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2013 QCCS 2280 |
Hôpital Maisonneuve-Rosemont c. Commission des lésions professionnelles |
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JL 2167 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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No : |
500-17-072513-123 |
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DATE : |
28 mai 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
HÉLÈNE LEBEL, J.C.S. |
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Hôpital Maisonneuve-Rosemont |
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Demandeur |
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c. |
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Commission des lésions professionnelles |
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Défenderesse |
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et |
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Nathalie Jubinville |
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Mise en cause |
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et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Mise en cause |
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MOTIFS ET JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE LE 9 MAI 2013[1] |
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[1] Le Tribunal doit décider une requête en révision judiciaire. L’hôpital Maisonneuve-Rosemont conteste une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles (« CLP »), le 15 mai 2012.
[2] Dans cette décision, la CLP accueille la demande de Madame Nathalie Jubinville, infirmière ayant travaillé au service de recherche de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, qui contestait une décision du Bureau de révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») du 9 avril 2010 confirmant la décision de la CSST du 16 février 2010, qui rejetait la demande de Jubinville.
[3] La décision du Bureau de révision concluait à une absence de lien causal entre la vaccination et les symptômes dont madame se plaignait, et qu'elle n'avait pas droit aux prestations prévues en vertu de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles[2] (LATMP) alors que la CSST avait décidé, le 16 février 2010, de refuser la réclamation parce qu’il ne s’agissait pas d’un accident du travail et que, selon elle, il n’était pas établi qu’il y avait un lien entre la réaction vaccinale dont madame se plaignait et son travail.
[4] Madame Jubinville s’est donc prévalue de son droit en vertu de la loi, de demander à la CLP[3]:
[6] […] de reconnaître qu’elle a subi une lésion professionnelle, le 2 novembre 2009 une « réaction vaccinale sévère » et/ou une « myélite transverse » à la suite de l’administration du vaccin Arepanrix avec adjuvant contre l’influenza pandémique A-H1N1 dans le cadre de son travail d’infirmière de recherche. Le diagnostic à retenir aux fins de rendre la décision sur l’admissibilité de la réclamation fait l’objet d’un débat contradictoire que le tribunal tranchera plus loin.
[5] Il y a eu trois jours d’audition devant la CLP. La CLP conclut dans sa décision « que la travailleuse a subi une lésion professionnelle, le 2 novembre 2009, soit une maladie professionnelle dont le diagnostic est celui de réaction vaccinale », et elle déclare également « que le diagnostic de myélite transverse post-vaccinale posé le 26 avril 2011 n’est pas en relation avec la lésion professionnelle du 2 novembre 2009. » Elle conclut donc que « la travailleuse a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles »[4]. C’est cette décision que l’hôpital conteste aujourd’hui.
[6] L’hôpital conteste la décision pour deux motifs : la CLP aurait rendu une décision illégale qui devrait être cassée en se déclarant compétente pour entendre et décider la demande de Madame et, de surcroît, sa décision est déraisonnable et contraire à la preuve et elle devrait donc être cassée.
[7] Les faits sont relatés longuement dans la décision qui reproduit également de nombreux passages du dossier de madame. Le Tribunal s'en tiendra aux éléments essentiels.
[8] Madame Jubinville est infirmière à l’emploi de Maisonneuve-Rosemont depuis 1994. Elle travaillait au Centre de recherche depuis 1999 sous la direction du Dr Weiss.
[9] L’année 2009 a été marquée par l’épisode de la grippe A-H1N1, un événement fort important puisque l’Organisation mondiale de la santé avait décrété une alerte de pandémie de niveau 6. Le risque était considéré comme majeur et on a travaillé fort pour développer un vaccin.
[10] On sait qu’à l’automne 2009, il y a eu chez nous une campagne de vaccination massive sous l’égide du Ministère de la santé et des services sociaux.
[11] Madame Jubinville a été vaccinée à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, dans le cadre d’une campagne de vaccination organisée par l’hôpital pour ses employés, au début du mois de novembre 2009; ceci, conformément aux directives du Ministère qui soulignait l’importance que les travailleurs de première ligne, principalement ceux qui travaillaient dans le milieu de la santé et les services essentiels, qui seraient appelés à être en contact avec des personnes affectées par l’infection, l’épidémie ou la pandémie, soient vaccinés le plus rapidement possible pour être en mesure d’intervenir efficacement.
[12] Madame Jubinville s’est présentée le 2 novembre 2009. Selon la procédure en usage, elle a signé le consentement et elle a été vaccinée. On lui a demandé d’attendre sur les lieux pendant quelques minutes pour s’assurer qu’elle n’avait pas de réaction. Dans les faits, après quinze minutes, elle a eu une réaction assez majeure. Elle a été immédiatement transportée à l’urgence de l’hôpital à l’unité de choc. Elle se plaignait d’avoir la vision voilée, elle a peut-être subi une brève perte de conscience, elle sentait des engourdissements aux membres inférieurs et rapportait une paralysie ou une sensation de paralysie. Elle se sentait engourdie. Elle avait des difficultés respiratoires.
[13] Elle a immédiatement été vue par un urgentologue. Peu de temps après, par le Dr Weiss lui-même, qui a constaté que son état semblait stabilisé mais il l’a aussitôt référée en neurologie. Elle a été vue sur le champ ou très rapidement par un neurologue, le Dr Pierre Laplante.
[14] Elle a quitté l’hôpital en fin d’après-midi. À ce moment-là, selon son témoignage, elle avait encore des faiblesses aux jambes. Dans les jours qui ont suivi, elle a eu différents symptômes de paresthésie, d’engourdissement et même de paralysie durant des périodes de temps plus ou moins longues et survenant par épisode. Elle avait de la difficulté à marcher. Elle n’a pas été capable de travailler pendant un certain temps et même quand elle est revenue au travail, elle ne pouvait faire que du travail clérical, notamment parce qu’elle avait de la difficulté à se déplacer.
[15] Elle a éventuellement fait une demande à la CSST, soit le 16 novembre 2011. D’ailleurs, le dossier était déjà ouvert. On note que, dès le 10 novembre, le Dr Weiss avait signé une attestation médicale pour « réaction vaccinale sévère » et autorisé un arrêt de travail sur un formulaire de la CSST. Peu de temps après, le Dr Razavi, un autre médecin de l’hôpital, versait au dossier un autre rapport médical au même effet.
LE LITIGE
a) Le recours institué par la Loi sur la Santé publique[5]
[16] L’hôpital a contesté la compétence de la CLP dès le début de l’audition. On le voit aux paragraphes 20 et suivants de la décision.
[17] L’hôpital a soutenu devant la CLP que les dispositions de la LATMP ne s’appliquaient pas au cas de Jubinville qui relevait plutôt des dispositions impératives, selon l’hôpital, de la Loi sur la santé publique (LSP), notamment, des règles prévues aux articles 70 et suivants de la LSP et au règlement d’application qui créent un régime particulier d’indemnisation « pour toute personne victime d’un préjudice corporel résultant d’une vaccination ». Selon l’employeur, c’est ce régime particulier qui s’appliquait au cas de madame puisqu’il s’agissait d’une réaction à une vaccination.
[18] La CLP a analysé cette objection préliminaire et elle l’a rejetée[6].
[19] La CLP s’est aussi interrogée sur l’identité de l’employeur de Madame. Était-ce l’hôpital ou le Dr Weiss? Elle a finalement conclu que c’était bel et bien l’hôpital Maisonneuve-Rosemont.
[20] L’hôpital soutient que la question de compétence est véritablement une question de compétence au sens strict de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[7] et qu’il faut donc appliquer, dans ce cas particulier, la norme de la décision correcte. Selon l’hôpital, la décision de la CLP sur ce point est erronée et elle doit être cassée.
[21] L’hôpital souligne qu’il s’agissait ici de délimiter les compétences respectives de deux tribunaux administratifs : d’une part la CSST et d’autre part le Ministre de la Santé qui administre le régime particulier créé par la LSP, régime en vertu duquel on applique les règles d’indemnisation prévues à la Loi sur l’assurance-automobile[8]. Ce serait donc une question de compétence au sens strict selon l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissionner) c. Alberta Teachers’ Association[9]. Dès lors, la CLP pouvait se prononcer, mais sa décision est révisable et c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à la révision.
[22] L’autre tribunal dont il est question ici est le Ministre de la santé qui, en vertu des dispositions de la Loi sur la santé publique sur l’indemnisation des victimes de vaccination, décide des demandes d’indemnisation. Pour ce faire, le ministre forme un comité pour le conseiller; ce comité est composé de trois médecins qui étudient la demande et lui font rapport. C’est le Ministre qui décide alors de faire droit ou non à la demande. Il s’agit d’un régime d’indemnisation sans faute et les règles d’indemnisation sont celles prévues à la Loi sur l’assurance automobile. Selon l’hôpital, ce mécanisme, qui traite spécifiquement des préjudices corporels résultant de vaccination, est celui qui s’applique au cas de Madame Jubinville.
[23] Toujours selon l'hôpital, la Commissaire a eu tort d’écarter l’objection soulevée. Le Tribunal devrait donc casser la décision.
[24] Il s’agit ici d’une révision judiciaire. Il faut donc décider quelle est la norme de contrôle. Il est bien établi que normalement, la norme de contrôle applicable à la révision des décisions de la CLP est celle de la décision raisonnable. C’est d’ailleurs la norme de contrôle normalement applicable.
[25] Bien sûr, l’arrêt Dunsmuir reconnaît qu’il existe deux normes de contrôle : celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. On applique normalement la norme de la décision correcte lorsqu’il s’agit d’une question de compétence.
[26] Toutefois, le Tribunal n’est pas convaincu qu’il s’agisse ici d’une question de compétence au sens strict justifiant l’application de la norme de la décision correcte. D’une part, la CLP n’était pas appelée à interpréter les dispositions d’une autre loi. Elle était simplement appelée à décider si les dispositions de sa propre loi s’appliquaient ou si l’application de la LATMP était écartée par l’existence d’un autre recours.
[27] Le Tribunal est enclin à penser que, dans le présent cas, c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique, mais, finalement, la distinction importe peu puisque le Tribunal est également convaincu que la décision de la CLP sur ce point est correcte.
[28] Il est vrai que, après une décision de la Cour suprême du Canada[10], le Québec a amendé la Loi sur la santé publique[11] pour mettre en place un régime universel et non basé sur la faute ou la responsabilité pour l’indemnisation des victimes d’une vaccination. Ce régime applique les règles d’indemnisation prévues à la Loi sur l’assurance automobile; il s’agit d’un régime autonome qui a ses propres règles.
[29] La décision revient au Ministre qui prend l’avis d’un comité aviseur. La décision du Ministre peut faire l’objet d’un appel au Tribunal administratif du Québec. Toutefois, en vertu de ce recours, la victime garde ses recours civils. Aucune disposition de la Loi sur la santé publique n’exclut expressément l’application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[30] L’employeur souligne que dans plusieurs lois, lorsqu’il peut exister un chevauchement entre des régimes d’indemnisation, le législateur prévoit expressément quelle loi a préséance et quel régime s’applique. Cela est vrai de la Loi sur l’assurance automobile et la LATMP; la LATMP a préséance. Généralement d’ailleurs, la LATMP a préséance. C’est aussi vrai par rapport à la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels.
[31] Par ailleurs, si on s’interroge sur l'intention du législateur quand il a édicté ces dispositions particulières de la Loi sur la santé publique, il semble évident qu’on voulait s’assurer qu’il y aurait désormais un régime pour indemniser les personnes victimes de préjudice corporels suite à une vaccination. Par ailleurs, on voit difficilement pourquoi le législateur aurait décidé que ce nouveau recours serait le seul recours possible. Son but était de protéger les gens qui n’avaient pas d’autres avenues. Et il n’a pas expressément exclus la possibilité d’un autre recours ou stipulé que les dispositions de la LSP ont préséance sur celles de toute autre loi.
[32] Dans l’ensemble, la CLP a l’obligation d’appliquer et d’interpréter la LATMP et elle est liée par sa loi. Elle devait décider si la travailleuse a des droits en vertu de cette loi qui est d’ordre public. Si la LATMP s’applique, et c’est là une question qu’il appartient à la CLP de décider, le Tribunal croit qu’il faudrait une disposition législative expresse pour exclure l’application de la LATMP. Or, il n’existe pas de telle disposition ici.
[33] Maintenant, il est très possible que la LATMP ne soit pas applicable dans un cas particulier. C’est une question qui doit être décidée en appliquant les dispositions de la LATMP au cas sous étude. En pareil cas, évidemment, une personne victime d'une réaction vaccinale aurait un recours en vertu de la Loi sur la santé publique. Et il est difficile de concevoir que le Ministre indemniserait en vertu de la LSP quelqu'un qui a déjà été indemnisé en vertu de la LATMP.
[34] Bien sûr, comme le souligne l’hôpital, le régime d’indemnisation de la LATMP est essentiellement subventionné par les employeurs alors que le recours prévu à la LSP en est un de santé publique qui devrait bénéficier à toute la population et dont les frais devraient être défrayés à même le fonds consolidé du revenu. C’est sûrement un argument qui aurait pu être retenu par le législateur et qui pourrait l’être encore. Toutefois, si telle était l’intention du législateur, il l’aurait dit clairement, ce qu’il n’a pas fait.
[35] Le Tribunal conclut donc que la décision de la CLP sur la question de compétence satisfait au critère de la raisonnabilité. L’interprétation qu’elle donne à la LATMP, la conclusion que la loi s’applique et que rien n’écarte son application, rencontre aussi la norme de la décision correcte. Le régime créé en vertu de la Loi sur la santé publique n’exclut pas le recours à la LATMP. Si le législateur avait voulu donner préséance au régime créé par la LSP ou exclure l’application de la LATMP, il l’aurait dit. En l’absence de mention expresse, il n’y a pas lieu d’exclure le recours à la LATMP.
b) La raisonnabilité de la décision
[36] L’autre motif invoqué par l’Hôpital est plus caractéristique de la révision judiciaire. L’employeur conteste la décision de la CLP au motif que la décision ne satisfait pas au critère de la raisonnabilité tel que défini dans l’arrêt Dunsmuir[12] :
47 […] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[37] Cette norme se justifie parce que les tribunaux doivent reconnaître et donner effet à la volonté du législateur de créer un régime administratif distinct, de protéger ses décisions par une clause privative et de faire en sorte que les tribunaux de droit commun reconnaissent et respectent le rôle particulier du décideur administratif et l’expertise qu’il a acquise et qu’il développe constamment.
[38] Par ailleurs selon l’employeur, la décision contestée n’est tout simplement pas cohérente et rationnelle et elle n’est pas conforme à la loi et à la preuve. Et en fait, et nous reviendrons sur ce point, on note certaines anomalies dans la décision.
[39] Que décide la CLP dans ce cas? La décision relate d’abord la preuve de façon très détaillée.
[40] La CLP décide ensuite, et c’est très clair, qu’il ne s’agit pas ici d’un cas où les présomptions de la loi, soit celle de l’article 28 de la LATMP (accident de travail) ou celle de l’article 29 (maladie professionnelle identifiée à l’annexe 1) s’appliquent. Dès lors, pour que la LATMP s’applique, il doit s’agir d’un cas visé par l’article 30 de la loi, qui se lit comme suit :
Le travailleur atteint d’une maladie non prévue par l’annexe 1, contractée par le fait ou à l’occasion du travail et qui ne résulte pas d’un accident du travail ni d’une blessure ou d’une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d’une maladie professionnelle s’il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d’un travail qu’il a exercé ou qu’elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
(nos soulignements)
[41] Il est clair ici que madame Jubinville n’a pas été victime d’un accident; ce n’est pas un fait soudain, imprévu. La survenance des symptômes l’est peut-être, mais pas le fait de la vaccination. De plus, il ne s’agit pas d’une maladie professionnelle énumérée à l’annexe 1.
[42] La CLP dans sa décision analyse les faits et la preuve, et notamment le travail que Madame faisait comme infirmière pour un groupe de recherche. Son travail avait ceci de particulier qu’elle était appelée à circuler dans l’hôpital, à rencontrer des patients et souvent des patients atteints de maladie infectieuse. Donc, elle rencontrait ces patient pour faire des prélèvements ou elle était appelée à manipuler des prélèvements. De plus, selon le témoignage du patron immédiat de Madame, le Dr Weiss, à l’automne 2009, on prévoyait qu’elle serait probablement appelée à travailler dans le cadre d’un protocole sur la grippe A-H1N1; elle aurait alors été en contact très directement avec des personnes affectées par la grippe A-H1N1, notamment pour aider au tri à l’urgence.
[43] Pour cette raison, son patron, le Dr. Weiss, lui avait parlé de la vaccination et il lui avait recommandé expressément de se faire vacciner contre la grippe A-HINI. C’est même lui qui, le matin du 2 novembre 2009, lui a rappelé que c’était la dernière journée de vaccination et de ne pas oublier d’y aller. C’est dans ce contexte particulier que Madame Jubinville, qui ne s’était jamais fait vacciner pour la grippe auparavant, a décidé de se faire vacciner.
[44] En examinant tous ces éléments, la Commissaire conclut qu’il s’agit ici d’une maladie contractée « par le fait ou à l’occasion du travail », parce que la vaccination pour la grippe A-H1N1 était très liée au travail de Madame, que la vaccination se donnait sur les lieux du travail, qu’elle était recommandée par son patron qui dans un autre document a d’ailleurs attesté que madame était par son travail « dans une situation de risque extrême ».
[45] La juge semble aussi conclure que, pour toutes ces raisons, la maladie était directement liée au risque particulier du travail que Madame Jubinville était appelée à faire à ce moment-là ou pouvait prévoir qu’elle aurait à faire.
[46] Quant au diagnostic, la juge retient deux diagnostics : réaction vaccinale et myélite transverse. Toutefois, il y a lieu de noter que, au paragraphe 121 de sa décision, elle souligne l’importance aux fins de rendre la décision portant sur l’admissibilité de la réclamation, de l’avis du médecin qui a charge de la travailleuse : « en l’absence de procédure d’évaluation médicale menant à l’obtention d’un avis du Bureau d’évaluation médicale, le tribunal est lié par l’avis du médecin qui a charge de la travailleuse quant au diagnostic à retenir ». Or, dans ce cas-ci, deux diagnostics sont proposés.
[47] Elle note qu’au tout début Madame a été vue à l’urgence. Elle a consulté divers médecins de l’hôpital et elle a été référée à des spécialistes, de telle sorte qu’il est un peu difficile de savoir qui était le médecin qui « avait charge » de la travailleuse. Il n’y en pas vraiment eu une ou un avant l’arrivée au dossier de la Dr Josserand qui a effectivement pris en charge Madame, mais qui, selon le dossier, n’a jamais établi un diagnostic. On voit dans ses notes : En attendant le diagnostic. Elle prescrit des traitements pour les symptômes de Madame.
[48] La juge retient donc le diagnostic de réaction vaccinale qui est posé dès le début, et de façon répétée et successive par l’urgentologue, par le Dr Weiss, et encore par le Dr Weiss, le 10 mars 2010 et plusieurs autres médecins qui voient Madame au cours des semaines ou des mois suivants.
[49] Un peu plus tard, au mois d’avril 2011, alors que les auditions devant la CLP sont commencées, Madame rencontre le Dr Grodzicky au Centre Lucie-Bruneau. Ce médecin effectue une évaluation, le 26 avril 2011, et il pose le diagnostic de myélite transverse post-vaccinale. Le Dr Grodzicky, selon de ce qui apparaît du dossier, prévoit la suivre dans les prochains mois mais il ne l’a pas vraiment prise en charge
[50] La juge souligne que, dans ce contexte, il est difficile de déterminer qui est le médecin qui a la charge de la travailleuse puisque, bien malgré elle, elle doit consulter plusieurs médecins. Elle décide donc que :
[129] Afin de rendre une décision qui dispose entièrement de la question, le tribunal retiendra les deux principaux diagnostics de réaction vaccinale et de myélite transverse post-vaccinale et se prononcera à savoir s’ils sont admissibles, l’un ou l’autre ou tous deux, à titre de lésion professionnelle. […]
(nos soulignements)
De toute façon, l’employeur a en main ces diagnostics. Il a eu la possibilité de les contester.
[51] La juge devait donc décider s’il y avait « une maladie professionnelle » au sens de l’art. 30 LATMP. Elle note que l’employeur et la CSST ont soutenu devant la CLP que Madame n’était pas atteinte d’une « maladie », mais elle écarte cet argument et retient que :
« les diagnostics de réaction vaccinale et de myélite transverse post-vaccinale sont des diagnostics médicalement reconnus non contestés par une procédure d’évaluation médicale statuant sur le diagnostic. Le litige soumis au présent tribunal porte plutôt sur la relation causale entre ces diagnostics et la situation au travail mise en preuve et, à ce stade, s’il s’agit d’une maladie professionnelle au sens de la seconde qualification prévue à l’article 30 de la loi. »[13]
[52] Elle analyse ensuite les notions « à l’occasion du travail, le lien de connexité et les risques particuliers » et elle conclut que ces critères s'appliquent dans le présent cas. Elle se base pour ce faire sur l’analyse qu’elle fait de la preuve, du milieu de travail et du dossier de Madame, et il est difficile de remettre en question la raisonnabilité de sa décision.
[53] Au paragraphe 150, elle écarte l’argument de l’employeur quant au caractère volontaire de la vaccination en soulignant qu’il n’a aucune incidence sur l’existence d’un lien de connexité avec le travail pour les fins de son analyse. Elle affirme ensuite :
151. Par ailleurs, lorsqu’une employée du réseau de la santé et des services sociaux décide, comme en l’espèce, de se faire vacciner en raison de l’exposition probable dans le cadre de son travail au virus visé par le vaccin, le caractère connexe de cette vaccination avec son travail s’établit facilement.
Et là, il y a une note de bas de page où elle écrit :
La relation causale par preuve médicale prépondérante devra ensuite être établie entre la lésion pour laquelle la travailleuse réclame et la vaccination.[14]
C’est assez significatif. Nous reviendrons sur cette mention.
[54] La juge dispose ensuite de la prétention de l’employeur selon qui la clinique de vaccination offerte par l’hôpital et tenue à l’hôpital se tenait dans le cadre d’une campagne de vaccination sous l’autorité du Ministère de la santé et des services sociaux. La juge écarte ce moyen. Selon elle, cela n’écarte pas ou n’exclut pas la responsabilité ou un rôle de l’hôpital. Elle souligne au contraire que la clinique de vaccination est utile à l’accomplissement des services offerts par l’employeur à la population et que, dans le cas précis de la travailleuse,
« 157 […] Elle devait être directement exposée à des personnes infectées par ce virus. Une version non finale de ce protocole de recherche corrobore les allégations de la travailleuse […] »
[55] Elle conclut que « Ce qui importe, c’est que la travailleuse se soit soumise à cette vaccination croyant, selon les informations de l’époque, qu’elle travaillerait à ce protocole et serait ainsi très exposée. La lettre du Dr Weiss du 11 mai 2010 […] corrobore éloquemment les risques d’exposition »[15].
[56] Elle conclut donc que, selon elle, on ne peut pas sérieusement « nier la connexité de cette vaccination avec le travail et le fait que l’exposition à la grippe A-H1N1 fasse partie des risques particuliers du travail d’infirmière de recherche exercés par la travailleuse dans les conditions d’exposition précédemment relatées »[16]. C’est la conclusion qu’elle tire de la preuve, notamment en ce qui a trait au contact avec les gens affectés par la maladie.
[57] Finalement, la juge reprend l’analyse de la preuve en ce qui a trait à chacun des deux diagnostics sur lesquels elle a à se prononcer et elle conclut que la preuve démontre de façon prépondérante qu’avant la vaccination, Madame était normale, et que, presque immédiatement après la vaccination, elle a eu des symptômes et que le diagnostic de réaction vaccinale est posé « de façon contemporaine »[17].
[58] Elle ajoute que ce diagnostic de réaction vaccinale n’a pas été contesté par la CSST ou par l’employeur dans le cadre de la procédure d’évaluation médicale. Et donc, dit-elle un peu plus loin, « le tribunal est lié par ce diagnostic. Son rôle ne s’étend pas à en discuter le bien-fondé mais à déterminer s’il est en relation avec la situation mise en preuve »[18].
[59] Immédiatement après, elle constate que « à la suite de la vaccination du 2 novembre 2009, […] selon la preuve médicale contemporaine », il y a « une réaction vaccinale ». Dans ce cas particulier, « ce diagnostic est acceptable à titre de maladie professionnelle en raison des risques particuliers de son travail d’infirmière de recherche, risques susceptibles de l’exposer, en toute probabilité à l’époque, au virus de l’influenza A-H1N1 et justifiant qu’elle reçoive le vaccin... »[19].
[60] Quand elle réfère évidemment au fait que le diagnostic n’a pas été contesté par la CSST et qu’elle-même est liée par ce diagnostic, elle réfère de toute évidence aux dispositions des articles 212 et 224 de la LATMP.
[61] Et après avoir semblé conclure qu’elle acceptait le diagnostic de réaction vaccinale « à titre de maladie professionnelle » « dans le cas de la travailleuse » on trouve dans la décision cette mention un peu ambigüe :
[179] Par ailleurs, au fil du temps, le tableau clinique devient inexpliqué. Les évaluateurs se questionnent mais aucun ne fait une démonstration prépondérante de l’existence d’une relation causale entre ce tableau et la vaccination. Plusieurs nient cette relation causale.
[62] Par la suite, la juge discute le diagnostic de myélite transverse. Elle écrit :
[180] Le docteur Grodzicky tente d’expliquer ce tableau par une condition d’ordre neurologique, la myélite transverse qu’il qualifie d’emblée de post-vaccinale. […]
[63] Elle souligne que « post-vaccinale », évidemment, est un qualificatif qui reflète son opinion quant à l’étiologie de la maladie et que ce qualificatif ne fait pas partie de la définition. C’est un syndrome neurologique d’étiologie multiple. Elle souligne que le rapport du Dr Grodzicky ne suffit pas en soi à établir le lien de causalité avec la vaccination du 2 novembre 2009. De surcroît, il s’agit d’un diagnostic neurologique et il y a au dossier les opinions des neurologues Laplante et Lachapelle. En particulier, le Dr Lachapelle qui a examiné la travailleuse en dernier lieu écarte l’hypothèse d’une myélite transverse en relation avec la vaccination du 2 novembre 2009.
[64] La juge conclut donc :
[185] La travailleuse avait le fardeau de démontrer par preuve médicale prépondérante la relation causale entre ce diagnostic de myélite transverse post-vaccinale et la vaccination du 2 novembre 2009 mais ce fardeau de preuve n’est pas relevé.
[65] Et elle enchaîne avec ses conclusions à l’effet que Madame « a subi une lésion professionnelle le 2 novembre, soit une maladie professionnelle dont le diagnostic est celui de réaction vaccinale » et que « le diagnostic de myélite transverse post-vaccinale […] n’est pas en relation avec la lésion professionnelle du 2 novembre 2009 ». Et donc, elle déclare que Madame « a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. »[20]
[66] Le Tribunal a déjà souligné certains passages dans la décision de la CLP qui étonnent un peu. Dès le début, elle souligne que le diagnostic fait l’objet d’une contestation que le tribunal tranchera. Lorsqu'elle reprend son analyse du « diagnostic » sous le titre « Les Motifs de la Décision »[21], elle souligne qu’il n’y a pas vraiment d’avis du médecin qui a charge de la travailleuse mais qu’elle retient quand même, pour les fins de son étude, les deux diagnostics de réaction vaccinale et de myélite transverse post-vaccinale.
[67] Un peu plus loin, elle souligne que, depuis le tout début, on a noté au dossier le diagnostic de « réaction vaccinale » qui a été repris dans l’attestation au dossier du Dr Weiss du 10 novembre 2009 et dans l’attestation plus formelle qu’il a souscrite, le 11 mars 2010. C’est le diagnostic qui était d’abord proposé par Madame Jubinville quand elle soumet son cas à la CSST et à la CLP, et ce n’est que subséquemment que le diagnostic de myélite transverse post-vaccinale est apparu.
[68] Elle semble dire à la page 40, dans une note de bas de page, qu’il faudrait établir « par preuve médicale prépondérante » la relation causale « entre la lésion pour laquelle la travailleuse réclame et la vaccination ». Or, on trouve, au paragraphe 179 de sa décision, un passage qui semble dire que la preuve prépondérante de l’existence d’une relation causale entre « le tableau clinique » et la vaccination n’est pas établie.
[69] Pourtant, elle retient la conclusion que le diagnostic de réaction vaccinale est acceptable et établi à titre de maladie professionnelle en raison des risques particuliers du travail de Madame. Et jamais, elle n’a conclu que Madame a satisfait à son fardeau en relation avec la réaction vaccinale alors que, au paragraphe 185, elle conclut qu’elle n’a pas satisfait au fardeau de prouver « la relation causale entre ce diagnostic de myélite transverse post-vaccinale et la vaccination du 2 novembre 2009 ».
[70] Pourtant, elle conclut finalement qu’il y a ici « une lésion professionnelle », « une maladie professionnelle dont le diagnostic est celui de réaction vaccinale ». Elle semble se baser sur le fait que la réaction vaccinale apparaît au dossier depuis le tout début et qu’elle n’a jamais été contestée par l’employeur en vertu de l’article 212 de la LATMP, de telle sorte que la CLP est liée par ce diagnostic, alors que dans le cas de la myélite transverse, évidemment, la preuve, et notamment la preuve d’expert, la justifie d’écarter le diagnostic du Dr Grodzicky.
[71] Il est vrai que jamais la juge administrative ne se prononce sur la relation causale entre la vaccination et le tableau de symptômes identifié chez Madame qu'on a décrit globalement comme « réaction vaccinale ». Au contraire, elle semble même dire que cette relation n’est pas établie.
[72] Doit-on conclure pour autant que la décision ne se tient pas, qu’elle n’est pas raisonnable? On peut certainement s’interroger vu ces passages de la décision. Par ailleurs, selon le procureur de Madame et selon certains passages de la décision, la CLP s’est basée sur sa compréhension de la loi, et notamment sur les dispositions des articles 212 et 224 de la LATMP. Elle a considéré que le diagnostic de réaction vaccinale était établi et qu’elle était liée par ce diagnostic parce qu’il n'avait pas été contesté conformément à la loi.
[73] Évidemment, puisque le diagnostic ou la maladie est « réaction vaccinale », le lien avec le vaccin semble établi par le diagnostic lui-même. Il ne lui restait qu’à décider le lien entre le vaccin et l’emploi, entre la réaction et l’emploi, et elle conclut qu’il y a un lien suffisamment établi par la documentation, notamment par les notes du Dr Weiss du 11 mars 2010.
[74] On peut certainement critiquer la formulation de certains passages de la décision. Notamment, la note de bas de page qui suggère la nécessité d’une preuve prépondérante qu’on ne trouve pas ailleurs à l’appui de sa conclusion. Par ailleurs, les commentaires de la juge, semblent indiquer qu’elle se base sur son interprétation des articles 212 et 224 de la LATMP.[22]
[75] Il s’agit là de notions et de concepts qui tombent carrément dans le domaine privilégié d’expertise de la CLP dont les décisions sont protégées par une clause privative. Le Tribunal doit se garder de conclure que quelque chose qu’il ne comprend peut-être pas parfaitement ou qu’il n’aurait peut-être pas rédigé tout à fait de la même façon, est déraisonnable. Ce serait manquer à la déférence qui est due aux décisions de la CLP.
[76] Le Tribunal conclut que, dans l’ensemble, la décision satisfait à la norme de la raisonnabilité telle que définie dans l’arrêt Dunsmuir. La Cour supérieure ne devrait donc pas intervenir ici.
[77] Cette conclusion s’impose notamment quant au point qui est soulevé par l’employeur, selon qui Madame, comme infirmière au Service de recherche, n’était pas plus à risque de souffrir d’une réaction vaccinale que n’importe quelle personne appelée à se faire vacciner.
[78] Évidemment, si on cherche le lien entre la maladie professionnelle et le risque qu’on définit comme une « réaction vaccinale », on comprend l’argumentation de l’employeur. L’interprétation qui est retenue par la CLP tient compte de l’importance du vaccin pour la travailleuse vu les circonstances particulières de son emploi. C’est sans doute une interprétation plus généreuse et plus libérale de l’article 30, une interprétation qui tient compte du contexte factuel particulier.
[79] Le Tribunal n’est pas prêt à conclure que cette interprétation est déraisonnable. Il s’agit de l’interprétation de la LATMP qui relève de la CLP.
[80] Le Tribunal conclut donc que la décision satisfait au critère de la raisonnabilité et que la requête en révision judiciaire doit être rejetée avec dépens, mais uniquement en faveur de la travailleuse.
[81] REJETTE la requête en révision judiciaire,
[82] AVEC DÉPENS uniquement en faveur de madame Jubinville.
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__________________________________ HÉLÈNE LE BEL, J.C.S. |
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Me Stéphanie Rainville |
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Monette Barakett |
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Pour la demanderesse |
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Me Isabelle Gagnon |
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Verge Bernier |
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Pour la défenderesse, la CLP |
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Me François Parizeau |
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Turbide Lefebvre Roy |
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Pour la mise en cause Nathalie Jubinville |
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Me Louise Lemieux |
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Pour l'intervenante, la CSST |
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Date d’audience : |
9 mai 2013 |
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Transcrit et révisé : |
28 mai 2013 |
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[1] Transcription remaniée pour les besoins de l'écrit.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Jubinville et Hôpital Maisonneuve-Rosemont, 2012 QCCLP 3277 , par. 6. (Pièce P-2).
[4] Idem, p. 46.
[5] L.R.Q. c. S-2.2.
[6] Par. 20 à 44 de la décision.
[7] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 .
[8] L.R.Q., c. A-25.
[9] Alberta (information and Privacy Commissionner) c. Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 R.C.S. 654 .
[10] Lapierre c. Québec (P.-G.) (1985) 1 RCS 241 .
[11] L.Q. 1985, c. 23 (Projet de loi 41).
[12] Préc., note 7, par. 47 in fine.
[13] Idem, par. 142 de la décision (Pièce P-2).
[14] Idem, note 23, au bas de la page 40 de la décision.
[15] Idem, par. 157.
[16] Idem, par. 158.
[17] Idem, par. 176.
[18] Idem, par. 177 in fine.
[19] Idem, par. 178.
[20] Dispositif de la décision, p. 46.
[21] Idem, p. 35, par. 121 s.s.
[22] Par ailleurs, si tous les tests et examens subis par Madame n’ont pas trouvé d’autre cause à ses symptômes, est-il déraisonnable de conclure que le vaccin en est la cause?
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.