Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Louisiana-Pacific Canada ltée, division Maniwaki

2012 QCCLP 4499

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

17 juillet 2012

 

Région :

Outaouais

 

Dossiers :

458535-07-1112      458536-07-1112

 

Dossier CSST :

137345401

 

Commissaire :

Jean-François Clément, juge administratif

 

 

 

Assesseur :

Jean-Marc Beaudry, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Louisiana-Pacific Canada ltée, division Maniwaki

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

Dossier 458535-07-1112

 

[1]           Le 22 décembre 2011, Louisiana-Pacific Canada ltée, division Maniwaki (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 14 octobre 2011 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 17 juin 2011 et déclare que l’imputation du coût des prestations au dossier de l’employeur demeure inchangée en lien avec la lésion professionnelle subie par monsieur François Touchette (le travailleur) le 22 octobre 2010. Cette décision fait suite à une demande de l’employeur invoquant la notion d’obérer injustement de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

Dossier 458536-07-1112

[3]           Le 22 décembre 2011, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST le 18 octobre 2011 à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 20 juin 2011 et déclare que l’imputation des coûts au dossier de l’employeur demeure inchangée. Cette décision est en relation avec une demande formulée en vertu de l’article 329 de la loi.

[5]           Une audience est tenue à Gatineau, le 18 avril 2012 en présence de l’employeur et de son procureur.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

Dossier 458535-07-1112

[6]           L’employeur n’a aucune représentation à formuler dans ce dossier.

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[7]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer sa requête recevable. Quant au mérite du dossier, il demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que 70 % des coûts inhérents à la lésion professionnelle du 22 octobre 2010 doivent être imputés à tous les employeurs et seulement 30 % à son dossier. En fin d’audience, il se ravise et demande plutôt un partage de l’ordre de 60 % à tous les employeurs et 40 % au dossier de l’employeur.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

Dossier 458535-07-1112

[8]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si la requête de l’employeur est recevable et subsidiairement si elle est bien fondée quant à son mérite.

[9]           Pour les motifs qui sont élaborés dans la décision du dossier 458536-07-1112, le tribunal estime que la requête est recevable.

[10]        Cependant, les motifs invoqués par l’employeur correspondent plutôt à un partage sous l’angle de l’article 329 de la loi qui sera débattu dans le deuxième dossier.

[11]        Rien dans la preuve au dossier ne démontre que l’employeur peut prétendre avoir été obéré injustement dans le cadre de la lésion professionnelle du 22 octobre 2010 et l’employeur n’offre d’ailleurs aucune représentation à cette fin.

[12]        Sa requête doit donc être rejetée.

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[13]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si la requête déposée par l’employeur est recevable.

[14]        Dans l’affirmative, la Commission des lésions professionnelles devra aussi décider si l’employeur a droit au partage de coûts qu’il demande en invoquant l’article 329 de la loi:

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[15]        La notion de travailleur déjà handicapé fait l’objet d’une interprétation constante et pratiquement unanime de la part des juges de la Commission des lésions professionnelles. Cette interprétation est bien résumée par la juge Michèle Gagnon Grégoire dans l’affaire Corporation Steris Canada[2] :

[10]      Ainsi, pour bénéficier d’un partage de coûts au sens de l’article 329 de la loi, la preuve que le travailleur était déjà handicapé au moment où s'est manifestée sa lésion professionnelle doit être faite. 

 

[11]      L’expression « travailleur déjà handicapé » a fait l’objet, dans le passé, de nombreuses décisions ayant retenu pour certaines une notion large et pour d’autres, une notion plus restrictive. Depuis les deux décisions rendues à l’automne 1999, dans les affaires Municipalité Petite-Rivière-Saint-François2 et Hôpital Général de Montréal3, l’interprétation de cette expression fait maintenant l’objet d’un courant de jurisprudence nettement majoritaire auquel la soussignée adhère.

 

[12]      Ainsi, le « travailleur déjà handicapé » au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique prélésionnelle qui entraîne des effets sur la production même de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de celle-ci.

 

[13]      Se référant à la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CNTERHI-Inserm, 1988) la Commission des lésions professionnelles a retenu qu’une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise et elle peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.

 

[14]      Une fois la déficience démontrée, l'employeur doit prouver le lien existant entre cette déficience et la lésion professionnelle. La déficience peut avoir influencé l'apparition ou la production de la lésion professionnelle ou avoir agi sur les conséquences de cette lésion en prolongeant, par exemple, la période de consolidation.

 

[15]      Certains critères ont été élaborés par la jurisprudence pour permettre de déterminer si une telle relation existe4. Ces critères ne sont ni péremptoires ni décisifs, mais pris ensemble, ils peuvent permettre d’évaluer le bien-fondé d’une demande de partage des coûts5. Notons les critères suivants :

 

-          la nature et la gravité du fait accidentel;

-          le diagnostic initial de la lésion professionnelle;

-          l’évolution des diagnostics et de la condition du travailleur;

-           la compatibilité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic de la lésion professionnelle;

-           la durée de la période de consolidation compte tenu de la lésion professionnelle;

-          la gravité des conséquences de la lésion professionnelle;

-          les opinions médicales à ce sujet;

-          l’âge du travailleur.

 

[16]      Ce n’est ainsi qu’en présence des deux conditions, déficience et lien relationnel, que la Commission des lésions professionnelles peut conclure que le travailleur est « déjà handicapé » au sens de l'article 329 de la loi et que l'employeur peut, en conséquence, bénéficier d'un partage d'imputation des coûts.

______________________

            2              Municipalité Petite-Rivière-St-François et CSST, [1999] C.L.P. 779

                3                     Hôpital Général de Montréal, [1999] C.L.P. 891

                4                     Centre hospitalier de Jonquière et CSST, C.L.P. 105971-02-9810, 13 janvier 2000, C. Racine

                5                     Hôpital Général de Montréal, précité, note 3

 

 

[16]        Le tribunal tranchera d’abord la question préliminaire du délai mis par l’employeur à déposer sa requête.

[17]        La décision attaquée est datée du 18 octobre 2011.

[18]        Selon l’affidavit déposé sous la cote E-4 et rédigé par un représentant du gestionnaire de l’employeur, ce dernier lui a transmis copie de la décision du 18 octobre 2011 vers le 21 octobre 2011.

[19]        D’ailleurs les documents E-2 et E-3 démontrent bien que la gestionnaire a reçu la décision rendue à la suite d’une révision administrative en date du 21 octobre 2011.

[20]        Il est donc clair que la requête déposée par l’employeur le 22 décembre 2011 l’a été alors que le délai était déjà expiré. Ce délai est prévu à l’article 359 de la loi :

359.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.

__________

1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.

 

 

[21]        Cependant, le tribunal peut relever l’employeur de son défaut selon les prescriptions de l’article 429.19 de la loi :

429.19.  La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[22]        Rien n’indique que la prorogation du délai entraînera un quelconque préjudice grave pour quelque personne que ce soit.

[23]        De plus, l’employeur a démontré l’existence d’un motif raisonnable, soit l’erreur de son représentant.

[24]        En effet, la preuve démontre que l’employeur a confié la gestion de ses dossiers à l’Association de la santé et de la sécurité des pâtes et papiers et des Industries de la forêt du Québec (ASSIFQ-ASSPPQ) en tout temps pertinent aux présentes.

[25]        Un représentant de l’employeur a adressé la décision rendue à la suite d’une révision administrative en demandant au gestionnaire de la contester et ce, bien à l’intérieur des délais soit le 21 octobre 2011.

[26]        Il appert que la gestionnaire attitrée au dossier de l’employeur a tout simplement oublié de contester cette décision avant l’échéance du délai de 45 jours prévu à la loi malgré le mandat confié par l’employeur.

[27]        Aussitôt que l’erreur a été découverte, une contestation a été déposée.

[28]        De plus, l’employeur lui-même a été diligent puisqu’il a transmis la décision à contester rapidement et il est en droit de s’attendre que la contestation demandée soit faite sans avoir à vérifier outre mesure dans les semaines suivantes.

[29]        Dans l’affaire Restaurants Giorgio ltée et Canuel[3], un mandat spécifique avait été confié à une mutuelle de prévention responsable de son secteur afin de déposer une contestation dans le délai prévu à la loi. Devant l’inexécution de ce mandat, l’erreur du représentant et le défaut d’exécuter le mandat ont été reconnus comme un motif raisonnable expliquant le retard de l’employeur qui ne doit pas être pénalisé par un tel comportement.

[30]        Dans l’affaire Rona-rénovateur régional Châteauguay[4], un représentant avait oublié de produire une requête dans le délai prévu à la loi. La Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit :

[5]        L’employeur dépose sa requête à la Commission des lésions professionnelles le 4 octobre 2004 alors que la décision de la CSST est rendue le 20 juillet 2004 ce qui ne respecte pas le délai prévu à l’article 359 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles1 (la loi). L’article 429.19 prévoit cependant ce qui suit :

 

429.19. La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.

 

 

[6]        L’employeur produit l’affidavit d’une personne qui admet ne pas avoir agi dans le délai prévu à la loi alors qu’elle avait mandat de le faire au nom de l’employeur. Ce dernier a toujours manifesté clairement son intention de contester la décision de la CSST et n’a pas lui-même fait preuve de négligence.

 

[7]        Comme le plaide la représentante de l’employeur, la Commission des lésions professionnelles est d’avis «qu’il n’y a pas lieu de faire supporter à une partie les conséquences de la négligence ou de l’erreur de son mandataire dans la mesure où cette partie a fait preuve de diligence2». L’employeur a fait la preuve que, pour un motif raisonnable, il n’a pu respecter le délai prévu à l’article 359 de la loi. Sa requête du 4 octobre 2004 est recevable.

_________________________

1           L.R.Q., c. A-3.001

2              Jurisprudence citée : Cité de Dorval et Latreille, [1995] C.A.L.P. 1572 ; Szekely et Tehmire           ltée, C.A.L.P. 88615-62-9705, 4 février 1998, B. Roy; Mollo et For-Net inc., C.L.P. 130141-     72-9912, 6 juillet 2000, D. Lévesque

 

 

[31]        Dans Expertech Bâtisseur Réseaux inc.[5], on peut lire ce qui suit :

[105]    Dans son affidavit du 10 janvier 2008, madame Pichette souligne qu’elle était seule à avoir la responsabilité de procéder à la demande de partage des coûts suivant l’article 329 de la loi et de produire toute contestation utile en temps opportun.

 

[106]    Cependant, pour une raison ignorée du présent tribunal, madame Pichette n’explique pas son retard à transmettre sa demande de révision.

 

[107]    La Commission des lésions professionnelles n’a donc pas d’autre alternative que d’associer ce retard de madame Pichette à une simple négligence de sa part.

 

[108]    Cependant, comme le rappelait le représentant de l’employeur, Me Gilbert, la partie requérante n’a pas à être pénalisée pour une erreur commise par son représentant comme c’est le cas à l’instance.

 

[109]    La Commission des lésions professionnelles, comme elle l’a, à maintes reprises,  mentionné, n’a pas à pénaliser une des parties en lui faisant perdre un droit pour une erreur qui ne peut lui être imputable alors qu’elle a lui-même été diligente.

 

[110]    En donnant à une entreprise spécialisée en la matière la gestion de ses dossiers CSST, l’employeur fait preuve d’une certaine diligence et s’assure par le fait même qu’une personne compétente va s’occuper des dossiers en tout respect des délais inhérents pour ce faire.

 

[111]    L’actuel tribunal n’a aucune raison de mettre de côté cette interprétation constante et relève donc l’employeur de son défaut d’avoir respecté le délai de trente jours pour porter en révision la décision rendue le 16 septembre 2006.

 

 

[32]        La requête de l’employeur est donc recevable.

[33]        Quant au fond, les conditions alléguées comme étant un handicap par l’employeur sont une dégénérescence multiétagée lombaire et un spondylolisthésis avec spondylolyse des pars interarticularis L5-S1.

[34]        Il est bon de rappeler que le travailleur est âgé de 56 ans lorsqu’il subit un accident du travail le 22 octobre 2010 en manipulant une feuille mesurant quatre pieds par huit pieds par 5/8 de pouce d’épaisseur d’un poids approximatif de 60 livres. Il ressent alors une douleur au bas du dos en effectuant une torsion avec le haut de son corps en tournant la feuille.

[35]        La réclamation du travailleur est acceptée en lien avec le diagnostic d’entorse lombaire consolidée le 14 février 2011 sans séquelles permanentes.

[36]        Le tribunal évaluera dans un premier temps la condition dégénérative du travailleur.

[37]        Un scan dorsolombaire interprété par le docteur Christian Lareau, le 23 novembre 2010 révèle de discrets phénomènes d’arthrose à D12-L1 et L1-L2, un léger débordement du disque avec discarthrose et arthrose modérées à L2-L3, un léger débordement du disque avec arthrose modérée et discarthrose à L3-L4, une hernie centro-latérale droite à L4-L5 sans sténose spinale avec arthrose et discarthrose et finalement, de la discarthrose et arthrose modérée à L5-S1.

[38]        Tous ces phénomènes dégénératifs constituent manifestement des altérations des structures anatomiques qui ne sont plus à leur état originel.

[39]        Le tribunal tient cependant à souligner que la hernie discale retrouvée à un niveau lombaire ne correspond à aucune entité clinique. En effet, aucun examen clinique au dossier ne prouve que cette hernie est autre chose qu’une image témoin de dégénérescence discale. Notamment, l’examen du docteur Baillargeon ne révèle aucunement la présence d’une hernie discale clinique.

[40]        Ceci étant dit, il est évident que ces phénomènes existaient avant la lésion professionnelle du 22 octobre 2010 puisque visibles radiologiquement dans les semaines suivantes.

[41]        Toutefois, le tribunal ne croit pas pouvoir conclure à l’existence d’une preuve prépondérante et suffisante de l’existence d’une déviation par rapport à la norme biomédicale.

[42]        Le fait de retrouver chez un individu de 56 ans des phénomènes d’arthrose et de dégénérescence discale ou discarthrose de façon étagée n’a rien de surprenant.

[43]        Au surplus, les qualificatifs employés par le radiologiste, soit notamment « discrets » « légers » et « modérés » n’ont rien pour convaincre le soussigné de l’existence d’une telle déviation par rapport à la norme[6].

[44]        Toute altération d’une structure anatomique ne constitue pas nécessairement une déficience puisqu’il doit être établi qu’elle se démarque de la norme biomédicale reconnue à cet égard pour des personnes du même âge. Cette exigence s’impose particulièrement dans le cas d’une altération qui résulte d’un phénomène dégénératif lié à l’âge puisqu’un tel phénomène est généralement considéré par la jurisprudence comme un processus de vieillissement normal qui ne répond pas à la notion de déficience à moins que l’on puisse démontrer que la sévérité de la condition dégénérative, compte tenu de l’âge du travailleur concerné, revêt un certain caractère d’anomalie par rapport à l’ensemble de la population ou dépasse véritablement la norme reconnue à cet égard[7].

[45]        On doit donc écarter du chapitre des déficiences les conditions personnelles qu’on retrouve normalement chez les individus pour ne retenir que celles qui constituent des anomalies. La jurisprudence évalue le caractère normal ou anormal d’une condition en la comparant à ce que l’on retrouve habituellement chez des personnes de l’âge du   travailleur concerné au moment de l’événement. La preuve de cette déviation sera plus ou moins exigeante selon la nature de la condition invoquée. Bien que le caractère déviant puisse s’inférer de certaines conditions ( par exemple un diabète de type I),  lorsque la condition identifiée est une dégénérescence comme en l’espèce qui relève d’un phénomène de vieillissement normal, le requérant doit établir par une preuve prépondérante en quoi cette condition dévie de la normalité, ce qui n’a pas été fait dans le présent dossier[8].

[46]        Dans l’affaire Kollbec automobile inc. et CSST[9], la Commission des lésions professionnelles a retenu qu’il n’était pas hors norme pour un travailleur âgé de 35 ans de présenter des signes de dégénérescence multiétagée du rachis lombaire. Ceci est d’autant plus vrai chez une personne de 56 ans.

[47]        Il est vrai que le docteur Baillargeon, chirurgien-orthopédiste, affirme, dans le cadre de son expertise du 11 février 2011 que le travailleur est porteur d’une pathologie hors norme biomédicale. Il est difficile à première vue de savoir s’il attribue cette épithète à la dégénérescence dont le travailleur est porteur ou au spondylolisthésis.

[48]        Cependant, lorsqu’on lit les notes médicales administratives du docteur Baillargeon au premier item de la 2e page, on voit bien qu’il ne s’attarde qu’à la question du spondylolisthésis qu’il qualifie de déviation par rapport à la norme biomédicale. On peut donc conclure qu’il ne se prononce aucunement sur la question de la dégénérescence discale et de l’arthrose en cette matière.

[49]        De toute façon, même en tenant pour acquis qu’elle qualifie la dégénérescence, il ne suffit pas d’affirmer en cette matière, mais encore faut-il prouver et détailler les motifs qui amènent une telle conclusion.

[50]        Il serait trop facile pour un expert de simplement affirmer un principe ex cathedra sans avoir à le justifier. Le pouvoir décisionnel appartient au tribunal qui doit trancher à partir de la preuve qui lui est présentée de façon claire, détaillée, élaborée et non pas seulement sous forme de simples affirmations.

[51]        Mais il y a plus. L’employeur devait aussi prouver la relation entre le handicap allégué et la lésion professionnelle. Encore là, le docteur Baillargeon ne fait qu’affirmer que la présence de hernies multiétagées (ce qui est faux) et d’arthrose affaiblissement le rachis du travailleur. Encore là, ce commentaire est plutôt laconique.

[52]        Pour qu’il y ait ouverture à imputation en vertu de l’article 329, l’employeur doit démontrer non seulement que le travailleur était déjà handicapé lorsque sa lésion professionnelle s’est manifestée, mais aussi l’existence d’une relation entre ce handicap et la lésion professionnelle que ce soit parce que le handicap a joué un rôle déterminant dans le phénomène qui a provoqué la lésion, ou encore qu’il a prolongé de façon appréciable la période de consolidation, ou qu’il a contribué à augmenter la gravité ou les coûts de la réparation[10].

[53]        Les propos laconiques du docteur Baillargeon ne suffisent pas en l’espèce, surtout qu’on ne peut considérer l’événement survenu le 22 octobre 2010 comme banal ni la période de consolidation de 15 semaines comme nettement exagérée.

[54]        L’employeur mentionne que le travailleur n’a pas fait de faux mouvement ou de fausses manœuvres lors de l’événement initial, se remettant en cela à ce qu’il inscrit sur sa réclamation. Cependant, il est indiqué sur ce document que le travailleur avait ressenti un étirement en manipulant des feuilles un peu avant. Par ailleurs, la note médicale inscrite à l’urgence le 22 octobre 2010 indique bien qu’en travaillant, le travailleur a effectué un faux mouvement entraînant une douleur subite au niveau lombaire. Ce document contemporain à la survenance de la lésion offre un gage de fiabilité supplémentaire.

[55]        Au surplus, l’expertise du docteur Baillargeon contient elle aussi la description que le travailleur lui donne de l’événement du 22 octobre 2010. Il affirme qu’il a effectué une torsion du haut de son corps pour tourner une feuille d’un poids de 60 livres.

[56]        Le tribunal estime aussi qu’une majorité des critères retenus par la jurisprudence en matière de relation entre un handicap et une lésion professionnelle milite en faveur de l’absence de pareille relation[11].

[57]        Ainsi, le fait accidentel peut être considéré comme revêtant une certaine gravité, soit effectuer un faux mouvement en manipulant un poids d’une soixantaine de livres. Le diagnostic de la lésion professionnelle, une entorse, n’excède pas de façon démesurée la période normale de consolidation établie par le docteur Baillargeon soit six à huit semaines. Aucune séquelle permanente ne résulte de la lésion professionnelle et le travailleur est âgé de 56 ans. Les médicaments et la physiothérapie recommandés n’ont rien de disproportionnés. Le tribunal note aussi qu’une assignation temporaire de travail a pu être effectuée à compter du 18 novembre 2010.

[58]        La condition dégénérative lombaire du travailleur ne constitue donc pas un handicap.

[59]        Reste le spondylolisthésis de L5 sur S1 mesurant quelques millimètres et secondaire à une spondylolyse des pars interacticularis des éléments postérieurs de L5 bilatéralement selon le radiologiste Christian Laveau.

[60]        Encore une fois, il s’agit d’une altération des fonctions anatomiques et physiologiques du travailleur.

[61]        Le tribunal estime aussi qu’elle était présente avant l’événement du 22 octobre 2010 puisque visible radiologiquement très peu de temps après.

[62]        De plus, selon le Dictionnaire illustré des termes de médecine[12], le spondylolisthésis est un glissement en avant d’un segment de la colonne vertébrale par suite d’un défaut d’ossification des points latéraux ou, exceptionnellement, d’une fracture.

[63]        Comme il n’est aucunement question d’une fracture chez le travailleur, on peut considérer que le spondylolisthésis est une condition attribuable à un problème d’ossification et donc survenu bien avant la lésion professionnelle.

[64]        Quant à la déviation par rapport à la norme médicale, le tribunal constate une fois de plus que le médecin expert de l’employeur a affirmé une position sans expliquer le fond de sa pensée, sans référer à de la littérature, sans fournir de statistiques, etc.

[65]        Le tribunal ne peut pas conclure à la présence d’une déviation par rapport à la norme biomédicale en se basant sur la preuve de l’employeur.

[66]        Serait-il possible  pour lui de le faire en référant à sa connaissance d’office?

[67]        Il n’est pas nécessaire de trancher cette question car de toute façon, le tribunal ne peut pas conclure à l’existence d’une preuve prépondérante de la relation existant entre le spondylolisthésis du travailleur et la lésion professionnelle.

[68]        Rien dans la preuve n’explique et ne démontre pourquoi cette condition aurait joué un rôle déterminant dans le phénomène qui a provoqué la lésion, surtout qu’un mécanisme d’entorse bien identifié a été mis en preuve.

[69]        La preuve n’explique pas non plus pourquoi il y aurait eu prolongation de la période de consolidation, augmentation de la gravité de la lésion ou des coûts de la réparation à cause de cette condition.

[70]        Encore là, le docteur Baillargeon ne fait qu’affirmer que le spondylolisthésis accompagné des autres conditions dont le travailleur est affecté affaiblit son rachis. Il affirme que la période de consolidation est affectée simplement en constatant la discordance entre la période normale de consolidation et celle observée chez le travailleur.

[71]        Or, la simple prolongation anormale d’une période de consolidation ne suffit pas en soi pour permettre de conclure qu’un travailleur est handicapé[13].

[72]        Le docteur Baillargeon n’explique aucunement les affirmations qu’il fait en cette matière de sorte que le tribunal ne dispose d’aucune preuve prépondérante d’une relation entre le spondylolisthésis et la lésion professionnelle.

[73]        Rien n’explique le comment et le pourquoi d’un éventuel impact du spondylolisthésis sur la lésion professionnelle, sa survenance et ses conséquences.

[74]        Le spondylolisthésis du travailleur ne s’était jamais manifesté cliniquement avant la lésion professionnelle, du moins la preuve est complètement absente à ce niveau. Aucune mention n’en est faite par les médecins qui ont traité l’entorse du travailleur ce qui permet de penser qu’il s’agit d’une trouvaille indépendante de la lésion professionnelle.

[75]        Aucun traitement ciblé sur cet aspect de la condition lombaire du travailleur n’a été offert et aucune limitation fonctionnelle ne vient confirmer une quelconque vulnérabilité secondaire à la présence de cette anomalie, l’entorse ayant été consolidée sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle et déclarée résolue par le médecin qui a charge.

[76]        Encore une fois, les critères reconnus dans l’affaire Hôpital général de Montréal déjà citée militent en faveur de l’absence de relation.

[77]        L’employeur réfère à la décision rendue dans Michel Latulipe inc.[14]. Rappelons toutefois que dans cette affaire le travailleur n’est âgé que de 25 ans, sa lésion avait été consolidée avec une atteinte permanente de près de 22 %, la lésion professionnelle avait mis plus de deux ans et demi à atteindre une consolidation et une chirurgie avait eu lieu concernant le spondylolisthésis.

[78]        Ces faits sont bien différents de ceux sous étude dans le présent dossier.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 458535-07-1112

DÉCLARE recevable la requête déposée par Louisiana-Pacific Canada ltée, division Maniwaki, l’employeur, le 22 décembre 2011;

REJETTE la requête de l’employeur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 14 octobre 2011 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’imputation du coût des prestations inhérentes à la lésion professionnelle du 22 octobre 2010 doit être faite au dossier de l’employeur.

Dossier 458536-07-1112

DÉCLARE recevable la requête déposée par Louisiana-Pacific Canada ltée, division Maniwaki, l’employeur, le 22 décembre 2011;

REJETTE la requête de l’employeur,

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 18 octobre 2011 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que tous les coûts inhérents à la lésion professionnelle du 22 octobre 2010 doivent être imputés au dossier de l’employeur.

 

 

 

 

 

Jean-François Clément

 

 

 

Me Jean-François Dufour

ASSPP QC INC.

Procureur de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           C.L.P. 365603-31-0812, 7 octobre 2009, M. G. Grégoire.

[3]           C.L.P. 384221-71-0907, 27 novembre 2009, C. Racine.

[4]           C.L.P. 245462-62C-0410, 26 mai 2005, R Hudon.

[5]           C.L.P.323905-03B-0707, 14 octobre 2008, C. Lavigne.

[6]           Voir aussi : Municipalité de St-Stanislas, [2011] QCCLP 7272 .

[7]           Services de réadaptation l’Intégrale et CSST, [2001] C.L.P. 181

[8]           Sodexho Canada inc. C.L.P. 149700-32-0011, 9 mai 2001, C. Racine; Piscine Trévi inc., C.L.P. 162579-61-0106, 8 janvier 2003, G. Morin.

[9]          [2003] C.L.P. 263

[10]         Corps canadien des commissionnaires et Piché, [1996] C.A.L.P. 314 ; Centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont et Caron, [1996] C.A.L.P. 24 .

[11]         Hôpital général de Montréal, [1999] C.L.P. 891 .

[12]         29e édition, Garnier Delamarre, éd. Maloine, Paris 2006.  

[13]         Voir notamment : Corps canadien des commissaires et Piché, [1996] CALP 314 .

[14]         C.L.P. 353960-31-0807, 22 juin 2009, J.-L. Rivard.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.