Hamelin et J. Walter Cie Ltée |
2007 QCCLP 6846 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 15 août 2007, monsieur Pierre Hamelin (le travailleur) dépose une requête en révision à l’encontre de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 19 juillet 2007.
[2] Cette décision déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais occasionnés par l’installation d’une rampe d’accès pour une piscine hors terre.
[3] À l’audience tenue le 12 novembre 2007, seul le travailleur était présent.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande de réviser la décision rendue le 19 juillet 2007 et de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais reliés à une rampe d’accès pour une piscine hors terre.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la demande du travailleur devrait être rejetée d’autant qu’en 1997, la CSST a probablement erré en accordant la même demande.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la demande du travailleur devrait être acceptée, d’autant qu’elle l’avait été en 1997.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[7] Le tribunal doit décider s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 19 juillet 2007.
[8] C’est l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui permet à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu’elle a rendue. Cette disposition définit les critères qui donnent ouverture à la révision ou la révocation d’une décision.
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] Cette disposition doit cependant être lue en conjugaison avec l’alinéa troisième de l’article 429.49 de la loi, qui indique le caractère final et sans appel des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles.
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[10] Le tribunal est d’avis que le législateur a voulu ainsi s’assurer de la stabilité juridique des décisions rendues. Il y a donc lieu de tenir compte de ces objectifs, aux fins d’interpréter ces deux dispositions législatives.
[11] Dans le présent dossier, c’est le motif d’un « vice de fond » qui est invoqué pour invalider la décision rendue. La Commission des lésions professionnelles de même que les tribunaux judiciaires se sont prononcés à plusieurs occasions sur la portée du paragraphe troisième de l’article 429.56[2]. La lecture de ces décisions indique qu’une erreur de faits ou de droit peut constituer un « vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision », si le requérant démontre que cette erreur est manifeste et déterminante eu égard à l’objet de sa contestation.
[12] Au même effet la Cour d’appel dans l’affaire Fontaine[3], rappelle les propos du juge Fish dans l’affaire Godin[4] qui précisait que pour qu’une irrégularité soit susceptible de constituer un vice de fond, il doit s’agir d’un « defect so fundamental as to render (the decision) invalid (…), a fatal error ». De même dans l’arrêt Bourassa[5], la Cour d’appel avait précisé qu’une décision pouvant donner ouverture à la procédure prévue à l’article 429.56, devait être « entachée d’une erreur manifeste de droit ou de faits qui a un effet déterminant sur le litige ».
[13] Dans le présent cas, la preuve documentaire indique qu’en 1982, le travailleur a subi une lésion professionnelle importante.
[14] Ainsi en 1990, le travailleur a subi en raison de l’accident du travail de 1982, une discoïdectomie au niveau lombaire de même qu’une révision de cette discoïdectomie en 1992, en raison d’une fibrose cicatricielle.
[15] En relation avec la lésion professionnelle et ses conséquences, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) a accordé un déficit anatomo-physiologique de 19% concernant le niveau lombaire de la colonne vertébrale du travailleur, de même que les limitations fonctionnelles y étant reliées.
[16] En 1994, la CSST a décidé que le travailleur n’était plus en mesure de réintégrer le marché de l’emploi.
[17] En 1997, le travailleur a bénéficié d’une adaptation de son véhicule automobile et de sa maison à Mascouche. Dans le cadre de cette adaptation, la CSST a défrayé les coûts de l’installation d’un patio et d’une rampe d’accès à une piscine hors terre que le travailleur possédait.
[18] Les notes évolutives du dossier indiquent qu’après 35 années de mariage, l’épouse du travailleur a demandé le divorce. Il y est même précisé qu’elle « a rapidement pris des mesures pour obtenir sa part du patrimoine et même le placement de son mari en résidence ». À partir de cet événement, le travailleur a été dans l’obligation d’abandonner sa maison. C’est ainsi qu’en 2002, le travailleur a acquis une maison à Warden. La CSST a alors décidé d’adapter cette nouvelle maison.
[19] Au moment de l’achat de cette propriété, celle-ci ne comportait pas de piscine hors terre.
[20] À l’audience qui est à l’origine de la décision rendue le 19 juillet 2007, le travailleur a informé la Commission des lésions professionnelles que c’est en raison de problèmes financiers, qu’il n’a pas fait installer la piscine avant 2006.
[21] Dans le cadre de la contestation qui est à l’origine de la décision qui fait l’objet de la présente requête, le travailleur demande à la CSST de défrayer, comme en 1997, les frais inhérents à l’installation d’une rampe d’accès à la piscine hors terre.
[22] La décision rendue le 19 juillet 2007 par la Commission des lésions professionnelles, fait état des articles 151 et 152 de la loi, de même que l’article 1.2.6 du titre 4.01 de la Politique de réadaptation de la CSST, qui stipule :
La Commission peut rembourser au travailleur admis en réadaptation, les frais d’équipements de loisirs dans le but de permettre au travailleur d’accomplir à nouveau les activités de loisirs qu’il pratiquait avant la lésion. Les équipements pouvant être adaptés sont notamment: bicyclette, appareil-photo, canne à pêche, outillage de bricolage, articles de chasse, etc. La Commission n’accorde aucune aide particulière pour l’acquisition de nouveaux équipements de loisirs.
Les frais d’adaptation d’équipements de loisirs qu’assume la Commission ne peuvent excéder 1000.00 $ et ce, pour l’ensemble des équipements de loisirs qu’utilisait le travailleur avant la lésion.
[23] À cet effet, le commissaire indique au paragraphe [16] de sa décision :
[16] Or dans la présente instance, le travailleur avait, semble-t-il, une piscine hors terre en 1999, mais depuis, il a acquis une autre résidence en 2002 et ce n’est qu’en 2006 qu’il se fait construire une piscine hors terre. Ceci de l’avis de la Commission des lésions professionnelles constitue l’acquisition d’un nouvel équipement de loisir. Le travailleur ne peut donc bénéficier de l’aide de la CSST pour le coût d’une rampe d’accès à sa piscine hors terre.
[24] Le tribunal est d’avis que le paragraphe [16] de la décision rendue le 19 juillet 2007, comporte des erreurs de faits et de droit.
[25] D’abord la décision ne souligne pas les motifs pour lesquels il existe un délai entre l’acquisition de la maison en 2002 et l’installation de la piscine hors terre en 2006. C’est en raison de problèmes financiers, que le travailleur a dû attendre quelques années avant de procéder à cette installation et son témoignage à cet effet n’est en aucune façon contredit.
[26] Au surplus et surtout, la deuxième partie du paragraphe [16] comporte une erreur de droit. En effet, le commissaire indique que « le travailleur ne peut bénéficier de l’aide de la CSST pour le coût d’une rampe d’accès à la piscine », parce que cela « constitue l’acquisition d’un nouvel équipement de loisir ». La lecture des paragraphes [12] à [15] qui le précède, indique clairement que le commissaire réfère à la Politique de la CSST pour conclure au paragraphe 16, que le travailleur ne puisse bénéficier de cette aide de la CSST.
[27] Le tribunal n’est pas lié par les politiques de la CSST, mais bien seulement par les dispositions de la loi. D’autant comme le souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Letendre[6], que « lorsqu’une telle politique impose des critères d’admissibilité … qui ne sont pas prévus par la loi … et qui vont au-delà de ce qu’exige la loi ».
[28] Dans le présent cas, l’article 152 de la loi stipule de façon non-exhaustive le contenu d’un programme de réadaptation sociale[7]. Il y a donc lieu de conclure que l’énumération indiquée à l’article 152 de la loi n’est pas limitative. Cet article indique :
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment:
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
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1985, c. 6, a. 152.
[29] Le tribunal est donc d’avis que la conclusion indiquée au paragraphe [16] de la décision rendue le 19 juillet 2007, comporte une erreur de droit manifeste et déterminante. En effet, la décision est fondée manifestement sur une prémisse juridique erronée, de sorte que l’analyse et les conclusions qui s’en suivent sont erronées de façon déterminante.
[30] Le soussigné est donc d’avis qu’eu égard à la contestation du travailleur, il y a lieu de rendre la décision au mérite du litige et ce, en analysant les dispositions pertinentes de la loi, en l’occurrence l’article 152 plus particulièrement.
[31] Il ya lieu d’abord de souligner que les articles de la section de la loi qui concernent la réadaptation sociale, confèrent le pouvoir de défrayer les coûts inhérents à cette réadaptation. En effet, tous ces articles, notamment l’article 152 de la loi, indiquent qu’un programme de réadaptation sociale « peut » comprendre différents services.
[32] Le tribunal se doit ainsi de conclure que le législateur a voulu accorder à l’instance décisionnelle, le pouvoir de déterminer au mérite de chaque cas, le contenu et l’application du programme de réadaptation.
[33] Dans le présent cas, la preuve démontre que dès 1997, un patio et une rampe d’accès à la piscine ont été aménagés et les coûts ont été assumés par la CSST.
[34] C’est en raison du divorce demandé par son épouse, que le travailleur a été dans l’obligation de déménager en 2002. D’ailleurs, la CSST a de nouveau accepté de défrayer les coûts de réaménagement de la nouvelle maison du travailleur.
[35] L’installation de la piscine s’est effectuée seulement en 2006. Le témoignage du travailleur à l’audience qui est à l’origine de la décision rendue le 19 juillet 2097, indique que c’est en raison de problèmes financiers résultant entre autres du divorce, qu’il a dû attendre quatre années avant de pouvoir bénéficier comme auparavant, du plaisir et « des bienfaits de la baignade », d’autant qu’entre 2002 et 2004, le travailleur s’est blessé aux épaules en utilisant sa bicyclette adaptée et qu’il a dû abandonner cette pratique.
[36] Le tribunal est ainsi d’avis que l’ensemble de la preuve démontre que l’utilisation de la piscine constitue un élément important de la réadaptation sociale du travailleur, qui est demeuré avec des séquelles très importantes de l’accident survenu au travail en 1982. Cette installation s’inscrit bien dans les objectifs généraux de ce type de réadaptation prévue de façon plus générale à l’article 251 de la loi. En effet, la réadaptation sociale a pour but d’aider le travailleur à surmonter les conséquences de sa lésion professionnelle et tenter de le rendre autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles. D’autant que dans le présent cas, le déménagement de 2002 a été nécessité par la procédure de divorce initiée par son épouse et que la CSST avait défrayé ce type de coûts en 1997, de même que ceux reliés à l’adaptation de son nouveau domicile en 2002.
[37] Le tribunal est ainsi d’avis que dans le présent dossier, les coûts reliés à l’installation d’une rampe d’accès à une piscine hors terre, doivent être défrayés par la CSST.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Pierre Hamelin;
RÉVISE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 19 juillet 2007;
ACCUEILLE la contestation du travailleur ;
INFIRME la décision rendue le 19 octobre 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que les coûts reliés à l’installation d’une rampe d’accès à la piscine du domicile du travailleur, monsieur Pierre Hamelin, doivent être payés par la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
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Me Alain Suicco |
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Commissaire |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] TAQ c. Godin, C.A. Montréal, 500-09-009744-004, 18 août 2003, jj. Fish, Rousseau-Houle, Chamberland; Amar c. Commission de la santé et sécurité du travail, C.A. Montréal, 500-09-011643-012, 28 août 2003, jj. Mailhot, Rousseau-Houle, Rayle; Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, C.A. Montréal, 500-09-011014-016, 28 août 2003, jj. Mailhot, Rousseau-Houle, Rayle; CSST c Fontaine c. CLP, C.A. Montréal, 500-09-014608-046, 7 septembre 2005; Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 ; Hôpital Sacré-Coeur de Montréal et Gagné, C.L.P. 89669-61-9707, 12 janvier 1998, C.-A. Ducharme.
[3] Précitée, note 2.
[4] Précitée, note 2.
[5] Précitée, note 2.
[6] Letendre et Relizon Canada inc. [2004] C.L.P. 1769 .
[7] Du Tremble et Toitures Protech, C.L.P. 239633-64-0407, 22 juin 2005, D. Robert; Letendre et Relizon Canada inc. [2004] C.L.P. 1769 .
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.