Décision

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Paquet et Caisse Desjardins de Haute-Gaspésie

2008 QCCLP 5824

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

9 octobre 2008

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossier :

341702-01C-0702

 

Dossier CSST :

122934235

 

Commissaire :

Michèle Carignan, juge administratif

 

Membres :

Aubert Tremblay, associations d’employeurs

 

Jacques Picard, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Ninon Paquet

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Caisse Desjardins de Haute-Gaspésie

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 23 février 2007, Mme Ninon Paquet (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue le 11 janvier 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite de la révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale et déclare que la travailleuse est capable d’exercer l’emploi qu’elle occupait habituellement à compter du 15 septembre 2006 et qu’elle n’a plus droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu. La CSST déclare qu’elle n’a pas droit à l’aide personnelle. La CSST déclare également que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des coûts pour l’adaptation de son domicile, ni pour les frais encourus pour l’entretien et la tonte de gazon. La travailleuse a toutefois droit au remboursement des frais encourus pour le déneigement de son domicile.

[3]                À l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles à Sainte-Anne-des-Monts le 15 juillet 2008, la travailleuse était présente et représentée. La Caisse Desjardins de Haute-Gaspésie (l’employeur) était représentée.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle était incapable d’occuper son emploi habituel à compter de septembre 2006 et qu’elle a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Elle demande également à la Commission des lésions professionnelles de lui accorder le remboursement des frais occasionnés pour l’aide personnelle à domicile, l’entretien et la tonte de gazon et les modifications de l’escalier à son domicile.

 

LES FAITS

[5]                Le 16 juin 2002, la travailleuse occupe les fonctions de commis-conseil administratif chez l’employeur lorsqu’elle est victime d’un accident du travail. Elle s’est penchée pour ouvrir un coffre et, en se redressant, elle a ressenti une douleur lombaire. Le diagnostic émis est une hernie discale L5-S1 droite.

[6]                Le 23 juillet 2002, la travailleuse subit une discoïdectomie au niveau L5-S1. En raison de la persistance des douleurs, la travailleuse subit un taco le 11 octobre 2002 qui révèle la présence d’une fibrose post-chirurgicale de la racine L5 droite.

[7]                Le 21 novembre 2002, la travailleuse est opérée par le Dr Turcotte, neurochirurgien, qui fait une neurolyse de la racine L5 droite.

[8]                Le 9 avril 2003, la travailleuse revoit le Dr Turcotte qui maintient le diagnostic de fibrose périneurale L5 droite post-discoïdectomie L5-S1. L’examen physique révèle une radiculopathie L5 à droite. Le Dr Turcotte informe la CSST que la travailleuse pourrait reprendre le travail dans deux mois mais avec un retour progressif.

[9]                Le 27 juin 2003, le Dr Turcotte demande une nouvelle résonance magnétique compte tenu de la persistance de la symptomatologie.

[10]           Après avoir pris connaissance de l’interprétation du protocole d’imagerie médicale qui fait état d’une fibrose péridurale, le Dr Turcotte parle de l’éventualité d’une nouvelle chirurgie.

[11]           En juin 2004, la travailleuse passe une résonance magnétique qui est interprétée comme révélant la progression de la fibrose.

[12]           Le 4 août 2004, le Dr Turcotte prolonge l’arrêt du travail.

[13]           Le 17 novembre 2004, le Dr Turcotte reporte à plus tard le retour au travail, pas avant quatre à six mois.

[14]           Le 20 mai 2005, Mme Béliveau, agente de réadaptation à la CSST, communique avec la travailleuse. Elle prend la relève au dossier en remplacement d’une autre agente. Elle mentionne à la travailleuse qu’elle veut la rencontrer pour discuter d’un retour éventuel au travail et de réadaptation.

[15]           Le 26 mai 2005, Mme Béliveau rencontre la travailleuse. La travailleuse lui relate qu’elle a travaillé pendant 17 ans pour la caisse populaire à Tourelle à titre de commis-conseil. Depuis son arrêt de travail, il y a eu fusion de caisses populaires dans la région. Concernant l’emploi de commis-conseil, la travailleuse l’informe qu’elle occupait cet emploi à raison de 35 heures par semaine, sept heures par jour. Elle décrit son emploi comme suit :

« Elle passait la majeure partie de son temps en position assise, mais avec des déplacements à faire pour chercher des dossiers, aller au photocopieur etc… Elle avait du travail de recherche à faire à l’écran d’ordinateur, de la saisie de données, mais ne passe pas sa journée complète à l’ordinateur. Elle avait réussi un rôle de rencontrer la clientèle et les conseiller. Donc le loisir d’alterner ses positions de travail. La T s’inquiète de sa capacité à chercher ou classer des dossiers dans les tiroirs inférieurs des classeurs. Dit qu’elle ne sera plus en mesure de se pencher. Dit qu’aussi elle peut prendre une dizaine de dossiers d’épaisseur variable dans les bras. Y aurait-il moyen de se servir d’un chariot roulant? Elle dit qu’elle ne sera plus capable de travailler à plein temps. Sur ce, je lui explique le mandat de son Md, i.e. de nous faire savoir quelles sont ses L.F., et nous avons à voir si cela est incompatible ou non avec ses tâches et voyons à trouver des solutions d’adaptation si nécessaire. Oui, il est clair que si elle avait à retourner travailler demain, elle ne le ferait pas à plein temps, mais évidemment l’objectif est qu’elle retourne dans son milieu à plein temps, au plus près des tâches qu’elle faisait avant. Je lui fais part de son DRAT échu, et de ce que cela implique, mais dans son cas, elle semble avoir un employeur très aidant. Elle dit qu’il doit même y avoir une personne de Québec qui doit descendre pour l’assister lors de son retour progressif au travail. Je lui dis qu’il est clair qu’on ne reprend pas le travail facilement après ce qu’elle a vécu et aussi depuis 3 ans, hors circuit. Il y aura beaucoup d’adaptation à tous les niveaux, et il est fort à parier que cela ne sera pas vraiment facile, mais elle devra briser la glace et sortir du cercle vicieux dans lequel elle est depuis un bout; de douleur, inactivité, anxiété. Je lui dis que nous sommes là, pour l’aider dans ce RAT; que des rencontres avec son employeur, une visite de son poste de travail, etc… peuvent être nécessaire. Que tous avons avantage que son retour au travail se fasse dans les meilleures conditions possibles. Et qu’elle doit aussi accepter l’aide dont elle peut avoir besoin, même si la T dit qu’elle connaît très bien ses limites et capacités. La T dit qu’elle aimait beaucoup son travail et a hâte de retrouver son milieu de travail. »   [sic]

 

 

[16]           Mme Béliveau établit un plan d’action et mentionne :

« Nous verrons aussi à assurer le support nécessaire pour organiser le retour lorsqu’il sera autorisé et voir s’il y a lieu de référer en psychologie et/ou en développement des capacités fonctionnelles selon les besoins manifestées par la T. »

 

 

[17]           Le 27 avril 2005, le Dr Turcotte suggère un retour progressif au travail.

[18]           Le 22 juin 2005, le Dr Turcotte note une augmentation des symptômes. Il demande une nouvelle résonance magnétique lombaire qui est réalisée le 5 juillet 2005. L’interprétation fait état de la présence de la fibrose.

[19]           Le 25 septembre 2005, le Dr Turcotte maintient l’arrêt de travail parce que la travailleuse présente encore beaucoup de douleurs.

[20]           Le 7 novembre 2005, la travailleuse est expertisée par le Dr Jacques Francoeur, neurochirurgien, à la demande de la CSST. Il doit se prononcer sur le diagnostic, la date de consolidation, l’existence d’une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Lors de l’examen, la travailleuse rapporte au Dr Francoeur qu’elle ressent toujours un élancement au niveau du membre inférieur droit. Lorsqu’elle est assise pendant 15 à 20 minutes, elle ressent une barre au niveau de la région lombaire et une douleur au niveau du pied droit.

[21]           La travailleuse mentionne au médecin qu’elle prend du Neurontin depuis quelques semaines et qu’elle ressent une légère amélioration de sa symptomatologie. Dans sa conclusion, le Dr Francoeur note qu’il s’agit d’un cas difficile pour lequel il suggère la poursuite d’un traitement conservateur. Il indique qu’il ne peut pas fixer la date de consolidation parce que la travailleuse a encore besoin de soins et qu’il y a une possibilité que son état s’améliore.

[22]           Concernant les soins ou traitements, le Dr Francoeur mentionne qu’il faudra « envisager de diriger madame vers un programme de réintégration fonctionnelle ». Il indique que la travailleuse n’est pas en état de retourner travailler.

[23]           Le 27 février 2006, le Dr Turcotte complète un rapport final. Le diagnostic émis est une fibrose périneurale L5 droite. Il précise que la travailleuse présente un état chronique stable et qu’elle conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Il indique qu’il ne fera pas l’évaluation des séquelles permanentes.

[24]           Le 27 février 2006, l’agente de réadaptation communique avec la travailleuse. Elle lui dit que le Dr Turcotte ne fera pas l’évaluation de ses séquelles permanentes. L’agente lui explique que le rapport d’évaluation doit être fait par le médecin de son choix. Elle invite donc la travailleuse à communiquer avec le Dr Turcotte pour qu’il la dirige vers un médecin évaluateur. Elle demande à la travailleuse de lui fournir une confirmation rapidement. Elle l’informe que si elle ne fournit pas le nom d’un médecin, que la CSST en désignera un pour faire son évaluation. La travailleuse n’a pas répondu à cette demande.

[25]           Le 24 avril 2006, la travailleuse est expertisée par le Dr Claude Rouleau, orthopédiste, à la demande de la CSST en vertu de l’article 204 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). La travailleuse lui décrit sa condition comme suit :

« Elle décrit la persistance des douleurs à la région lombaire droite qui s’irradient vers la fesse droite, la cuisse postérieure, le creux poplité, le mollet et les premier et deuxième orteils. Elle décrit une dysesthésie ressentie sous forme de fourmillements et de picotements touchant le pied droit et la cheville droite, surtout à la face dorsale du pied et au premier et deuxième orteils à leur portion dorsale et plantaire. La semelle est préservée. La jambe gauche est parfaitement normale.

 

Elle se réveille à cinq ou six reprises pendant la nuit. Elle peut parfois changer de posture et se rendormir, mais parfois elle doit se lever et faire quelques pas avant de se recoucher. Sa condition est légèrement meilleure au lever le matin. Toutefois, environ une heure après, elle ressent déjà une détérioration et une fatigue simplement en faisant l’effort de s’essuyer après la douche.

 

Environ trois fois par semaine, elle fait une petite marche en avant-midi qui dure entre 30 et 40 minutes. Elle est très peu active en après-midi à cause d’une diminution de sa résistance et d’une augmentation de sa fatigue et de ses douleurs. Elle a noté une influence barométrique par température humide. Les efforts de toux, d’éternuement et de défécation provoquent une réponse à la fesse droite.

 

Sa tolérance à la conduite automobile est d’environ 1 heure à la fois. Elle note que lorsqu’elle doit effectuer un virage serré, il y a augmentation des douleurs lombaires. L’appui sur l’accélérateur avec la jambe droite pendant une période prolongée augmente également les douleurs.

 

Sur le plan sportif, avant 2002, elle aimait faire du vélo, du ski alpin et du patin à glace. Elle avait déjà cessé la motoneige depuis longtemps. Actuellement, elle est accessible à de petites marches en avant-midi, ce qu’elle fait trois fois par semaine.

 

À la maison où elle vit avec son conjoint, elle peut s’occuper de son hygiène personnelle, du lavage et séchage du linge, de la préparation des repas et du lavage de la vaisselle. Il est fréquent que son conjoint prépare le repas du soir lorsqu’elle se sent trop fatiguée. Elle évite l’usage de la balayeuse, le lavage des planchers et des fenêtres et la manipulation de tout objet lourd. Elle évite également la réfection du lit.

 

Elle se couche pendant 1 heure à 1 ¼ heure en avant-midi et en après-midi. Elle mentionne une perte d’énergie à partir de 15 heures à 16 heures, alors qu’elle dit se sentir "vidée". Elle se couche vers 20 h 30 en soirée, soit sur le dos ou sur le côté gauche.

 

Depuis un an, elle a noté une légère détérioration de sa capacité de marche et une augmentation des douleurs lorsqu’elle fait des efforts physiques. À la marche, elle a noté le claquage de sa semelle droite.

 

Elle tolère la position assise pendant environ 30 minutes, mais elle doit souvent changer de posture. Elle peut rester debout pendant 30 minutes. Lorsqu’elle fait ses marches de 30 à 40 minutes, elle a noté qu’il lui arrive à l’occasion de perdre un peu d’urine.

 

[…] »

 

 

[26]           Le Dr Rouleau émet les limitations fonctionnelles suivantes :

« 1.      LIMITATIONS FONCTIONNELLES

 

·         Tenant compte de la double chirurgie au niveau de la racine L5 droite;

·         Tenant compte de la fibrose péridurale chronique résiduelle;

·         Tenant compte de l’ankylose de la mobilité lombaire;

·         Tenant compte des séquelles neurologiques sensitives et motrices;

 

Les limitations fonctionnelles suivantes sont recommandées :

 

·         Éviter la posture en flexion antérieure du tronc (elle doit plutôt fléchir les hanches et les genoux).

·         Éviter tout effort pour soulever des objets lourds en flexion antérieure du tronc.

·         Éviter les mouvements répétitifs et prolongés de flexion-extension ou de flexion-rotation à la colonne lombo-sacrée.

·         Éviter toute manipulation dont le poids dépasse 20 livres.

·         Éviter les postures debout ou assise prolongées pour des périodes dépassant 30 minutes à la fois et prévoir la possibilité de changer de posture au besoin.

·         Éviter la circulation dans les échelles et les escabeaux et limiter au minimum les déplacements dans les escaliers.

·         Éviter les chocs répétitifs provoqués à la colonne lombaire par un véhicule à suspension rigide comme la motoneige, le VTT ou le Zodiac. »

 

 

[27]           Sur le plan des séquelles, le Dr Rouleau retient que la travailleuse a une atteinte neurologique motrice et sensitive de la racine S5 droite et des séquelles d’ankylose.

[28]           Le Dr Rouleau fixe à 22.2 % le déficit anatomo-physiologique

[29]           Le rapport a été transmis au Dr Turcotte mais celui-ci n’a pas fait de commentaires.

[30]           Le 13 juin 2006, le Dr Sarto Arsenault agit en qualité de membre du BEM et examine la travailleuse. La travailleuse lui rapporte comme suit sa condition médicale :

« Globalement, elle se dit améliorée d’environ 50 %. L’amélioration a été très progressive et surtout après la deuxième chirurgie.

 

Actuellement, elle est toujours en arrêt de travail en attendant que son dossier soit terminé. Elle a toujours son emploi de secrétaire aux Caisses populaires Desjardins qui l’attend.

 

Son problème est une douleur lombaire constante avec irradiation dans toute la jambe droite jusqu’au pied droit. Parfois, elle a plus de douleur dans le pied qu’en lombaire.

 

Les douleurs varient selon le degré d’humidité, selon les activités qu’elle fait et elles sont pires lorsqu’elle fait la flexion antérieure.

 

Elle se dit fatigable facilement et manque de résistance globale.

 

Elle peut marcher de 20 à 25 minutes, parfois plus et c’est la fatigue générale qui l’arrête et non pas ses douleurs comme telles.

 

Elle peut faire une heure de voiture sans s’arrêter, elle peut rester debout de 20 à 25 minutes et elle peut rester assise environ 30 minutes. Elle doit constamment changer de position.

 

Elle mentionne qu’elle manque de concentration.

 

Lorsqu’elle marche, elle se dit agacer par sa chaussure au niveau du pied droit.

 

Comme médication actuellement, elle prend Empracet 30 mg en moyenne 2 fois par jour et du Tylenol, 5 à 6 comprimés par jour.

 

Elle fit dans une maison avec son conjoint et elle participe aux activités domestiques c'est-à-dire qu’elle peut faire l’épicerie, la vaisselle, faire la cuisine mais ne fait pas de balayeuse ni de grand ménage.

 

Lorsqu’elle fait l’épicerie, elle se limite à soulever des charges qui ne dépassent pas une vingtaine de livres.

 

La nuit, elle doit se lever en moyenne 2 à 3 fois parce qu’elle a l’impression que son pied est coincé et il fait très mal.

 

Elle marche tous les jours lorsque la température le permet, pendant environ ½ heure. »

 

 

[31]           Concernant l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, le Dr Arsenault se dit en tout point d’accord avec l’évaluation faite par le Dr Rouleau. Il émet les limitations fonctionnelles qu’il qualifie de restrictions sévères de classe III qui sont :

« -        Éviter de travailler en position penchée,

-           Éviter de soulever des charges de plus de 20 livres,

-           Éviter les mouvements répétitifs de flexion, extension et de rotation de la colonne lombaire,

-           Éviter les positions assises ou debout fixes plus de 30 minutes à la fois,

-           Éviter les chocs répétitifs au niveau de la colonne lombaire. »

 

 

[32]           Le 13 juillet 2006, la CSST rend une décision faisant suite à l’avis émis par le membre du BEM sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.

[33]           Le 19 juillet 2006, l’agente de réadaptation a un entretien téléphonique avec M. Cloutier, représentant de la caisse populaire. Elle lui explique les démarches qu’elle doit faire en vue d’analyser la capacité de travail de la travailleuse en fonction de ses limitations fonctionnelles. M. Cloutier informe l’agente que la travailleuse occupait un poste de commis-conseil à Tourelle, poste qui était principalement en position assise. Depuis l’événement d’origine, la travailleuse a été transférée à Sainte-Anne-des-Monts et elle s’est fait supplanter de son poste par une autre. Celle-ci avait le droit de supplanter quelqu’un d’autre mais, compte tenu de son état, elle a choisi un poste de caissière. La travailleuse conserve les mêmes avantages.

[34]           Le 19 juillet 2006, la travailleuse est informée qu’elle a une rencontre avec l’agente et l’employeur pour analyser sa capacité de travail. Le jour prévu pour la rencontre, le 24 juillet 2006, la travailleuse informe son agente qu’elle fait une dépression et qu’elle se rend à Québec pour consulter un médecin. Elle l’informe également qu’elle vient de se séparer et qu’elle a déménagé.

[35]           Le 7 août 2006, l’agente communique à nouveau avec la travailleuse pour fixer un rendez-vous. La travailleuse lui rapporte avoir rencontré le Dr Jacques Owen, naturothérapeute. La travailleuse lui mentionne présenter de gros maux de tête et avoir des problèmes avec ses yeux et ses jambes. Elle vit beaucoup de stress. Elle va recevoir des traitements à l’extérieur et sera de retour le 15 août 2006. L’agente informe la travailleuse qu’elle va la rencontrer le 22 août 2006. La travailleuse lui répond qu’elle se rendra au rendez-vous si elle va mieux.

[36]           Le 16 août 2006, le représentant de la travailleuse a un entretien téléphonique avec l’agente. Celle-ci lui dit qu’elle a l’impression que la travailleuse a toujours une excuse pour ne pas se présenter à la rencontre. Elle comprend que la travailleuse ressent de l’insécurité mais qu’il est temps de la rencontrer pour aller de l’avant et organiser un retour au travail.

[37]           Le 17 août 2006, le représentant de la travailleuse informe l’agente que la travailleuse a des problèmes personnels et qu’elle ne va pas bien. Il demande de reporter la rencontre au 28 août 2006. Un conseiller syndical doit accompagner la travailleuse à cette date. Le rendez-vous est donc fixé au 30 août 2006.

[38]           Le 30 août 2006, la travailleuse informe l’agente qu’elle ne se présentera pas au rendez-vous. L’agente téléphone à la travailleuse et lui dit qu’il y aura une visite chez l’employeur le 8 septembre 2006 et que, si elle ne se présentait pas, que la visite se ferait quand même en présence de l’employeur seulement.

[39]           Le 8 septembre 2006, l’agente rencontre le représentant de l’employeur, M. Denis Therrien. L’agente va voir le poste prélésionnel et celui de caissière. M. Therrien indique les tâches du commis-conseil administratif qui est aussi appelé « agent de services financiers ». Il précise qu’il s’agit d’un poste de type clérical et de communication. Le commis peut rencontrer des clients à l’occasion mais pas très souvent puisque cela est le rôle du conseiller financier. Il peut rencontrer un client par jour et la visite peut durer de cinq à dix minutes.

[40]           Comme outils de travail, le commis-conseil se sert du téléphone, de l’ordinateur, de la visionneuse et du dactylo.

[41]           L’agente lui énumère les limitations fonctionnelles de la travailleuse. Selon M. Therrien, il ne voit pas de difficultés en fonction du poste prélésionnel. Il mentionne que le commis-conseil peut gérer son temps comme il veut et qu’il n’est pas attaché à sa chaise. Il en est de même pour le poste de caissière puisqu’il n’y a pas toujours foule au guichet. Ce sont les fins de mois qui sont les plus achalandés mais souvent la caissière a du temps de répit. Il y a quatre postes de caissières, trois debout et un assis. Au poste debout, les caissières peuvent décider de s’asseoir ou non. Elles ont une chaise à leur disposition. Il mentionne que la majorité des clients se rendent au poste debout. Certains clients peuvent préférer le poste assis.

[42]           Au poste de caissière, M. Therrien mentionne que l’article le plus lourd à soulever est la caisse. Elle se fait une fois le matin et une fois en fin de journée. La caisse pèse environ une dizaine de livres.

[43]           L’agente de réadaptation, Mme Béliveau, conclut que la travailleuse est capable d’occuper l’emploi prélésionnel d’agente de services financiers selon les informations recueillies auprès de la travailleuse, de l’employeur et de sa visite des lieux du travail. Son analyse est rédigée comme suit dans les notes évolutives :

« ASPECT PROFESSIONNEL :

ANALYSE DE LA CAPACITÉ DE TRAVAIL

 

En regardant chacun des L.F. émises au BEM;

 

- "ÉVITER DE TRAVAILLER EN POSITION PENCHÉE"

Dans son emploi pré-lésionnel, la T n’a pas à travailler en position penchée, même si il peut arriver qu’elle doive prendre un dossier dans un tiroir inférieur d’un classeur, rien ne l’empêche d’utiliser la position demi à genoux. Et de prendre la position pour une activité ponctuelle ne veut pas signifier pour autant qu’elle travaille dans cette position. À la maison, chez elle, elle a sûrement à l’occasion, besoin de prendre des choses dans ses tiroirs inférieurs et/ou armoires, garde-robe etc…

 

- "ÉVITER DE SOULEVER DES CHARGES DE PLUS DE 20 LIVRES"

Cette limitation ne cause pas de problème puisque les choses à soulever sont de l’ordre de dossiers, cartables et représente au plus une dizaine de livres.

Et même si la T trouvait cela trop lourd pour elle, rien ne l’empêche de prendre moins de dossiers à la fois et s’organiser de sorte que cela ne lui cause pas de problème.

 

- "ÉVITER LES MOUVEMENTS RÉPÉTITIFS DE FLEXION, EXTENSION ET DE ROTATION DE LA COLONNE LOMBAIRE"

Ce n’est pas le genre de travail qui nécessite de faire des mouvements répétitifs de la colonne lombaire peu importe la nature de ces mouvements.

 

- "ÉVITER LES POSITIONS ASSISES OU DEBOUT FIXES PLUS DE 30 MINUTES À LA FOIS"

Oui, il est vrai que la majeure partie de son travail peut se faire en position assise, toutefois, comme son E nous le précise, elle n’est pas attachée à sa chaise; la T nous faisait mention elle-même (note 26 mai 2005) qu’elle avait des déplacements à faire, chercher un dossier, photocopie, faire de la saisie de données mais sans passer une journée face à l’ordinateur. Elle fait aussi de la consultation de microfiches sur un genre de télé à un autre poste de travail. Donc le loisir d’alterner ses positions de travail. En plus ici, on parle de position fixe, rien ne l’empêche de se lever de sa chaise à l’occasion. Cela ne représente donc pas un obstacle à l’exercice de son travail.

 

- "ÉVITER LES CHOCS RÉPÉTITIFS AU NIVEAU DE LA COLONNE LOMBAIRE"

Dans le genre d’emploi qu’occupe la T, il n’y a pas de situation ou elle serait exposé à des chocs à la colonne lombaire, que ce soit de façon répétitive ou non. »   [sic]

 

 

[44]           Le 15 septembre 2006, la CSST rend une décision déclarant la travailleuse capable de reprendre son emploi habituel à compter de cette date.

[45]           La CSST cesse de verser des indemnités de remplacement du revenu à la travailleuse. Elle n’a jamais repris son travail. Des indemnités d’assurances salaires sont toujours versées à la travailleuse.

[46]           Le 2 octobre 2006, la travailleuse consulte le Dr Édouard Beltrami, psychiatre, à la demande de son médecin traitant, le Dr Michel-Xavier Simard. La travailleuse rapporte au Dr Beltrami que ses symptômes dépressifs sont apparus quand l’agente de la CSST a voulu discuter avec elle d’un retour éventuel au travail. Le médecin a diagnostiqué un trouble d’adaptation et somatisation. Le psychiatre mentionne que la travailleuse présente une inquiétude quand on lui demande de travailler. Il écrit :

« Il est à noter qu’il faut distinguer une incapacité de travailler avec une peur de travailler qu’une véritable incapacité. Dans le cas de madame, il y a plutôt une peur de travailler et une augmentation de symptômes de conversion au moment où on le lui demande. »

 

 

[47]           La travailleuse a soumis une réclamation à la CSST pour faire reconnaître que sa dépression est reliée à sa lésion professionnelle, ce qui a été refusée.

[48]           À l’automne 2006, la travailleuse demande à la CSST de lui fournir une allocation pour aide personnelle et des travaux d’entretien. Lors d’un entretien téléphonique avec l’agente, la travailleuse l’informe qu’elle a déménagé en juin et qu’elle vit dans la maison de sa mère. Elle a besoin de quelqu’un pour faire le ménage à la semaine parce qu’elle n’est pas en mesure de le faire. Elle veut quelqu’un pour laver les planchers, passer la balayeuse, nettoyer la salle de bains et les armoires. Elle a aussi besoin de quelqu’un pour sortir ses poubelles au chemin. Elle veut être remboursée pour les coûts occasionnés pour le déneigement de l’entrée extérieure et du perron. Elle mentionne que les escaliers de sa nouvelle demeure qui est très ancienne ne sont pas conformes et qu’elles sont très étroites.

[49]           En mai 2007, la travailleuse est expertisée par Mme Smitters, ergonome à la demande de la compagnie d’assurances.

[50]           Dans son rapport, Mme Smitters mentionne que, selon ses observations, l’attention et la concentration de la travailleuse sont affectées par la douleur. La travailleuse lui rapporte qu’elle réalise ses activités de la vie quotidienne seule mais avec difficulté et augmentation de la douleur. Elle lui rapporte se laver aux deux jours pour économiser de l’énergie et qu’elle doit se reposer pendant une heure après s’être lavée car elle se sent épuisée. Elle se fait laver les cheveux chez le coiffeur chaque semaine car le fait de maintenir ses bras en élévation augmente trop sa douleur. Elle effectue quelques tâches d’entretien domestique léger et ne fait aucun ménage. Elle reçoit de l’aide pour l’entretien ménager quatre heures par semaine. La travailleuse se dit très limitée dans ses activités physiques.

[51]           Mme Smitters émet l’opinion que la travailleuse est inapte à retourner à son travail chez l’employeur. Elle précise que la tolérance à l’effort est insuffisante et que la douleur accapare toute l’énergie de la travailleuse limitant sa concentration et sa performance. Elle ajoute que la travailleuse « serait à notre avis, très peu productive au travail et ne pourrait compléter un horaire de travail régulier ».

[52]           Le 10 décembre 2007, la travailleuse se fait expertiser par le Dr Jean-François Roy, chirurgien orthopédiste, à sa demande. Le Dr Roy émet l’opinion suivante :

« À regarder l’ensemble du dossier, nous réalisons que tous les intervenants de ce dossier ont une même opinion quant au DAP de madame Paquet avec des séquelles d’une discoïdectomie au niveau L5-S1 droit, la fibrose périneurale L5 droite, la perte de mobilité articulaire et l’atteinte motrice et sensitive de la racine L5. Je suis entièrement d’accord avec l’opinion fournie au dossier incluant celle du BEM.

 

Quant aux limitations fonctionnelles, il semble y avoir une sous-évaluation des problèmes chez madame Paquet. Effectivement, le docteur Claude Rouleau fait mention du problème majeur que présente madame Paquet soit la gêne assise et debout plus de 30 minutes où madame Paquet est obligée de s’étendre plusieurs fois durant la journée pour atténuer ses douleurs. Il est le seul qui documente ce problème. Le docteur Francoeur et le docteur Arsenault ne semblent pas avoir pris connaissance de cet aspect du problème chez madame Paquet puisqu’ils n’en font pas mention. Or, il est clair que la différence entre une limitation fonctionnelle de classe III et une limitation fonctionnelle de classe IV est le fait que la personne ne peut faire une journée pleine en position verticale de travail et est obligée de s’étendre durant la journée pour atténuer ses douleurs. Il s’agit d’un problème que présente madame Paquet et qui n’a pas été évalué par le docteur Arsenault et le docteur Francoeur. De plus, le docteur Rouleau mentionne ce problème, mais ne l’ajoute pas à ses limitations fonctionnelles, chose qu’il aurait dû faire puisqu’il s’agit d’une gêne fonctionnelle qui est quand même significative. Madame Paquet est obligée de s’étendre plusieurs fois durant la journée pour atténuer ses douleurs et ceci fait en sorte qu’il y a chez madame Paquet, des limitations fonctionnelles qui sont de classe IV et non pas de classe III. Il est clair dans le dossier de madame Paquet qu’elle ne pourrait effectuer un travail à temps plein et que nous parlons uniquement d’un travail à temps partiel soit un travail de 3 à 4 heures par jour.

 

De plus, si la CSST a un doute quant aux limitations fonctionnelles que présente madame Paquet, une évaluation en ergothérapie pendant plusieurs jours des capacités réelles de madame Paquet seront indiquées. Or, tous les intervenants de ce dossier notent la gêne fonctionnelle que présente madame Paquet dans les positions assises ou debout et ses problèmes de sommeil associés, mais on ne fait pas mention qu’elle est obligée de s’étendre plusieurs fois durant la journée, chose qu’elle mentionne au docteur Rouleau et à moi-même. Ceci fait en sorte que madame Paquet ne pourrait reprendre le travail de caissière à temps plein et nous partons uniquement d’un travail peut-être de 4 heures par jour. »

 

 

[53]           La travailleuse a été de nouveau expertisée le 28 mars 2008 à la demande de la compagnie d’assurances par le Dr Patrick Kinnard, chirurgien orthopédiste. Son expertise porte sur la capacité de la travailleuse à retourner au travail. Le Dr Kinnard est d’avis que la travailleuse est en invalidité totale et qu’elle n’est pas capable de fournir une prestation normale à son travail que ce soit en position assise ou debout à l’instant où il l’examine. Tout ce que le Dr Kinnard suggère comme traitement pour améliorer son état de santé et un neurostimulateur. Il mentionne toutefois que considérant la continuité de la symptomatologie chronique de la travailleuse, une reprise des versements de l’indemnité par la CSST pourrait être justifiée.

[54]           À l’audience, la travailleuse a témoigné que depuis son accident du travail, elle a conservé des douleurs constantes au dos avec irradiation dans la jambe droite. Son sommeil est perturbé la nuit à cause de ses douleurs. Elle ne peut pas garder la position assise ou debout plus de 20 à 30 minutes. Elle a de la difficulté à se concentrer et son endurance physique a diminué. Elle a du mal à faire ses journées et elle se couche régulièrement en avant-midi et en après-midi. Elle est 70 % de son temps en position assise et 30 % debout. Elle mentionne que dans le travail de commis-conseil, elle avait beaucoup de rotation du tronc à faire et qu’elle devait se pencher. Pour elle, c’est impossible d’exécuter son travail prélésionnel. Elle rapporte qu’elle a été supplantée dans un poste de caissière à la suite de la fusion des caisses populaires. Ce poste demande de rester debout et, même si elle peut s’asseoir, elle doit se pencher régulièrement, ce qu’elle ne peut pas faire. Elle se dit incapable d’exercer tout emploi. De plus, elle déclare que ses douleurs ont augmenté avec le temps.

[55]           La travailleuse reçoit toujours de l’assurance salaire puisqu’elle n’a pas repris le travail. Elle reçoit présentement de l’aide du C.L.S.C. Elle a droit à cinq heures par semaine; deux heures pour préparer les repas et trois heures pour faire le ménage.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[56]           Tant le membre issu des associations syndicales que celui issu des associations d’employeurs sont d’avis que la travailleuse n’avait pas la capacité de reprendre son emploi à temps plein à compter du 15 septembre 2006. Ils sont d’avis que la travailleuse n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile parce qu’elle est capable de s’occuper d’elle et n’a pas non plus droit d’être remboursée pour la rénovation de son escalier qui est non conforme. Enfin, elle ne rencontre pas les conditions prévues à la loi pour être remboursée des coûts encourus pour l’entretien et la tonte du gazon.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[57]           La Commission des lésions professionnelles doit décider des questions suivantes :

1.                 La capacité de la travailleuse à reprendre son emploi prélésionnel à compter du 15 septembre 2006;

2.                 Le droit de la travailleuse à une allocation d’’aide personnelle à domicile en vertu des articles 158 et 159 de la loi;

3.                 Le droit de la travailleuse au remboursement des coûts reliés à l’adaptation de son domicile en effectuant des réparations pour rendre conforme son escalier en vertu de l’article 153 de la loi;

4.                 Le droit de la travailleuse au remboursement des coûts encourus pour l’entretien et la tonte du gazon en vertu de l’article 165 de la loi.

[58]           La CSST a décidé que la travailleuse était capable de reprendre son emploi prélésionnel à compter du 15 décembre 2006. L’emploi prélésionnel occupé par la travailleuse au moment de l’accident du travail est celui de commis-conseil administratif. Le poste de commis-conseil administratif qui est celui d’agent financier est un poste qui requiert principalement la position assise. Il s’agit d’un poste clérical et de communication. Les outils de travail tels que décrits par le représentant de l’employeur sont le téléphone, l’ordinateur, la visionneuse et la dactylo. La travailleuse a occupé cet emploi pendant près de 17 ans.

[59]           Lorsque la CSST a fait l’analyse du poste de travail de commis-conseil en septembre 2006, la travailleuse ne pouvait plus retourner dans l’emploi de commis-conseil administratif parce qu’elle avait été supplantée à la suite de la fusion des caisses populaires. Elle aurait pu choisir le même travail pour une autre caisse populaire, mais elle a choisi celui de caissière, emploi qu’elle n’a jamais occupé.

[60]           Dans le cadre de l’analyse du poste de travail, la CSST s’est prononcée sur les deux postes de travail. Toutefois, la décision indique que la travailleuse est capable d’exercer l’emploi qu’elle occupait habituellement. Par conséquent, la décision porte sur l’emploi de commis-conseil administratif.

[61]           La lésion professionnelle de la travailleuse a été consolidée le 26 février 2006. Le Dr Turcotte, médecin ayant charge de la travailleuse, a complété un rapport final indiquant qu’elle conservait une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Cependant, le Dr Turcotte n’a pas voulu procéder à l’évaluation médicale des séquelles permanentes de la travailleuse.

[62]           La CSST a donc dirigé la travailleuse au Dr Rouleau en vertu de l’article 204 de la loi afin qu’il procède à l’évaluation des séquelles permanentes de la travailleuse. Le rapport d’évaluation de ce médecin a été transmis au Dr Turcotte et celui-ci n’a fait aucun commentaire à la CSST.

[63]           Le dossier de la travailleuse a été dirigé au BEM et le Dr Arsenault a rendu son avis sur l’existence et la détermination de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Il conclut que la travailleuse conserve des restrictions sévères de classe III qu’il énumère comme suit :

« -        Éviter de travailler en position penchée,

-           Éviter de soulever des charges de plus de 20 livres,

-           Éviter les mouvements répétitifs de flexion, extension et de rotation de la colonne lombaire,

-           Éviter les positions assises [sic] ou debout fixes plus de 30 minutes à la fois,

-           Éviter les chocs répétitifs au niveau de la colonne lombaire. »

 

 

[64]           La CSST a rendu une décision à la suite de l’avis émis par le membre du BEM, le Dr Arsenault, et cette décision n’a pas été contestée.

[65]           Pour cette raison, la Commission des lésions professionnelles doit rejeter l’argument de la travailleuse voulant qu’il y a une irrégularité au niveau du BEM. En effet, la décision que la travailleuse a contestée est une décision du 11 janvier 2007 rendue par la CSST à la suite de la révision administrative qui ne porte pas sur l’avis du BEM. Si la travailleuse voulait contester la régularité du BEM, elle devait contester la décision rendue par la CSST le 13 juillet 2006.

[66]           À la suite de la consolidation de la lésion professionnelle et de l’évaluation des séquelles permanentes, la CSST devait procéder à l’analyse de la capacité de la travailleuse à exercer son emploi pour déterminer si elle avait besoin de réadaptation pour redevenir capable d’occuper cet emploi ou si ce n’était pas possible, un emploi convenable et décider de la poursuite du droit à l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 47 de la loi qui se lit comme suit :

47.  Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 47.

 

 

[67]           Il ressort de la preuve médicale prépondérante au dossier que la travailleuse n’était pas en mesure de reprendre à temps plein l’emploi qu’elle occupait habituellement c'est-à-dire celui de commis-conseil administratif pour la caisse populaire. Il suffit de lire l’ensemble de la preuve médicale au dossier pour arriver à cette conclusion. Il est vrai que la CSST devait se prononcer sur la capacité de la travailleuse et que l’agente a fait plusieurs tentatives pour rencontrer celle-ci en juillet et août 2006.

[68]           La travailleuse n’est pas allée aux rendez-vous et l’agente a décidé de se prononcer sur la capacité de la travailleuse à reprendre son emploi. Elle a fait une visite du poste de travail, a rencontré l’employeur dont on ne connaît pas les qualifications pour se prononcer sur la capacité de la travailleuse et elle a conclut que la travailleuse était capable de refaire cet emploi, lequel respectait ses limitations fonctionnelles. L’agente a omis le fait que la travailleuse ne travaillait pas depuis 2002, qu’elle présentait une douleur chronique reliée à un diagnostic de fibrose qui a été objectivé et qui est relié à la lésion professionnelle, qu’elle se couche régulièrement dans la journée à cause de la douleur et la fatigue, et qu’elle présente un état de stress élevé.

[69]           Le tribunal constate que l’agente de réadaptation a tout fait pour aider la travailleuse mais, qu’à un moment donné, elle a perdu patience et elle s’est prononcée sur la capacité de la travailleuse.

[70]           La Commission des lésions professionnelles estime que, compte tenu de la situation particulière de la travailleuse, la CSST devait élaborer un plan de réadaptation pour la rendre capable d’occuper, à temps plein, l’emploi qu’elle occupait habituellement ou encore un emploi équivalent que l’employeur était prêt à lui offrir en vertu des articles 145, 146 et 147 de la loi qui se lisent comme suit :

145.  Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

146.  Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.

 

Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

__________

1985, c. 6, a. 146.

 

 

147.  En matière de réadaptation, le plan individualisé constitue la décision de la Commission sur les prestations de réadaptation auxquelles a droit le travailleur et chaque modification apportée à ce plan en vertu du deuxième alinéa de l'article 146 constitue une nouvelle décision de la Commission.

__________

1985, c. 6, a. 147.

 

 

[71]           Compte tenu que la travailleuse avait droit à de la réadaptation pour la rendre capable d’exercer à temps plein son emploi prélésionnel, elle a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 47 de la loi. La CSST n’était donc pas justifiée de mettre fin au versement de l’indemnité de remplacement du revenu le 15 septembre 2006 puisque la travailleuse n’était pas redevenue capable d’exercer son emploi à temps plein. Si la CSST avait mis en œuvre un réel plan de réadaptation et que la travailleuse avait refusée d’y participer, la CSST aurait pu suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu mais, ce n’est pas ce qui a été fait.

[72]           La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si la travailleuse a droit à une allocation pour l’aide personnelle à domicile, l’entretien courant de son domicile et la tonte du gazon ainsi que le remboursement des coûts occasionnés par la modification de l’escalier dans sa maison afin de le rendre conforme parce qu’il est trop étroit.

[73]           Les dispositions pertinentes de la loi se lisent comme suit :

151.  La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.

__________

1985, c. 6, a. 151.

 

 

152.  Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :

 

1° des services professionnels d'intervention psychosociale;

 

2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;

 

3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;

 

4° le remboursement de frais de garde d'enfants;

 

5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.

__________

1985, c. 6, a. 152.

 

 

153.  L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si :

 

1° le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;

 

2° cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et

 

3° le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.

 

Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.

__________

1985, c. 6, a. 153.

 

 

158.  L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.

__________

1985, c. 6, a. 158.

 

 

159.  L'aide personnelle à domicile comprend les frais d'engagement d'une personne pour aider le travailleur à prendre soin de lui-même et pour effectuer les tâches domestiques que le travailleur effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion.

 

Cette personne peut être le conjoint du travailleur.

__________

1985, c. 6, a. 159.

 

 

165.  Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

 

[74]           La Commission des lésions professionnelles estime que la travailleuse n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile selon l’article 158 de la loi parce qu’elle ne rencontre pas les deux conditions prévues à cet article.

[75]           En effet, la preuve ne permet pas de conclure que la travailleuse est incapable de prendre soin d’elle-même, ce qui est une des deux conditions pour avoir droit à l’allocation d’aide personnelle à domicile.

[76]           Cependant, la Commission des lésions professionnelles estime que la travailleuse a droit d’être remboursée pour les coûts encourus pour les travaux d’entretien courant de son domicile en vertu de l’article 165 de loi jusqu’à concurrence du montant prévu par la loi. En effet, la travailleuse a une atteinte permanente grave à son intégrité physique et des limitations fonctionnelles sévères qui l’empêchent de faire certains travaux.

[77]           La CSST a analysé la demande de la travailleuse pour être remboursée pour les coûts occasionnés pour l’entretien de sa résidence en fonction de l’article 153 de la loi qui prévoit l’aide personnelle à domicile.

[78]           Or, la Commission des lésions professionnelles a déjà reconnu que l’entretien ménager fait partie de l’entretien courant du domicile en vertu de l’article 165 de la loi[2].

[79]           La commissaire soussignée retient ce courant jurisprudentiel voulant que l’entretien ménager fait partie de l’entretien courant prévu à l’article 165 de la loi.

[80]           Le tribunal estime que la travailleuse, en raison de ses limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle, n’est pas en mesure de faire l’entretien ménager de son domicile. Par conséquent, elle a le droit d’être remboursée pour les coûts occasionnés par cet entretien. Naturellement, elle a droit d’être remboursée seulement pour les coûts engagés et ce montant ne doit pas dépasser l’allocation permise en vertu de la loi pour l’entretien courant en vertu de l’article 165 de la loi.

[81]           Il en est de même pour l’entretien et la tonte du gazon. La Commission des lésions professionnelles estime qu’il s’agit là d’entretien courant de la propriété visé par l’article 165 de la loi.

[82]           La CSST a refusé le remboursement des coûts reliés à ces travaux pour le motif que la travailleuse ne les effectuait pas avant de subir sa lésion professionnelle. Or, tel que l’a déjà précisé la Commission des lésions professionnelles dans Huard et Huard[3], on rapporte :

« [..] que le terme « effectuerait normalement lui-même » utilisé à l’article 165 de la loi doit être interprété dans le sens que le travailleur, n’eut été de sa lésion professionnelle, aurait-il effectué lui-même ces travaux. La CSST, en exigeant que la travailleuse devait démontrer qu’elle effectuait ces travaux avant de subir sa lésion professionnelle, ajoute une condition qui n’est pas prévue à l’article 165 de la loi. »

 

 

[83]           Dans le présent cas, il n’y a rien au dossier qui permet de conclure que la travailleuse n’aurait pas effectué ses travaux n’eût été de sa lésion professionnelle. Par conséquent, elle a le droit au remboursement des frais encourus pour ces travaux mais, encore là, dans la limite des montants permis par la loi.

[84]           Il reste à déterminer si la travailleuse a droit au remboursement des coûts occasionnés pour la modification de son escalier qu’elle dit ne pas être conforme parce qu’il serait trop étroit.

[85]           La Commission des lésions professionnelles estime que la travailleuse n’a pas le droit d’être remboursée pour ces coûts en vertu de l’article 153 de la loi. En effet, la travailleuse a acquis une nouvelle maison après avoir subi sa lésion professionnelle. C’est une maison âgée et l’escalier, selon la travailleuse, n’est pas conforme parce qu’il est trop étroit. Elle dit qu’elle a de la difficulté à monter au deuxième étage. À cause de cela, elle vit principalement au rez-de-chaussée.

[86]           Avec égard, la Commission des lésions professionnelles estime que le but de l’article 153 n’est pas de rendre conforme un escalier qui, au départ, ne l’était pas lorsque la travailleuse a acheté la propriété. De plus, le deuxième paragraphe de l’article 153 de la loi prévoit que l’adaptation du domicile doit être nécessaire et constituer la solution appropriée pour permettre à la travailleuse d’entrer et sortir de façon autonome de son domicile. Or, cette preuve n’a pas été faite. Il n’y a rien qui empêche la travailleuse d’entrer et de sortir de façon autonome de son domicile. Les limitations fonctionnelles de la travailleuse ne l’empêchent pas de monter des marches.

[87]           Pour ces raisons, la Commission des lésions professionnelles estime que la travailleuse n’a pas le droit au remboursement des coûts pour faire modifier son escalier.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête déposée par Mme Ninon Paquet;

INFIRME en partie la décision rendue le 11 janvier 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite de la révision administrative;

DÉCLARE que Mme Ninon Paquet n’était pas capable d’exercer l’emploi qu’elle occupait habituellement à temps plein le 15 septembre 2006;

DÉCLARE que Mme Ninon Paquet a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 15 septembre 2006;

DÉCLARE que Mme Ninon Paquet a droit au remboursement des frais encourus pour l’entretien ménager de sa résidence;

DÉCLARE que Mme Ninon Paquet a le droit au remboursement des coûts engagés pour l’entretien et la tonte de son gazon;

 

et

DÉCLARE que Mme Ninon Paquet n’a pas le droit au remboursement des coûts encourus pour la rénovation de l’escalier de sa résidence.

 

 

 

 

 

MICHÈLE CARIGNAN

 

 

 

 

 

 

M. Yves Sicotte

CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS NATIONAUX

            Représentant de la partie requérante

 

 

Me Sonia Dumaresq

PANNETON LESSARD

            Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Lebel et Municipalité Paroisse de St-Éloi, 124846-01A-9910, 29 juin 2000, L. Boudreault; Éric Pitre et Entreprises Gérard Pitre enr., 251305-01C-0412, 16 décembre 2005, J.-F. Clément.

[3]           222161-31-0311, 12 février 2004, P. Simard.

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