Décision

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Maltais et Acier d'armature Ferneuf inc.

2007 QCCLP 5654

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Salaberry-de-Valleyfield

5 octobre 2007

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossiers :

267003-62C-0507   311243-62C-0703

 

Dossier CSST :

124812751

 

Commissaire :

Marlène Auclair, avocate

 

Membres :

Mario Lévesque, associations d’employeurs

 

Jean-Marie Gonthier, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Jean-Guy Maltais

 

Partie requérante

 

 

 

Et

 

 

 

Acier d’Armature Ferneuf inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

Et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier :      267003-62C-0507

[1]                Le 14 juillet 2005, monsieur Jean-Guy Maltais (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 9 juin 2005, à la suite d'une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 10 mars 2005 et déclare que le travailleur est capable d'exercer l'emploi convenable de contremaître du formage, du façonnage et du montage des métaux à compter du 10 mars 2005. De plus, elle déclare que le travailleur a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour au plus un an, ou jusqu’à ce qu’il occupe cet emploi, et que l’indemnité sera réduite de tout revenu qu’il tirera de quelque travail exercé pendant cette période. À la fin de ce délai, la CSST sera alors justifiée de mettre fin au versement de l’indemnité puisqu’elle considère que le travailleur pourra tirer de cet emploi un salaire supérieur ou équivalent à celui qu'il tirait de l'emploi occupé lorsque la lésion professionnelle est survenue.

Dossier :      311243-62C-0703

[3]                Le 1er mars 2007, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 18 janvier 2007, à la suite d’une révision administrative.

[4]                Par cette décision, la CSST confirme les décisions qu’elle a initialement rendues le 18 octobre 2006 et déclare que l’emploi d’opérateur de machine de formage est un emploi convenable pour le travailleur, qu’il est capable de l’exercer à compter du 17 octobre 2006 et que cet emploi pourrait lui procurer un revenu annuel estimé à 27 643 $. Elle déclare également que le travailleur a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour au plus un an, ou jusqu’à ce qu’il occupe cet emploi et qu’à la première de ces dates, il aura alors droit à une indemnité réduite de remplacement du revenu annuelle de 13 692,22 $.

[5]                L’audience s’est tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 24 septembre 2007 en présence du travailleur et de sa représentante. Dans une lettre reçue le 21 mars 2007, Acier d’Armature Ferneuf inc. (l’employeur) avise la Commission des lésions professionnelles qu’il ne serait pas présent à l’audience[1]. La CSST, qui est intervenue au dossier, est représentée. La cause est mise en délibéré à la date de l’audience.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier :      267003-62C-0507

[6]                Le travailleur n’a pas de représentations particulières à faire valoir dans ce dossier étant donné la conclusion recherchée dans le dossier suivant.

 

Dossier :      311243-62C-0703

[7]                Le travailleur demande de conclure que l'emploi convenable « d’opérateur de machine de formage » n'est pas un emploi convenable et qu'il n'a donc pas la capacité de l'exercer à compter du 17 octobre 2006. De plus, il demande de retourner son dossier à la CSST afin qu’elle mette en place un nouveau plan individualisé de réadaptation.

L’AVIS DES MEMBRES

[8]                Conformément à l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi), la commissaire soussignée a obtenu l’avis motivé du membre issu des associations d’employeurs et du membre issu des associations syndicales ayant siégé auprès d’elle dans la présente affaire.

[9]                Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que l’emploi d’opérateur de machine de formage n’est pas convenable, notamment parce que le travailleur n’a bénéficié d’aucune des mesures de réadaptation prévues à la loi que son état requérait et qu’en plus, cet emploi ne respecte pas ses limitations fonctionnelles.

[10]           Quant à la décision rendue à la suite d’une révision administrative le 9 juin 2005 par la CSST concernant le premier emploi convenable de contremaître du formage, du façonnage et du montage des métaux, ils sont tous deux d’avis que cette décision est sans effet et que la contestation du travailleur du 14 juillet 2005 est sans objet.

LES FAITS ET LES MOTIFS

Dossiers :    267003-62C-0507 et 311243-62C-0703

[11]           La Commission des lésions professionnelles est saisie de deux contestations d’emplois convenables. Elle doit déterminer si l’emploi convenable de contremaître du formage, du façonnage et du montage des métaux constitue un emploi convenable pour le travailleur au sens de la loi et si ce dernier était capable de l’exercer à compter du 10 mars 2005.

[12]           Elle doit également déterminer si l’emploi convenable d’opérateur de machine de formage constitue un emploi convenable pour le travailleur au sens de la loi et si ce dernier était capable de l’exercer à compter du 17 octobre 2006.

[13]           Les faits pertinents au dossier pour décider des présentes requêtes sont les suivants.

[14]           Le travailleur, âgé de 36 ans, occupe un poste de contremaître ferrailleur depuis 2 ans chez l’employeur, mais travaille comme ferrailleur depuis 1990, lorsqu’il subit un accident du travail.

[15]           Le 6 août 2003, après un orage ayant rendu ses bottes glissantes en raison du terrain glaiseux, le travailleur circule sur un treillis métallique en transportant un paquet de goujons assez lourd sur son épaule. Il glisse, perd l’équilibre et tombe sur les fesses, du côté droit. Un diagnostic d’entorse lombaire avec radiculite au niveau L4-L5 est posé dans une attestation médicale initiale remplie le 8 août 2003.

[16]           Dans son avis rendu le 26 mars 2004, le docteur Hébert, membre du Bureau d’évaluation médicale, retient un diagnostic d’entorse lombaire qu’il estime consolidée le 21 janvier 2004. Il est d’avis que cette lésion a entraîné un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour une entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées et les limitations fonctionnelles suivantes :

Éviter les gestes répétés de :

 

·         tirer, pousser, soulever, manipuler des objets de plus de 25 kilogrammes;

·         ramper et grimper;

·         travailler en position accroupie;

·         effectuer des mouvements amples de la colonne lombaire dans toutes les directions;

·         subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne lombaire.

 

[17]           La CSST rend une décision le 2 avril 2004 par laquelle elle se déclare liée par cet avis du membre du Bureau d’évaluation médicale. Elle y déclare qu’il y a relation entre l’événement du 6 août 2003 et le diagnostic déjà établi d’entorse lombaire, mais que le diagnostic de hernie discale n’est pas en relation avec l’événement. Elle confirme les conclusions émises par le docteur Hébert sur les autres sujets. Dans une seconde décision également rendue le 2 avril 2004, la CSST confirme que l’atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur lui donne droit à une indemnité pour préjudice corporel. Le travailleur demande la révision de ces décisions.

[18]           Entre-temps, dans une décision du 23 avril 2004, la CSST déclare que le travailleur a droit à la réadaptation que requiert son état étant donné qu’il conserve une atteinte permanente à son intégrité physique consécutive à sa lésion professionnelle subie le 6 août 2003.

[19]           C’est par une décision rendue le 19 mai 2004, à la suite d’une révision administrative, que la CSST confirme ses décisions initiales du 2 avril 2004 consécutives à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale. Le travailleur porte cette dernière décision en appel auprès de la Commission des lésions professionnelles.

[20]           La CSST étant liée par l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale, celle-ci poursuit donc le processus de réadaptation du travailleur dans le but de déterminer un emploi convenable qu’il pourrait exercer.

[21]           Une décision est par la suite rendue le 10 mars 2005 lorsque la CSST met fin au processus de réadaptation du travailleur en raison de son manque de collaboration. Par cette décision, la CSST déclare que le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable de contremaître du formage, du façonnage et du montage des métaux à compter du 10 mars 2005. Conséquemment, il a droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’il occupe un emploi ou au plus tard jusqu’au 9 mars 2006.

[22]           Cette décision est ensuite confirmée le 9 juin 2005 par la CSST, à la suite d’une révision administrative. Il s’agit d’ailleurs d’une des décisions faisant l’objet de la présente contestation.

[23]           La Commission des lésions professionnelles estime que la décision de la CSST rendue le 9 juin 2005, à la suite d’une révision administrative, est sans effet et que, par conséquent, la contestation du travailleur de cette décision est sans objet. En effet, un nouvel emploi convenable a été déterminé le 18 octobre 2006 consécutivement à une nouvelle analyse par la CSST de la capacité du travailleur à exercer un emploi convenable en tenant compte de l’augmentation de ses limitations fonctionnelles par une décision de la Commission des lésions professionnelles.

[24]           En effet, par sa décision rendue le 8 novembre 2005[3], la Commission des lésions professionnelles modifie la décision de la CSST du 19 mai 2004, rendue à la suite de l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale.

[25]           Elle confirme que le travailleur a subi une entorse lombaire le 6 août 2003, consolidée le 21 janvier 2004 et ayant entraîné un déficit anatomo-physiologique de 2 %, mais augmente les limitations fonctionnelles qui en découlent de la façon suivante :

Éviter les activités qui impliquent de :

 

·         soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges de plus de 5 à 15 kilogrammes;

·         travailler en position accroupie;

·         ramper, grimper;

·         effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire même de faible amplitude;

·         monter fréquemment plusieurs escaliers;

·         marcher en terrain accidenté ou glissant;

·         subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale; et

·         éviter les positions statiques pour le rachis lombaire de plus de 30 minutes.

 

[26]           Le dossier ne comporte aucune décision qui aurait été rendue par la CSST à la suite de cette décision de la Commission des lésions professionnelles.

[27]           Ce n’est qu’environ un an plus tard que la CSST rend une décision, soit le 18 octobre 2006, déclarant que l’emploi d’opérateur de machine de formage est un emploi convenable pour le travailleur, que ce dernier est capable de l’exercer à compter du 17 octobre 2006 et que cet emploi pourrait lui procurer un revenu annuel estimé à 27 643 $. Elle déclare également que le travailleur a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour au plus un an, ou jusqu’à ce qu’il occupe cet emploi, et que l’indemnité sera réduite de tout revenu qu’il tirera de quelque travail exercé entre-temps.

[28]           Cette décision est confirmée le 18 janvier 2007, à la suite d’une révision administrative. Il s’agit de la deuxième décision faisant l’objet de la présente contestation.

[29]           La Commission des lésions professionnelles considère que l’emploi d’opérateur de machine de formage ne constitue pas un emploi convenable puisqu’aucun processus de réadaptation n’a été fait par la CSST en collaboration avec le travailleur et qu’en plus cet emploi ne permet pas au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle, à la suite de sa lésion professionnelle.

[30]           En matière de droit à la réadaptation et de processus de réadaptation, la loi prescrit notamment ce qui suit.

[31]           L’article 145 de la loi stipule que le travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, a droit à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

[32]           Il est prévu à l’article 146 de la loi que pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la CSST prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle. Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur[4], pour tenir compte de circonstances nouvelles.

[33]           Le but de la réadaptation professionnelle est de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable[5].

[34]           L’article 167 de la loi prévoit ce qu’un programme de réadaptation peut comprendre :

167. Un programme de réadaptation professionnelle peut comprendre notamment:

 

1°   un programme de recyclage;

 

2°   des services d'évaluation des possibilités professionnelles;

 

3°   un programme de formation professionnelle;

 

4°   des services de support en recherche d'emploi;

 

5°   le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;

 

6°   l'adaptation d'un poste de travail;

 

7°   le paiement de frais pour explorer un marché d'emplois ou pour déménager près d'un nouveau lieu de travail;

 

8°   le paiement de subventions au travailleur.

__________

1985, c. 6, a. 167.

 

 

[35]           En l’espèce, conformément à l’article 171 de la loi, puisqu’aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent et que son employeur n'a aucun emploi convenable disponible, il peut bénéficier de services d'évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l'aider à déterminer un emploi convenable qu'il pourrait exercer. Cette évaluation se fait notamment en fonction de la scolarité du travailleur, de son expérience de travail, de ses capacités fonctionnelles et du marché du travail.

[36]           La Commission des lésions professionnelles estime que dans le présent dossier, la CSST n’a pas procédé à l’élaboration d’un plan de réadaptation en collaboration avec le travailleur, comme prescrit par la loi.

[37]           Une étude des notes évolutives dans lesquelles toutes les étapes du processus de réadaptation sont consignées révèle que la CSST n’a jamais contacté le travailleur après avoir pris connaissance des conclusions de la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 8 novembre 2005 par laquelle ses limitations fonctionnelles étaient modifiées.

[38]           En fait, la dernière rencontre entre la CSST et le travailleur a eu lieu le 9 mars 2005, tel que rapporté aux notes évolutives. Elle concernait la détermination du premier emploi convenable de contremaître du formage, du façonnage et du montage des métaux déterminé dans une décision du 10 mars 2005.

[39]           Par la suite, outre la consignation aux notes évolutives de la réception d’une contestation du travailleur[6], la prochaine note est datée du 11 novembre 2005 et atteste de la réception de la décision de la Commission des lésions professionnelles modifiant les limitations fonctionnelles du travailleur. Il est mentionné, à la dernière phrase de cette note qu’il y aura « transfert pour statuer suite aux nouvelles limitations ».

[40]           Ce n’est que le 10 août 2006 suivant qu’une autre note évolutive est inscrite au dossier par madame Johanne Dicaire, conseillère en réadaptation. Elle reprend, de façon assez détaillée, une étude d’employabilité du marché du travail, préparée par le Collège MPI, soit Maintien Professionnel de l’Individu à l’Emploi. Celle-ci sera ultérieurement discutée plus longuement par la Commission des lésions professionnelles.

[41]           À cette même date, madame Dicaire indique également qu’un nouveau mandat est donné au Collège MPI pour procéder à une étude de marché afin de vérifier la possibilité raisonnable d’embauche de l’emploi d’opérateur de machine de formage.

[42]           Le 18 octobre suivant, l’emploi convenable d’opérateur de machine de formage est retenu et une décision est rendue à cet effet.

[43]           Pour expliquer l’absence complète de communication avec le travailleur pour la réalisation d’un nouveau plan de réadaptation en sa collaboration, le représentant de la CSST prétend qu’un plan de réadaptation avait déjà été fait avec le travailleur lors de la détermination du premier emploi convenable et que l’absence de collaboration du travailleur, qui clamait son incapacité à occuper tout emploi tout au long des entrevues lors de cette première démarche, laissait présager qu’il allait faire de même lors de la détermination du deuxième emploi convenable.

[44]           La Commission des lésions professionnelles rejette les motifs invoqués par le représentant de la CSST pour justifier sa décision de déterminer un emploi convenable de façon unilatérale, à la suite de la modification des limitations fonctionnelles du travailleur par une décision de la Commission des lésions professionnelles.

[45]           À la lecture des notes évolutives, la Commission des lésions professionnelles ne peut certes nier que la collaboration du travailleur était très mitigée lors du processus de réadaptation pour la détermination du premier emploi convenable et qu’il ne faisait pas preuve d’un comportement exemplaire lors des rencontres avec la conseillère en réadaptation. Il est clairement rapporté, et ce, à plusieurs reprises et de différentes façons, que le travailleur considère ne pas être en mesure de retourner travailler en raison des douleurs qui subsistent et de ses craintes que sa condition ne s’aggrave s’il y retourne.

[46]           Par contre, la Commission des lésions professionnelles note également que le travailleur, après avoir fait état de sa perception d’invalidité, ajoute à quelques reprises que son avocat lui aurait conseillé d’attendre que la décision de la Commission des lésions professionnelles concernant les questions d’ordre médical soit rendue avant de s’impliquer dans un processus de réadaptation.

[47]           La Commission des lésions professionnelles n’entérine certainement pas le choix du travailleur de ne pas s’impliquer plus activement dans le processus de réadaptation aux fins de déterminer le premier emploi convenable puisque la CSST, étant liée par l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale, était non seulement en droit, mais se devait aussi à titre de gestionnaire du régime des accidents du travail et des maladies professionnelles d’assurer un cheminement adéquat du dossier.

[48]           À preuve, si dans sa décision du 8 novembre 2005, la Commission des lésions professionnelles avait confirmé les conclusions d’ordre médical rendues par le membre du Bureau d’évaluation médicale sans aucune modification, la CSST n’aurait pas eu à entreprendre un nouveau processus de réadaptation. Le premier emploi convenable, bien que contestable, aurait été juridiquement valablement déterminé.

[49]           Par contre, dès lors que les limitations fonctionnelles sont modifiées, il incombe à la CSST de faire un nouveau processus de réadaptation en collaboration avec le travailleur, et non en le tenant à l’écart comme elle l’a fait dans le présent dossier. Elle ne peut présumer d’avance que le travailleur ne participera pas à l’élaboration d’un plan de réadaptation et qu’il ne souhaite pas retourner sur le marché du travail pour justifier sa décision de procéder de façon unilatérale.

[50]           D’ailleurs, le travailleur n’a-t-il pas à maintes reprises mentionné à la CSST qu’il attendait de connaître l’issue de sa contestation sur l’aspect médical avant de s’impliquer. Il est donc possible, voire plausible, de croire que le travailleur aurait participé à un nouveau processus de réadaptation une fois les conclusions d’ordre médical finales connues.

[51]           Il est vrai que dans certains cas, la CSST peut procéder de façon unilatérale, à la détermination d’un emploi convenable lorsque le travailleur ne collabore pas à l’élaboration ou à la mise en œuvre de son plan de réadaptation que la CSST tente d’établir[7].

[52]           Or, la Commission des lésions professionnelles estime qu’avant de procéder de la sorte, la CSST devra démontrer avoir déployé tous les efforts nécessaires et avoir eu recours à toutes les ressources appropriées pour inciter le travailleur à s’impliquer et à participer activement dans un tel processus. Or, il va de soi que si la responsabilité de tenter de mettre en œuvre un plan de réadaptation en collaboration avec le travailleur incombe à la CSST, en contrepartie, le travailleur a pour sa part l’obligation et la responsabilité d’y participer pleinement et activement.

[53]           Dans le présent cas, la CSST a abdiqué à l’égard de l’élaboration d’un nouveau plan de réadaptation en collaboration avec le travailleur. Elle a exclu le travailleur du processus qu’elle a fait uniquement en collaboration avec une firme externe. Elle a ensuite mis le travailleur devant le fait accompli.

[54]           De plus, l’absence, serait-elle totale, de collaboration de la part du travailleur ne libère pas la CSST de devoir établir le caractère convenable de l’emploi qu’elle décide de retenir[8].

[55]           À ce chapitre, le représentant de la CSST soutient que l’emploi convenable d’opérateur de machine de formage est convenable et qu’il respecte les conditions énoncées à l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

[56]           Il ressort de cette définition que l’emploi convenable retenu doit respecter plusieurs conditions pour être qualifié « d’approprié », dont le respect des limitations fonctionnelles que conserve le travailleur.

[57]           À la lumière de la preuve au dossier et des témoignages entendus, la Commission des lésions professionnelles retient la prétention de la représentante du travailleur selon laquelle cet emploi ne permet pas au travailleur d'utiliser sa capacité résiduelle en ce qu’il ne respecte pas toutes les limitations fonctionnelles du travailleur.

[58]           Le représentant de la CSST n’a pas fait entendre madame Dicaire qui a déterminé les deux emplois convenables. Il a plutôt choisi de faire témoigner monsieur Denis Legault, directeur des opérations au Collège MPI. Il s’agit d’un bureau de consultation privée en méthode dynamique de recherche d’emploi dont plusieurs organismes gouvernementaux ou para-gouvernementaux sont les clients.

[59]           Tel que mentionné précédemment, le Collège MPI a reçu deux mandats de madame Dicaire dans le dossier du travailleur. Ces mandats ont été effectués uniquement sur la foi d’informations qui lui ont été transmises par la CSST en ce qui a trait au profil du travailleur puisque le Collège MPI n’a jamais rencontré le travailleur.

[60]           Le premier mandat consistait à faire une étude pour déterminer des possibilités d’emplois connexes dans lesquels il pouvait y avoir transfert de ses compétences de ferrailleur et qui respecteraient sa capacité résiduelle. Bien que le rapport écrit de cette étude n’ait pas été déposé au dossier du travailleur, il semble avoir été rapporté presque intégralement par madame Dicaire dans sa note évolutive du 10 août 2006.

[61]           Le second mandat consistait à préparer une étude de marché et enquête salariale pour le poste d’opérateur de machine de formage, C.N.P. 9512, dont un rapport écrit est déposé au dossier du travailleur par madame Dicaire le 17 octobre 2006.

[62]           Une remarque fort importante doit d’abord être faite concernant le titre même de l’emploi convenable. En effet, dans sa décision rendue le 18 octobre 2006, la CSST retient l’emploi convenable « d’opérateur de machine de formage » alors que le titre de l’emploi retenu et analysé par Collège MPI est celui « d’opérateur de machine pour le formage des tiges d’acier ».

[63]           En fait, l’emploi « d’opérateur de machine de formage » est la désignation d’un emploi dans son sens large ou général. Cet emploi réfère à plusieurs types de postes d’opérateur de machine de formage, dont celui « d’opérateur de machine pour le formage des tiges d’acier ».

[64]           Cette nuance s’avère fort pertinente lors de l’analyse des tâches qui sont effectuées par un opérateur de machine de formage puisqu’elles diffèrent énormément selon le secteur d’emploi (construction ou usine), le type d’industrie, de projet, de machine, d’acier à manipuler ou de taille du produit fabriqué.

[65]           Des six emplois retenus par le Collège MPI correspondant au profil du travailleur, celui « d’opérateur de machine pour le formage des tiges d’acier » est sélectionné et analysé en détail dans le rapport en question. De son analyse de l’emploi, le Collège MPI conclut que cet emploi est considéré, « l’emploi qui répond le mieux au profil du travailleur tout en respectant en tout point de vue ses limitations physiques ».

[66]           Or, à la lecture de la note évolutive de madame Dicaire du 10 août 2006, il n’y a aucun élément de l’étude permettant de démontrer sur quelles données s’est basé le Collège MPI pour parvenir à cette conclusion. Il y a certes une analyse générale des principales caractéristiques de l’emploi, dont les tâches, les conditions et le contexte d’exercice. Par contre, il n’y a aucune analyse des mouvements effectués dans le cadre de l’exécution du travail « d’opérateur de machines de formage des tiges d’acier », et ce, aux fins d’évaluer spécifiquement si les limitations fonctionnelles du travailleur sont respectées lors de l’exécution de ce travail.

[67]           Questionné sur les données utilisées pour en arriver à la conclusion que l’emploi retenu respecte les limitations fonctionnelles du travailleur, monsieur Legault explique qu’ils se sont appuyés sur leur expérience « de terrain » antérieure dans l’analyse de poste semblable et sur la description des Compétences essentielles dans la Classification nationale des professions (CNP)[9] (9512) de même que sur les résultats de l’étude de marché et enquête salariale.

[68]           Or, la description du CNP ne comporte qu’une section d’ordre très général intitulée Aspects physiques et qui mentionne simplement ce qui suit : « les conducteurs de machines de formage se tiennent debout, ou encore se déplacent, se baissent ou s’étirent pour faire fonctionner des fours et des machines de formage ».

[69]           Ces seules informations d’ordre général concernant l’aspect physique d’un emploi peuvent certainement être utiles dans le contexte d’une recherche d’emploi par une personne qui n’est pas porteuse de limitation fonctionnelle. Or, la détermination d’un emploi convenable par la CSST pour un travailleur qui conserve des limitations fonctionnelles relativement sévères ne constitue pas un contexte de recherche d’emploi habituel. L’analyse des contraintes physiques de l’emploi convenable doit sans contredit être faite de façon beaucoup plus rigoureuse afin de s’assurer que toutes les limitations fonctionnelles que présente le travailleur soient respectées et qu’il n’encourt aucun danger pour sa santé et sa sécurité s’il venait à exercer l’emploi en question.

[70]           De plus, le représentant de la CSST s’appuie sur l’étude de marché et enquête salariale pour établir que dans l’exercice de l’emploi convenable, les limitations fonctionnelles du travailleur sont respectées.

[71]           Cette prétention ne peut être retenue par la Commission des lésions professionnelles pour les raisons suivantes.

[72]           Premièrement, cette étude a été faite à la demande de la CSST dans le but de vérifier la possibilité raisonnable d’embauche pour l’emploi « d’opérateur de machine pour le formage des tiges d’acier » et non dans l’optique de vérifier la compatibilité des limitations fonctionnelles avec l’emploi convenable.

[73]           Parmi les quelques questions posées au téléphone à des représentants de neuf entreprises ciblées, une concernait spécifiquement l’aspect physique de l’emploi soit, : « Quelles sont les exigences physiques reliées à la tâche d’opérateur de machine de formage? ». Les réponses à cette question, qui est d’ailleurs sujette à interprétation, étaient tout aussi générales et peu précises que la question elle-même.

[74]           La Commission des lésions professionnelles estime que cet élément de la preuve n’est pas probant. Tel que mentionné précédemment, il ne s’agit pas d’un exercice approprié et rigoureux permettant d’apprécier la compatibilité de chacune des limitations fonctionnelles du travailleur avec les mouvements impliqués dans l’exécution des tâches de l’emploi convenable.

[75]           À ce sujet, lors de l’audience, le travailleur a expliqué avoir fait le même exercice. Ainsi, il a téléphoné à quelques employeurs[10] à la recherche d’employés pour occuper des postes d’opérateur de machine de formage. Il leur a demandé s’ils croyaient qu’il pourrait occuper l’emploi malgré ses limitations fonctionnelles qu’il leur a décrites. Tous ont répondu par la négative.

[76]           Dans le présent dossier, il n’est pas nécessaire de départager les opinions contradictoires obtenues des employeurs contactés par le Collège MPI de celles obtenues par le travailleur auprès d’autres employeurs, car cet élément de preuve n’est pas prépondérant pour établir que l’emploi convenable respecte ou non la capacité résiduelle du travailleur.

[77]           La Commission des lésions retient plutôt les conclusions de l’Étude de poste de travail aux fins d’évaluer l’emploi convenable « d’opérateur de machine de formage » élaborée par monsieur Jean-François Babin, ergothérapeute, le 6 septembre 2007, à la demande de la représentante du travailleur.

[78]           Il s’agit d’une analyse ergonomique objective fort détaillée, faite dans les règles de l’art, d’un poste d’opérateur de machine de formage chez l’employeur du travailleur, bien que le travailleur ne soit plus à son emploi.

[79]           Dans un premier temps, les exigences du poste ont été évaluées par une analyse détaillée des tâches effectuées à l’intérieur de chacun des cycles de travail. Dans un deuxième temps, l’analyse des exigences musculo-squelettiques a été complétée. Ce qui a conduit monsieur Babin, dans un dernier temps, à analyser plus particulièrement le respect de chacune des limitations fonctionnelles du travailleur. Il en conclut que les limitations fonctionnelles ne sont pas toutes respectées dans le cadre du travail d’opérateur de machine de formage.

[80]           La Commission des lésions professionnelles prend en considération le fait que, tel que le prétend le représentant de la CSST, d’autres types de poste « d’opérateur de machine de formage » puissent être beaucoup moins exigeants que celui analysé par monsieur Babin. Or, il n’est pas suffisant de l’alléguer, encore faut-il l’établir par une preuve prépondérante.

[81]           Le témoignage de monsieur Legault, du Collège MPI, qui, à la suite de la réception de l’étude de l’ergothérapeute, s’est rendu, de son propre chef, chez deux employeurs pour observer différents postes d’opérateur de machine de formage n’est pas suffisant pour établir une telle preuve.

[82]           En effet, monsieur Legault a témoigné de façon très honnête et a précisé qu’il s’est livré à cet exercice dans le but de vérifier lui-même, sur le terrain, s’il n’y avait pas eu manquement de la part du Collège MPI dans l’élaboration de leurs études, compte tenu des conclusions divergentes de monsieur Babin.

[83]           Lors de ces visites, il a observé environ six postes pendant tout au plus dix à quinze minutes chacun et a questionné le responsable de l’entreprise l’accompagnant. De ces courtes observations sont ressortis les cas d’un travailleur qui était assis pendant que la machine fonctionnait et de cet autre travailleur qui ne faisait aucun travail ou effort physique, car il était assisté d’un journalier à qui il confiait ces tâches. Un des dirigeants d’une des entreprises visitées lui aurait même fait part que certains des postes étaient si peu exigeants « que même une femme pourrait les occuper ».

[84]           Peut-être existe-t-il des postes d’opérateur de machine de formage qui respectent les limitations fonctionnelles du travailleur. Malheureusement, la preuve que ces postes, s’il en est, respectent la capacité résiduelle du travailleur n’a pas été faite. De plus, en ciblant des postes en particulier, la CSST aurait eu à démontrer que ceux-ci offrent une possibilité raisonnable d’embauche, tel que prescrit par la loi.

[85]           La visite des deux entreprises par monsieur Legault avait un objectif bien précis et les données recueillies ne sont pas révélatrices des exigences physiques des différents emplois « d’opérateur de machine de formage » autre que celui « d’opérateur de machine pour le formage des tiges d’acier », analysé par monsieur Babin dans son étude ergonomique.

[86]           Cette preuve n’a aucune force probante, encore une fois, dans le contexte très particulier et exigeant que constitue la détermination d’un emploi convenable par la CSST dans le cadre d’un processus de réadaptation d’un travailleur qui conserve des limitations fonctionnelles consécutives à sa lésion professionnelle.

[87]           L’emploi d’opérateur de machine de formage n’étant pas un emploi convenable pour le travailleur, la CSST devra donc reprendre le processus d'élaboration d’un plan individualisé de réadaptation en collaboration avec le travailleur, et ce, afin de déterminer un emploi convenable qui respectera les critères prescrits par l’article 2 de la loi.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier :      267003-62C-0507

DÉCLARE sans objet la requête déposée par monsieur Jean-Guy Maltais, le travailleur, le 14 juillet 2005, à la Commission des lésions professionnelles;

DÉCLARE sans effet la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 9 juin 2005, à la suite d’une révision administrative.

Dossier :      311243-62C-0703

ACCUEILLE la requête du travailleur déposée le 1er mars 2007, à la Commission des lésions professionnelles;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 18 janvier 2007, à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que l'emploi d’opérateur de machine de formage ne constitue pas un emploi convenable pour le travailleur;

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour la mise en oeuvre d'un nouveau plan de réadaptation en collaboration avec le travailleur et la détermination d'un emploi convenable;

DÉCLARE que le travailleur a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 47 de la loi.

 

 

__________________________________

 

Marlène Auclair

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Marie-Anne Roiseux

C.S.D.

Représentant de la partie requérante

 

 

Jocelyne Bernier

C.I.S.S. inc.

Représentant de la partie intéressée

 

 

Simon Massicotte, stagiaire en droit

Panneton Lessard

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           L’audience était alors fixée le 22 mai 2007, mais a été remise au 24 septembre 2007.

[2]           L.R.Q., c. A-3.001.

[3]           Par le commissaire Maurice Sauvé dans le dossier portant le numéro 238304-62C-0407.

[4]           Les soulignés sont du tribunal.

[5]           Tel qu’énoncé à l’article 166 de la loi.

[6]           Notes du 18 avril et 22 avril 2005.

[7]           Voir notamment : Jean-Gilles et Centre d’accueil Denis Benjamin Viger, [1997] C.A.L.P. 61 ; Vallières et 9007-7876-Québec inc., C.L.P. 109026-62-9901, 13 mai 1999, S. Mathieu; Haraka et Garderies Les Gardelunes, [1999] C.L.P. 350 ; Ahmed et Canadelle inc., C.L.P. 124878-73-9910, 15 mai 2000, F. Juteau; Mailloux et Dudley inc., C.L.P. 259967-62A-0504, 15 janvier 2007, J. Landry.

[8]           Coull et C.O. Bisson & Ass. et al, C.L.P. 257245-01C-0503, 30 septembre 2005, L. Desbois.

 

[9]           Élaborée par Ressources Humaines et Dévelopement des compétences Canada.

[10]         À partir de relevés d’offres d’emploi provenant d’Emploi Québec.

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