec une simple section d’un tendon extenseur du 3e doigt.
Je constatais qu’il présentait une limitation des mouvements principalement au niveau des interphalangiennes proximales et distales des 2e, 3e et 4e doigts alors qu’il avait récupéré une mobilité à peu près normale au niveau des articulations métacarpo-phalangiennes et aussi au niveau du pouce.
Il présente une excellente opposition entre le pouce et les doigts et présente aussi une très bonne force musculaire au niveau de la main droite. Celle-ci est comparable à la main gauche. Il est à noter qu’il n’y a pas d’atrophie de l’avant-bras droit.
Je crois qu’il y a indication de continuer les traitements et surtout si ceux-ci semblent être envisagés comme devant être intensifs puisqu’il y a encore place à amélioration dans la fonction de la main droite de ce jeune homme.
Je considère qu’il est encore trop tôt pour déterminer le DAP même s’il s’est écoulé huit mois. Il s’agit d’un homme qui semble énergique et qui a des bonnes chances d’améliorer sa condition et de diminuer la perte de capacité de façon appréciable.
Diagnostic :
Le diagnostic à retenir est section tendineuse extenseur du 3e doigt de la main droite avec phénomène d’ankylose plus prononcé que la normale.
Date de consolidation :
La consolidation est à prévoir environ dans une période de deux mois, soit le 17 mai 2004.
Traitements :
Puisque des traitements intensifs viennent d’être débutés par le docteur Dahan ou qu’ils doivent commencer incessamment, je considère qu’il y a lieu de donner cours à ces traitements pour une période de deux mois. Je ne serais pas d’accord cependant à ce qu’ils soient prolongés pour plus de deux mois, soit le 17 mai 2004. Je crois que nous aurons obtenu le maximum à ce moment-là.
Atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique :
Je suggère de faire évaluer ce patient dans trois mois pour déterminer le DAP ainsi que le préjudice esthétique en relation avec cet événement.
Limitations fonctionnelles :
Ce jeune homme reste avec une limitation au travail à cause de la diminution de l’amplitude principalement de la flexion des doigts et aussi à cause de la diminution de la force musculaire. Il y a donc avantage à continuer les traitements en ergothérapie et de croire que ceci pourra renforcer la main droite. Il y a lieu d’envisager un travail pour ce patient car il est certainement apte à travailler actuellement. Les limitations fonctionnelles sont les suivantes, soit éviter :
- le travail répétitif avec la main droite;
- le travail qui demande un travail soutenu de préhension avec la main droite.
Pronostic :
Le pronostic est mitigé pour une guérison complète.
Assignation temporaire :
Il est certainement capable de faire un travail en assignation temporaire. Il présente une bonne force musculaire dans sa main droite. Même s’il y a une certaine limitation des mouvements des doigts de la main droite, je considère que celle-ci peut être utilisée au travail. En autant que les limitations fonctionnelles mentionnées précédemment soient respectées.
Je le crois apte à un travail et de continuer à suivre des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie quotidiennement.
[sic]
[25] Le 25 mars 2004, la résonance magnétique du poignet droit prescrite par le docteur Dahan est réalisée et interprétée en ces termes par le docteur Andreas Mandalenakis, radiologue :
IMPRESSION :
1. No evidence of ligamentous or tendinous injury. No evidence of a bony fracture.
2. Bone edema noted within the trapezium and trapezoid bones most likely representing a degenerative phenomenon. Post traumatic contusions in these bones is unusual.
[26] Le 31 mars 2004, le travailleur rencontre le docteur Daniel Benaim à la demande du docteur Dahan. Le docteur Benaim prévoit le port d’un doigtier de posture pour une tendinopathie des fléchisseurs [sic] de la main droite. Il réduit les traitements de physiothérapie et d’ergothérapie à trois fois par semaine.
[27] Les traitements se poursuivent donc sous la gouverne du docteur Dahan.
[28] Le 13 avril 2004, le conseiller en réadaptation rencontre le travailleur afin, entre autres, de discuter d’un retour au travail chez l’employeur. Le travailleur indique alors qu’il est fonctionnel dans ses activités quotidiennes, mais qu’il ne peut reprendre son travail en raison des douleurs et de la faiblesse affectant sa main droite.
[29] Le conseiller en réadaptation rencontre également l’employeur. Ce dernier est prêt à offrir un travail léger au travailleur, deux demi-journées par semaine. Le travailleur émet des réserves quant à sa capacité de travail mais il accepte de procéder à cet essai.
[30] Le 19 avril 2004, le travailleur reprend un travail allégé. Il doit enlever des formes au plafond et, pour ce faire, il doit utiliser un marteau et une pince. Or, plus il travaille, plus ses douleurs s’accroissent. Sa main droite enfle. Il cesse donc toute activité après deux heures de travail. Il poursuit toutefois les différents traitements prescrits par le docteur Dahan.
[31] Le 3 juin 2004, le conseiller en réadaptation communique avec l’employeur et l’ergothérapeute du travailleur afin de s’enquérir de l’état de santé de ce dernier. Il relate ainsi ces conversations téléphoniques :
Par ailleurs, requérant à [sic] effectivement eu un RAT mais il y est resté seulement 2 heures. Il alléguait, selon les notes évolutives du 21 avril dernier, difficultés à monter/descendre les échafauds.
Nous avons, dans un premier [sic] parlé avec monsieur Noël Taillon, l’employeur. Nous vérifions auprès de monsieur de la possibilité à reconduire l’ATT en tenant compte de la situation maladive du requérant.
L’employeur me répond, qu’il est toujours disposé à reprendre à ses services dans un emploi léger. Dit que requérant pourrait travailler à son rythme sans faire de manutention ni à monter et descendre les échafauds.
Dans un deuxième temps, ai communiqué avec monsieur Laurent Tayeb, ergothérapeute de la clinique HTB […]
Discutons avec l’ergothérapeute de l’évolution du requérant en traitement. Aussi, nous rappelons à l’ergo que nous n’avons pas de rapport ergo au dossier qui précise l’évolution des traitements.
D’abord, l’ergo me précise que requérant est dans sa clinique non en traitement de programment [sic] de réentrainement [sic] à l’effort sous forme de développement mais plutôt en traitement d’ergothérapie conventionnel conservateur. L’ergo me dit qu’il a envoyé des rapports d’étape d’évolution à ce propos par lien électronique.
L’ergo me dit qu’il est au courant que requérant à [sic] eu un RAT le 19 avril. Lorsqu’il l’avait vu en clinique, il avait les mains enflées et il se plaignait de douleurs ++++.
Pour l’ergo, il n’est pas recommandé dans l’immédiat que requérant suive un programme de réentrainement [sic] sous forme de développement. À son avis, cela ne donnera rien. Car même en traitement conservateur, requérant fait peu de progrès et continue parler de douleurs.
Pour l’ergo, il est préférable de continuer les traitements conservateurs et, parallèlement, envisager si possible un RAT léger.
Dans son approche, l’ergo me dit qu’il mettra l’accent auprès du requérant sur ses capacités afin d’initier le + rapidement un RAT.
[32] Le 8 juin 2004, le physiothérapeute note peu d’amélioration dans la condition du travailleur. Il réclame une poursuite des traitements. Cependant, le docteur Dahan ne partage pas cet avis.
[33] En effet, le 9 juin 2004, ce dernier produit un rapport final. Il y retient un diagnostic de lacération du tendon extenseur du troisième doigt droit. Il consolide cette lésion le 10 juin 2004, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Toutefois, à cette même date, il procède à l’évaluation médicale du travailleur. Dans le rapport réalisé à la suite de cette évaluation, rapport transcrit le 18 juin 2004 et reçu à la CSST le 28 juin ou le 5 juillet 2004 selon les étampes retrouvées sur le document, le docteur Dahan décrit ainsi l’examen objectif effectué cette journée-là :
L’examen clinique est très peu impressionnant chez ce patient. Il nous semble, que la mobilité passive et active de tous les doigts de la main et du poignet droit est normale, à l’exception du troisième doigt où il y a un très léger déficit d’environ 5º de la mobilité de l’articulation métacarpo phalangienne droite. Ceci semble être dû à une certaine tension dans le tendon extenseur de ce doigt.
Il y a une cicatrice qui est légèrement vicieuse au niveau de l’aspect dorsal du troisième doigt qui mesure 3 x 0,2 cm. L’autre cicatrice au niveau de la base de la main droite est à peine visible.
[34] Le docteur Dahan fixe un déficit anatomo-physiologique de 2,8 % (2 % pour une atteinte des tissus mous au membre supérieur droit, 0,2 % pour une ankylose incomplète de l’articulation métacarpo phalangienne et 0,6 % pour une atteinte cicatricielle) et il s’exprime ainsi quant aux limitations fonctionnelles et quant à la capacité de travail du travailleur :
Le patient semble convaincu qu’il serait incapable de reprendre son travail en tant qu’électricien. Nous pouvons difficilement expliquer ceci. Il s’agit d’une atteinte sous forme de lacération à un seul tendon extenseur du troisième doigt et normalement nous nous attendons qu’il pourrait reprendre ses activités de travail normal avec seulement une légère gêne au niveau du troisième doigt.
[35] Selon le travailleur, le docteur Dahan ne l’examine pas vraiment à cette occasion. Il regarde sa main droite durant quelques secondes et il lui dit « c’est correct, je vais faire mon rapport ». Le docteur Dahan ne lui remet aucun document à cette date.
[36] Le 8 juillet 2004, le conseiller en réadaptation communique avec le travailleur. Il écrit :
Ai appelé requérant. […] Je l’informe que nous sommes tjrs en attente de la décision de son employeur concernant une description de tache [sic] sous forme d’ATT.
Pour sa part, requérant me dit qu’il ne croit pas être en mesure de RAT dans son emploi d’électricien. Dit que tout mouvement avec effort soutenu de son poignet fait en sorte que sa condition s’aggrave. Aussi, il m’avise qu’il est conso et demande à savoir si nous avions reçu RMF en conséquence.
Je vérifie au dossier, et je précise au requérant que RMF est effectivement au dossier et nous attendons de connaître les LF et déterminer par la suite sa capacité à RAT dans son emploi ou pas. Je lui précise que MD traitant, le Dr Dahan a indiqué sur le RMF qu’il fera le REM.
En attendant que nous recevions REM établissant les LF, disons au requérant que notre démarche se poursuivra auprès de son employeur pour envisager RAT léger. Il m’a répondu que cette démarche avait déjà été faite mais les résultats étaient médiocres. Quoi qu’il en soit, l’informons que cette fois-ci nous nous assurerons d’une bonne description de tache [sic] d’emploi de façon à faciliter sa réad au travail sans trop de complication. Requérant nous répond qu’il n’est pas convaincu que RAT chez son employeur serait la bonne avenue possible. Réitère son incapacité à RAT comme électricien. [sic]
[37] Le 12 juillet 2004, le conseiller en réadaptation reçoit le rapport d’évaluation médicale rédigé par le docteur Dahan et il se propose d’appeler le travailleur à ce sujet. Le 13 juillet 2004, il communique avec ce dernier et il rapporte cette conversation téléphonique en ces termes :
D’abord, nous lui disons que nous avons reçu REM de son MD traitant et nous lui proposons, à sa convenance, soit de se rencontrer pour discussion ou de se parler au téléphone.
Ai avisé requérant que suite au REM il ne conserve aucune limitation fonctionnelle pouvant l’empêcher de reprendre son emploi. Je l’informe également du % d’incapacité (2,8%).
Requérant dit ne pas comprendre la décision de son MD traitant. À son % d’incapacité, il se dit étonné puisque, dit-il, ses incapacités sont importantes. Entre autre [sic], requérant dit qu’il a :
- Une perte d’endurance au poignet droit
- Ne peut faire trop d’efforts et lorsqu’il le fait il a bcp de douleurs par la suite
Requérant mentionne que ce matin il a descendu son bac de récupération son poignet est comme à moitié morte [sic]. Clame une perte d’endurance au niveau de son poignet.
Requérant fait état bcp de plaintes physiques, de douleurs et à son avis, dit qu’il ne pourra reprendre son emploi d’électricien.
Vis-à-vis de son MD traitant, requérant dit qu’il n’a pas été évalué correctement. Dit que nous étions supposés de demander une évaluation de ses capacités en ergo et nous ne l’avions pas fait. Demande à savoir pourquoi. Je lui réponds que l’ergothérapeute n’a pas jugé nécessaire un programme de réentrainement [sic].
Requérant met l’accent bcp sur ses incapacités physiques et dans nos discussions, nous ne décelons pas de problème psychosocial particulier.
Requérant a DAP sans LF. […]
Requérant n’ayant pas de LF. Il a donc capacité à refaire son emploi et en conséquence, il ne peut bénéficier du droit à la réad.
Ai informé requérant de sa capacité à RAT. Aussi, l’ai informé du DRAT. Je lui demande de communiquer avec son employeur pour l’en informer de son RAT.
[…]
Requérant nous demande de lui envoyer copie du REM du Dr Dahan ainsi que le rapport d’évaluation médicale du MD expert de son employeur fait le 19 mars. [sic]
[38] Le 14 juillet 2004, la CSST détermine que le travailleur est en mesure de reprendre son emploi à compter du 15 juillet 2004. Ce dernier demande la révision de cette décision mais, le 27 octobre 2004, la révision administrative la maintient d’où un des litiges dont est saisie la Commission des lésions professionnelles.
[39] Le 15 juillet 2004, le travailleur reprend son travail. Il doit alors entrer des fils dans des boîtes électriques. Ce travail implique l’utilisation d’une pince, d’un couteau et d’un tournevis. Or, le travailleur constate que, plus il travaille, moins sa main est fonctionnelle. Il échappe son couteau et son tournevis. Sa main droite enfle comme avant. Elle a même doublé de volume selon ce dernier. Il quitte donc après quelques heures de travail et il consulte le docteur Can. Ce dernier émet une attestation médicale. Il y inscrit une récidive de douleur au poignet droit et il prévoit un arrêt du travail de 3 semaines. Dans les notes cliniques colligées lors de cette visite médicale, le docteur Can écrit :
Ce jour pt est de retour au travail après 1 an d’absence mais depuis qu’il a commencé à travailler accuse douleur poignet D
n’arrive pas à travailler
[40] L’examen objectif réalisé par le docteur Can est relaté en ces termes :
E/O : ø œdème
Douleur à la palpation poignet D
Flexion ┐contre résistance
Extension ┘douloureuse
Neurovasculaire N
Imp : Contusion poignet D
Accident x 1 an
[41] Le 15 juillet 2004, le travailleur appelle son conseiller en réadaptation pour l’informer de son arrêt de travail. Le conseiller note :
Ai parlé avec requérant. Dit qu’il s’est présenté au travail et n’a pas pu compléter sa journée. Dit qu’il a un rapport médical qui le met en arrêt du travail.
Requérant dit que nous n’avons pas le choix que nous devons reprendre les IRR.
[…]
Après vérification, constatons que sur l’ATM du 15 juillet, il n’y a pas de Dx précis sinon que le MD conclut :
- Arrêt de travail depuis un an
- Récidive de douleur poignet droit dès la 1ere journée de travail
- Arrêt de travail 3 semaines
De telles informations sans Dx précis ne nous permettent pas de reprendre les IRR d’autant que ce n’est pas le MD traitant (Dr Dahan).
Ai suggéré au requérant d’aller rencontrer son MD traitant, le Dr Dahan pour consultation. Selon ce que le Dr Dahan nous indiquera, informons requérant que nous verrons, s’il y a matière à une reprise des IRR. Dans l’immédiat, l’informons que ses IRR sont arrêtées en date du 15 juillet 2004 car il a capacité à RAT.
[42] Le 26 juillet 2004, le travailleur rencontre le docteur Vernec. Ce médecin indique sur le rapport remis à la CSST un diagnostic de lacérations des tendons du poignet, des restrictions au poignet et aux doigts et des douleurs avec les activités. Il requiert une consultation auprès du docteur K. Latendresse, chirurgien orthopédiste.
[43] Le 29 juillet 2004, le docteur Can produit un autre rapport à la CSST. Il y suggère un diagnostic de contusion au poignet droit et à la main droite et il note qu’il est souhaitable que le travailleur puisse revoir son médecin traitant.
[44] Le 4 août 2004, le docteur Latendresse examine le travailleur. Il produit immédiatement un rapport final sur lequel il note, à titre de diagnostic, un traumatisme à la main droite avec des lacérations du mécanisme extenseur du majeur.
[45] Le docteur Latendresse signale qu’il persiste une douleur et une ankylose qui empirent à l’utilisation. Cependant, il considère que le traitement chirurgical effectué et les suites de ce traitement sont adéquats et qu’aucun autre traitement n’est recommandé. Il suggère une évaluation, par un ergothérapeute, de la capacité de travail et des limitations fonctionnelles du travailleur. Il consolide la lésion à la date de son examen, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, tout en indiquant qu’il ne fera pas le rapport d’évaluation médicale. Il s’agit du dernier rapport médical contemporain retrouvé au dossier.
[46] Entre temps, le 27 juillet 2004, la CSST refuse de reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu le 15 juillet 2004. Le travailleur demande la révision de cette décision mais, le 27 octobre 2004, la révision administrative la maintient tout en ajoutant qu’il ne s’agit pas d’une récidive, rechute ou aggravation, d’où le second litige initié par ce dernier.
[47] Par ailleurs, le 24 août 2005, soit plus d’un an après le rapport d’évaluation médicale effectué par le docteur Dahan, le docteur Normand Taillefer réalise une expertise à la demande du travailleur. Il y note ce qui suit quant aux symptômes dont se plaint ce dernier à cette époque :
Nous sommes à 26 mois post-trauma et un peu plus d’un an après la fin des derniers traitements.
M. Vézina confirme qu’il n’y a pratiquement pas de douleurs au repos ou lorsqu’il s’affaire à des tâches manuelles légères, lors des activités de la vie quotidienne.
Les douleurs au niveau de la main droite impliquent le poignet et le dorsum de la main particulièrement vis-à-vis les 3ième et 4ième rayons métacarpiens et les 3ième et 4ième doigts (majeur et annulaire). Ces douleurs apparaissent lors d’efforts intenses ou répétitifs divers. Après 10 ou 15 serrements en force maximale d’une pince, il note une recrudescence des douleurs avec une perte définitive de dextérité, allant même jusqu’à parfois échapper une pince, un tournevis ou un marteau, s’il ne fait pas attention.
Durant l’hiver, il notait aussi une intolérance lorsqu’il tentait de farter ses skis de fond. Durant la randonnée, il devait « skier » sans utiliser de bâtions [sic] parce qu’après 10 minutes, il n’était plus capable de tenir son bâton avec la main droite. En bicyclette, il ne tolère pas de tenir le guidon pour au-delà d’une heure et il y a une intolérance marquée à l’usage des freins manuels, lorsqu’il descend les côtes.
Même un effort prolongé pour saisir de la crème glacée très dure avec une cuiller entraînera précocement un manque de dextérité, d’endurance et de force.
Plus récemment, il a fait de la plongée sous-marine et il notait une accentuation des douleurs à la main droite durant les efforts de traction pour insérer les pantalons et le gilet de plongée très serré (wet suit).
Il n’y a plus de phénomène de gonflement articulaire. Il n’y a pas d’engourdissement au niveau des membres supérieurs. M. Vézina ne reçoit actuellement aucun traitement. Il est sans emploi. Il donne quelques cours de danse sociale.
[48] Son examen objectif est rapporté en ces termes :
À l’inspection, les 2 membres supérieurs apparaissent symétriques. L’alignement est normal au niveau des coudes, des poignets et des doigts. La peau, la pilosité et la coloration des 2 mains sont normales. La température cutanée est normale. Je mets en évidence une cicatrice multi-segmentaire à la face dorsale de la zone inter-métacarpienne entre les 2ième et 3ième rayons du dorsum de la main droite avec une bande cicatricielle s’étendant à la base de la phalange proximale du majeur. Cette cicatrice est non adhérente et de bonne qualité. Il y a par ailleurs une petite cicatrice au dorsum du poignet qui est presque invisible.
À l’examen des poignets, il n’y a pas d’évidence de gonflement articulaire. La palpation du trapèze et du trapézoïde de même que le scaphoïde est indolore. Il n’y a pas d’évidence de laxité lors des tests de mise en tension ligamentaire.
La mobilité articulaire active et passive des poignets a été mesurée avec goniomètre. L’extension (dorsi-flexion) est à 85º à gauche et elle est limitée à 75º à droite. Le reste des mesures est symétrique. Flexions 70º, déviations radiales 20º, déviations cubitales 50º.
À l’examen des doigts, il n’y a pas de gonflement articulaire. Les mesures d’amplitudes ont été faites avec goniomètre. Il y a une perte de 10º de la flexion maximale en passif autant qu’en actif de l’inter-phalangienne distale du majeur. Les autres mesures au niveau des inter-phalangiennes proximales et des métacarpo-phalangiennes des 2 majeurs sont identiques à 0 - 90º à chaque niveau.
Au niveau du volume musculaire, la mesure a été faite à 5 cm distal au pli du coude, fléchi à 90º. À droite, la mesure est de 25 cm et à gauche la mesure est de 26 cm. Il y a donc une discrète atrophie de 1 cm à l’avant-bras droit, ce qui n’est pas normal pour un droitier.
La force de préhension des mains a été mesurée avec le dynamomètre de Jamar selon la procédure usuelle en 3 temps. À gauche, les mesures sont 46 - 48 - 44 kilos. À droite, les mesures sont de 42 - 44 - 42 kilos. L’effort paraissait maximal et manifestement fiable à chaque mesure.
[49] Le docteur Taillefer conclut :
DISCUSSION :
M. Vézina a subi une lacération traumatique du tendon extenseur du majeur de la main droite. La tendinoplastie a été faite sous la supervision du Dr Dionisopoulos, chirurgien plasticien. Il y a eu immobilisation pendant au moins 6 semaines selon les notes de physiothérapie. Le Dr Dionisopoulos référait le patient en physiothérapie et ergothérapie (OT) mais seuls des traitements de physiothérapie ont été faits initialement jusqu’à l’atteinte d’un plateau thérapeutique. Par la suite, le Dr Dionisopoulos référait le patient aux soins du Dr Dahan.
Le Dr Dahan recommandait un programme intensif de réentraînement à l’effort à raison de 35 heures par semaine soit 7 heures par jour. Le Dr Mailhot, orthopédiste, a vu M. Vézina en expertise le 19 mars 2004 et recommandait lui aussi un programme d’entraînement intensif pour aider ce patient à reprendre de la force, de l’endurance et de la dextérité au niveau de sa main droite.
Malheureusement, M. Vézina n’a pas pu bénéficier de ce traitement intensif et a plutôt eu des traitements à raison d’un peu plus d’une heure par jour en physiothérapie, ergothérapie et acupuncture.
Tel que mentionné par le Dr Dahan, il est fort probable que certaines adhérences cicatricielles ont nui à la guérison de la lacération tendineuse. La longue période d’immobilisation qui a suivi le traumatisme peut aussi avoir entraîner [sic] une ankylose du poignet et des doigts, au-delà de ce qui était prévisible.
Enfin, à l’instar du Dr Mailhot, je crois que ce patient a probablement présenté une forme fruste de dystrophie sympathique réflexe (dystrophie de Sudeck). En effet, les formes frustes et atypiques de cette pathologie post-traumatique se présentent parfois avec très peu d’éléments cutanés visibles ou thermiques mais surtout par une perte de fonction, une ankylose articulaire et une douleur disproportionnée par rapport au fait traumatique initial. Il s’agit de la seule explication médicale logique pouvant expliquer le tableau clinique résiduel et persistant chez ce patient au niveau de la main droite alors que le traumatisme initial impliquait principalement le majeur.
Limitations fonctionnelles :
De façon imprévue et difficile à expliquer, le Dr Dahan s’est contredit en indiquant dans son REM qu’il n’y avait pas de limitation fonctionnelle significative compte tenu qu’il n’arrivait pas à comprendre les incapacités résiduelles de ce patient. Par contre, les Drs Dionisopoulos et Latendresse indiquaient aussi qu’il y avait des limitations fonctionnelles au niveau des rapports finaux qu’ils ont rédigé [sic] respectivement. Le Dr Mailhot aussi recommandait des limitations fonctionnelles pour la main droite de ce patient.
Après analyse du dossier qui m’a été soumis et examen médical de M. Vézina, je suis d’avis que sa lésion professionnelle le laisse définitivement avec des séquelles fonctionnelles :
- Doit éviter les efforts répétés ou prolongés de saisie de charge ou de serrement d’outil ou de traction/préhension forcé [sic] avec la main droite.
- Ne peut pas faire de tâches qui requièrent de la dextérité fine avec la main droite.
Je crois que le pronostic est bon mais que la condition de ce patient doit être considérée stable. Il pourra certainement réintégrer le marché du travail mais dans des tâches qui respecteront les limitations fonctionnelles susmentionnées.
- Compte tenu que le travail d’électricien implique de serrer et de saisir des outils, pinces, perceuses, marteau ; que ce travail implique des efforts pour tirer des câbles électriques de calibres divers, que le travail d’électricien nécessite une certaine dextérité, particulièrement lors de l’épissage et du raccordement des fils électriques ;
- Compte tenu que M. Vézina demeure avec une ankylose au niveau du poignet et du majeur droit [sic], perte de dextérité pour les mouvements nécessitant de la précision et perte d’endurance aux efforts de la main droite comme en fait foi les multiples activités de la vie quotidienne ou de sport qui exacerbent les douleurs du patient ;
- Compte tenu de la fiabilité et la crédibilité de ce patient ;
- Compte tenu l’examen clinique incomplet du Dr Dahan qui n’a pas mesuré au goniomètre les pertes d’amplitude de mouvements au niveau du poignet et des doigts et qui n’a pas mesuré avec un dynamomètre la force de préhension résiduelle de la main droite ni le volume musculaire à la circonférence des avant-bras ;
- Compte tenue [sic] de l’ensemble de ces éléments, il est clair que M. Vézina n’est pas apte à reprendre les tâches de son emploi pré-lésionnel d’électricien.
En raison d’adhérences cicatricielles post-traumatiques et chirurgicales et aussi en raison d’une possible dystrophie sympathique réflexe fruste post-traumatique et chirurgicale, la main droite de ce patient est demeurée avec une force, une endurance et une dextérité altérées. Il est à noter que le majeur est le doigt le plus important lorsqu’il s’agit d’exercer une force pour saisir ou serrer un objet ou un outil.
Il n’y a pas d’évidence d’une rechute dans le sens reconnu en médecine du travail, par rapport à l’événement du 19 avril 2004 (exacerbation des symptômes pendant 48 heures) ni en rapport avec la recrudescence des douleurs du 15 juillet 2004 puisqu’il s’agissait simplement d’une fluctuation temporaire et prévisible des douleurs résiduelles de ce patient en lien avec des tâches qui outrepassaient ses capacités fonctionnelles résiduelles.
[…]
CONCLUSION :
À l’instar des Drs Mailhot et Latendresse, je suis d’avis que M. Vézina demeure avec des limitations fonctionnelles permanentes au niveau de la main droite et qu’il devra être réorienté vers un travail respectant les limitations fonctionnelles recommandées. Comme le Dr Latendresse, je suis tout à fait d’accord pour que M. Vézina puisse faire l’objet d’une évaluation des capacités de travail en ergothérapie afin d’orienter son retour sur le marché du travail.
[sic]
[50] Selon le travailleur, l’examen du docteur Taillefer est beaucoup complet que celui réalisé par le docteur Dahan en juin 2004.
[51] Par ailleurs, le travailleur confirme que, outre le problème relevé avec la crème glacée, il n’éprouve actuellement aucune difficulté avec sa main droite dans ses activités de la vie quotidienne. Il ne se cherche toutefois pas de travail après que la CSST ait mis fin au versement de ses indemnités.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[52] La représentante du travailleur soutient qu’il y a beaucoup d’éléments incompréhensibles et contradictoires dans ce dossier. Elle souligne les plans de traitements amputés et les examens médicaux bâclés qui laissent le travailleur avec des problèmes non résolus au moment de la consolidation de sa lésion.
[53] Elle s’attaque d’abord au rapport final et au rapport d’évaluation médicale produits par le docteur Dahan. Elle invoque une irrégularité procédurale en raison des contradictions existant entre ces rapports. En effet, dans le rapport final, le docteur Dahan prévoit une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles alors que, dans son rapport d’évaluation médicale, il ne décrit plus de telles limitations.
[54] De plus, l’évaluation médicale du travailleur est incomplète, l’examen est bâclé et basé sur des impressions et non de véritables données objectives.
[55] Au surplus, le docteur Dahan voit peu le travailleur. Il prévoit des traitements intensifs qui ne sont jamais administrés et, pourtant, il se permet de ne pas suggérer de limitations fonctionnelles sur la base d’un rapport tronqué et non valable.
[56] En outre, il ne remet pas de copies de ses rapports au travailleur contrevenant ainsi aux prescriptions claires de la loi à cet égard.
[57] La représentante du travailleur enchaîne en soulignant que tous les rapports des thérapeutes ne démontrent aucune amélioration de la condition de ce dernier au moment où le docteur Dahan met abruptement fin au suivi médical. Or, celui-ci aurait dû tenir compte des constatations des physiothérapeutes et des ergothérapeutes lorsqu’il procède à l’évaluation médicale du travailleur. Il aurait dû remarquer l’absence d’amélioration de l’état de sa main et de son poignet droits et décrire des limitations fonctionnelles tenant compte de ces données.
[58] La représentante du travailleur remarque que tous les médecins ayant examiné le travailleur, à savoir les docteurs Dionisopoulos, Mailhot ou Taillefer, prévoient des limitations fonctionnelles. Seul le docteur Dahan n’en décrit pas. Son opinion isolée, basée sur des impressions, ne peut être liante et ne peut être retenue.
[59] La représentante du travailleur rappelle également que le fait que le travailleur n’ait pas reçu de copies du rapport final ou du rapport d’évaluation médicale ne lui permet pas de savoir ce qui l’attend ou encore de choisir un autre médecin traitant, le cas échéant.
[60] En fait, les informations médicales sont transmises à la CSST à l’insu du travailleur qui est mis au courant de celles-ci par l’entremise du conseiller en réadaptation. Or, ce n’est pas ce que prévoit la loi. De plus, aucune information ne permet de comprendre pourquoi le docteur Dahan prévoit des limitations fonctionnelles dans son rapport final mais n’en prévoit plus dans son rapport d’évaluation médicale. Pourtant, ces informations doivent être fournies au travailleur.
[61] La représentante du travailleur soutient que l’évaluation des limitations fonctionnelles doit être faite avec minutie et elle doit être fiable puisqu’elle sert de base à l’analyse de la capacité de travail du travailleur. L’évaluation du docteur Dahan n’étant pas valable, elle ne peut être liante et, dès lors, la décision rendue par la révision administrative doit être infirmée et le dossier retourné à la CSST afin qu’elle statue sur la capacité de travail du travailleur conformément à la loi.
[62] De façon subsidiaire, si la Commission des lésions professionnelles n’adhère pas aux propositions mentionnées précédemment, la représentante du travailleur soutient que ce dernier est victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 15 juillet 2004. En effet, le rapport du docteur Can est clair à ce sujet. Le travail entraîne la reprise des douleurs, douleurs qui sont objectivées par ce médecin. Une récidive, rechute ou aggravation peut donc être reconnue à cette date.
[63] La représentante du travailleur lit de larges extraits du dossier et des documents déposés tout au long de son argumentation. De plus, elle dépose et commente abondamment de nombreuses décisions[2] au soutien de la contestation initiée par le travailleur.
[64] La représentante de l’employeur indique, dans un premier temps, qu’il n’existe aucune confusion quant au statut de médecin traitant du docteur Dahan. En effet, le travailleur est d’abord suivi par le docteur Dionisopoulos qui, par la suite, le réfère au docteur Dahan qui prend la relève. Il n’existe aucun suivi médical parallèle de ces deux médecins.
[65] Dès que le docteur Dionisopoulos dirige le travailleur vers le docteur Dahan, il se décharge du dossier et de toute responsabilité envers ce dernier. Le docteur Dahan devient donc le seul et unique médecin qui a charge du travailleur.
[66] Or, dès le 3 mars 2004, le docteur Dahan estime que deux problématiques sont à résoudre chez le travailleur. D’une part, le docteur Dahan veut comprendre la condition médicale de ce dernier d’où l’investigation par test d’imagerie qu’il prescrit. D’autre part, il constate que le travailleur croit erronément qu’il ne peut plus travailler en raison de sa condition et il prévoit des traitements visant à débarrasser celui-ci de cette fausse perception. C’est donc dans ce contexte qu’est amorcé le suivi médical du docteur Dahan.
[67] Le docteur Dahan pense certes à ce moment à un programme de réentraînement intensif mais il ressort des notes évolutives que l’ergothérapeute ne juge pas utile d’initier un tel traitement.
[68] La représentante de l’employeur note toutefois que de nombreux traitements de toutes sortes sont prodigués au travailleur sans que ce dernier ne perçoive d’amélioration de son état. Toutefois, les thérapeutes signalent une telle amélioration dans les rapports qu’ils transmettent au docteur Dahan et à la CSST.
[69] Les tests d’imagerie prescrits par le docteur Dahan s’avèrent entièrement négatifs. Aucune cause physique n’explique donc les nombreuses plaintes subjectives du travailleur. Le docteur Dahan estime donc opportun de consolider la lésion dans ces circonstances.
[70] La représentante de l’employeur remarque que la représentante du travailleur fait grand cas des divergences existant entre le rapport final et le rapport d’évaluation médicale du docteur Dahan. Or, elle considère que le fait de cocher oui à la rubrique « Limitations fonctionnelles » du rapport final, mais de ne pas décrire de telles limitations au rapport d’évaluation médicale est sans incidence sur le caractère liant des rapports du médecin traitant.
[71] Elle rappelle d’abord que, en vertu de l’article 203 de la loi, c’est le rapport final qui doit être remis sans délai au travailleur et non le rapport d’évaluation médicale. En effet, le rapport final est écrit sur un formulaire de la CSST. Il est souvent manuscrit et donc facile à transmettre sans délai au travailleur. Le rapport d’évaluation médicale est cependant plus complexe. Il est presque toujours dactylographié et rédigé quelques jours après l’examen qu’il décrit. Il ne peut donc être remis au travailleur le jour de cet examen. Or, dans ce dossier, la représentante de l’employeur constate qu’aucune preuve ne démontre que le travailleur n’aurait pas reçu le rapport final émis par le docteur Dahan et, en conséquence, les prescriptions de l’article 203 de la loi ont été respectées en l’espèce.
[72] Quant au rapport d’évaluation médicale, la représentante de l’employeur souligne qu’il s’inscrit parfaitement dans la démarche amorcée par le docteur Dahan en mars 2004. Par les traitements qu’il prescrit, il recherche une amélioration de la condition du travailleur, amélioration qu’il constate lors de son examen, malgré les prétentions contraires de ce dernier.
[73] Ces constatations sont d’ailleurs conformes à celles retrouvées au dossier de façon contemporaine et elles sont liantes en vertu de l’article 224 de la loi. Cette opinion du médecin traitant ne peut être questionnée ou remise en cause, surtout pas à l’aide d’une expertise réalisée pour fins d’audience plus d’un an plus tard.
[74] De plus, l’examen objectif fait par le docteur Taillefer est assez semblable à celui effectué par le docteur Dahan, ce qui démontre que ce dernier a bel et bien procédé à un examen complet et valable.
[75] En outre, la représentante de l’employeur rappelle que l’atteinte permanente retenue en l’espèce n’est pas majeure et elle ne justifie certainement pas, à elle seule, une déclaration d’incapacité dans la présente instance.
[76] La décision rendue par la révision administrative quant à la capacité de travail du travailleur est donc bien fondée et elle doit être maintenue par la Commission des lésions professionnelles.
[77] Quant à la récidive, rechute ou aggravation du 15 juillet 2004, la représentante de l’employeur remarque que le travailleur n’allègue que des douleurs. Aucune détérioration objective n’est constatée par le docteur Can. Le docteur Latendresse ne peut également justifier une telle récidive, rechute ou aggravation puisqu’il consolide la lésion le jour même de son examen, ne suggère aucun traitement et se désintéresse complètement du sort de ce dossier. Il est donc difficile d’appuyer une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation sur un tel document.
[78] La représentante de l’employeur demande donc à la Commission des lésions professionnelles de rejeter la requête déposée par le travailleur.
L’AVIS DES MEMBRES
[79] Le membre issu des associations syndicales est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête déposée par le travailleur, d’infirmer la décision rendue par la révision administrative et de déclarer que le rapport d’évaluation médicale émis par le docteur Dahan le 9 juin 2004 ne lie pas la CSST aux fins de se prononcer sur la capacité de travail du travailleur et que, dès lors, il faut lui retourner le dossier afin qu’elle statue valablement sur cette capacité.
[80] De plus, le membre issu des associations syndicales est d’avis que le travailleur est victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 15 juillet 2004.
[81] En effet, le membre issu des associations syndicales estime que le rapport du docteur Dahan comporte plusieurs imprécisions. Il est basé sur des impressions et non sur des constatations objectives. Il ne peut donc servir de base à l’évaluation de la capacité de travail du travailleur. Le dossier doit donc être retourné à la CSST afin de lui permettre d’obtenir un rapport d’évaluation valable et de se prononcer de nouveau, en toute connaissance de cause, sur la capacité de travail du travailleur.
[82] En outre, le 15 juillet 2004, le travailleur reprend un travail qui ne lui convient pas et il ressent alors un accroissement de ses douleurs au membre supérieur droit. Il a donc été victime d’une récidive, rechute ou aggravation à cette date.
[83] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête présentée par le travailleur, de confirmer la décision rendue par la révision administrative et de déclarer que celui-ci est en mesure de reprendre son travail d’apprenti électricien le 15 juillet 2004 et qu’il n’a pas été victime d’une récidive, rechute ou aggravation à cette dernière date.
[84] En effet, le membre issu des associations d’employeurs estime que le docteur Dahan est le médecin traitant du travailleur et que son rapport d’évaluation médicale est suffisamment complet et précis pour acquérir un caractère liant selon l’article 224 de la loi. Le docteur Dahan ne retenant pas de limitations fonctionnelles, le travailleur est en mesure de reprendre son emploi pré lésionnel.
[85] Par ailleurs, le membre issu des associations d’employeurs considère que rien ne permet d’accepter une récidive, rechute ou aggravation le 15 juillet 2004 puisque, à cette date, aucune preuve d’aggravation n’est démontrée. Le travailleur ne fait qu’alléguer des douleurs déjà présentes à la reprise de ses activités sans accroissement de celles-ci. Une récidive, rechute ou aggravation ne peut donc être reconnue.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[86] La Commission des lésions professionnelles est saisie d’un litige à plusieurs volets qui peuvent être résumés ainsi :
-le docteur Dahan est-il le médecin qui a charge du travailleur ?
-son rapport d’évaluation médicale basé sur un examen effectué le 9 juin 2004 lie-t-il la CSST et la Commission des lésions professionnelles afin de rendre une décision au sujet de la capacité de travail du travailleur ?
-dans l’éventualité où ce rapport a un caractère liant, le travailleur est-il en mesure de reprendre son emploi pré lésionnel le 15 juillet 2004 ?
-dans l’éventualité où ce rapport a un caractère liant, le travailleur a-t-il été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 15 juillet 2004 ?
Le docteur Dahan est-il le médecin qui a charge du travailleur ?
[87] Selon la jurisprudence développée par le tribunal, le médecin qui a charge du travailleur est celui qui est choisi par ce dernier (par opposition à celui qui lui serait imposé ou qui n'agirait qu'à titre d'expert sans suivre son évolution médicale), celui qui l’examine, qui établit un plan de traitements et qui assure le suivi médical en vue de la consolidation de sa lésion[3]. De plus, le médecin vers qui le travailleur est dirigé devient le médecin qui a charge de celui-ci aux fins de l’application de la présente loi[4].
[88] Dans ce dossier, le médecin qui a charge du travailleur est d’abord le docteur Dionisopoulos. En effet, ce dernier l’examine, procède à une intervention chirurgicale, établit le plan de traitements initial et assure le suivi médical.
[89] Toutefois, en mars 2004, le docteur Dionisopoulos transfère le dossier du travailleur au docteur Dahan et, par son rapport final, il se retire complètement du suivi médical de ce dernier. Contrairement à ce qui est habituellement observé, le docteur Dionisopoulos ne conserve pas d’emprise sur le dossier du travailleur et il ne dirige pas ce dernier vers le docteur Dahan à des fins d’expertise. En fait, il demande au docteur Dahan de prendre le relais et de s’occuper dorénavant de l’évolution de la condition du travailleur.
[90] De son côté, le docteur Dahan examine le travailleur, reprend l’investigation, détermine un nouveau plan de traitements et il assure le suivi médical de ce dernier en vue de la consolidation de sa lésion. Le docteur Dahan devient donc le seul médecin qui a charge du travailleur à compter du 3 mars 2004.
[91] Le rapport final émis par le docteur Dionisopoulos le 9 mars 2004 ne peut donc être considéré afin de statuer sur la capacité de travail du travailleur puisque, le 15 juillet 2004, il n’est plus le médecin traitant du travailleur.
[92] Le docteur Dahan est donc le médecin qui a charge du travailleur à compter du 3 mars 2004.
Le rapport d’évaluation médicale du docteur Dahan est-il liant ?
[93] L’article 224 de la loi édicte que, aux fins de rendre une décision en vertu de la loi, la CSST (et, par extension, la Commission des lésions professionnelles) est liée par les conclusions d’ordre médical établies par le médecin qui a charge.
[94] L’article 203 de la loi énonce que le médecin qui a charge du travailleur expédie à la CSST, dès que la lésion professionnelle du travailleur est consolidée, un rapport final sur un formulaire prescrit à cette fin et sur lequel il indique la date de consolidation retenue et, le cas échéant, le pourcentage d’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles résultant de cette lésion. Cet article précise également que le médecin qui a charge du travailleur l’informe sans délai du contenu de son rapport.
[95] En l’espèce, le docteur Dahan produit un rapport final le 9 juin 2004 sur lequel il inscrit un diagnostic de lacération du tendon extenseur du troisième doigt qu’il consolide le 10 juin 2004, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[96] Selon les notes évolutives, ce rapport est remis à la CSST. De plus, le travailleur en connaît le contenu puisqu’il en discute avec le conseiller en réadaptation le 8 juillet 2004. Le travailleur est donc informé du contenu de ce rapport à cette époque.
[97] Le docteur Dahan produit aussi un rapport d’évaluation médicale qui, selon les notes retrouvées sur celui-ci, est transcrit le 18 juin 2004 et reçu par la CSST le 28 juin ou le 5 juillet 2004. Ce document n’est donc pas rédigé lors de la visite médicale du 9 juin 2004 et il ne peut, dès lors, être remis au travailleur à cette date. Par contre, ce dernier est avisé dès le 13 juillet 2004 du contenu de ce rapport. Ce court délai n’est pas déraisonnable et ne peut, à lui seul, invalider le rapport d’évaluation médicale effectué par le docteur Dahan.
[98] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles est perplexe face aux conséquences pouvant découler de l’omission par le médecin qui a charge d’informer le travailleur du contenu de son rapport. Certaines des décisions déposées par la représentante du travailleur laissent entendre que le fait de ne pas informer le travailleur de ce contenu interfère avec le droit de celui-ci de choisir son médecin traitant selon l’article 192 de la loi.
[99] Avec respect, la Commission des lésions professionnelles ne peut voir en quoi l’omission du travailleur d’être informé du contenu du rapport émis par son médecin traitant contrevient à l’article 192 de la loi ou est incompatible avec l’application de ce dernier.
[100] En effet, cet article précise que le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix. Cet article permet certes à un travailleur insatisfait du suivi médical dont il fait l’objet de changer de médecin en cours de traitements. C’est pourquoi il est essentiel que ce dernier sache quel est le diagnostic retenu par son médecin et quels sont les traitements qu’il planifie afin de réagir et de rechercher un autre médecin, le cas échéant.
[101] Toutefois, cet article ne permet pas au travailleur de contester le rapport final ou le rapport d’évaluation médicale final de son médecin traitant et encore moins de décider que son médecin traitant perd cette qualité parce qu’il est en désaccord avec ses conclusions. En conséquence, le fait d’être ou non avisé des conclusions finales du médecin qui a charge n’a aucune incidence sur le choix du médecin traitant et, dans cette optique, permettre, en fin de parcours, à un travailleur de changer de médecin qui a charge en raison d’une divergence de vue sur les conséquences de sa lésion professionnelle constituerait « un mode de contestation non prévu par la loi qui, s’il était accepté, conduirait à une surenchère inacceptable »[5].
[102] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que le simple fait d’avoir légèrement tardé avant d’informer le travailleur du contenu du rapport d’évaluation médicale du docteur Dahan ne peut avoir pour conséquence d’écarter ce rapport ou de faire perdre à ce médecin sa qualité de médecin traitant.
[103] La représentante du travailleur soutient toutefois que, outre cette question d’information, la contradiction entre le rapport final et le rapport d’évaluation médicale et la piètre qualité de ce rapport d’évaluation devraient inciter la Commission des lésions professionnelles à en nier le caractère liant. Elle tire cet argument de la jurisprudence déposée dans le cadre de son argumentation.
[104] Or, après avoir analysé avec grande attention les décisions invoquées par la représentante du travailleur, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’elles ne s’appliquent pas aux faits retrouvés dans la présente instance.
[105] En effet, dans l’affaire Bouchard, le médecin traitant détermine d’abord que le travailleur est porteur d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles et il se propose de les évaluer lors d’une visite médicale subséquente. Entre temps, ce médecin voit le travailleur sur une plage et, en raison des constatations visuelles faites alors, il en vient à la conclusion, sans avoir réexaminé ce dernier, qu’il ne présente plus d’atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles. La Commission des lésions professionnelles est alors d’avis que le médecin traitant ne pouvait en venir à une telle conclusion sans examiner le travailleur et que, de plus, il n’avait plus la sérénité nécessaire pour procéder à une telle détermination. Ce cas n’a donc rien à voir avec la présente affaire où le docteur Dahan procède à l’examen médical du travailleur et se prononce en toute connaissance de cause.
[106] Dans les affaires Lapointe, Kunar Das, Mc Quinn et Brière, il s’agit de médecins traitants qui émettent des rapports finals où ils indiquent que les travailleurs présentent une atteinte permanente et des limitations fonctionnelle, qui réfèrent ceux-ci à d’autres médecins aux fins de leur évaluation médicale et où ces médecins examinateurs modifient les conclusions des médecins qui ont charge. Il s’agit également de médecins traitants qui, consultés par la CSST, déterminent, sans examen médical supplémentaire et contrairement à leurs prétentions antérieures, qu’il ne subsiste plus d’atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles. Une fois de plus, la Commission des lésions professionnelles estime que la présente affaire se distingue de celles-ci puisque le docteur Dahan procède à l’examen du travailleur avant de statuer sur les conséquences médicales de sa lésion professionnelle.
[107] Enfin, dans l’affaire Aguldo-Valencia, le médecin traitant propose des limitations fonctionnelles dans l’éventualité où une chirurgie de l’épaule est réalisée. Cette intervention chirurgicale n’est pas effectuée et le médecin traitant ne voit plus la travailleuse par la suite. Neuf mois plus tard, la CSST communique avec ce médecin afin d’obtenir une description des limitations fonctionnelles. Ce dernier en suggère tout en précisant qu’il vaudrait mieux procéder à une évaluation formelle des capacités de celle-ci. La Commission des lésions professionnelles casse cette évaluation puisqu’elle n’est pas basée sur un nouvel examen physique. Il n’y a donc rien de compatible avec la présente affaire.
[108] En fait, en l’espèce, le docteur Dahan est le médecin traitant du travailleur. Il prescrit une investigation médicale supplémentaire qui ne lui permet pas de mettre en évidence de pathologie oubliée par le médecin précédent. Il prévoit également des traitements afin d’améliorer l’état de la main droite du travailleur et c’est après toutes ces démarches qu’il examine ce dernier et qu’il conclut à l’absence de limitations fonctionnelles.
[109] Il faut, à cet égard, donner priorité au rapport d’évaluation médicale plutôt qu’au rapport final où une simple case est cochée, sans plus de justification.
[110] Dans son rapport d’évaluation médicale, le docteur Dahan explique pourquoi il ne retient pas de limitations fonctionnelles. Il fixe cependant une atteinte permanente tenant compte de la légère perte d’amplitude des mouvements affectant le majeur droit et du préjudice esthétique. C’est donc dire que, contrairement à ce qu’en dit le travailleur à l’audience, le docteur Dahan l’a sûrement examiné puisqu’il a pu évaluer l’ankylose ainsi que l’atteinte cicatricielle.
[111] De plus, les constatations du docteur Dahan ne sont pas tellement différentes de celles rapportées par les docteurs Mailhot ou Taillefer.
[112] Ainsi, le site de la lésion est le tendon extenseur du majeur droit et le diagnostic final est celui de lacération à ce niveau. C’est donc en regard de ce diagnostic que doit être évalué l’état de la main droite du travailleur et non en regard du diagnostic présumé de dystrophie de Sudeck, soupçonné par le docteur Mailhot mais jamais confirmé par des tests spécifiques ou des observations cliniques contemporaines et jamais repris par les médecins traitants du travailleur, à savoir les docteurs Dionisopoulos ou Dahan. Or, tous ces médecins rapportent une légère ankylose au majeur droit. Par ailleurs, l’atrophie musculaire notée par le docteur Taillefer en 2005 est inexistante lors de l’examen effectué par le docteur Mailhot en 2004. Il n’y a donc pas lieu de considérer une quelconque incapacité sur la base d’une telle atrophie ou encore de reprocher au docteur Dahan de ne pas l’avoir mentionnée dans son rapport. Quant à la perte de la force ou de la préhension de la main droite, la Commission des lésions professionnelles constate que, en décembre 2003, ces éléments sont mineurs et ont donc pu être corrigés par les traitements ultérieurs de telle sorte que le docteur Dahan ne les ait pas observés en juin 2004. La Commission des lésions professionnelles note d’ailleurs que le docteur Mailhot ne relève pas de telles problématiques lors de son examen de mars 2004.
[113] La Commission des lésions professionnelles rappelle que la loi consacre la primauté de l’opinion du médecin qui a charge sur celles pouvant être émises par d’autres intervenants et, afin de cristalliser cette primauté, elle prévoit des mécanismes de contestation complexes. Cette primauté favorise habituellement les travailleurs et c’est pourquoi il faut se garder d’y faire des accrocs qui ne pourraient, à la longue, que nuire au but recherché par le législateur.
[114] La loi prévoit donc que c’est le rapport du médecin qui a charge qui lie la Commission des lésions professionnelles aux fins de rendre la présente décision, et non ceux rédigés par les autres médecins examinateurs ou par les thérapeutes. Or, le rapport du docteur Dahan est suffisamment complet pour être compris et appliqué et, dès lors, la Commission des lésions professionnelles estime qu’elle est liée par celui-ci.
Le travailleur peut-il reprendre son emploi pré lésionnel le 15 juillet 2004 ?
[115] La capacité de travail du travailleur est tributaire de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle.
[116] Dans ce dossier, l’atteinte permanente retenue est minime. Elle ne peut donc, à elle seule, justifier une déclaration d’incapacité à exercer l’emploi.
[117] Par ailleurs, le docteur Dahan est convaincu que, en dépit d’une légère perte d’amplitude des mouvements du majeur droit, le travailleur est en mesure d’exercer son emploi. Il ne suggère donc pas de limitations fonctionnelles.
[118] La Commission des lésions professionnelles est liée par cette détermination et, en conséquence, elle estime que le travailleur est en mesure d’exercer son emploi à compter du 15 juillet 2004 et qu’il n’a plus droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à cette date.
Le travailleur a-t-il été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 15 juillet 2004 ?
[119] La lésion initiale que s’inflige le travailleur le 27 juin 2003 est consolidée le 10 juin 2004, avec une atteinte permanente, mais sans limitations fonctionnelles.
[120] Le travailleur reprend son travail le 15 juillet 2004. Cependant, après à peine deux heures de travail, il cesse toute activité et rencontre le docteur Can. Le travailleur prétend alors que sa main a doublé de volume et qu’il ne peut plus tenir ses outils d’où sa réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation.
[121] Pour invoquer avec succès avoir subi une récidive, rechute ou aggravation, le travailleur doit démontrer qu’il souffre d’une reprise évolutive, d’une recrudescence ou d’une réapparition des symptômes notés lors de la lésion professionnelle initiale[6]. Ce libellé présuppose que la condition du travailleur se détériore à la date où celui-ci allègue la survenue d’une telle rechute.
[122] Or, dans ce dossier, les notes médicales colligées le 15 juillet 2004 vont à l’encontre d’une telle prétention.
[123] En effet, le docteur Can ne signale aucun œdème contrairement à ce qu’en dit le travailleur à l’audience. Il signale certes des douleurs mais le travailleur en rapporte tout au long du suivi médical et même au moment de la consolidation de sa lésion.
[124] Le docteur Can propose un diagnostic de contusion alors que le travailleur ne mentionne aucun nouveau traumatisme de nature à expliquer un tel diagnostic. Il ne suggère aucun traitement particulier ce qui, une fois de plus, ne milite pas en faveur d’une détérioration de la condition à cette date. Le rapport du 29 juillet 2004 n’est pas plus éclairant en ce qui concerne la présence d’une récidive, rechute ou aggravation ou en ce qui concerne une détérioration de la condition du travailleur.
[125] De son côté, le docteur Vernec parle de restrictions et de douleurs au poignet et aux doigts du côté droit sans préciser davantage. Il réfère le travailleur au docteur Latendresse qui consolide immédiatement la lésion, qui approuve la chirurgie et les traitements administrés jusqu’alors et qui ne prévoit aucun nouveau traitement visant à atténuer les effets d’une aggravation de la condition du travailleur ou visant à ramener la condition de ce dernier au stade où elle se trouve au moment de la consolidation de sa lésion. Ces éléments ne favorisent donc pas la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation le 15 juillet 2004.
[126] La Commission des lésions professionnelles ne peut donc conclure que le travailleur est victime d’une telle récidive, rechute ou aggravation le 15 juillet 2004 et, en conséquence, elle confirme la décision rendue par la révision administrative.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée par le travailleur, monsieur Rémy Vézina;
CONFIRME la décision rendue par la révision administrative le 27 octobre 2004;
DÉCLARE que le travailleur est en mesure de reprendre son emploi pré lésionnel le 15 juillet 2004;
DÉCLARE que le travailleur n’a plus droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu le 15 juillet 2004;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 15 juillet 2004.
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Carmen Racine, avocate |
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Commissaire |
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Me Lucie Lefebvre |
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TURBIDE LEFEBVRE & ASSOCIÉES |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Linda Lauzon |
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GROUPE AST INC. |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Bouchard et
Nettoyage Docknet inc. et CSST
[2003] C.L.P. 1240
; Lapointe et CLP et Sécuribus inc. et CSST, C.A. Mtl :
500-09-013413-034, le 19 mars 2004, les juges A. Forget, P. Dalphond et P.
Rayle; Kunar Das et Plastiques Balcan
ltée, C.L.P. 228495-72-0402, le 25 octobre
[3] Marceau et Gouttière Rive-Sud Fabrication inc., C.L.P. 91084-62-9709, le 22 octobre 1999, H. Marchand.
[4] Voir
à titre d’exemples : Vachon et J.M. Asbestos inc., C.L.P.06278-05-8801, le 11
décembre
[5] Voir à ce sujet : Fontaine et Lemieux mobilier de bureau inc., C.A.L.P. 28317-62-9104,
le 29 avril
[6] Lapointe et Compagnie minière Québec Cartier [1989] CALP 39.
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