_

CSSS Lucille-Teasdale

2009 QCCLP 7772

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

17 novembre 2009

 

Région :

Laval

 

Dossier :

381662-61-0906

 

Dossier CSST :

132627589

 

Commissaire :

Lucie Nadeau, juge administrative

 

______________________________________________________________________

 

 

 

CSSS Lucille-Teasdale

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 23 juin 2009, le CSSS Lucille-Teasdale (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 juin 2009 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 16 avril 2009 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité des coûts de la lésion professionnelle subie par Mme Anne-Marie Exina (la travailleuse) le 29 janvier 2008.

[3]                L’audience s’est tenue à Laval le 30 octobre 2009 en présence de la procureure de l’employeur. Un délai a été accordé à l’employeur pour produire une preuve supplémentaire concernant les coûts de la lésion professionnelle. L’employeur a transmis les informations à ce sujet le 4 novembre suivant et le dossier a été pris en délibéré.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de transférer la totalité des coûts de la lésion professionnelle à l’ensemble des employeurs au motif qu’il est obéré injustement par cette imputation.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]                La travailleuse occupe un emploi de chef d’unité des soins infirmiers chez l’employeur. Le 29 janvier 2008, elle subit un accident du travail. À la fin de son quart de travail, alors qu’elle quitte le travail, elle perd connaissance et chute dans un escalier.

[6]                Des diagnostics initiaux de contusion à la jambe gauche et à la joue gauche sont posés. Par la suite, des diagnostics d’entorse du genou droit et d’entorse de la cheville droite sont reconnus comme étant en relation avec la lésion professionnelle.

[7]                La travailleuse reprend des travaux légers, de manière progressive, à compter de mars 2008 puis elle retourne au travail régulier le 7 juillet 2008. Les traitements de physiothérapie et d’ergothérapie cessent en août 2008. Il n’y a pas au dossier de rapport final mais on constate que la CSST procède à la fermeture du dossier le 17 septembre 2008.

[8]                Le 26 janvier 2009, l’employeur demande à la CSST un transfert des coûts au motif qu’il est obéré injustement par l’imputation des coûts de cet accident. L’employeur prétend que c’est la perte de conscience qui est la «causa causans» de la lésion professionnelle. Cette perte de conscience est totalement étrangère aux risques économiques des activités exercées par l’employeur, d’autant plus que la travailleuse avait terminé son quart de travail et quittait l’établissement au moment où survient cette perte de conscience.

[9]                La CSST rejette la demande de l’employeur, d’où la présente contestation.

[10]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un transfert des coûts au motif qu’il est obéré injustement en vertu du second alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :

 

 

 

326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

(nos soulignements)

 

 

[11]           Rappelons d’abord que la règle générale d’imputation veut que le coût d’un accident du travail soit imputé au dossier financier de l’employeur.

[12]           Deux exceptions sont prévues au second alinéa : l’imputation injuste des coûts résultant d’un accident attribuable à un tiers et l’imputation qui aurait pour effet d’obérer injustement un employeur. Il appartient à celui qui veut bénéficier d’une de ces exceptions de faire la preuve des faits lui donnant ouverture.

[13]           L’interprétation de la notion «d’obérer injustement» a fait l’objet de débats. D’une interprétation plus restrictive, exigeant une preuve de situation financière précaire ou de lourdes charges financières, la jurisprudence[2] a évolué au cours des années pour retenir une interprétation plus large et libérale.

[14]           Dans l’affaire Joseph et C.A.E. Électronique ltée[3], la Commission des lésions professionnelles retient une interprétation selon laquelle un employeur est «obéré injustement» lorsque l’imputation des coûts à son dossier entraîne pour lui un «fardeau indûment ou injustement onéreux, compte tenu des circonstances».

[15]           Par ailleurs, dans Location Pro-Cam inc. et CSST[4], la Commission des lésions professionnelles retient une interprétation qui exige en plus de la situation d’injustice, la preuve d’un fardeau financier significatif. La Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi :

[21]      En ne retenant que le critère de l’injustice d’une situation, l’interprétation large et libérale évacue complètement la notion « d’obérer ». Or, si le législateur a choisi cette expression, il faut nécessairement y donner un sens, selon les règles élémentaires d’interprétation des lois.

 

[22]      De l’avis de la soussignée, l’employeur sera « obéré injustement » dans la mesure où le fardeau financier découlant de l’injustice alléguée est significatif par rapport au fardeau financier découlant de l’accident du travail. Ainsi, la notion « d’obérer », c’est-à-dire « accabler de dettes », doit être appliquée en fonction de l’importance des conséquences monétaires de l’injustice en cause par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail lui-même. La notion d’injustice, pour sa part, se conçoit en fonction d’une situation étrangère aux risques que l’employeur doit assumer, mais qui entraîne des coûts qui sont rajoutés au dossier de l’employeur.

 

[23]      Donc, pour obtenir un transfert des coûts basé sur la notion « d’obérer injustement », l’employeur a le fardeau de démontrer deux éléments :

 

Ø       une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter;

 

Ø       une proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice qui est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause.

 

 

[16]           Dans Hôpital Juif de réadaptation[5], la Commission des lésions professionnelles indique que l’interprétation retenue dans Location Pro-Cam inc. est celle qui est privilégiée par la jurisprudence la plus récente.

[17]           Dans une autre décision récente, Le Groupe Jean Coutu PJC inc.[6], la Commission des lésions professionnelles retient également cette interprétation et exige de l’employeur la démonstration d'un certain fardeau financier et non simplement d'une situation d'injustice. Après avoir rappelé la jurisprudence, le juge administratif écrit :

[23]      De l'avis du tribunal, autant il est erroné d'appliquer la notion d'être accablé de dettes ou de provoquer la faillite d'un employeur, autant il est erroné que tout montant doit être transféré du seul fait qu'il subsiste une situation d'injustice. 

 

[24]      Il faut rappeler que le législateur utilise spécifiquement à l'article 326 de la loi l'expression « obérer injustement un employeur » et que celle-ci doit trouver un contexte d'application qui tient compte de l'entité complète de cette expression. 

 

[25]      Le soussigné ne croit pas que le transfert devrait être un automatisme dès qu'apparaît une situation d'injustice comme le plaide la procureure de l'employeur.  Le tribunal juge qu'une analyse des coûts engendrés par cette lésion doit être présente pour tenir compte de la notion d'obérer utilisée à l'article 326 de la loi.  Le tribunal devrait ainsi retrouver une preuve concernant l'aspect financier du dossier qui se situe au centre de ces deux extrêmes, soit entre une situation de faillite et celle où le transfert de tout montant est accordé, quel qu'il soit. 

[18]           La soussignée partage cette interprétation et retient que l’employeur doit démontrer non seulement une situation d’injustice mais également un fardeau financier en découlant.

[19]           En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles estime que l’employeur lui a démontré une situation d’injustice.

[20]           Dans sa demande de transfert des coûts, l’employeur précise ceci concernant les circonstances de l’accident :

S’agissant d’une chute dans un escalier intérieur de l’établissement, l’endroit étant muni de caméras aux fins de surveillance et de sécurité, l’employeur a pu visionner les moments qui ont précédé cette chute dans l’escalier. On peut y voir la travailleuse traverser la porte du 2ième étage, s’approcher des marches et se mettre par la suite à vaciller de gauche à droite et se laisser par la suite tomber face première sans même chercher à se retenir.

 

 

[21]           Il dépose copie de cette vidéo que la soussignée a visionnée.

[22]           La travailleuse a confirmé les circonstances de l’accident. Dans la décision en révision administrative du 22 mai 2008 portant sur l’admissibilité de la lésion professionnelle, la réviseure de la CSST rapporte ceci :

À titre d’observations, la travailleuse confirme les circonstances entourant l’événement. Elle explique n’avoir aucun souvenir de l’événement autre que d’avoir poussé la porte de l’escalier et s’être retrouvée en bas de celui-ci. Elle ne confirme pas avoir subi de chute de pression.

 

 

[23]           L’employeur dépose également copie des notes cliniques de la première consultation médicale à l’hôpital le jour même de l’évènement. Le médecin conclut à une «syncope inexpliquée».

[24]           La preuve établit donc que la travailleuse a fait une chute en raison d’une syncope de cause inconnue. La notion d’accident du travail à l’article 2 de la loi inclut un évènement imprévu et soudain attribuable «à toute cause». La lésion professionnelle a donc été reconnue par la CSST. Cependant dans de telles circonstances, la jurisprudence reconnaît qu’il s’agit d’un accident qui n’est pas relié aux activités de l’employeur et qu’il est obéré injustement par l’imputation des coûts en découlant. Il s’agit d’un accident étranger aux risques inhérents associés aux activités de l’employeur.

[25]           La procureure de l’employeur dépose cinq décisions dans lesquelles la Commission des lésions professionnelles a accordé un transfert des coûts pour des accidents du travail attribuables à une perte de conscience :

-          CORUS S.E.C., [2004] C.L.P. 1267 ;

-          Fruits & Passions Boutiques inc., C.L.P. 172524-04B-0111, 28 juin 2002, A. Gauthier;

            -          Société de transport de Montréal, C.L.P. 237534-62-0406, 10 janvier 2005, R. L. Beaudoin;

            -          Couvoir Boire & Frères inc., C.L.P. 352927-04B-0807, 8 décembre 2008, L. Collin;

            -          Commission scolaire de Montréal, C.L.P. 356291-71-0808, 31 août 2009, G. Robichaud.

[26]           La Commission des lésions professionnelles  a également rendu une décision au même effet dans les affaires suivantes :

-                      Hôpital Jean-Talon, C.L.P. 272304-64-0509, 12 avril 2007, M. Montplaisir;

-                      Installation R.M.M. inc., C.L.P. 318958-31-0705, 17 octobre 2007, P. Simard;

-                      Quebecor World Lasalle (Dumont), C.L.P. 299043-63-0609, 28 janvier 2008, J.-P. Arsenault.

[27]           La soussignée constate toutefois qu’il n’y a pas dans l’ensemble de ces décisions de discussions sur le critère du fardeau financier que représente l’accident en question.

[28]           Dans le présent dossier, l’employeur confirme que les prestations versées en raison de cette lésion professionnelle représentent un coût de 16 201,70 $. En tenant compte du facteur de chargement qui lui est applicable, le coût de cette lésion est estimé à 39 200,00 $.

[29]           Le Tribunal retient de l’affaire Location Pro-Cam inc.[7] que l’employeur doit démontrer que le fardeau financier résultant de l’injustice alléguée est significatif par rapport à celui résultant de l’accident du travail dont il doit supporter les coûts. Dans un cas comme celui qui nous occupe, l’ensemble des coûts résulte de la situation d’injustice. Il ne s’agit pas d’une proportion significative des coûts mais de la totalité de ceux-ci.

[30]           Le Tribunal conclut donc que l’employeur est obéré injustement par cette imputation et que le coût des prestations dues à l’accident du travail subi par la travailleuse le 29 janvier 2008 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête du CSSS Lucille-Teasdale, l’employeur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 juin 2009 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations dues à l’accident du travail subi par Mme Anne-Marie Exina le 29 janvier 2008 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.

 

 

__________________________________

 

Lucie Nadeau

 

 

 

 

Me France Lacasse

LA RIVIÈRE, LACASSE ET SAVARIA

Représentante de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           C.S. Brooks Canada inc., [1998] C.L.P. 195 ; Corporation d’urgences santé de la région de Montréal Métropolitain et CSST, [1998] C.L.P. 824 ; Service de sécurité André St-Germain, C.L.P. 189835-71-0208, 27 janvier 2003, C. Racine

[3]           C.L.P. 103214-73-9807, 6 janvier 2000, C. Racine.

[4]           C.L.P. 114354-32-9904, 18 octobre 2002, M.-A. Jobidon

[5]           C.L.P. 365271-61-0812, 23 octobre 2009, G. Morin

[6]           C.L.P. 353645-62-0807, 14 octobre 2009, R. Daniel

[7]           Précitée note 4

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.