Décision

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Lussier et Accès Toyota inc.

2008 QCCLP 2313

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

15 avril 2008

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

328455-08-0709

 

Dossier CSST :

118759281

 

Commissaire :

Me Jean-François Clément

 

Membres :

Jean Litalien, associations d’employeurs

 

Daniel Laperle, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Éric Lussier

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Accès Toyota inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 17 septembre 2007, monsieur Éric Lussier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 4 septembre 2007 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 1er novembre 2006 et déclare que le travailleur ne peut bénéficier du remboursement du médicament de marque Méridia.

[3]                Le travailleur est présent à l’audience tenue le 7 avril 2008 à Val D’Or mais l’employeur est absent.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement du médicament Méridia.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis. La prise de poids importante du travailleur est attribuable aux conséquences de la lésion professionnelle qu’il a subie le 31 juillet 2000. En effet, le travailleur a diminué de façon drastique ses activités physiques après cette lésion. Le médicament a été prescrit par un médecin et est bel et bien lié aux conséquences de la lésion professionnelle initiale. Il n’y a pas à se poser la question de la nécessité ou du caractère approprié de ce médicament en l’absence de référence au Bureau d’évaluation médicale. Le travailleur a donc droit au remboursement des coûts inhérents à la prise de ce médicament.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement du médicament Méridia prescrit pour lui permettre de perdre du poids.

[7]                Le droit à l’assistance médicale est prévu notamment aux articles 188 , 189 et 194 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi):

188.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.

__________

1985, c. 6, a. 188.

 

 

189.  L'assistance médicale consiste en ce qui suit :

 

1° les services de professionnels de la santé;

 

2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);

3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;

 

4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;

 

5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.

__________

1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.

 

 

194.  Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.

 

Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.

__________

1985, c. 6, a. 194.

 

 

[8]                Un travailleur a donc droit au remboursement de médicaments et autres produits pharmaceutiques en autant qu’ils soient prescrits par un médecin en raison de la lésion professionnelle qu’il a subie et qu’ils soient nécessaires à son traitement.

[9]                Or, le tribunal croit qu’il en va ainsi de la prescription du médicament Méridia dans le présent dossier.

[10]           Au moment de la lésion professionnelle du 31 juillet 2000, le travailleur est âgé de 25 ans et il pèse environ 200 livres. Avant cette date, son poids se situe généralement entre 180 et 210 livres selon le niveau d’activités physiques qu’il peut pratiquer.

[11]           La lésion professionnelle du 31 juillet 2000 survient alors que le travailleur glisse et tombe sur un plancher mouillé en transportant une charge.

[12]           Les diagnostics d’hernie discale L5-S1 et de syndrome de la queue de cheval s’ajouteront à ceux d’entorse lombaire et de contusion dorso-lombaire. Le docteur Louis Bellemare, orthopédiste, conclura dans son rapport final à un « failed back syndrom ». Une dépression sera diagnostiquée comme étant en conséquence de la lésion.

[13]           Cette lésion entraînera de graves conséquences et nécessitera entre autres deux chirurgies au niveau lombaire.

[14]           Le travailleur a notamment dû porter un plâtre allant de la cage thoracique aux genoux pendant sa convalescence.

[15]           Le travailleur a bénéficié d’aide personnelle à domicile et du remboursement de certains travaux d’entretien. Il a aussi bénéficié d’un suivi psychologique et sa lésion a été consolidée avec une importante atteinte permanente et des limitations fonctionnelles de classe III.

[16]           Le travailleur explique qu’après l’événement du 31 juillet 2000, il a dû cesser toutes les activités physiques qu’il pratiquait comme le volley-ball, le hockey bottine, l’entraînement en gymnase, le patin à roues alignées, le vélo et le jogging. Il a graduellement pris du poids passant ainsi de 200 livres à 300 livres sur une période d’environ deux ans.

[17]           Le travailleur explique qu’il ne mangeait pas plus qu’auparavant mais qu’il ne faisait tout simplement plus de sport. Il mangeait des repas normaux, sans abus.

[18]           Il a réussi par lui-même à réduire son poids à 250 livres en s’adonnant à certaines activités peu exigeantes pour son dos et en diminuant la quantité de nourriture qu’il consommait.

[19]           Rendu à 250 livres, son médecin a constaté qu’il plafonnait et a prescrit le médicament Méridia pour l’aider.

[20]           On trouve d’ailleurs au dossier une lettre du docteur Pierre Fleury datée du 15 septembre 2007 qui se lit comme suit :

« Le patient a une pathologie lombaire sévère qui est détaillée dans son dossier. En abaissant le poids du patient qu’il a pris durant son arrêt travail pour sa pathologie, ceci amène une diminution de l’effort et de la résistance de la colonne lombaire.

C’est pourquoi nous avons prescrit du Méridia et du Xénical. Le Xénical a été en attente, en attendant, votre décision pour payer ces deux médicaments. »

 

 

[21]           Malgré le refus de la CSST de lui rembourser ce médicament, le travailleur l’a quand même acheté à ses frais et a pu continuer à maigrir jusqu’à un poids d’environ 200 livres.

[22]           Il a donc pu réduire son poids de 250 à environ 200 livres à l’aide du médicament Méridia tout en s’adonnant à la marche et à la natation quand il le pouvait. Il habite à Preissac et il n’y a pas de piscine de disponible en hiver.

[23]           Son but est de réduire son poids à 180 livres en continuant le Méridia et en suivant un programme d’exercices à la maison.

[24]           Sa perte de poids lui a permis de reprendre beaucoup plus d’activités physiques qu’auparavant.

[25]           Le tribunal estime que la preuve démontre que le médicament Méridia est lié aux conséquences de la lésion professionnelle initiale. Il s’est avéré nécessaire pour permettre au travailleur de réduire le poids pris en raison de cette lésion, lui permettant ainsi de mener une vie plus normale et de réduire les conséquences de la lésion professionnelle. Ce médicament a de plus été prescrit par un médecin.

[26]           À l’étude du dossier et en tenant compte du témoignage du travailleur, il est évident que la prise de poids importante constatée chez lui est attribuable directement à la lésion professionnelle du 31 juillet 2000 qui, rappelons-le, doit être considérée d’une très grande gravité en raison des soins médicaux et des séquelles permanentes qu’elle a générés.

[27]           Il est évident que les conséquences de cette lésion ont fait en sorte que le travailleur a cessé ses activités physiques qui étaient pourtant très présentes dans sa vie avant la lésion. Ceci a fait en sorte qu’il a pris du poids puisqu’il ne bénéficiait plus de l’élimination calorique propre à toute activité physique.

[28]           Le travailleur avait maintenu un poids relativement stable avant sa lésion et il est clair que la prise de poids découle des conséquences de cette lésion.

[29]           Le désir du travailleur et de son médecin de réduire le poids du travailleur doit donc être considéré comme référant à la résorption des conséquences néfastes attribuables à la lésion professionnelle initiale, but spécifiquement prévu à l’article 1 de la loi :

1.  La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[30]           On peut également référer au 5e alinéa de l’article 184 de la loi :

184.  La Commission peut :

(…)

 

5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 184.

 

 

[31]           Le tribunal croit également que dans ce cas précis, la CSST devait tenir compte de l’article 351 de la loi :

351.  La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.

 

Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.

__________

1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.

 

 

[32]           La Cour suprême du Canada a d’ailleurs reconnu l’effet remédiateur de la loi face aux conséquences entraînées par les lésions professionnelles[2].

[33]           Le travailleur n’a pas mis tous ses œufs dans le même panier. Il ne s’est pas fié seulement au médicament Méridia. Sous la recommandation de son médecin, il a plutôt dans un premier temps diminué la quantité d’aliments qu’il consommait et fait des exercices de base. Ce n’est que par la suite que le Méridia est entré en jeu et encore là, en compagnie d’un programme d’exercices et en respectant de bonnes habitudes alimentaires.

[34]           Le tribunal bénéficie en l’espèce d’une preuve rétrospective démontrant qu’en réalité, le médicament Méridia a été efficace et a contribué à la perte de poids significative du travailleur. Il va sans dire que la perte de ce surplus de poids acquis à cause des conséquences de la lésion initiale a permis au travailleur de reprendre une vie plus normale et a été bénéfique pour sa santé physique et psychique de même que pour l’estime de soi. Il est également évident que cette perte de poids est bénéfique au niveau de l’importante condition lombaire qui découle de la lésion initiale.

[35]           Cette perte de poids lui a permis de reprendre des activités de plus exigeantes, lui permettant ainsi d’améliorer sa santé.

[36]           Le tribunal s’en remet également à l’avis du docteur Pierre Fleury, orthopédiste, qui indique clairement que la prise de poids du travailleur est due à sa pathologie initiale et qu’il y a donc diminution de la résistance de sa colonne lombaire d’où notamment la nécessité d’une perte de poids.

[37]           La jurisprudence a d’ailleurs, à de nombreuses reprises, reconnu le droit d’un travailleur à obtenir le remboursement de médicaments prescrits non pas en lien direct avec le diagnostic principal de la lésion mais plutôt pour atténuer les conséquences découlant de cette lésion.

[38]           Ainsi, dans l’affaire Renaud et Marché R. Théberge inc.[3], les comprimés d’Oméga 3 furent reconnus comme reliés à la lésion professionnelle puisque prescrits pour tenter d’améliorer les membranes neuronales et la réponse à d’autres médicaments.

[39]           Dans l’affaire Breton et Serrurier indépendant enr.[4], le remboursement de comprimés de Glucosamine a été autorisé vu le soulagement des douleurs articulaires reliées à une synovite chronique que ce médicament a permis d’apporter. Cette même décision acceptait le remboursement de Florify ayant amélioré les problèmes intestinaux du travailleur reliés aux effets secondaires de l’utilisation de la Glucosamine.

[40]           Dans l’affaire Anglehart et Les Coffrages CCC ltée[5], la Commission des lésions professionnelles a reconnu qu’un travailleur avait droit au remboursement du coût des médicaments Viagra et Cialis administrés successivement pour le traitement d’une dysfonction érectile reliée au traumatisme crânien subi lors d’un accident du travail.

[41]           Dans Milette et Autocars Murray Hill inc.[6], un accident du travail ayant entraîné une lésion physique avait ultimement aussi entraîné une lésion psychique. Le remboursement d’un anti-dépresseur a, dans ces circonstances, été autorisé.

[42]           Dans l’affaire Corbeil et Wilfrid Nadeau inc.[7], la Commission des lésions professionnelles déclarait qu’un travailleur avait droit au remboursement de marijuana prescrite par un médecin afin d’atténuer les douleurs chroniques découlant de la lésion professionnelle.

[43]           Dans l’affaire Lemieux et Commission scolaire des Découvreurs[8], la Commission des lésions professionnelles acceptait le remboursement du médicament Prevacid prescrit en raison d’une gastrite développée par un travailleur parce qu’il avait consommé beaucoup d’analgésiques à la suite de sa lésion professionnelle.

[44]           Dans Mercier et Les Contrôles A.C. inc.[9], le travailleur s’est vu reconnaître le droit au médicament Rhovane prescrit pour lui permettre de dormir plus aisément malgré les douleurs résiduelles inhérentes à sa lésion professionnelle.

[45]           En terminant, le tribunal tient à souligner que la Commission des lésions professionnelles a déjà reconnu qu’un médicament visant la perte ou le contrôle du poids pouvait être remboursé par la CSST en certaines circonstances.

[46]           Ainsi, dans l’affaire Renaud et Imagerie Terrebonne inc.[10], une travailleuse avait pris du poids à la suite d’une intervention chirurgicale reliée à sa lésion professionnelle. Cette surcharge pondérale avait un effet direct sur sa colonne lombaire et augmentait de façon évidente les douleurs qu’elle éprouvait.

[47]           Son médecin lui avait dans les circonstances prescrit un médicament afin de réduire son poids, médicament qui avait finalement produit les effets escomptés. En effet, la travailleuse avait perdu un peu plus de vingt kilos à la suite de la consommation de ce médicament. Son remboursement a donc été autorisé par la Commission des lésions professionnelles.

[48]           Le tribunal croit qu’il doit en être ainsi dans le présent dossier.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

 

ACCUEILLE la requête de monsieur Éric Lussier, le travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 4 septembre 2007 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement du médicament Méridia prescrit par son médecin en raison des conséquences de la lésion professionnelle du 31 juillet 2000.

 

 

 

__________________________________

 

Me Jean-François Clément

 

Commissaire

 

 



[1]            L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés des services publics inc., [1996] 2  R.C.S. 345 .

[3]           C.L.P. 245162-63-0409, 23 juillet 2007, M. Juteau.

[4]           C.L.P. 267008-63-0507, 21 août 2006, F. Mercure.

[5]           C.L.P. 251634-01A-0412, 31 mars 2006, L. Desbois.

[6]           C.L.P. 192589-63-0210, 11 juin 2004, D. Besse.

[7]           [2002] C.L.P. 789 , révision rejetée 183805-03B-0205, 20 février 2004, C. Bérubé, requête en révision judiciaire rejetée [2004] C.L.P. 1251 , (C.S.), requête pour permission d'appeler rejetée, Cour d’appel Québec, 200-09-005022-048, 21 décembre 2004.

[8]           C.L.P. 109398-31-9901 et autres, 4 décembre 2000, R. Ouellet.

[9]           C.L.P. 130934-31-0002, 29 janvier 2001, P. Simard.

[10]         C.L.P. 258318-63-0503, 22 juillet 2005, J.P. Arseneault.

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