Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gaspé

Le 24 février 2006

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine

 

Dossiers :

257302-01B-0502          261957-01B-0505

 

Dossier CSST :

119450781

 

Commissaire :

Me Louise Desbois

 

Membres :

Ginette Denis, associations d’employeurs

 

Pierre Boucher, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Adrien Trudel

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Transelec/Common inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 257302-01B-0502

[1]                Le 25 février 2005, monsieur Adrien Trudel (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 février 2005 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 14 décembre 2004 et déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi à compter du 13 décembre 2004 et que l’indemnité de remplacement du revenu doit cesser à cette date.

Dossier 261957-01B-0505

[3]                Le 10 mai 2005, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 2 mai 2005 à la suite d’une révision administrative.

[4]                Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur quant à l’évaluation médicale de son médecin traitant, confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 8 février 2005 et déclare que la récidive, rechute ou aggravation subie par le travailleur le 29 avril 2002 a entraîné une atteinte permanente de 2,2 % et que le travailleur a droit à une indemnité pour préjudice corporel de 1 121,41 $ plus les intérêts.

 

[5]                Lors de l’audience tenue à Gaspé le 6 février 2006, le travailleur est présent avec sa procureure et le procureur de l’employeur est présent pour son client. Le procureur de la CSST a préalablement avisé le tribunal que personne ne serait présent pour sa cliente.

[6]                Après discussion sur la question, il est convenu de ne procéder que sur la validité du rapport d’expertise médicale du docteur Nault en tant que médecin ayant charge du travailleur, le dossier devant être retourné à la CSST si le tribunal conclut que le rapport d’évaluation médicale du docteur Nault ne lie pas la CSST, la procédure d’évaluation médicale devant alors suivre son cours. Dans le cas contraire, les conclusions du docteur Nault devront être tenues pour avérées, avec les conclusions qui s’en infèrent.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

Dossier 257302-01B-0502

[7]                Le travailleur demande de déclarer que l’évaluation médicale sur laquelle s’est appuyée la CSST pour conclure à la capacité du travailleur d’exercer son emploi ne lie pas la CSST, à qui le dossier doit être retourné pour que la procédure d’évaluation médicale prévue par la loi soit suivie et qu’il y ait ensuite réévaluation de la capacité du travailleur à exercer son emploi.


Dossier 261957-01B-0505

[8]                Le travailleur demande de déclarer que l’évaluation médicale sur laquelle s’est appuyée la CSST pour conclure à un pourcentage d’atteinte permanente de 2,2 % en regard de la lésion professionnelle du 29 avril 2002 ne lie pas la CSST, à qui le dossier doit être retourné pour que la procédure d’évaluation médicale prévue par la loi soit suivie.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[9]                Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que les requêtes du travailleur devraient être rejetées. Ils considèrent plus particulièrement que la crédibilité du travailleur est très grandement affectée par son attitude, ses contradictions et ses affirmations à l’emporte-pièce lors de son témoignage et que la preuve n’est, notamment pour ce motif, aucunement prépondérante quant au fait que ce serait la CSST plutôt que lui ou son médecin de famille qui aurait choisi le médecin évaluateur, la CSST s’étant tout au plus limitée à suggérer des noms. L’absence de communication du rapport d’évaluation médicale au travailleur par le médecin ne leur apparaît pas non plus fatale.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]           Le travailleur, actuellement âgé de 56 ans, travaille comme manœuvre spécialisé chez l’employeur le 11 octobre 2000, date à laquelle la survenance d’une lésion professionnelle sera reconnue.

[11]           Une consultation médicale et un arrêt de travail ne surviennent que le 19 novembre 2000, incidemment après que le travailleur ait reçu son avis de mise à pied de son employeur.

[12]           Une réclamation à la CSST est alors faite et la CSST reconnaît qu’un accident du travail serait survenu le 11 octobre 2000 et une récidive, rechute ou aggravation le 19 novembre 2000. La lésion est déclarée consolidée le 8 mai 2001 à la suite d’un avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale. Le 28 janvier 2002, un autre membre du Bureau d’évaluation médicale conclut à l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles en regard de cette lésion professionnelle, en dépit des allégations contraires du travailleur.

[13]           Une autre récidive, rechute ou aggravation est reconnue par la CSST le 29 avril 2002 en raison du fait qu’un orthopédiste, le docteur Gabriel Jean, interprète différemment des radiologistes l’imagerie médicale : il y avait selon lui eu fracture du sésamoïde médian du 1er orteil le 11 octobre 2000, laquelle expliquerait la douleur intense et persistante alléguée par le travailleur. Il propose donc d’intervenir de façon chirurgicale par l’exérèse dudit sésamoïde médian du 1er orteil.

[14]           L’intervention est effectivement pratiquée le 22 mars 2004, soit deux ans plus tard, intervention dont le travailleur dira par la suite qu’elle n’a rien changé à son état. Le docteur Jean produit un rapport final sur lequel il déclare la lésion consolidée le 12 juillet 2004.

[15]           Le 4 décembre 2004, le docteur Théodore Nault, chirurgien orthopédiste, transmet à la CSST son rapport d’évaluation médicale eu égard à la lésion professionnelle du travailleur, plus particulièrement en ce qui a trait à l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[16]           C’est de ce dernier rapport dont le travailleur conteste la légitimité. Le 13 décembre 2004, le travailleur indique à son agent de la CSST ne pas être d’accord avec les conclusions du docteur Nault. Le 2 mai suivant, le procureur du travailleur souligne à la réviseure administrative de la CSST qu’il considére que le docteur Nault n’est pas le médecin qui a charge du travailleur, que son rapport ne liait par conséquent pas la CSST et qu’il produira un autre rapport d’expertise médicale devant la Commission des lésions professionnelles. Un tel rapport, signé par le docteur Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste, est effectivement produit au dossier de la Commission des lésions professionnelles le 16 mai 2005.

[17]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le rapport d’évaluation médicale du 4 décembre 2004 du docteur Nault doit être considéré comme le rapport du médecin ayant charge du travailleur aux fins de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), à tout le moins en ce qui concerne l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.

[18]           Les articles 192, 199, 200 et 203, font état du droit du travailleur de choisir le médecin qui en aura charge, ainsi que les responsabilités de ce dernier eu égard à la CSST :

192. Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.

__________

1985, c. 6, a. 192.

 

 

199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et :

 

1°   s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou

 

2°   s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.

 

Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.

__________

1985, c. 6, a. 199.

 

 

200. Dans le cas prévu par le paragraphe 2° du premier alinéa de l'article 199, le médecin qui a charge du travailleur doit de plus expédier à la Commission, dans les six jours de son premier examen, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport sommaire comportant notamment:

 

1°   la date de l'accident du travail;

 

2°   le diagnostic principal et les renseignements complémentaires pertinents;

 

3°   la période prévisible de consolidation de la lésion professionnelle;

 

4°   le fait que le travailleur est en attente de traitements de physiothérapie ou d'ergothérapie ou en attente d'hospitalisation ou le fait qu'il reçoit de tels traitements ou qu'il est hospitalisé;

 

5°   dans la mesure où il peut se prononcer à cet égard, la possibilité que des séquelles permanentes subsistent.

 

Il en est de même pour tout médecin qui en aura charge subséquemment.

__________

1985, c. 6, a. 200.

 

 

203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:

 

1°   le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2°   la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

3°   l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[19]           Ainsi, le médecin qui a charge du travailleur doit notamment, lorsque la lésion est consolidée, expédier à la CSST un rapport sur lequel il indique, le cas échéant :

« […]

 

1°   le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2°   la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

[…] »

[20]           La question de savoir si le docteur Nault peut être considéré comme le médecin ayant charge du travailleur, plus particulièrement ici aux fins de l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, revêt une importance majeure. En effet, en vertu de l’article 224 de la loi, la CSST est liée sur ces sujets par l’opinion du médecin qui a charge du travailleur :

224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:

 

1°   le diagnostic;

 

2°   la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3°   la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4°   l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5°   l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

 

[21]           En outre, à moins que l’employeur ou la CSST n’aient enclenché la procédure de contestation médicale par la production d’un rapport médical infirmant les conclusions du médecin ayant charge du travailleur, personne ne peut contester la décision de la CSST entérinant ces conclusions :

358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

 

Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.

 

Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2.

__________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14.

 

(Soulignement ajouté)

[22]           Ainsi, si la Commission des lésions professionnelles conclut que le docteur Nault doit être considéré comme le médecin ayant charge du travailleur aux fins de l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, les conclusions de ce dernier ne pourront être remises en question et lieront tant la Commission des lésions professionnelles que la CSST, l’employeur et le travailleur.

[23]           Si, par contre, ce tribunal conclut que le docteur Nault ne peut être considéré comme le médecin ayant charge du travailleur aux fins de l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, le dossier devra être retourné à la CSST. Celle-ci devra alors déterminer s’il y a un autre rapport d’évaluation médicale au dossier pouvant être considéré comme émanant du médecin ayant charge du travailleur (celui du docteur Tremblay par exemple) et si elle ou l’employeur souhaitent obtenir un rapport médical qui pourrait en infirmer les conclusions, auquel cas le dossier serait ensuite acheminé au Bureau d’évaluation médicale pour trancher le différend. Si aucun rapport médical ne peut être considéré comme émanant du médecin ayant charge du travailleur, toute la procédure devra être reprise au début, le travailleur devant faire évaluer les séquelles de sa lésion professionnelle par un médecin de son choix, la CSST et l’employeur devant ensuite décider s’ils souhaitent obtenir un rapport d’un autre médecin et, le cas échéant, contester celui du médecin du travailleur, etc.

[24]           Il ressort clairement de la preuve que le docteur Luc Rehel, omnipraticien et médecin de famille du travailleur, était à l’époque le médecin ayant de façon générale charge du travailleur : le travailleur l’a vu régulièrement avant et après sa lésion professionnelle, il a dirigé le travailleur vers d’autres spécialistes de la santé, a continué le suivi après que l’orthopédiste ayant opéré le travailleur ait terminé son suivi postchirurgical, etc.

[25]           Cependant, le docteur Rehel n’a produit aucun rapport médical à la CSST qui puisse être assimilé au rapport prévu à l’article 203 de la loi.

[26]           Tel que mentionné précédemment, le docteur Gabriel Jean, orthopédiste ayant opéré le travailleur, a produit un « rapport final » à la CSST, sur le bref formulaire que celle-ci a prévu à cette fin. Il y précise le diagnostic et la date de consolidation de la lésion professionnelle : séquelles de fracture sésamoïde gauche, consolidée le 12 juillet 2004. Il y répond « oui » aux questions de savoir si la lésion professionnelle a entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, mais répond « non » à celles de savoir s’il produira le rapport d’évaluation de celles-ci ou s’il a dirigé le travailleur vers un autre médecin pour ce faire. Il précise par ailleurs qu’il peut y avoir retour au travail le 12 juillet 2004. Il ne revoit plus le travailleur par la suite.

[27]           Le docteur Jean, qui a suivi le travailleur pour tout ce qui a eu rapport à la chirurgie ayant donné lieu à la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation, peut être considéré comme le médecin qui avait charge du travailleur quant à l’établissement du diagnostic et de la date de consolidation de la lésion professionnelle et ses conclusions sur ces sujets lient par conséquent la CSST. Ni le travailleur, ni l’employeur ne remettent d’ailleurs cela en question.

[28]           C’est cependant moins simple en ce qui concerne l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.

[29]           En effet, le docteur Jean indique que la lésion professionnelle a entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, mais n’en fait pas l’évaluation et ne les définit pas. Or, l’article 203 prévoit que le rapport final du médecin du travailleur indique, le cas échéant :

« […]

 

1°   le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2°   la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

[…] »

 

(Soulignements ajoutés)

[30]           C’est le docteur Théodore Nault, orthopédiste à Rimouski, qui effectue cette évaluation et produit le rapport d’évaluation médicale conforme sur cet aspect à l’article 203. Il évalue l’atteinte permanente à 2 % pour préjudice esthétique, et conclut qu’il n’y a aucune limitation fonctionnelle.

[31]           La procureure du travailleur invoque en premier lieu, et c’est là son argument principal, que le docteur Nault ne peut être considéré comme le médecin ayant charge du travailleur à quelque fin que ce soit, parce que ce serait la CSST qui l’aurait choisi et imposé au travailleur.

[32]           Aucune jurisprudence n’ayant été produite sur cette question de l’implication de la CSST dans le choix du médecin devant procéder à l’évaluation du travailleur, une brève revue en a été faite par le tribunal.

[33]           Il s’avère ainsi effectivement que si le médecin d’un travailleur suggère une évaluation médicale par la CSST et que cette dernière mandate un médecin pour ce faire, ce dernier ne saurait être considéré comme le médecin ayant charge du travailleur[2].

[34]           Par contre, le fait que la CSST suggère au travailleur des noms ou même un seul nom de médecin pour procéder à son évaluation ne fait pas perdre à ce médecin sa qualité de médecin ayant charge du travailleur aux fins de son évaluation si le travailleur le choisit[3].

[35]           En l’occurrence, le tribunal ne peut conclure que la preuve est prépondérante quant au choix du docteur Nault par la CSST plutôt que par le travailleur ou son médecin de famille. Cela, en considération de la jurisprudence sur la question, de la preuve prépondérante et du témoignage du travailleur auquel peu de crédibilité peut être accordé.

[36]           Il apparaît opportun, en premier lieu, de rapporter le contenu intégral des notes évolutives du 6 juillet 2004 au 12 octobre 2004 de l’agent de la CSST responsable du dossier du travailleur :

« Appel de T [travailleur], il est toujours à Rimouski mais il est allé hier à son R.V. [rendez-vous] avec le Dr Jean. Il lui a dit de faire de la physio jusqu’à vendredi et qu’il pouvait reprendre le travail le 12/07. T dit ne pas être en mesure de reprendre le travail car il a été opéré et il a fait de l’infection, il n’a donc pas tout le temps fait de la physio. J’indique à T que si le md [médecin] indique un  RAT [retour au travail] c’est possiblement car il est mesure de le faire. Je lui demande de me faire parvenir le document. T demande de le contacter au 724-8389 ch. 50910.                                                                                                   -6 JUIL. 2004

 

Appel de T, il demande si j’ai reçu le RMF [rapport médical final] du Dr Jean  oui. T dit qu’il ne peut pas aller travailler sur la construction dans son état. Je mentionne à T qu’il persiste un % [pourcentage] de DAP [déficit anatomo-physiologique] et des l. [limitations] fonctionnelles, il a donc droit à l’IRR [indemnité de remplacement du revenu] jusqu’à ce que la CSST se soit prononcé sur sa capacité à refaire son emploi. T voit le Dr Luc Rehel demain. Je lui demande d’obtenir une référence pour un md évaluateur et de me donner le nom du md afin que je lui fasse parvenir le dossier médical.                                                        15 JUIL. 2004

 

Appel du Dr Luc Rehel, il a vu le T ce matin qui a été consolidé par le Dr Jean. Il dit que T ne se sent pas capable de reprendre son travail sur la construction. J’explique au Dr Rehel que selon le Dr Jean il persiste un % de DAP et des l. fonctionnelles. T a donc droit à l’IRR jusqu’à ce que la CSST puisse statuer sur sa capacité à refaire son emploi. Pour ce faire, T doit être évaluer. Dr Rehel se renseigne sur les mds qui font des REM [rapport d’évaluation médicale] en Gaspésie et à Rimouski car T est souvent dans cette région en ce moment. Il va parler du Dr Rouleau et du Dr Nault que T a déjà rencontré en 2002.       16 JUIL. 2004

 

Message de T, il a appelé le Dr Rouleau mais il n’y avait pas de réponse, il a parlé à la secrétaire du Dr Nault et elle a dit qu’un R.V. lui serait fixé à l’automne, mais que la CSST doit envoyer le dossier avant de donner une date.                                                                                                     27 JUIL. 2004

 

REPRO [reprograhie] Dr Nault                                                                 27 JUIL. 2004

 

Appel à T, message laissé sur b/v [boîte vocale]

-          date de REM                                                                        18 AOUT 2004

 

Retour d’appel à E [employeur], Linda Bissonnette, info [information] donnée que le Dr Nault fera le REM, mais que la date n’est pas fixé. Elle espère que les limitations seront connues rapidement afin de voir ce que T sera en mesure de faire dans l’entreprise. Elle demande de la contacter lorsque la date de REM sera connue.  19 AOUT 2004

 

Appel de T, il n’a pas la date du R.V. avec le Dr Nault, il va contacter le bureau ce jour.

                                                                                                             26 AOUT 2004

 

Appel à T, il aura son R.V. en octobre mais n’a pas la date encore.

                                                                                                             10 SEP. 2004

 

Appel à T, il n’a pas été appelé pour son REM. Je lui suggère de faire un contact la semaine prochains si il n’a pas été appelé.                                                                                      -7 OCT. 2004

 

Message de T, il a un R.V. avec le Dr Nault pour le 26/11.                         04-10-12 » (sic)

 

(Soulignements ajoutés)

[37]           Selon le travailleur, son agent lui aurait plutôt dit qu’il devait faire évaluer les séquelles de sa lésion professionnelle, il lui aurait répondu qu’il ne connaissait pas de médecin effectuant de telles évaluations et son agent lui aurait suggéré les docteurs Claude Rouleau et Théodore Nault. À certains moments de son témoignage cependant, le travailleur affirme catégoriquement que l’agent ne lui aurait pas laissé le choix, lui disant que ce devait être l’un ou l’autre de ces médecins, et il nie même avoir demandé à son agent de lui suggérer des noms. Par contre, à de nombreuses reprises, il utilise à nouveau le terme « suggéré » pour qualifier la façon dont son agent de la CSST lui aurait parlé de ces médecins. Il dira notamment que « la CSST m’avait suggéré ces deux-là… ».

[38]           En accord avec la jurisprudence précitée[4], si le tribunal retient que l’agent de la CSST a simplement suggéré des noms de médecins au travailleur, le fait que ce soit l’un d’eux que le travailleur a retenu ne fait pas en sorte que ce médecin ne peut être qualifié de médecin ayant charge du travailleur aux fins de son évaluation, puisque c’est tout de même le travailleur qui l’a choisi en bout de ligne.

[39]           Le tribunal ne peut par ailleurs retenir comme probantes les prétentions du travailleur selon lesquelles il ne savait pas qu’il pouvait choisir le médecin devant l’évaluer. Les notes évolutives révèlent que l’agent lui demande d’en parler avec son médecin et de le rappeler pour lui dire le nom du médecin choisi ! Et si, conformément à la version du travailleur, l’agent lui a plutôt dit qu’il devait se faire évaluer et que le travailleur lui a répondu ne pas connaître de médecin pour ce faire, c’est qu’il était nécessairement conscient que c’était à lui qu’il revenait d’en choisir un. De plus, ce n’est pas la première fois que le travailleur doit se faire évaluer. En 2001, il ressort clairement des notes évolutives que le travailleur tarde à se faire évaluer, ce qui prolonge d’autant le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, que la CSST lui répète qu’il doit se trouver un médecin et se faire évaluer et lui envoie même finalement une lettre dans laquelle un délai de dix jours lui est accordé pour se trouver un médecin évaluateur. Le travailleur prétend pourtant qu’à ce moment-là non plus on ne lui avait pas expliqué qu’il avait le droit de choisir le médecin devant l’évaluer. Ce qui apparaît tout à fait invraisemblable dans le contexte.

[40]           Le travailleur insiste également sur le fait que ce serait bien la CSST qui aurait choisi le docteur Nault puisque ce serait elle qui aurait fait les démarches auprès de celui-ci pour lui obtenir son rendez-vous. Il reconnaît avoir tenté lui-même d’obtenir ce rendez-vous, mais ajoute que la secrétaire du médecin aurait refusé de lui en donner un, lui aurait dit qu’il n’avait pas le droit de le prendre lui-même et que c’était son agent de la CSST qui devait s’en occuper, ce qui fût fait. Confronté aux notes évolutives du 27 juillet 2004 selon lesquelles il aurait alors plutôt rapporté à son agent que la secrétaire lui avait simplement dit, quant à l’intervention de la CSST, que cette dernière devait envoyer le dossier du travailleur avant la rencontre de ce dernier avec le médecin, le travailleur nie catégoriquement que ce soit ce qui se serait passé et que ce soit ce qu’il aurait alors rapporté à son agent.

[41]           Cette version que le travailleur donne des événements n’apparaît cependant pas du tout probante. Tout en insistant sur cette version, le travailleur dit en effet que la secrétaire lui aurait dit qu’il aurait son rendez-vous au cours de l’automne et qu’elle le rappellerait pour lui confirmer la date, ce qu’elle a fait. En outre, le travailleur nie avoir jamais appelé à nouveau la secrétaire du docteur Nault puisqu’elle l’avait rabroué. Confronté aux notes évolutives des 26 août et 10 septembre 2004 selon lesquelles le travailleur dit à son agent de la CSST qu’il n’a pas encore eu sa date de rendez-vous avec le docteur Nault et qu’il va rappeler pour savoir ce qui en est, et ensuite lui confirme que ce sera en octobre, le travailleur admet ces appels… pour plus tard nier à nouveau toute autre communication avec le bureau du docteur Nault que la communication initiale qui aurait selon lui été un échec total. Le travailleur reconnaît par ailleurs en tout temps que c’est la secrétaire du docteur Nault, et non la CSST, qui l’a appelé pour lui donner la date de son rendez-vous.

[42]           Finalement, le travailleur affirme ne jamais avoir parlé à son médecin de famille, le docteur Rehel, de la nécessité qu’il se fasse évaluer et du choix d’un médecin pour ce faire. Encore une fois, cette affirmation est pour le moins douteuse à la lecture des notes évolutives. En effet, le 15 juillet 2004, le travailleur dit à son agent qu’il voit son médecin, le docteur Rehel le lendemain. L’agent lui dit alors d’obtenir de lui « une référence (sic) pour un md évaluateur et de [lui] donner le nom du md afin [qu’il] lui fasse parvenir le dossier médical ». Et, le lendemain, le docteur Rehel appelle l’agent de la CSST et il est question d’évaluation des séquelles, ainsi que des docteurs Rouleau et Nault. Retenir la version du travailleur reviendrait à conclure à une fort étrange voire inexplicable, coïncidence. Et il y a plus inexplicable encore : comment le travailleur aurait-il pu rappeler son agent le 27 juillet suivant pour lui indiquer avoir communiqué avec le bureau du docteur Nault pour un rendez-vous sans avoir parlé au docteur Rehel auparavant en ce sens ? Le travailleur prétend que c’est l’agent de la CSST qui l’aurait appelé pour lui parler de l’évaluation et des docteurs Rouleau et Nault. Il n’y a pourtant absolument aucune note évolutive de l’agent faisant état d’un entretien téléphonique avec le travailleur à cette époque, bien que tout semble généralement scrupuleusement noté : il y a l’entretien au cours duquel l’agent demande au travailleur d’en parler avec le docteur Rehel, l’appel du docteur Rehel le lendemain puis, onze jours plus tard, l’appel du travailleur confirmant que ce sera le docteur Nault qui procédera à l’évaluation, au cours de l’automne. Absolument rien entre-temps.

[43]           Le tribunal accorde en outre plus de force probante en l’instance aux notes évolutives d’un agent n’ayant aucun intérêt dans le dossier, ne pouvant alors suspecter le litige à venir sur le choix du médecin et rapportant la moindre conversation dans ses notes, qu’au témoignage truffé d’affirmations à l’emporte-pièce, d’invraisemblances et de contradictions (qu’il apparaît inutile de rapporter en entier) que livre le travailleur lors de l’audience.

[44]           Or, si c’est le docteur Rehel qui a dirigé le travailleur vers le docteur Nault pour l’évaluation des séquelles de sa lésion professionnelle, ce dernier devenait le médecin ayant charge du travailleur sur ces questions[5].

[45]           En somme, ce qui apparaît le moins probable dans tous ces éléments de preuve, est que la CSST, plutôt que le travailleur ou son médecin, aurait choisi ou dicté le choix du docteur Nault pour procéder à l’évaluation des séquelles du travailleur.

[46]           Le tribunal souligne par ailleurs que le travailleur voyait alors, selon son propre témoignage, le docteur Nault pour la troisième fois. Il déclare l’avoir déjà auparavant lui-même choisi, avec son médecin de famille, pour une consultation, mais qu’en 2004 il n’en voulait pas pour son évaluation, sans être en mesure d’expliquer clairement pourquoi. Il n’a en outre jamais manifesté, de façon contemporaine à cette évaluation, un quelconque désaccord avec le fait que le docteur Nault l’évalue, ni auprès de la CSST, ni auprès de son avocat, toujours selon son propre aveu.

[47]           La procureure du travailleur invoque par ailleurs le fait que le docteur Nault conclut à l’absence de limitations fonctionnelles alors que le docteur Jean avait indiqué qu’il y en avait, ce qui ne peut selon elle être accepté : elle plaide que le docteur Nault était lié par la conclusion du docteur Jean quant à l’existence de limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle.

[48]           Encore une fois, le tribunal a effectué une revue de la jurisprudence sur cette question. Or, il en ressort de façon majoritaire qu’un seul médecin peut agir au même moment ou sur le même aspect d’un dossier, afin d’éviter une situation où il y aurait production de rapport médicaux contradictoires[6]. Il en ressort que plusieurs médecins peuvent agir de façon concurrente, mais sur des aspects différents du dossier, et que le médecin ayant charge de façon plus générale du travailleur peut déléguer certains aspects particuliers à d’autres médecins.

[49]           Par contre, un médecin vers qui un travailleur est dirigé pour agir sur un ou des sujets précis du dossier ne peut remettre en cause et infirmer des conclusions sur des sujets déjà réglés par le médecin ayant charge du travailleur[7]. Ainsi, un médecin chargé d’évaluer l’atteinte permanente ne peut par exemple remettre en question le diagnostic ou la date de consolidation de la lésion professionnelle déterminés par le médecin ayant eu charge du travailleur précédemment et s’étant prononcé sur ces questions.

[50]            Il importe cependant de préciser qu’il ressort clairement de la jurisprudence que cela ne vaut que si le sujet sur lequel il y a apparente contradiction a été complètement réglé par le premier médecin et respecte ainsi les exigences de l’article 203[8]. Ainsi, le bref formulaire « Rapport final » ne suffit pas et doit être complété par un rapport d’évaluation médicale, à moins qu’il ne comporte les éléments requis par l’article 203. Ainsi, si le premier médecin n’évalue pas l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, le second médecin a toute liberté pour les évaluer, incluant pour conclure qu’il n’y en a pas, l’article 203 référant au « pourcentage d’atteinte permanente » et à « la description des limitations fonctionnelles » et non simplement à leur existence. La commissaire Joëlle L’Heureux s’exprimait notamment comme suit sur le sujet dans l’affaire Colgan[9] qui a ensuite fait jurisprudence :

« Aux fins de transmettre les avis médicaux à la suite de la consolidation de la lésion du travailleur, la Commission a mis en circulation deux formulaires pour obtenir l’opinion du médecin traitant sur les sujets prescrits par la loi, formulaires appelés respectivement « rapport final » et « rapport d’évaluation médicale ». Il ressort toutefois que le formulaire appelé « rapport final » ne rencontre pas les prescriptions de l’article 203 qui prévoit l’existence légale d’un rapport final et en détermine le contenu.

 

L’affirmation ou la négation pure et simple de l’existence d’une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles, demandée au formulaire de « rapport final » par la Commission, ne correspond à aucune des étapes de la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi. L’article 203, 2ième et 3ième paragraphes, prévoit spécifiquement qu’à la suite de la consolidation de la lésion, le médecin ayant charge du travailleur doit indiquer le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique du travailleur d’après le barème des dommages corporels adopté par règlement et doit décrire les limitations fonctionnelles du travailleur résultant de cette lésion.

 

Le geste demandé par la Commission au médecin, par le biais du « rapport final », ne correspond pas au geste demandé par le législateur à l’article 203.

 

Comme le législateur a aussi prévu que la Commission est liée par l’avis du médecin ayant charge du travailleur, il apparaît normal à la Commission d’appel que l’avis sur lequel la Commission devienne liée corresponde à un sujet sur lequel la loi demande au médecin ayant charge du travailleur de se prononcer.

 

De plus, l’absence de spécification sur la nature de la limitation fonctionnelle accordée, ou sur l’atteinte permanente dont est affligé le travailleur, rend ces séquelles abstraites.

 

La limitation fonctionnelle, tout comme l’atteinte permanente, ne devient réelle, et donc applicable, ou encore contestable, que lorsqu’elle est décrite dans sa nature. »

 

(Soulignements ajoutés)

[51]           Le tribunal souligne que la pertinence des questions de la CSST quant à l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles sur le bref rapport final que doit compléter le médecin, bien que ne correspondant pas exactement à ce qui est exigé à l’article 203, s’explique aisément : la réponse à ces questions permet de déterminer si une évaluation exhaustive devra être faite. Advenant une réponse négative, le dossier est en effet fermé. Cette façon de procéder respecte le libellé de l’article 203 selon lequel le médecin indique « le cas échéant […] le pourcentage d’atteinte permanente […] la description des limitations fonctionnelles […] ». Ainsi, si le médecin indique qu’aucune atteinte permanente et aucune limitation fonctionnelle ne résultent de la lésion professionnelle, il n’y a pas lieu d’aller plus loin, les exigences de l’article 203 étant respectées. Dans le cas contraire, il doit y avoir évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. En fait, un médecin de famille dans le doute et ne connaissant pas bien le barème des atteintes permanentes et les usages en matière de reconnaissance et de rédaction des limitations fonctionnelles n’a qu’à répondre « oui » aux questions de savoir s’il en découle de la lésion professionnelle pour qu’il y ait ensuite évaluation par un médecin plus compétent en la matière. Il apparaît dès lors raisonnable de privilégier l’opinion de ce second médecin lorsque le premier ne s’est pas avancé à évaluer l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, s’étant limité à indiquer à la CSST qu’il en subsisterait.

[52]           Le tribunal note de plus que la « contradiction » semble d’autant moins évidente en l’instance que le docteur Jean « cochait » qu’il persistait des limitations fonctionnelles, mais écrivait en même temps que le travailleur était capable de retourner au travail (l’intérêt du travailleur à faire reconnaître des limitations fonctionnelles visant précisément à démontrer le contraire) et que le médecin de famille, le docteur Rehel, n’a jamais exprimé son désaccord par rapport aux conclusions du docteur Nault sur ce point.

[53]           La procureure du travailleur plaide en dernier lieu que le défaut par le docteur Nault d’avoir communiqué ses conclusions au travailleur comme le prévoit l’article 203 de la loi et d’avoir plutôt transmis son rapport à la CSST invaliderait son rapport.

[54]           Selon l’article 203 précité, c’est bien à la CSST que le médecin ayant charge du travailleur doit transmettre son rapport d’évaluation final. Il y est par contre effectivement mentionné en toute fin ce qui suit :

« […]

 

Le médecin qui a charge du travailleur l’informe sans délai du contenu de son rapport. »

[55]           Cette exigence qui est faite au médecin du travailleur trouve un écho plus loin dans la loi, plus précisément à l’article 133 :

133. La Commission doit recouvrer le montant de l'indemnité de remplacement du revenu qu'un travailleur a reçu sans droit depuis la date de consolidation de sa lésion professionnelle, lorsque ce travailleur:

 

1°   a été informé par le médecin qui en a charge de la date de consolidation de sa lésion et du fait qu'il n'en garde aucune limitation fonctionnelle; et

 

2°   a fait défaut d'informer sans délai son employeur conformément au premier alinéa de l'article 274.

__________

1985, c. 6, a. 133.

 

 

[56]           Ainsi, le médecin doit informer le travailleur de ses conclusions, plus particulièrement parce que si sa lésion est consolidée sans limitations fonctionnelles, le travailleur est censé dès lors en informer son employeur. L’employeur pourra alors immédiatement envisager le retour au travail et la CSST la fin du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Il s’agit là d’un motif valable à l’exigence faite au médecin de communiquer « sans délai » ses conclusions au travailleur.

[57]           Tel que déjà mentionné, à partir du moment où l’on conclut que le médecin qui produit le rapport d’évaluation médicale avait charge du travailleur à cette fin, le travailleur n’a pas le droit d’en contester les conclusions. Avec respect pour l’opinion contraire, pourquoi, dès lors, punir de déchéance, d’invalidité totale, ce rapport et ses conclusions, uniquement parce qu’elles n’auraient pas été communiquées directement et sans délai au travailleur ? Le remède apparaît nettement excessif par rapport au mal.

[58]           Il y a peu de jurisprudence sur cette question et elle est contradictoire. Le tribunal se range quant à lui du côté de la décision rendue dans l’affaire Raymond[10] dans laquelle le commissaire conclut qu’il s’agit d’un aspect technique dont le non-respect ne peut donner de droits exorbitants au travailleur.

[59]           Il s’avère donc finalement que le rapport d’évaluation médicale produit par le docteur Théodore Nault à titre de médecin ayant charge du travailleur lie la CSST et ne pouvait être contesté par le travailleur, ce qui implique qu’il doit être pris pour acquis que la lésion professionnelle subie par le travailleur le 29 avril 2002 a entraîné une atteinte permanente de 2,2 %, mais aucune limitation fonctionnelle. Dès lors, la seule conclusion qui s’impose quant à la capacité de travail du travailleur est qu’il est capable d’exercer son emploi.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

 

Dossier 257302-01B-0502

REJETTE la requête du travailleur, Monsieur Adrien Trudel ;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 février 2005 à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que le travailleur était capable d’exercer son emploi à compter du 13 décembre 2004 et que l’indemnité de remplacement du revenu devait cesser à cette date.

 

Dossier 261957-01B-0505

REJETTE la requête du travailleur, Monsieur Adrien Trudel ;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 2 mai 2005 à la suite d’une révision administrative ;

 

DÉCLARE irrecevable la demande de révision du travailleur de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 8 février 2005.

 

 

 

 

 

Louise Desbois

 

Commissaire

 

 

 

 

 

Me Sylvie Desrosiers, avocate

DION INC., AVOCATS

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Christian Tétreault, avocat

BOURQUE TÉTREAULT & ASS.

Représentant de la partie intéressée

 

 

Me Pierre Villeneuve, avocat

PANNETON LESSARD

Représentant de la partie intervenante

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]          Voir notamment : Lavoie et Aliments Valdi inc. [1989] C.A.L.P. 45 ; Amara et Centre de conditionnement physique Atlantis inc., C.L.P. 211952-71-0307, 10 février 2004, C. Racine

[3]          Voir notamment : Martel et Rexfor-Domaine forestier, C.A.L.P. 10644-01-8901, 27 mars 1991, J.-M. Dubois; Dubreuil et Monsanto Canada inc., C.A.L.P. 37266-60-9202, 11 février 1994, S. Di Pasquale; Turgeon et Société des alcools du Québec, C.A.L.P. 38258-03-9204, 15 mars 1994, M. Carignan; Chenail et Pneus LP 1988 enr., C.L.P. 87143-62C-9703, 26 février 1999, V. Bergeron; Loiselle et Paccar Canada div. Cie Kenworth. C.L.P. 89353-71-9706, 8 juillet 1999, A. Vaillancourt; Glazer et Aciers Rive-Sud inc., C.L.P. 113071-64-9903, 13 octobre 1999, R. Daniel.

[4]          Note 3

[5]          Voir notamment : Vachon et J.M Asbestos inc. C.A.L.P. 06278-05-8801, 11 décembre 1989, G. Godin; Librandi et Restaurant Da Giovanni enr., C.A.L.P. 05117-60-8710, 29 avril 1991, R. Jolicoeur; Ministère de la justice et Lapointe, [1991] C.A.L.P. 453 , révision rejetée, 190035-64-9005, 14 janvier 1992, S. Lemire; Succession André Gagné et Transport Brazeau inc., C.A.L.P. 08995-60-8808, 9 mars 1992, E. Harvey; Gagné et Pyrotex, [1996] C.A.L.P. 323 ; Jolicoeur et Stracham, C.L.P. 114146-73-9902, 7 septembre 1999, F. Juteau; Gagnon et CSST, [2005] C.L.P. 798 .

[6]          Voir notamment : Fortin et Société Groupe Emb Pepsi Canada [2004] C.L.P. 168            

[7]          Voir notamment :Chabot et Roger Vallerand inc. [1994] C.A.L.P. 693 ; Rioux et Provigo Distribution inc. C.A.L.P. 55673-03-9312, 29 juin 1995, M. Carignan; Landry et Centre d’accueil Émilie Gamelin [1995] C.A.L.P. 1049 ; Hassan Mir et Fibres Jasxtex inc. C.L.P. 121772-72-9908, 23 novembre 1999, R. Langlois; Di Carlo et Pharmaprix Bureau Central, C.L.P. 145258-71-0008, 7 juin 2002, L. Crochetière; Casino de Montréal et Raymond, C.L.P. 214264-61-0308, 3 mai 2004, G. Morin; Gagnon et CSST, [2005] C.L.P. 798 .    

[8]          Voir notamment : Colgan et C.A. Champlain Marie-Victorin, [1995] C.A.L.P. 1201 ; Benoît et Ayerst, McKenna et Harrison inc., C.A.L.P. 08827-60-8808, 31 mars 1993, M. Cuddihy; Ouellet et Entr. forestières F.G.O. inc., C.A.L.P.  26176-01-9101, 21 juillet 1993, M. Carignan; Dubreuil et Monsanto Canada inc., précitée note 3; Larivière et Hôpital du Haut-Richelieu, C.A.L.P.38310-62-9203, 9 mars 1994, M. Lamarre; Gagné et Chaussures Henri-Pierre inc., C.A.L.P. 41250-03-9206, 2 mai 1994, C. Bérubé; Colgan et Thibodeau et J. H. Ryder Machinerie ltée, C.A.L.P.43929-62-9206, 28 juin 1995, L. Thibault; Gagné et Pyrotex ltée, précitée, note 5; Bellemare et Fonderie Grand-Mère ltée, C.A.L.P. 38632-04-9204, 22 septembre 1997, M. Carignan (décision sur requête en révision); Leclair et Ressources Breakwater-Mine Langlois, C.L.P.138655-08-0004, 23 juillet 2001, P. Prégent; Côté et Gestion Rémy Ferland inc., C.L.P.175597-03B-0201, 20 juin 2002, J.-F. Clément; Armatures Bois-Francs inc. et Allard, C.L.P. 171777-64-0111, 22 avril 2003, R. Daniel; Bussières et Abitibi Consolidated (Division La Tuque), [2004] C.L.P. 648 ; Raymond et Transformation B.F.L., C.L.P. 230973-04-0403, 25 février 2005, A. Gauthier.

[9]          Précitée, note 8

[10]        Raymond et Transformation B.F.L., précitée, note 8

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