Durand et Corporation internationale Masonite |
2012 QCCLP 4355 |
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[1] Le 22 mars 2011, monsieur François Durand, (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 24 février 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue le 29 octobre 2010, laquelle informe le travailleur qu’elle ne peut accepter sa réclamation notamment pour un syndrome du canal carpien bilatéral puisqu’il ne s’agit pas d’une lésion professionnelle.
[3] Une audience se tient devant la Commission des lésions professionnelles le 4 juin 2012 à Sherbrooke. Le travailleur et son procureur sont présents, de même que La Corporation Internationale Masonite (l’employeur), représenté par monsieur Richard Gaboury, qui est également accompagné de son procureur.
[4] Au terme de l’audience, le procureur du travailleur demande à produire le protocole opératoire du 11 février 2011 de la chirurgie du canal carpien droit du travailleur. Un échéancier est établi avec les procureurs des parties afin d’en permettre la production et de brefs commentaires. L’affaire est prise en délibéré à compter du 7 juin 2012 en conformité avec les termes de cet échéancier.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le ou vers le 4 mai 2010, en l’occurrence une maladie professionnelle, dont le diagnostic est un syndrome du canal carpien bilatéral.
LA PREUVE
[6] Le travailleur, un droitier, est au service de l’employeur depuis le mois de septembre 1999 et occupe un poste de préposé à l’emballeuse de portes plaquées depuis le 5 janvier 2009. Ce poste constitue l’emploi convenable déterminé dans le cadre du traitement du dossier d’une précédente réclamation pour lésion professionnelle.
[7] Le 12 mai 2010, le travailleur signe une Réclamation du travailleur où il écrit :
Depuis le 4 mai 2010, j’ai commencé à ressentir une douleur aux 2 poignets, mais plus du côté droit.
[8] Le travailleur consulte le 10 mai 2010 pour la première fois en raison de cette condition.
[9] À cette occasion, il rapporte à la docteure Marias-Radu qu’il ressent des paresthésies aux deux mains, davantage du côté droit, ainsi que des douleurs, et ce, jour et nuit. À l'examen, le signe de Tinel est positif à droite et négatif à gauche. La docteure Marias-Radu pose le diagnostic de syndrome du canal carpien D>G pour lequel elle prescrit une orthèse de nuit, un travail allégé ainsi qu’un examen par électromyogramme.
[10] À compter du 1er juin 2010, le docteur Laframboise assure le suivi du travailleur et maintient les mêmes recommandations.
[11] Le travailleur cesse le travail le 18 juin et débute une période de vacances. Il est hospitalisé du 2 au 8 juillet pour une maladie intercurrente.
[12] Le 5 juillet 2010, le docteur Deacon, neurologue, réalise un examen par électromyogramme.
[13] Le travailleur rapporte au médecin des engourdissements au niveau des mains depuis trois mois, bilatéralement, pires à droite. Les symptômes sont présents lorsqu’il travaille ainsi que la nuit et il se secoue les mains afin de les diminuer. Le port d’attelles palmaires ainsi qu’un arrêt de travail depuis trois semaines l’ont rendu asymptomatique.
[14] L'examen physique objectif est considéré normal de même que le résultat de l’étude électrophysiologique, sauf pour de légères neuropathies médiane et cubitale au niveau du coude.
[15] Le docteur Deacon écrit que cliniquement, les symptômes que présente le travailleur sont compatibles avec un syndrome du canal carpien bilatéral en rémission. Il ne recommande pas de traitement additionnel.
[16] Le 9 juillet, le docteur Beaudoin, orthopédiste, examine le travailleur et son examen est normal. Il recommande le port d’attelles aux poignets et aux coudes. La visite de contrôle est prévue trois mois plus tard et le médecin envisage de procéder à des infiltrations selon le résultat de l’électromyogramme, qu’il n’a pas entre les mains à ce moment.
[17] Le docteur Laframboise revoit le travailleur à intervalles réguliers par la suite et maintient l’arrêt de travail.
[18] Le 20 septembre 2010, un agent de la CSST communique avec le travailleur afin de recueillir les informations nécessaires au traitement de sa réclamation. Ce dernier rapporte qu’il y a eu apparition subite de la douleur après son quart de travail le 4 mai 2010 et devant la persistance de celle-ci, il est allé consulter le 10 mai.
[19] Le 26 octobre, le médecin régional de la CSST procède à l’analyse médicale de la réclamation du travailleur. Il note qu’après visionnement du DVD du poste de travail, il ne décèle aucune position contraignante ni sollicitation anormale aux dépens des mains, des poignets ou des coudes.
[20] Le 29 octobre, après analyse médico-administrative, la CSST informe le travailleur qu’elle ne peut accepter sa réclamation pour un syndrome du canal carpien bilatéral puisqu’il ne s’agit pas d’une lésion professionnelle.
[21] Le 10 novembre 2010, le travailleur demande la révision de cette décision et le 24 février 2011, à la suite d’une révision administrative, la CSST la confirme.
[22] Le 11 février 2011, le docteur Beaudoin procède à la décompression du canal carpien droit du travailleur et note au protocole opératoire que le nerf est filiforme et non cyanotique.
[23] Le 22 mars 2011, le travailleur conteste devant la Commission des lésions professionnelles la décision rendue le 24 février 2011.
[24] À l’audience du 4 juin 2012, une vidéo du poste de travail réalisée par le syndicat, où apparaît le travailleur, est visionnée.
[25] Ce dernier témoigne que la cadence et les mouvements observés sont fidèles à la réalité. Il estime qu’il consacre 70 % de son temps de travail à manipuler des portes et de 10 à 15 % à la préparation. Il précise que les portes sont manipulées à deux en tout temps.
[26] Le travailleur déclare qu’il commence à ressentir des engourdissements à compter du mois d’avril 2010. Il illustre la douleur qu’il ressent le 4 mai suivant comme s’il pressait une pelote d’épingles dans la paume de sa main.
[27] Confronté au fait que lors d’une réclamation antérieure, dans le cadre d’un examen par électromyogramme daté du 27 janvier 2009, il rapporte déjà des paresthésies aux deux mains, le travailleur explique qu’il s’agissait alors de symptômes fort différents, sans comparaison avec ce qu’il a ressenti le 4 mai.
[28] Questionné par le procureur de l'employeur à savoir à quoi il consacre le 30 % de son temps de travail où il ne manipule pas de portes, le travailleur répond qu’il remplit notamment des rapports de production.
[29] Il affirme que les symptômes au niveau de son poignet droit sont disparus à la suite de la chirurgie du 11 février 2011 et que ceux au niveau de son poignet gauche se sont estompés en raison de son arrêt de travail prolongé. Il occupe aujourd’hui le même poste sans problème depuis son retour au travail au mois d’avril 2011.
[30] Enfin, le travailleur fait part au tribunal du nombre de portes emballées à l’heure pour une période de 10 jours entre le 9 et le 25 janvier 2012. Ces chiffres proviendraient des rapports de production de l’opérateur de l’emballeuse et démontreraient une production horaire moyenne de 251 portes sur le quart de travail de jour.
[31] Le tribunal entend ensuite monsieur Babin, ergothérapeute, dont le témoignage reprend pour l’essentiel son rapport du 11 mai 2012.
[32] Celui-ci a en effet réalisé, à la demande du travailleur, une étude des exigences musculo-squelettiques du poste de préposé à l’emballage afin d’identifier les facteurs de risque auxquels il aurait été exposé et qui pourraient être associés à l’apparition d’un syndrome du canal carpien bilatéral. Il réfère et cite des extraits de littérature médicale afin d’expliquer sa démarche et les paramètres retenus aux fins de son analyse[1].
[33] Il écrit entre autres ce qui suit relativement aux facteurs de risque que représentent la répétitivité, la force, de même que la combinaison de ces deux facteurs :
Selon Simoneau S. et al., le point de départ d’une lésion attribuable à un travail répétitif (LATR) est une surutilisation. Mais cette surcharge survient généralement du fait d’une combinaison de facteurs et non pas d’une cause unique.
De façon générale, on sait que la probabilité de survenue des troubles musculo-squelettiques augmente avec le nombre de facteurs de risque et l’importance de l’exposition. On sait aussi que les facteurs de risque interagissent entre eux et peuvent entraîner des effets cumulatifs (Kuorinka, I. et al., 1995).
Selon Kuorinka I. et al.,
« Il existe de fortes relations entre l’exposition à un travail de force et de répétitivité élevées et le syndrome du canal carpien (SCC). Le risque de SCC lié aux tâches de force et de répétitivité élevées variait entre 4 et 15 ».
Cette constatation provient d’une étude de Silverstein et al (1987) effectuée sur 652 travailleurs classés en quatre groupes, i.e. force et répétition faible, force élevée et répétitivité faible, force faible et répétitivité élevée et, force et répétition élevées.
Cette étude démontrait qu’une combinaison de facteurs (force élevée et répétitivité élevée) produisait un rapport des cotes (RC) de 15,5 avec une valeur P11 inférieure à 0,001. Donc, cette combinaison présentait une forte relation par rapport à l’apparition d’un SCC. Cette même étude n’a pas démontré que la présence d’un seul facteur, tel que la répétition, présentait une relation compte tenu d’une valeur supérieure à 0,05.
[34] Référant ensuite à l’étude du National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH), monsieur Babin écrit :
Bernard et coll. ont réalisé une étude exhaustive de 30 études épidémiologiques ayant examiné la relation entre l’exposition à différents facteurs de risque et le développement d’un syndrome du canal carpien (SCC). D’emblée, leur recherche permet de constater que la littérature est importante au niveau des facteurs occupationnels et le développement d’un SCC. La majorité de ses articles présente des conclusions similaires, i.e. que les facteurs relatifs au travail sont l’une des causes importantes d’apparition de SCC.
Les conclusions de cette étude étaient :
1. Il existe une évidence d’association positive entre le travail à haute répétition et d’un SCC.
[…]
2. Il existe une évidence d’association positive entre le travail avec force et l’apparition d’un SCC.
[…]
3. Il y a insuffisance d’évidence entre les postures extrêmes et l’apparition d’un SCC.
4. Il y a une forte évidence « Strong evidence » d’association positive entre une exposition à une combinaison de facteurs de risque (force et répétition, force et posture) et l’apparition d’un SCC.
[…]
[35] Puis, citant l’auteur Burris, l’ergothérapeute écrit :
Selon Burris J et al ,
Il existe une forte évidence (Strong evidence) que la combinaison de facteurs tels que force importante (high force > 6 kg) et répétition importante (cycle inférieur à 80 secondes ou plus de 50% du cycle à effectuer la même tâche) puisse contribuer à l’apparition d’un SCC.
Il existe une bonne évidence (good evidence) que la répétition ou la force, de façon indépendante, ou l’utilisation d’outil à vibration puisse contribuer à l’apparition d’un SCC.
[36] Selon sa revue de la littérature, l’ergothérapeute écrit qu’il est démontré que l’apparition d’un syndrome du canal carpien est en relation avec les facteurs de risque ou combinaison de facteurs de risque suivants :
- forte relation entre un syndrome du canal carpien et la présence d’un travail avec répétition élevée (cycle de travail inférieur à 30 secs ou 50% du cycle à effectuer les mêmes gestes, exposition de plus de 3 heures par jour) et force importante (variant de 3 kg à 4,5 kg ou plus selon les auteurs);
- bonne relation entre un syndrome du canal carpien et la présence d’un travail avec répétition élevée;
- bonne relation entre un syndrome du canal carpien et la présence d’un travail avec force élevée (variant de 3 kg à 4,5 kg ou plus selon les auteurs, exposition de plus de 4 heures par jour; avec présence de mouvement à haute répétition ou posture contraignante du poignet une exposition de plus de 3 heures par jour est suffisante);
- le froid et la vibration peuvent jouer un rôle secondaire dans l’apparition d’un syndrome du canal carpien;
[37] Son analyse précise qu’il y a absence de posture contraignante au poste de préposé à l’emballage.
[38] Pour chaque facteur de risque, il ajoute avoir considéré l’intensité (effort important ou geste extrême), la fréquence (nombre de fois où le facteur de risque est présent dans un intervalle de temps donné) et la durée d’un geste (cycle de travail ou nombre d’heures par quart de travail).
[39] Monsieur Babin indique avoir procédé à l’analyse du poste de préposé à l’emballage par simulation en milieu de travail le 9 septembre 2011 (la production étant alors temporairement suspendue) et avoir analysé la vidéo du poste de travail réalisée par le syndicat et visionnée au moment de l’audience du 4 juin.
[40] Afin de valider la quantité réelle de portes emballées par semaine, l’ergothérapeute utilise les rapports de production fournis par l’employeur au syndicat pour la période du 4 janvier au 1er juillet 2010. En fonction de ceux-ci, il détermine que 9 322,5 portes seraient emballées au cours d’une semaine.
[41] Considérant qu’une semaine de travail compte 37,75 heures travaillées, soit 8,5 du lundi au mercredi, 7,5 le jeudi et 4,75 le vendredi, il s’emballerait donc en moyenne 248,6 portes à l’heure, moyenne horaire qu’il retient aux fins de son étude. Il note que cela corrobore la production observée et rapportée par le syndicat pour les journées des 6, 7 et 8 septembre 2011.
[42] Il évalue comme suit les efforts en fonction du type de porte manipulée :
24" (11 kg) : glissement 4,8 kg-f; pivot 6,6 kg-f
34" (14 kg) : glissement 6,8 kg-f; pivot 8,5 kg-f
36" (14,8 kg) : glissement 7,0 kg-f; pivot 9,8 kg-f
[43] Monsieur Babin décrit ensuite et analyse les trois positions que le travailleur occupe en rotation après chaque pause.
[44] À la position 1, le travailleur doit effectuer la préhension d’une porte par préhension bilatérale avec l’aide de l’opérateur à partir d’une palette où sont empilées, dans 90 % des cas, 48 portes sur deux rangées. Comme la palette repose sur une table hydraulique, la préhension des portes se fait toujours entre le niveau des hanches et des épaules.
[45] L’opérateur et le travailleur soulèvent d’abord la porte une première fois et la déposent à l’entrée de l’emballeuse. Le travailleur y accole alors une étiquette. Ils soulèvent ensuite la porte une seconde fois afin de la déposer sur le convoyeur automatisé de l’emballeuse.
[46] Lorsqu’ils manipulent les portes de la seconde rangée, l’opérateur et le travailleur doivent d’abord la pivoter à 180 pour la déposer à l’entrée de l’emballeuse. Le travailleur y accole l’étiquette et ils la soulèvent de nouveau afin de la déposer sur le convoyeur automatisé de l’emballeuse.
[47] Une fois le contenu d’une palette épuisé, il y a mise en place d’une nouvelle palette et le cycle reprend.
[48] Les positions 2 et 3 sont identiques à la position 1, à la différence que le travailleur et son collègue de travail ne soulèvent la porte qu’à une seule reprise durant le cycle de travail.
[49] Monsieur Babin indique que l’analyse du poste 1, réalisée à partir du DVD, démontre que 322 secondes sont nécessaires pour insérer 48 portes dans l’emballeuse, soit une porte aux 6,7 secondes. Le cycle total de travail est d’une durée moyenne de 7 à 7,4 minutes pour la manipulation et la préparation des 48 portes.
[50] Il estime qu’afin d’atteindre la production journalière, la ligne de production doit être active entre 65 et 68 % des heures travaillées.
[51] Il retient que du lundi au mercredi, les cycles d’insertion de portes varient de 5,5 à 5,8 heures, le jeudi de 4,9 à 5,1 heures et le vendredi de 3,1 à 3,2 heures.
[52] L’ergothérapeute note que le travailleur doit soulever/retourner des portes entre 1 074 à 2 028 fois par jour selon les positions occupées. Il conclut que le risque en relation des efforts est très important compte tenu de la durée, la fréquence et l’intensité.
[53] Comme les gestes de travail sont effectués de 2 648 à 3 124 fois par jour, pour une fréquence moyenne d’une répétition répétés aux 9,8 à 11,5 secondes, il s’agit d’une fréquence hautement répétitive.
[54] Monsieur Babin conclut qu’il est donc plus que probable que les facteurs occupationnels sont en relation avec un diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral compte tenu de l’intensité de l’effort et la fréquence de répétitions des cycles de travail.
[55] Contre-interrogé, monsieur Babin dit ignorer que les rapports de production utilisés dans le cadre de son étude représenteraient le nombre total de portes emballées par jour sur deux quarts de travail.
[56] Il explique ensuite que sur les quelque 7,2 minutes que dure un cycle de travail, 5 minutes 3 secondes sont consacrées à la manipulation des portes. Durant les 2 autres minutes, le travailleur fait autre chose.
[57] Quant aux 6,7 secondes requises pour manipuler une porte, il précise que l’effort fourni dure de 1 seconde à 1 seconde ½ et que durant les 5 secondes restantes, il y a relâchement musculaire.
[58] L’ergothérapeute se dit ensuite d’accord que chaque porte étant manipulée par deux personnes, donc à l’aide de quatre mains, il doit en être tenu compte dans le calcul du poids lors de son soulèvement ainsi que dans le calcul de l’effort lors de son déplacement.
[59] Monsieur Babin dira enfin que selon la littérature citée dans son étude, il existe une bonne relation entre un syndrome du canal carpien et la répétition qualifiée d’élevée. Il déclare qu’une telle répétitivité est suffisante à elle seule pour expliquer l’apparition d’un syndrome du canal carpien.
[60] Le tribunal entend ensuite monsieur Gaboury, directeur de production chez l'employeur.
[61] Monsieur Gaboury se dit d’accord avec le cycle estimé de 6,7 secondes par porte puisque la vitesse de l’emballeuse est préprogrammée. Cependant, il affirme qu’il y a davantage de temps de pause que ce qu’il est permis de voir dans la vidéo du poste de travail réalisée par le syndicat.
[62] Ces temps de pause surviennent notamment au moment de l’alimentation en portes ou en étiquettes, ce qui peut nécessiter entre 5 et 20 minutes à chaque occasion, ainsi que lors du changement du rouleau de l’emballeuse, ce qui se fait de deux à trois fois par jour en moyenne et nécessite entre 10 et 20 minutes par rouleau.
[63] Le témoin affirme que les rapports de production pour la période du 4 janvier au 1er juillet 2010 remis au syndicat, et que monsieur Babin a utilisés aux fins de son étude, proviennent de Toronto et représentent le nombre total de portes emballées dans une journée, soit sur deux quarts de travail, de jour et de nuit, ce qui aurait été spécifié au syndicat selon lui.
[64] Selon monsieur Gaboury, il s’emballerait approximativement 181 portes à l’heure durant le seul quart de travail de jour. Les travailleurs du quart de nuit voient, quant à eux, à compléter la production du quart de jour.
[65] Pour en arriver à ce chiffre de 181 portes emballées par heure, le témoin explique avoir utilisé les rapports de production journaliers du quart de jour tirés des données informatisées de l’emballeuse pour les mois de novembre et décembre 2010. Ces rapports lui sont remis par les chefs d’équipe aux fins d’analyses ponctuelles et sont détruits par la suite. Il précise que ces données sont représentatives puisqu’il n’existe pas vraiment de haute ou de basse saison au niveau de la production.
[66] Selon lui, environ 90 % des portes emballées durant le quart de jour sont de formats 24, 32 et 36 pouces.
[67] Monsieur Gaboury termine son témoignage en disant n’avoir jamais eu de réclamation pour un syndrome du canal carpien sur le poste de travail de préposé à l’emballeuse tel que celui occupé par le travailleur.
[68] Le docteur Turcotte, omnipraticien, est ensuite appelé à témoigner à la demande de l'employeur.
[69] Il a reçu le mandat de rendre une opinion quant à l’existence probable entre un syndrome du canal carpien bilatéral et les tâches requises au poste de préposé à l’emballeuse occupé par le travailleur. Pour ce faire, il dit avoir utilisé, étudié et analysé la vidéo du poste de travail, le dossier tel que constitué aux fins de l’audience, la littérature médicale, ainsi que l’étude de monsieur Babin.
[70] Le docteur Turcotte souligne notamment que le fait que les portes sont manipulées à deux personnes en tout temps doit être pris en compte.
[71] Donc, le poids de chaque porte doit être divisé par quatre pour déterminer le poids réel que supporte chaque main. Quant à la force déployée par le travailleur et requise pour glisser la porte ou la pivoter, calculée en kg-f, il estime qu’elle doit être divisée par deux.
[72] Il fait de plus remarquer qu’à l’intérieur du cycle court de travail de 6,7 secondes, 5 secondes constituent un temps de repos, donc plus de 50 % du cycle. Le temps d’effort est donc très minime. Quant au cycle long, il est d’avis qu’il renferme encore moins de temps d’effort s’il est tenu compte en plus de toutes les périodes où il n’y a aucune manipulation de portes, ce qui permet aux structures sollicitées de se reposer.
[73] Il est donc d’opinion que l’effort requis lors de ces tâches est peu important, et ce, tant en termes de durée qu’en termes de poids.
[74] De plus, référant à la littérature médicale citée par monsieur Babin, le docteur Turcotte affirme que lorsqu’il est question de l’expression evidence ou good evidence, cela réfère à une possibilité et non à une probabilité, ce qui signifie que la répétitivité élevée à elle seule est insuffisante pour constituer un facteur de risque susceptible d’occasionner un syndrome du canal carpien.
[75] Selon lui, cette littérature énonce qu’il doit y avoir une association de facteurs de risques, une exposition significative, ainsi qu’une persistance des symptômes pour permettre de conclure de façon probable à la relation entre un syndrome du canal carpien et des tâches spécifiques, ce qui, à son avis, n’est pas le cas du travailleur.
[76] Le docteur Turcotte attire également l’attention du tribunal sur le fait que le travailleur a réintégré le même poste de travail depuis le mois d’avril 2011 sans problème, et ce, sans avoir pourtant subi de chirurgie au niveau de son poignet gauche.
[77] En contre-interrogatoire, le docteur Turcotte ajoute entre autres que puisque la répétitivité à elle seule est insuffisante pour occasionner un syndrome du canal carpien, le nombre de portes manipulées par jour importe donc peu puisqu’il n’y a pas d’association de facteurs de risques au niveau des exigences du poste de préposé à l’emballage de portes.
L’AVIS DES MEMBRES
[78] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d'avis de rejeter la contestation du travailleur. Ils estiment tous deux que la preuve ne démontre pas l’existence d’une combinaison de facteurs de risque permettant de conclure de manière prépondérante à la relation entre le syndrome du canal carpien bilatéral diagnostiqué chez le travailleur le 10 mai 2010 et les exigences du poste de préposé à l’emballage de portes plaquées. Ils constatent de plus que le travailleur a pu réintégrer son poste depuis plus d’un an sans conséquence pour son poignet gauche, ce qui constitue pour eux un indice supplémentaire indiquant que la lésion bilatérale du travailleur n’est pas reliée directement aux risques particuliers du travail de préposé à l’emballage.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[79] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le syndrome du canal carpien bilatéral diagnostiqué chez le travailleur est en lien avec les exigences physiques du poste de préposé à l’emballeuse de portes plaquées qu’il occupe depuis le 5 janvier 2009 chez l'employeur.
[80] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) définit ainsi la lésion professionnelle, la maladie professionnelle et l’accident du travail :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[81] Les articles 29 et 30 de la loi indiquent :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
__________
1985, c. 6, a. 30.
[82] Le travailleur ne prétend pas avoir été victime d’un accident du travail.
[83] De plus, le syndrome du canal carpien bilatéral ne figurant pas à l’annexe I de la loi, il ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29.
[84] Le travailleur ne prétend pas avoir subi une rechute, récidive ou aggravation d’une lésion professionnelle antérieure.
[85] Il ne soutient pas non plus que sa maladie est caractéristique d’un travail qu’il a exercé chez l'employeur.
[86] Le travailleur doit donc établir de manière prépondérante qu’il a développé une maladie professionnelle au sens des articles 2 et 30 de la loi, c’est-à-dire un syndrome du tunnel carpien bilatéral contracté par le fait ou à l’occasion de son travail de préposé à l’emballeuse de portes et relié directement aux risques particuliers de ce travail.
[87] La Commission des lésions professionnelles s’exprimait ainsi dans l’affaire maintes fois citées Fogette et Sérigraphie SSP[3], quant à la preuve requise pour démontrer la relation causale dans de telles circonstances :
[42] La preuve qui doit ici être faite quand on invoque cette notion des risques particuliers doit plutôt comprendre une analyse des structures anatomiques atteintes par la maladie, une identification des facteurs de risques biomécaniques, physiques et/ou organisationnels sollicitant ces structures, identifier, s’il y en a, les caractéristiques personnelles, regarder l’importance de l’exposition, que ce soit en termes de durée, d’intensité ou de fréquence et finalement, vérifier la relation temporelle.
[88] Nul doute qu’il s’agissait de l’objectif visé par l’étude de poste réalisée par monsieur Babin.
[89] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles entend se pencher sur le sens à donner aux expressions evidence, ou good evidence, et strong evidence utilisées dans la littérature médicale afin de qualifier la relation entre l’exposition aux facteurs de risque et le syndrome du canal carpien, et auxquelles ont abondamment référé les parties dans le cadre de l’administration de leur preuve respective.
[90] Selon sa propre revue de la littérature consultée, monsieur Babin conclut qu’il existe une forte relation entre un syndrome du canal carpien et la présence d’un travail avec répétition élevée et force importante, une bonne relation entre le syndrome du canal carpien et la présence d’un travail avec répétition élevée, et une bonne relation entre un syndrome du canal carpien et la présence d’un travail avec force élevée.
[91] Il se dit d’avis que cette même littérature démontre que la répétitivité élevée à elle seule est suffisante pour expliquer l’apparition d’un syndrome du canal carpien
[92] De son côté, le docteur Turcotte affirme que lorsque les auteurs, et notamment le NIOSH, utilisent l’expression evidence, ou good evidence dans le cas de Burris, relativement à la relation causale entre l’exposition aux facteurs de risque et le syndrome du canal carpien, ils réfèrent à une simple possibilité, alors que lorsqu’ils utilisent l’expression strong evidence, il réfèrent alors à une probabilité.
[93] En ce sens, il est donc d’opinion que lorsque les auteurs cités concluent à evidence ou good evidence, on doit conclure que cela demeure insuffisant pour expliquer l’apparition d’un syndrome du canal carpien.
[94] Voyons ce que révèle la preuve à cet égard.
[95] Le tribunal remarque d’abord que l’auteur Simoneau cité par monsieur Babin écrit que le point de départ d’une lésion attribuable à un travail répétitif est une surutilisation et qu’une telle surcharge survient généralement du fait d’une combinaison de facteurs et non pas d’une cause unique.
[96] Référant aux travaux de Kuorinka, Simoneau écrit que la probabilité de survenue des troubles musculo-squelettiques augmente avec le nombre de facteurs de risque et l’importance de l’exposition et que ceux-ci interagissent entre eux et peuvent entraîner des effets cumulatifs.
[97] Monsieur Babin cite également l’auteur Kuorinka, dont les constatations écrit-il, proviennent de l’étude de Silverstein, laquelle n’a pas démontré que la présence d’un seul facteur, tel que la répétition, présentait une relation.
[98] Et relativement à l’étude de Burris, monsieur Babin écrit que ce dernier a conclu qu’il existe une bonne évidence (good evidence) que la répétition ou la force, de façon indépendante, puisse contribuer à l’apparition d’un syndrome du canal carpien.
[99] Quant aux conclusions tirées d’une revue des études épidémiologiques réalisée par le NIOSH, monsieur Babin note qu’elles indiquent qu’il existe une évidence d’association positive entre le travail à haute répétition et l’apparition d’un syndrome du canal carpien, une évidence d’association positive avec le travail avec force, une insuffisance d’évidence avec les postures extrêmes et une forte évidence d’association avec l’exposition à une combinaison de facteurs de risque (force et répétition, force et posture).
[100] Il est manifeste que les auteurs précédemment cités concluent que l’exposition à une combinaison de facteurs de risque peut contribuer à l’apparition d’un syndrome du canal carpien, dont la répétitivité combinée à une force importante. Évidemment, dans chaque cas la durée de l’exposition, la fréquence, la cadence, le niveau de répétitivité, l’effort impliqué, l’existence de postures contraignantes, de même que la présence de cofacteurs doivent faire l’objet d’une analyse avant de conclure dans un sens ou dans l’autre.
[101] Il semble par contre beaucoup moins évident chez ces mêmes auteurs que l’exposition à la répétitivité ou la force seule puisse expliquer l’apparition d’un syndrome du canal carpien, et ce, indépendamment du niveau de répétitivité ou de force impliquée.
[102] À cet égard, le tribunal considère important de s’attarder plus longuement aux travaux du NIOSH, maintes fois cités dans la jurisprudence du tribunal, et auxquels les parties ont également référé.
[103] Sous la rubrique Summary, les auteurs écrivent :
Over 30 epidemiologic studies have examined physical workplace factors and their relationship to carpal tunnel syndrome (CTS). Several studies fulfill the four epidemiologic criteria that were used in this review, and appropriately address important methodologic issues. The studies generally involved populations exposed to a combination of work factors, but a few assessed single work factors such as repetitive motions of the hand. We examined each of these studies, whether the findings were positive, negative, or equivocal, to evaluate the strength of work-relatedness using causal inference.
There is evidence of a positive association between highly repetitive work alone or in combination with other factors and CTS based on currently available epidemiologic data. There is also evidence of a positive association between forceful work and CTS. There is insufficient evidence of an association between CTS and extreme postures. (…) There is evidence of a positive association between work involving hand/wrist vibration and CTS.
There is strong evidence of a positive association between exposure to a combination of risk factors (e.g., force and repetition, force and posture) and CTS. Based on the epidemiologic studies reviewed above, especially those with quantitative evaluation of the risk factors, the evidence is clear that exposure to a combination of the job factors studied (repetition, force, posture etc.) increases the risk for CTS. (…)
[nos soulignements]
[104] Le présent tribunal juge également utile de référer aux définitions des expressions strong evidence (of work-relatedness) et evidence (of work-relatedness) auxquelles réfère le NIOSH dans ses conclusions afin de qualifier la relation entre l’exposition aux facteurs de risque et le syndrome du canal carpien.
[105] Ces définitions, bien que n’apparaissant pas dans les extraits déposés lors de l’audience, sont cependant rapportées comme suit dans l’affaire Aliments Small Fry inc. et Lester[4] :
No single epidemiologic study will fulfil all criteria to answer the question of causality. However, results from epidemiologic studies can contribute to the evidence of causality in the relationship between workplace risk factors and MSDs. The framework for evaluating evidence for causality in this review included strength of association, consistency, temporality, exposure-response relationship, and coherence of evidence.
Using this framework, the evidence for a relationship between workplace factors and the development of MSDs from epidemiologic studies is classified into one of the following categories :
Strong evidence of work-relatedness (+++). A causal relationship is shown to be very likely between intense or long-duration exposure to the specific risk factor (s) and MSD when the epidemiologic criteria of causality are used. A positive relationship has been observed between exposure to the specific risk factor and MSD in studies in which chance, bias, and confounding factors could be ruled out with reasonable confidence on at least several studies.
Evidence of work-relatedness (++). Some convincing epidemiologic evidence shows a causal relationship when the epidemiologic criteria of causality for intense or long-duration exposure to the specific risk factor (s) and MSD in studies in which chance, bias, and confounding factors are not the likely explanation.
Insufficient evidence of work-relatedness (+/0). The available studies are of insufficient number, quality, consistency, or statistical power to permit a conclusion regarding the presence or absence of a causal association. Some studies suggest a relationship to specific risk factors, but chance, bias, or confounding may explain the association.
Evidence of no effect of work factors (-). Adequate studies consistently show that the specific workplace risk factor(s) is not related to development of MSD.
[106] Le tribunal remarque d’abord que l’expression strong evidence of work-relatedness réfère à une relation très probable (very likely) entre une exposition intensive, ou de longue durée, aux facteurs de risque spécifiques et un trouble musculo-squelettique, ce qui signifie que parmi au moins plusieurs études (at least several studies), les facteurs susceptibles d’influencer cette relation ont été écartés (ruled out) avec un degré de confiance raisonnable (with reasonable confidence).
[107] Quant à l’expression evidence of work-relatedness, il est précisé que cette relation est établie seulement en fonction de quelques éléments au point de vue épidémiologique, bien que qualifiés de convaincants (some convincing epidemiologic evidence), et non pas à partir du résultat de plusieurs études, comme c’est le cas dans l’expression strong evidence.
[108] De même, contrairement à l’expression strong evidence, les autres facteurs susceptibles d’influencer la relation causale n’y ont pas été écartés de façon catégorique, mais ne seraient probablement pas en cause (not likely the explanation).
[109] Le tribunal conclut donc qu’en étant amputée du qualificatif strong, l’expression evidence of work-relatedness signifie que la probabilité, ou la qualité de la relation à laquelle elle réfère, ne peut être que moindre que celle rattachée à l’expression strong evidence of work-relatedness, d’autant plus qu’elle réfère à une relation basée uniquement sur l’existence de quelques éléments, quoique qualifiés de convaincants, et que l’influence de facteurs extérieurs sur cette relation n’est pas totalement écartée.
[110] Le tribunal remarque ensuite que le NIOSH, qui a procédé à la revue de plus de 30 études épidémiologiques, dont celles de Chiang, Kuorinka et Silverstein, conclut qu’il est clair (clear) que l’exposition à une combinaison de facteurs de risque augmente les risques pour un syndrome du canal carpien. Or, cette conclusion se retrouve sous l’étiquette strong evidence.
[111] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis qu’on peut en inférer que lorsqu’il est fait référence à l’expression evidence for work-relatedness, il n’est vraisemblablement pas aussi clair que l’exposition à un seul facteur de risque entraîne les mêmes conséquences.
[112] Afin de cerner la signification de cette dernière expression et d’en préciser la portée, certains passages de la revue du NIOSH ayant trait à l’exposition à un seul facteur de risque se doivent d’être relevés.
[113] Traitant de la répétitivité sous la rubrique Exposure-response relationship for repetition, les auteurs réfèrent à l’étude de Silverstein et écrivent :
(…) Silverstein et al. [1987] showed an increasing prevalence of carpal tunnel syndrome signs and symptoms among industrial workers exposed to increasing levels of repetition and forceful exertion. This relationship was not seen when repetition alone was assessed.(…)
[notre soulignement]
[114] Ils indiquent ensuite que les conclusions de cinq autres études, dont celle de Chiang, en arrivent aux mêmes constats.
[115] Sous le titre Conclusion regarding repetition, on peut lire :
The higher ORs are found when constrating highly repetitive jobs to low repetitive jobs, and when repetition occured in combination with high levels of forceful exertion. Those studies with certain epidemiologic limitations have also been fairly consistent in showing a relationship between repetition ans carpal tunnel syndrome. The evidence from those studies which defined carpal tunnel syndrome based on symptoms physical findings, and NCS is limited, due to the variety of methods used. (…)
[nos soulignements]
[116] Traitant ensuite la force à titre de seul facteur de risque, on peut notamment lire ce qui suit :
Much of the epidemiologic data on carpal tunnel syndrome and force overlaps with those studies discussed in the above section on repetition. Repetitive work is frequently performed in combination with external forces, and much of the epidemiologic literature has combined these two factors when determining association with carpal tunnel syndrome.
[notre soulignement]
[117] Et sous Exposure-response relationship, force and CTS :
None of the studies reviewed demonstrated that increasing levels of force alone resulted in increased risk for carpal tunnel syndrome. The only evidence for an increasing risk for carpal tunnel syndrome that can be attributed to increasing levels of force alone is from a comparison across 2 studies that used the same methods. (…) This comparison provides limited evidence of an increased RR for carpal tunnel syndrome with increasing level of hand/wrist force.
There is more evidence of a dose-response relationship for carpal tunnel syndrome with increasing levels of force and repetion combined. (…)
[nos soulignements]
[118] Le tribunal constate donc qu’au niveau de l’exposition à la répétitivité, bien que le NIOSH conclut que « … there is evidence of a positive association between highly repetitive work alone and carpal tunnel syndrome », l’utilisation de cette expression sous-entend que plusieurs bémols ponctuent la relation à laquelle elle réfère.
[119] Il est d’abord précisé d’entrée de jeu que peu d’études ont évalué l’exposition à un seul facteur de risque telle la répétitivité.
[120] Il est
également noté que les conclusions de certaines de ces quelques études
ne démontrent pas d’augmentation de la prévalence de signes de syndrome du
canal carpien lorsque la répétitivité seule fut évaluée, que les résultats les
plus significatifs sont ceux obtenus en comparaison avec des emplois comportant
une faible répétitivité et lorsqu’il y a présence d’une combinaison avec une
force importante.
[121] Il est au surplus noté que ces quelques études, bien que relativement cohérentes pour démontrer une relation entre le syndrome du canal carpien et la répétitivité, présentent des lacunes au niveau épidémiologique et que les éléments (evidence) tirés de certaines de celles-ci sont limités en raison de la variété de leurs méthodes.
[122] Il en est de même en lien avec l’exposition au seul facteur force.
[123] On peut lire en effet que plusieurs études épidémiologiques entre le syndrome du canal carpien et la force chevauchent celles relatives à la répétitivité, que le travail répétitif est fréquemment exécuté en combinaison avec la force, et que plusieurs de ces études combinent les deux facteurs de risque au moment de déterminer une association avec le syndrome du canal carpien.
[124] Il est de plus précisé qu’aucune étude révisée ne démontre que la seule augmentation du niveau de la force résulte en un risque accru pour un syndrome du canal carpien. Il est enfin noté que l’augmentation de la force et de la répétitivité combinée provoque davantage de conséquences (dose-response relationship) pour un syndrome du canal carpien.
[125] Compte tenu de ce qui précède, le présent tribunal considère donc que lorsque le NIOSH écrit que there is evidence of a positive association between highly repetitive work alone and carpal tunnel syndrome et between forceful work and carpal tunnel syndrome, cela signifie en réalité tout au plus qu’il existe quelques éléments convaincants au point de vue épidémiologique en ce sens, mais que ceux-ci demeurent malgré tout insuffisants pour permettre de conclure de façon probante (very likely, clear, a strong evidence) que l’exposition à la seule répétitivité élevée ou à la seule force peut expliquer l’apparition d’un syndrome du canal carpien, notamment en raison du peu d’études sur le sujet, des lacunes qu’elles comportent au niveau épidémiologique, de leur méthodologie et du nombre d’éléments répertoriés.
[126] L’étude de Burris, également citée par les parties, est quant à elle postérieure aux travaux du NIOSH, mais y réfère abondamment. L’auteur y cite les études de très nombreux auteurs dont celles de Silverstein, Chiang, Moore et Punnett, ces quatre dernières toutes revues par le NIOSH.
[127] L’auteur écrit entre autres ce qui suit :
In recent reviews by National Institute for occupational Safety and Health (NIOSH), a positive association has been found between development of carpal tunnel syndrome and exposure to workplace factors involving highly repetitive, forceful hand work, and hand/wrist vibration.
[128] Burris regroupe sous l’expression strong evidence l’exposition à une combinaison de facteurs de risque et sous l’expression good evidence l’exposition à la répétitivité ou la force seule ainsi que l’utilisation d’outils manuels vibratoires.
[129] Aucune définition de ces deux expressions n’apparaît dans son article. Tel que précédemment mentionné, l’auteur y réfère par contre non seulement aux conclusions d’études révisées par le NIOSH, mais également à plusieurs autres dont les conclusions sont sensiblement au même effet.
[130] Sous le titre, When is carpal tunnel syndrome work-related ?, l’auteur écrit :
Occupational carpal tunnel syndrome has been studied in the workplace more extensively than many of the other workplace musculoskeletal diseases. Most authorities agree any combination of risk factor, repetition (excluding keyboarding), forceful pinch or grip, awkward posture, or vibration, is likely to be highly associated with the development of carpal tunnel syndrome.
[nos soulignements]
[131] En fonction de la littérature soumise en l’espèce, le tribunal en conclut donc qu’un travailleur, qui prétend avoir développé un syndrome du canal carpien par le fait ou à l’occasion d’un travail donné et relié directement aux risques particuliers de ce travail, doit démontrer de manière prépondérante avoir été exposé à une combinaison de facteurs de risque, puisque l’exposition à un seul facteur pris isolément est insuffisante pour en expliquer l’apparition.
[132] Évidemment, chaque cas demeure un cas d’espèce soumis à l’appréciation du tribunal où la durée de l’exposition, le rythme, la fréquence, la cadence, les charges, le niveau de répétitivité et l’intensité de l’effort impliqué, de même que l’existence de postures contraignantes, de vibrations et de cofacteurs de risque, doivent faire l’objet d’une analyse avant de conclure dans un sens ou dans l’autre.
[133] Ceci étant, en l’espèce, la preuve est pour le moins imprécise quant à la moyenne de portes emballées à l’heure durant le quart de travail du travailleur, celui de jour.
[134] D’une part, monsieur Gaboury affirme que la production horaire moyenne serait de 181 portes pour le seul quart de jour. Il déclare que ce chiffre provient des rapports de production pour les mois de novembre et décembre 2010 tirés des données informatisées de l’emballeuse et qui lui auraient été remis par les chefs d’équipe.
[135] D’autre part, le travailleur, à partir des rapports de production de l’opérateur pour une période de dix jours au mois de janvier 2012, affirme que la production horaire moyenne serait plutôt de l’ordre de 251 portes durant le quart de jour.
[136] Il s’agit d’un écart de près de 28 %, ce qui est considérable.
[137] Ce que le tribunal retient cependant c’est que ni monsieur Gaboury ni le travailleur ne disposent de copies de ces fameux rapports pour soutenir leur prétention. Sur cette seule base, le tribunal accorde donc à première vue une moins grande valeur probante à leur affirmation respective.
[138] Ce dont le tribunal dispose par ailleurs sont les rapports de production émanant de l’employeur pour la période du 4 janvier au 1er juillet 2010 et qu’a utilisés monsieur Babin aux fins de son étude.
[139] Selon le témoignage de monsieur Gaboury, le contenu de ces rapports représente le nombre total de portes emballées par jour durant les quarts de travail de jour et de nuit. Sur ce point, il ne fut pas contredit.
[140] À la lecture du document, on constate qu'il ne contient aucune indication ou précision quant à la production attribuable à chaque quart de travail.
[141] Sur la base de ce document, du témoignage non contredit de monsieur Gaboury quant à son contenu et du fardeau de preuve du travailleur, le tribunal retient donc que la preuve prépondérante démontre que la moyenne de portes emballées à l’heure est bel et bien de 248,6 comme l’a établi monsieur Babin, mais pour les quarts de travail de jour et de nuit
[142] Le tribunal retient du témoignage de monsieur Gaboury que les travailleurs du quart de nuit terminent la production inachevée du quart de jour, autre partie de son témoignage qui ne fût pas contredite.
[143] Sur cette base, ceci rend plus vraisemblable, et donc plus probante, son affirmation voulant que la moyenne de portes emballées à l’heure durant le seul quart de jour soit d’environ 181.
[144] Le tribunal retient donc aux fins de son analyse que la preuve prépondérante démontre que la moyenne de portes emballées à l’heure durant le seul quart de jour est de 181, et non de 251 tel qu’avancé par le travailleur, non plus de 248,6 tel que déterminé par monsieur Babin.
[145] Ce dernier a reconnu ignorer que les rapports de production utilisés aux fins de son étude représentaient la production journalière totale et non la production afférente au seul quart de travail du travailleur.
[146] En clair, ceci signifie que la production horaire moyenne qu’il a retenue et utilisée aux fins de son étude est surévaluée de près de 28 % comparativement à la production horaire réelle du seul quart de jour.
[147] De l’opinion du tribunal, cela représente un écart extrêmement significatif et constitue un motif suffisant pour que sa conclusion relative à la haute répétitivité que présenterait le travail de préposé à l’emballage de portes perde beaucoup de sa valeur probante.
[148] Mais il y a plus.
[149] D’une part, monsieur Babin a reconnu que durant le cycle court de travail de 6,7 secondes, il y a relâchement musculaire pour une période d’environ 5 secondes, soit environ 75 % du temps du cycle.
[150] Ensuite, il a également reconnu qu’à l’intérieur du cycle long de 7 minutes 2 secondes, environ 2 minutes étaient consacrées à autre chose qu’à la manipulation de portes.
[151] D’une part, en fonction du témoignage non contesté de monsieur Gaboury, il est en preuve que d’importants temps de pause entrecoupent la production durant le quart de travail de jour, notamment lors de l’approvisionnement en portes ainsi qu’au moment des changements de rouleaux de l’emballeuse.
[152] Enfin, avec égards, le tribunal a pu observer lors du visionnement de la vidéo réalisée par le syndicat que la cadence du travail est peu élevée et qu’il y a présence de nombreuses micropauses.
[153] Compte tenu de ces autres éléments, le tribunal considère peu probante et ne retient pas la conclusion de monsieur Babin selon laquelle le travail de préposé à l’emballeuse présente une fréquence hautement répétitive.
[154] Au chapitre de l’effort, comme l’a expliqué le docteur Turcotte, et ce qu’a reconnu par ailleurs monsieur Babin, il doit être tenu compte du fait que les portes sont manipulées à deux en tout temps.
[155] De plus, que selon la littérature consultée et citée par monsieur Babin, un effort est considéré important à compter de 3 kg pour certains auteurs, à 4,5 kg pour d’autres, et davantage pour certains autres.
[156] Toujours selon le témoignage non contredit de monsieur Gaboury, 90 % de la production du quart de jour est constituée de portes de 24, 32 et 36 pouces, cette dernière étant la plus lourde des trois.
[157] Selon les estimations de monsieur Babin, ceci signifie que le poids maximum par main pour le travailleur serait de 3,7 kg lors du soulèvement d’une porte de 36 pouces, que l’effort lors du glissement serait approximativement de 3,5 kg-f, et d’environ 4,9 kg-f au moment du pivot.
[158] Comme il s’agit là de l’effort maximal susceptible d’être déployé puisque les deux autres types de portes sont d’un poids moindre, et nécessitent donc forcément le déploiement d’un moins grand effort, le tribunal considère qu’il n'est pas démontré de manière prépondérante que le travailleur fournit un effort qui peut être qualifié d’important conformément aux paramètres des études citées. D’autant plus qu’il n’existe aucune donnée quant à la quantité moyenne de chaque type de porte manipulée ni à l’intérieur de quelle séquence précise.
[159] De surcroît, comme précédemment mentionné, monsieur Babin affirme que sur les 6,7 secondes requises pour la manipulation d’une seule porte, l’effort déployé dure moins de 2 secondes.
[160] En fonction de ce qui précède, le tribunal considère également peu probante et ne retient donc pas non plus la conclusion de monsieur Babin selon laquelle le risque en relation des efforts est très important.
[161] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles ne peut donc conclure qu’il existe une combinaison de facteurs de risque, notamment répétitivité élevée/force importante et nécessaire afin de démontrer de manière prépondérante la relation entre le syndrome du canal carpien bilatéral diagnostiqué chez le travailleur le 10 mai 2010 et le travail de préposé à l’emballage de portes.
[162] De plus, la preuve démontre l’absence de postures contraignantes et de vibrations dans le cadre de ce travail. Il ne saurait donc être question non plus d’une exposition à une autre combinaison de facteurs de risque.
[163] Le tribunal retient donc l’opinion du docteur Turcotte qui est davantage en harmonie avec la preuve administrée et la littérature soumise.
[164] Il s’agit au surplus de l’opinion du médecin régional de la CSST qui a également pris connaissance d’une vidéo du poste de préposé à l’emballage de portes.
[165] Bien que cela ne représente pas nécessairement et de façon automatique un indice de la présence d’une condition personnelle, le tribunal constate tout de même que la lésion du travailleur est bilatérale.
[166] À cet égard, la vidéo du poste de travail démontre que le travailleur sollicite de façon relativement similaire ses deux mains.
[167] Monsieur Babin n’a par ailleurs pas relevé dans le cadre de son analyse qu’il existait une sollicitation ou un effort réellement plus significatif d’un côté ou de l’autre.
[168] Or, le travailleur n’a pas été opéré pour son poignet gauche, contrairement au poignet droit, et il a tout de même pu reprendre son travail au mois d’avril 2011, et ce, sans problème jusqu’au moment de l’audience.
[169] Il apparaît donc pour le moins curieux que les exigences physiques d’un travail tenu pour responsable d’une lésion bilatérale n’entraînent aucune conséquence sur une structure sollicitée non opérée après plus d’un an d’exposition, et ce, dans les mêmes conditions qu’auparavant.
[170] Ceci constitue donc un indice additionnel aux yeux du tribunal que le syndrome du canal carpien bilatéral du travailleur n’est pas relié directement aux risques particuliers du travail de préposé à l’emballeuse. D’autant plus qu’il est en preuve qu’il n’existe aucun précédent du même genre à ce poste.
[171] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles juge que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le ou vers le 4 mai 2010.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la contestation du travailleur, monsieur François Durand;
CONFIRME la décision rendue par la CSST le 24 février 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le ou vers le 4 mai 2010;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit aux prestations prévues à la loi.
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Jacques Degré |
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Me Jean-Sébastien Brady |
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C.S.D. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Jean-François Pagé |
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HEENAN BLAIKIE |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] Voir notamment S. Simoneau et al., Les LATR, mieux les comprendre pour mieux les prévenir, St-Léonard, Association pour la santé et la sécurité du travail, secteur fabrication de produits en métal et de produits électriques, Montréal, IRSST, 1996, 54 p.; I. KUORINKA et al., Les lésions attribuables au travail répétitif (LATR) : ouvrage de référence sur les lésions musculo-squelettiques liées au travail, Sainte-Foy, Éditions MultiMondes, Montréal, Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, Paris, Éditions Maloine, 1995, 510 p; B. A. SILVERSTEIN, L. FINE et T. ARMSTRONG, « Occupational Factors and Carpal Tunnel Syndrome », (1987) 11 American Journal of Industrial Medicine p. 343-358; H.C. CHIANG et al., The occurrence of carpal tunnel syndrome in frozen food factory employees, Kaohsiung J med Sci, 6, 73-80, 1990; UNITED STATES, DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES, PUBLIC HEALTH SERVICE, CENTERS FOR DISEASE CONTROL AND PREVENTION et Bruce P. BERNARD, Musculoskeletal Disorders and Workplace Factors : A Critical Review of Epidemiologic Evidence for Work-Related Musculoskeletal Disorders of the Neck, Upper Extremity, and Low Back, Washington, NIOSH, 1997, pag. multiple; John R. BURRIS et Kathryn L. MUELLER, « Common Occupational Diseases: Carpal Tunnel Syndrome », (2003) 6 Primary Care Case Reviews, pp. 146-155.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] C.L.P. 122654-62-9909, 15mai 2000, S. Mathieu.
[4] C.L.P. 106877-71-9811, 19 janvier 2001, C. Racine.
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