Demers et Belvü Croisière boutique inc. |
2012 QCCLP 5008 |
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[1] Le 5 mars 2012, monsieur Sylvain Demers (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue le 17 février 2012, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme en partie celle rendue initialement le 17 juin 2011 et déclare le travailleur doit être relevé de son défaut d’avoir déposé sa demande de révision dans le délai prévu à la loi. Elle déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 25 juillet 2010 et qu’il n’a donc pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] Lors de l’audience tenue à Longueuil, le 18 juillet 2012, le travailleur est présent. Belvü Croisière Boutique inc. (l’employeur) est absente bien que dûment convoquée.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais d’ambulance engagés pour son transport à l’hôpital, le 25 juillet 2010.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs, monsieur Raynald Asselin, et la membre issue des associations syndicales, madame Lucy Mousseau, sont d’avis de faire droit à la requête du travailleur. Ils sont d’avis que la CSST doit assumer le coût de la facture des frais de transport du travailleur en ambulance, à la suite de l’accident survenu sur les lieux de son travail, le 25 juillet 2010. Ils sont d’avis que le travailleur n’avait pas à soumettre une réclamation à la CSST étant donné que son accident ne l’avait pas rendu incapable de travailler au-delà de la journée au cours de laquelle il est arrivé. De plus, en vertu de la loi, les frais de transport ambulancier sont remboursables par l’employeur. Cependant, étant donné que ce dernier a fait défaut de soumettre la réclamation prévue à la loi et qu’il a fait défaut de s’acquitter de la facture du transport ambulancier comme le prévoit la loi, la CSST doit rembourser ladite facture et réclamer ce montant à l’employeur.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement des frais d’ambulance pour son transport à l’hôpital le 25 juillet 2010.
[7] Le tribunal retient les éléments suivants.
[8] Le travailleur occupe un emploi de cuisinier pour l’employeur. Le 25 juillet 2010, dans le cadre de ses fonctions, il se coupe le doigt avec un couteau. Par la suite, il perd conscience et est transporté par ambulance à l’hôpital St-Luc.
[9] Le 3 juin 2011, il soumet une réclamation à la CSST afin de se faire rembourser les frais du transport ambulancier puisque Urgences-Santé lui réclame un montant de 144,27 $ pour ledit transport.
[10] Il appert du dossier que le travailleur a été examiné à l’Hôpital St-Luc dans la nuit du 25 au 26 juillet 2010, à la suite d’une perte de conscience survenue sur le bateau où il travaillait à titre de cuisinier. Cette perte de conscience est survenue après que le travailleur se soit coupé un doigt. Un rapport médical atteste qu’il a quitté l’hôpital le 26 juillet à 2 h 35. La note de départ de l’hôpital fait mention qu’aucun papier CSST n’a été rempli parce que le travailleur n’avait pas précisé à son arrivée qu’il était au travail.
[11] Le 3 juin 2011, le travailleur soumet également une plainte en vertu de l’article 32 de la loi, contre son employeur, en raison du défaut par celui-ci de rembourser les frais d’ambulance.
[12] Le 17 juin 2011, la CSST refuse la réclamation du travailleur au motif qu’il n’a pas produit sa réclamation dans le délai prévu à la loi et qu’il n’a pas soumis de motifs pour être relevé de son défaut. La CSST informe également le travailleur qu’il n’a pas soumis d’éléments permettant à la CSST de conclure qu’il a subi une lésion professionnelle.
[13] Le 9 août 2011, le travailleur demande la révision de cette décision.
[14] Le 17 février 2012, la CSST, à la suite d’une révision administrative, déclare que la réclamation du travailleur a été produite en dehors du délai prévu à la loi. Elle conclut cependant que la demande de révision est recevable malgré le délai. Elle constate que le travailleur ne s’est pas absenté du travail au-delà de la journée de l’incident. Elle déclare que par conséquent, le travailleur n’avait pas intérêt à soumettre sa réclamation avant qu’on lui réclame des sommes puisque aucuns frais n’avaient été engagés par celui-ci en raison de cet événement.
[15] Par ailleurs, la CSST constate qu’aucun diagnostic liant la CSST n’a été posé dans le présent dossier. La réclamation ne peut donc se présenter en lien avec une lésion professionnelle. Elle déclare recevable la réclamation du travailleur, mais conclut qu’il n’a pas subi, le 25 juillet 2010, une lésion professionnelle. Il n’a donc pas droit aux prestations prévues par la loi.
[16] Lors de l’audience, le travailleur a repris les circonstances de l’incident du 25 juillet 2010. Il explique qu’il travaillait comme cuisinier sur un bateau appartenant à l’employeur. Il devait préparer les repas qui étaient servis sur le bateau.
[17] Son horaire de travail débute vers 9 h le matin pour se terminer tard dans la soirée. Il doit d’abord se rendre à un restaurant à Boucherville pour prendre possession de la nourriture nécessaire pour préparer les repas de la journée. Il apporte cette nourriture avec le camion de l’entreprise et, ensuite, il se rend dans le Vieux-Port de Montréal, où il assure le transfert de la nourriture sur le bateau. Le soir, il fait l’inverse. Il rapporte la nourriture excédentaire au restaurant avec le camion.
[18] Le 25 juillet 2010, vers 11 h 30, il se coupe avec un couteau alors qu’il prépare un repas pour le personnel du bateau. Il cherche la trousse de premiers soins et quelques minutes plus tard, il se sent mal et perd connaissance. En tombant, il se coince le pied sous le réfrigérateur. Ses collègues sur place appellent le 911 et les premiers répondants se rendent sur le navire et une ambulance est dépêchée sur les lieux. Le superviseur du travailleur est sur place, mais ce dernier ne déclare pas aux ambulanciers qu’il s’agit d’un employé du bateau. Les ambulanciers assurent le transport du travailleur à l’hôpital.
[19] Le travailleur explique qu’il était un peu confus à la suite de cette perte de conscience. Il ne se rappelle pas qu’on lui ait demandé s’il s’agissait d’un accident du travail, ni qu’on lui ait demandé s’il travaillait sur le bateau. Après avoir attendu, il est examiné par un médecin qui lui recommande de prendre des béquilles pour quelque temps. Sa coupure ne nécessitait aucune intervention. Le travailleur explique ne pas avoir pensé à demander à ce moment un rapport pour la CSST. Ce n’est qu’après avoir reçu son congé qu’il a pensé à obtenir un tel document. Le médecin n’était plus disponible à ce moment, étant parti à son souper. Le travailleur explique avoir tenté de joindre le superviseur afin qu’il vienne le chercher pour le ramener au camion de la compagnie pour qu’il puisse regagner sa propre voiture laissée au restaurant de Boucherville. Ce dernier ne répond pas. Le travailleur, n’ayant pas d’argent, doit prendre un arrangement avec un chauffeur de taxi pour être reconduit au camion laissé dans le stationnement du Vieux-Port. Il réussit à regagner sa voiture.
[20] Le lendemain, il est en congé. Il reprend ensuite le travail. Il explique que son superviseur l’a informé qu’il veillerait à remplir les formulaires nécessaires. Le travailleur a démissionné quelque temps plus tard. Il n’a pas eu d’arrêt de travail à la suite de l’incident du 25 juillet 2010.
[21] Ce n’est que plusieurs mois plus tard qu’il a reçu une facture adressée par Urgences-Santé pour le remboursement des frais d’ambulance. Il a tenté d’expliquer à la préposée que ce transport avait été fait à la suite d’un accident survenu dans le cours de son travail de cuisinier. La préposée l’a informé qu’il devait faire une réclamation à la CSST et porter plainte contre son employeur.
[22] Il a donc soumis sa réclamation à la CSST. Il demande au tribunal de lui accorder le remboursement de la somme de 144,27 $ que lui réclame une compagnie de recouvrement. Cette somme représente le coût du transport ambulancier.
[23] Le travailleur explique s’être rendu à l’hôpital en mars 2011, au moment de faire sa réclamation, afin d’obtenir un rapport médical. Il a produit ce rapport avec sa réclamation.
[24] Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal est d’avis de faire droit à la requête du travailleur.
[25] La loi prévoit, à l’article 190, ce qui suit :
190. L'employeur doit immédiatement donner les premiers secours à un travailleur victime d'une lésion professionnelle dans son établissement et, s'il y a lieu, le faire transporter dans un établissement de santé, chez un professionnel de la santé ou à la résidence du travailleur, selon que le requiert son état.
Les frais de transport de ce travailleur sont assumés par son employeur qui les rembourse, le cas échéant, à la personne qui les a défrayés.
Sur un chantier de construction, l'obligation prévue par le premier alinéa s'applique au maître d'oeuvre au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).
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1985, c. 6, a. 190.
[26] Le tribunal est d’avis que dans le présent cas, le travailleur n’avait pas à soumettre de réclamation à la CSST étant donné qu’il ne s’est pas absenté du travail au-delà de la journée au cours de laquelle il s’est blessé.
[27] La CSST refuse la demande du travailleur au motif qu’aucune lésion n’a été diagnostiquée par le médecin.
[28] Le tribunal est d’avis que cet élément n’est pas pertinent aux fins de déterminer si le travailleur a droit au remboursement des frais de son transport à l’hôpital, le 25 juillet 2010.
[29] La preuve démontre que le travailleur a été transporté en ambulance, à la suite d’un accident où il s’est coupé un doigt et a perdu connaissance. Les notes de l’hôpital ainsi que les mentions des ambulanciers sont claires quant aux circonstances entourant ce transport.
[30] Bien qu’aucun diagnostic n’ait été rapporté par un médecin, le rapport de mars 2011 fait mention d’une visite à l’hôpital et d’un transport en ambulance.
[31] La loi précise que c’est à l’employeur d’assumer le coût des frais de transport à l’hôpital. Cependant, au moment où Urgences-Santé réclame le montant au travailleur, ce dernier n’est plus au service de l’employeur.
[32] Le travailleur a expliqué qu’Urgences-Santé avait tenté d’obtenir le paiement de son employeur, mais sans succès.
[33] Le tribunal estime que dans les circonstances, la CSST doit assumer le coût de ce transport ambulancier pour ensuite réclamer ce montant à l’employeur. Le tribunal est d’avis qu’à l’instar de ce qui a été décidé dans l’affaire Gareau et Maison L’Échelon inc.[2], la CSST doit, en vertu de l’article 351 de la loi, rendre ses décisions selon l’équité et d’après le mérite réel du cas. Elle aurait donc pu faire preuve de plus de souplesse dans l’appréciation des faits du présent dossier et accorder le remboursement demandé.
[34] Il y a lieu de faire droit à la requête du travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Sylvain Demers, le travailleur;
INFIRME la décision rendue le 17 février 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit payer le coût pour le transport ambulancier du 25 juillet 2010, plus les frais réclamés au travailleur.
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Lucie Couture |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.