Pelletier et Résidence de la Gappe |
2010 QCCLP 4199 |
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[1] Le 15 avril 2009, monsieur Guy Pelletier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 mars 2009 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 20 mars 2009 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais reliés à l’organisation du patio, à la mise en marche du BBQ ainsi qu’au lavage régulier des planchers à titre de travaux d’entretien courant de son domicile. Elle ajoute que les travaux requis pour la propreté, le confort et la commodité des lieux ne correspondent pas à des travaux d’entretien courant du domicile.
[3] L’audience s’est tenue le 4 juin 2010 à Gatineau en présence du travailleur. La Résidence de la Gappe (l’employeur) n’est pas représentée à l’audience. Quant à la CSST, elle a informé la Commission des lésions professionnelles qu’elle n’y serait pas représentée. La cause est mise en délibéré à la date de l’audience, soit le 4 juin 2010.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] En début d’audience, le travailleur précise ne plus contester le refus de rembourser les frais relatifs à l’organisation du patio et à la mise en marche du BBQ. Il demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais reliés au lavage régulier des planchers à titre de travaux d’entretien courant de son domicile.
LES FAITS
[5] Le travailleur est victime d’un accident du travail le 20 mai 2007 alors qu’il ressent une douleur vive à l’épaule gauche lors du déplacement de la chaise d’un résidant pour l’aider à se lever. Il subit une déchirure de la longue portion du biceps gauche.
[6] La lésion professionnelle est consolidée le 13 août 2008 avec une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique évaluée à 14,60 % et les limitations fonctionnelles suivantes :
Ce travailleur ne devrait pas avoir à manipuler des charges lourdes avec le membre supérieur gauche soit de plus de 5 kg;
Il ne devrait pas avoir à faire des mouvements répétitifs de l’épaule à plus de 120 degrés d’abduction d’élévation antérieure.
[7] Le 16 janvier 2009, la CSST accepte de payer les frais suivants d’entretien courant du domicile du travailleur : les frais de déneigement du stationnement et des deux voies d’accès au domicile, l’entretien du terrain, la peinture à l’intérieur aux cinq ans, la peinture à l’extérieur aux deux ans, le lavage des fenêtres chaque année et le lavage des murs et des plafonds chaque année.
[8] Le 20 mars 2009, la CSST rend la décision refusant le remboursement des frais reliés à l’organisation du patio, à la mise en marche du BBQ ainsi qu’au lavage régulier des planchers à titre de travaux d’entretien courant de son domicile. Cette décision sera maintenue à la suite d’une révision administrative le 27 mars 2009, d’où la présente contestation concernant le remboursement des frais reliés au lavage régulier des planchers à titre de travaux d’entretien courant de son domicile.
[9] Le travailleur témoigne qu’il est incapable de laver les planchers de son domicile et que n’eût été de sa lésion professionnelle, il les aurait lavés lui-même étant donné qu’avant son accident du travail, c’est lui qui effectuait cette tâche même s’il ressentait des douleurs aux trapèzes lui occasionnant des maux de tête.
[10] Il ajoute qu’il est droitier, mais qu’il se sert souvent instinctivement de son bras gauche. De plus, le fait de surutiliser son bras droit, vu sa blessure au bras gauche, lui cause des douleurs.
[11] Lorsqu’il lave les planchers, il a mal à l’épaule gauche et aux omoplates et il ressent une brûlure dans le dos.
[12] Madame Louise Renaud, conjointe du travailleur, témoigne aussi à l’audience. Elle explique au tribunal qu’elle a subi un accident de la route qui l’empêche de faire différentes tâches ménagères, dont celle de laver le plancher.
L’AVIS DES MEMBRES
[13] Le membre issu des associations d’employeurs rejetterait la requête du travailleur puisque, selon lui, les limitations fonctionnelles entraînées par la lésion professionnelle n’empêchent pas le travailleur d’effectuer le lavage des planchers de son domicile.
[14] Quant au membre issu des associations syndicales, il accueillerait la requête du travailleur puisque, selon lui, le lavage des planchers est une tâche lourde que le travailleur est incapable d’effectuer.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[15] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement des frais engagés pour le lavage des planchers de son domicile.
[16] L’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit que :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[17] Il est reconnu par la jurisprudence que le caractère grave d’une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique s’analyse en fonction de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les activités visées à l’article 165[2].
[18] Comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Lalonde et Mavic Construction[3] :
[46] […] Il faut s’interroger sur la capacité du travailleur à effectuer lui-même les travaux en question compte tenu de ses limitations fonctionnelles. Soulignons que les limitations fonctionnelles mesurent l’étendue de l’incapacité résultant de la lésion professionnelle. En plus de déterminer si l’atteinte permanente est grave, l’application de l’article 165 de la loi oblige à vérifier si les travaux, pour lesquels un remboursement est réclamé, constituent des travaux d’entretien courant du domicile et s’ils auraient été effectués par le travailleur, n’eut été de sa lésion professionnelle.
[19] Dans la présente affaire, les limitations fonctionnelles du travailleur sont les suivantes :
Ce travailleur ne devrait pas avoir à manipuler des charges lourdes avec le membre supérieur gauche soit de plus de 5 kg;
Il ne devrait pas avoir à faire des mouvements répétitifs de l’épaule à plus de 120 degrés d’abduction d’élévation antérieure.
[20] La Commission des lésions professionnelles estime que le lavage des planchers n’implique pas de manipuler des charges lourdes de plus de 5 kg avec le membre supérieur gauche ni de faire des mouvements répétitifs de l’épaule à plus de 120 degrés d’abduction d’élévation antérieure; le travailleur n’a donc pas subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d’une lésion professionnelle en ce qui concerne le lavage des planchers du domicile.
[21] Par ailleurs, le tribunal tient à souligner qu’il considère tout de même que le lavage régulier des planchers du domicile constitue des travaux d’entretien courant du domicile au sens de l’article 165 de la loi et ce malgré que ce genre de travaux puissent aussi constituer de « l’aide personnelle à domicile ». La soussignée ne partage pas l’opinion de la CSST à l’effet contraire mais partage plutôt l’opinion émise par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Lebel et Municipalité Paroisse de Saint-Éloi[4] alors qu’elle déclare que :
[27] La représentante de la CSST soutient le contraire, et à ce sujet, dépose une décision rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) en 19972. Dans celle-ci, le commissaire fait une distinction entre les « travaux d’entretien courant du domicile » (art. 165) et « les tâches domestiques » (art. 158). Après avoir fait état des définitions des mots « domestique » et « entretien » par le dictionnaire Petit Robert, le commissaire conclut ainsi :
« À la lumière des définitions précitées, la Commission d’appel est d’avis que le déplacement de meubles et de lavage de planchers se retrouvent davantage dans la catégorie des tâches domestiques et qu’il apparaît difficile de les relier à des soins, réparations ou dépenses qu’exige le maintien en bon état d’un bien. En somme, il s’agit de travaux requis pour la propreté, le confort et la commodité des lieux et qui ne se justifient pas au titre du maintien en bon état physique d’un bien.
(…) »
[28] Avec égard, la soussignée ne partage pas cette interprétation étroite de la notion de « travaux d’entretien courant du domicile ». Revoyons les définitions courantes et usuelles des mots « domestique » et « entretien «, que l’on retrouve au Larousse:
« Domestique : 1. Qui concerne la maison, le ménage.
Entretien : 1. Action de maintenir une chose en bon état, de fournir ce qui est nécessaire pour y parvenir 3. »
[29] La Commission des lésions professionnelles estime que l’on doit également examiner la définition du mot « courant » afin de préciser de quel genre de travaux d’entretien on parle à l’article 165 :
« Courant, e : 1. Qui est habituel; ordinaire, banal. Les dépenses courantes. C’est un mot tellement courant ! Un modèle courant. »
[30] Le tribunal ne peut conclure, comme le fait le commissaire Roy, que l’entretien ménager participe uniquement à « la propreté, le confort et la commodité des lieux ». Qu’il suffise d’imaginer un intérieur mal entretenu, des planchers et des tapis sales et poussiéreux, des salles de bain encrassées, des vitres et des miroirs qui ne sont pas nettoyés régulièrement, une cuisinière et un réfrigérateur malpropres pour se convaincre qu’il ne s’agit pas ici seulement de confort ou de commodité. Si un entretien régulier n’est pas fait, il est manifeste que le domicile ne sera pas « maintenu en bon état ». Il lui faut donc des soins réguliers, habituels, ordinaires, courants.
[31] Même si, à l’article 158, on parle de travaux domestiques, il faut comprendre que cette disposition s’applique à « l’aide personnelle à domicile », qui inclut certes ce genre de travaux, mais qui vise plutôt des situations beaucoup plus graves en terme de conséquences immédiates, puisqu’on associe cette aide au fait qu’un travailleur soit incapable de prendre soin de lui-même dans des activités de base comme se laver, aller à la toilette, etc. On a qu’à examiner la grille d’évaluation pour constater que l’on vise ici des cas lourds.
[32] L’article 165, quant à lui, n’est pas conditionnel à l’impossibilité de prendre soin de soi-même mais vise plutôt les cas où un travailleur demeure avec une atteinte permanente grave et, généralement, avec des limitations fonctionnelles importantes, qui l’empêchent de reprendre certaines activités pré-lésionnelles qu’il effectuait auparavant, soit des travaux d’entretien courant. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cette interprétation va dans la logique de la loi, qui « a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires 4».
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2 Roy et Brasserie Channy inc., 78743-03-9604, 97-06-20 J.-G. Roy, commissaire.
3 Il est intéressant de noter que la définition de « entretenu » donne l’exemple suivant : Tenu en bon état, tenu en état : maison mal entretenue ».
4 Article 1 , LATMP.
[22] Donc, le tribunal estime que le lavage régulier des planchers du domicile constitue « des travaux d’entretien courant du domicile », mais que les limitations fonctionnelles entraînées par la lésion professionnelle n’empêchent pas le travailleur d’exécuter ces travaux; il n’a donc pas subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d’une lésion professionnelle relativement à ces travaux spécifiques.
[23] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles considère que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais de lavage régulier des planchers de son domicile.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Guy Pelletier, le travailleur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 mars 2009 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais qu’il doit engager pour le lavage régulier des planchers de son domicile.
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Suzanne Séguin |
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Me Dominic Dorval |
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Panneton Lessard |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Notamment : Chevrier et Westburne ltée, C.A.L.P. 16175-08-8912, 25 septembre 1990, M. Cuddihy; Bouthillier et Pratt & Whitney Canada inc., [1992] C.A.L.P. 605 ; Boileau et Les centres jeunesse de Montréal, C.L.P. 103621-71-9807, 1er février 1999, Anne Vaillancourt; Filion et P.E. Boisvert auto ltée, C.L.P. 110531-63-9902, 15 novembre 2000, M. Gauthier; Cyr et Thibault et Brunelle, C.L.P. 165507-71-0107, 25 février 2002, L. Couture.
[3] C.L.P. 1467-10-07-0009, M. Langlois
[4] C.L.P. 124846-01A-9910, 29 juin 2000, L. Boudreault
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