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[1] Le 10 novembre 2004, monsieur Claude Cliche (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 19 octobre 2004, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST maintient sa décision initiale rendue le 7 juillet 2004 et déclare que le travailleur n’a pas été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 19 mai 2004 en relation avec sa lésion professionnelle initiale survenue le 30 avril 2003.
[3] Une audience est tenue le 16 février 2005 à Québec en présence du travailleur et de son représentant ainsi que du procureur de l’employeur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 19 mai 2004 en relation avec sa lésion professionnelle survenue initialement le 30 avril 2003 et ainsi, d’infirmer la décision rendue par la CSST le 19 octobre 2004.
LES FAITS
[5] Le travailleur occupe un emploi de mécanicien en protection incendie qui implique la manipulation et l’installation de tuyaux de diverses formes et de diverses grandeurs servant à l’approvisionnement en eau des gicleurs déclenchés en cas d’incendie.
[6] Le 30 avril 2003, le travailleur manipule un tuyau qui pèse environ 100 livres et s’inflige une entorse lombaire.
[7] Les rapports médicaux qui sont complétés à compter du 2 mai 2003 révèlent que le travailleur ressent également une sciatalgie droite.
[8] Une tomodensitométrie axiale complétée le 8 juillet 2003 révèle une petite herniation discale centro-latérale gauche au niveau L4-L5, une asymétrie de configuration des éléments postérieurs sans effet compressif au niveau L5-S1 et, accessoirement, une déformation cunéiforme de L2 apparemment ancienne.
[9] Le travailleur est traité par physiothérapie, médication anti-inflammatoire et repos. Il devra toutefois, devant une douleur rebelle, être intégré dans un programme de réadaptation physique au Centre de réadaptation en déficience physique de Québec (Centre de réadaptation).
[10] Le travailleur suivra des traitements à cette institution jusqu’au 17 mars 2004, date où le médecin traitant, le Dr S. Côté, complète le rapport médical final dans lequel il conclut à la consolidation de la lésion sans atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et sans limitation fonctionnelle.
[11] Les notes évolutives consignées au dossier de la CSST indiquent toutefois que l’émission de ce rapport médical final s’est fait par le médecin traitant, sans qu’il y ait examen médical du travailleur et en fonction des informations transmises par téléphone par la CSST à la suite des conclusions émises par le Centre de réadaptation, indiquant que le travailleur était en mesure de reprendre son travail normal.
[12] Le 21 mai 2004, le travailleur dépose à la CSST une nouvelle réclamation indiquant que la douleur progressive est réapparue depuis le 15 mai et qu’il est en arrêt de travail depuis le 20 mai 2004.
[13] L’attestation médicale complétée le 25 mai 2004 par le Dr S. Côté fait état d’une «rechute d’entorse lombaire».
[14] Le traitement usuel, c’est-à-dire le repos, l’utilisation de la glace et une médication appropriée, est alors prescrit.
[15] Le 7 juillet 2004, la CSST refuse la réclamation du travailleur au motif que ce dernier a repris son travail alors que sa lésion initiale a été consolidée sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[16] Un examen de type résonance magnétique est complétée le 10 août 2004 et révèle la présence d’une petite hernie discale L5-S1 centro-latérale droite s’étendant vers le foramen de conjugaison sans qu’il y ait toutefois de répercussion sur les racines ou le sac dural, des changements dégénératifs de L1 à L5 sans hernie discale ni sténose spinale ou foraminale et, enfin, un léger affaissement du plateau supérieur de L2.
[17] Le 19 octobre 2004, la révision administrative de la CSST maintient la décision initiale.
[18] Le 18 novembre 2004, une consultation est demandée par le médecin traitant auprès du Dr René Parent, physiatre.
[19] Le Dr Parent estime qu’il est en présence d’un travailleur souffrant d’une lombalgie mécanique sur dégénérescence discale pluriétagée, avec irritation facettaire secondaire mais qu’il n’y a pas évidence de conflits discaux radiculaires. Il note que le travailleur est également connu pour une coxarthrose droite, une condition personnelle sans lien avec sa réclamation à la CSST.
[20] Le Dr Parent recommande ce qui suit :
«Pour ce qui est de l’aspect lombaire, je pense qu’il pourrait bénéficier de l’essai de blocs facettaires sous scopie au niveau L4-L5, L5-S1 bilatéralement. S’il y avait échec suite aux blocs facettaires, il faudra envisager une consolidation avec limitations fonctionnelles puisque les douleurs sont présentes maintenant depuis près de deux ans. »
[21] La Commission des lésions professionnelles note également la présence, au dossier, d’une lettre transmise par l’employeur à la CSST en date du 15 juin 2004 et qui fait état de ce qui suit :
«Claude Cliche a travaillé les 17, 18 et 19 mai 2004.
Le 20 mai à 6 h 45 a.m. il a appelé le responsable du chantier soit Gilles Guimond pour lui dire qu’en se levant ce matin là, il avait une douleur au dos donc, qu’il prendrait la journée du jeudi 20/5/2004. Vers 17 heures de la même journée Claude Cliche rappelle Gilles Guimond pour lui dire qu’en fin de compte il prendrait aussi le vendredi 21 mai car cela lui ferait une grande fin de semaine puisque le 24 mai est un jour férié. Il explique à Gilles Guimond qu’il lui arrive parfois de «barrer» en se levant le matin.
Lundi le 24 mai 2004, Gilles Guimond reçoit un message sur son cellulaire de la part de Claude Cliche qui lui signale qu’il ne va toujours pas mieux donc, qu’il va se rendre à la clinique voir son médecin et qu’il préfère prendre la semaine en repos.
Cependant, lundi le 17 mai 2004 Claude Cliche discute avec Gilles Guimond et Martin Desmeules que le dimanche 16 mai 2004 il a joué 2 parties de balles.
Madame Lauzon, à la lueur de ses informations, je vous demande de contester cette demande de Monsieur Cliche à la CSST.» [sic]
[22] À l’audience, la Commission des lésions professionnelles a entendu le témoignage du travailleur qui permet de retenir les éléments suivants.
[23] L’emploi de mécanicien en protection incendie implique la manipulation et le transport de diverses pièces d’équipement et de matériel que le travailleur doit transporter lui-même sur les différents étages des chantiers de construction où il doit effectuer les travaux. Le poids est d’environ 30 à 40 livres mais peut aller parfois jusqu’à 100 livres, comme ce fut le cas lors de son accident initial.
[24] Le travailleur déclare qu’il a subi une première lésion professionnelle en 2001 affectant sa colonne vertébrale lombaire. Il fut en arrêt pour une période d’environ cinq à sept semaines et il a toujours fait face à une douleur résiduelle qui ne l’empêchait cependant pas d’accomplir son travail. Il a toujours éprouvé une douleur sciatique droite. Sur une échelle de 1 à 10, il estime que la douleur variait entre 3 et 8 de façon occasionnelle mais plus régulièrement entre 3 et 6.
[25] Lors de l’événement survenu en 2003, les douleurs se situaient au même niveau, c’est-à-dire au niveau de la région lombaire droite avec irradiation au membre inférieur droit. Les douleurs étaient toutefois beaucoup plus importantes. Il a d’ailleurs reçu, comme traitement, une infiltration lombaire qui n’a donné aucun résultat. C’est davantage le programme de rééducation au Centre de réadaptation qui a débuté à l’automne 2003 et qui s’est terminé en février 2004 qui a donné les meilleurs résultats.
[26] À la suite de ce programme, il allait beaucoup mieux et il était très optimiste par rapport à sa capacité de refaire le même travail même s’il estime qu’il était rétabli à environ 80 ou 90 % seulement. Il ressentait toujours une douleur au niveau de la jambe droite.
[27] Par ailleurs, quant à l’affirmation de la CSST indiquant qu’il a repris son travail le 17 mars sans difficulté jusqu’au 20 mai, cela est inexact puisque sa première semaine de travail n’a débuté que le 24 avril. Il dépose d’ailleurs à ce sujet les relevés de paie qu’il a reçus à cette occasion et qui démontrent qu’il a effectué 30 heures de travail du 18 au 24 avril 2004 (pièce T1), 16 heures de travail du 9 au 15 mai (pièce T2) et la pièce T3 indiquant qu’il a effectué 24 heures de travail du 16 au 22 mai 2004. Il s’agit donc d’un total de 70 heures de travail.
[28] Au cours de la première semaine de travail, comme prévu par les spécialistes du Centre de réadaptation, il a ressenti quelques douleurs qu’il a toutefois estimées tout à fait normales au niveau de la région lombaire ainsi qu’à la jambe droite. Il a tout de même effectué 30 heures de travail.
[29] Lors de la deuxième semaine de travail, la situation était plus difficile puisqu’il travaillait souvent en torsion. Il a alors ressenti une augmentation graduelle de ses douleurs.
[30] La semaine suivante, le lundi et le mardi, la situation s’est dégradée au point où le mercredi, les douleurs étaient très importantes.
[31] Le 20 mai 2004, au début de la troisième semaine de travail, il s’est levé avec « une importante inflammation de la région lombaire, la présence de spasmes au dos et une douleur très intense ». La douleur irradiait également au niveau de la jambe droite. Le travailleur estime que l’intensité de la douleur était alors semblable à celle ressentie lors de sa lésion initiale en 2003.
[32] Le travailleur a informé son employeur qu’il prendrait congé en utilisant le jeudi ainsi que la fin de semaine où il y avait d’ailleurs congé civique. Il espérait que cinq jours de repos lui permettraient de se rétablir et de reprendre son travail normal.
[33] Toutefois, au terme de ce congé, il a pris la décision de rencontrer son médecin, ce qui fut fait lors d’une rencontre survenue le 25 mai 2004, date où un arrêt complet de travail a été ordonné par le médecin, avec un diagnostic de rechute d’entorse lombaire.
[34] Par ailleurs, quant au document apparaissant au dossier révélant qu’il aurait joué deux parties de baseball durant la fin de semaine précédant le 20 mai, le travailleur précise qu’il est effectivement capitaine d’une équipe qui en était à son début de saison. Il n’a pas joué deux parties mais uniquement le début de la première partie, puisqu’il n’a joué que trois à quatre manches, compte tenu de la présence des douleurs qui l’affectaient déjà.
[35] D’ailleurs, les conseillers du Centre de réadaptation lui avaient recommandé de reprendre ses activités le plus normalement possible. Voyant qu’il n’était pas très à l’aise après trois manches, il a cessé de jouer.
[36] Interrogé par le procureur de l’employeur quant au fait qu’il aurait déclaré (cf. : page 22 du dossier) à la CSST qu’il était «guéri» à la suite de son traitement au Centre de réadaptation, le travailleur précise que dans son esprit, le mot «guéri» voulait simplement dire qu’il était prêt à faire un retour au travail et qu’il verrait ultérieurement s’il pouvait toujours reprendre totalement l’ensemble de ses activités.
[37] Appelé à préciser pourquoi il n’a pas repris le travail entre le 17 mars et sa première semaine de travail en avril, le travailleur déclare qu’il souffrait également d’une autre lésion à l’épaule et qu’il n’était pas en mesure de reprendre son travail à ce moment.
[38] Le travailleur déclare qu’il n’a pas parlé à son employeur de ses douleurs résiduelles lors de son retour au travail. Il n’a pas consulté son médecin traitant entre mars et mai 2004 et il admet qu’il ne portait pas une ceinture lombaire lors de sa première semaine de retour au travail puisqu’il n’en avait pas besoin.
[39] Ce fut également la même situation au cours des deuxièmes et troisièmes semaines de son retour au travail puisqu’il n’avait pas d’outil à transporter. Il n’a donc pas porté une ceinture lombaire pour ses outils.
[40] Par ailleurs, à la demande du tribunal, le travailleur précise que cette ceinture lombaire constitue un support qui aide à transporter le sac des outils et qui soulage d’autant les douleurs lombaires.
[41] Interrogé par les membres du tribunal, le travailleur précise qu’au moment de son retour au travail, les tâches à accomplir étaient les mêmes et impliquaient nécessairement le transport de matériel pouvant représenter des poids variant de 30 à 80 livres.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[42] Le représentant du travailleur rappelle que la lésion du travailleur est la même tant en 2004 qu’en 2003, c’est-à-dire une entorse lombaire avec sciatalgie droite. Ce siège de lésion est le même et la symptomatologie est la même.
[43] La lésion initiale survenue en 2003 est une entorse lombaire mais celle-ci apparaît réfractaire, tel que mentionné par le médecin traitant, au point de nécessiter des traitements spéciaux au Centre de réadaptation. Il ne s’agit pas d’une simple entorse lombaire. Différents traitements, dont une infiltration, seront tentés. La durée de plus de six mois de la consolidation de cette lésion démontre la gravité de l’entorse initiale.
[44] D’ailleurs, le représentant du travailleur souligne que le travailleur présentait un Lasègue positif à 45 degrés bilatéralement le 2 mai 2003.
[45] Par ailleurs, le rapport médical final qui sera complété par le médecin traitant le 17 mars 2004 ne contient aucunement l’impression habituelle des données apparaissant sur la carte d’assurance maladie du travailleur. Il s’agit d’un rapport qui a été complété sans la présence du travailleur et à la demande de la CSST. Aucun examen n’a été pratiqué à ce moment.
[46] Le témoignage du travailleur révèle que ce dernier, à la fin de ses traitements au Centre de réadaptation était amélioré à environ 85 %, ce qui ne l’empêchait pas de tenter un retour au travail. Il n’était certes pas dans un état parfait.
[47] Les notes évolutives du dossier révèlent, selon le représentant du travailleur (page 21), que la CSST utilise déjà l’expression «stratégie pour consolidation» et les notes ultérieures démontrent que le médecin est talonné afin qu’il complète un rapport médical final.
[48] Le rapport médical émis le 17 mars 2004 permet de voir que les notes du médecin, qui sont alors consignées à son dossier, font état de l’absence de symptômes et d’une condition stable. Cela est d’autant plus étonnant qu’il n’y a eu aucun examen pratiqué chez le travailleur à ce moment.
[49] Les notes ne révèlent nullement que le travailleur n’a alors exercé aucun retour au travail. Le médecin se fie aux informations qu’il a reçues de l’agent d’indemnisation de la CSST quant à la capacité du travailleur à reprendre son travail.
[50] Il est également en preuve au dossier que la représentante de l’employeur, madame McMartin, donne l’information à la CSST que le travailleur a repris son travail régulier depuis le 17 mars 2004 et qu’il exerce toutes ses tâches.
[51] Il est en preuve que ce ne fut pas le cas et que la CSST a donc crû à tort que le travailleur avait repris son travail habituel pendant deux mois à compter de mars 2004, avant de soumettre à nouveau une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation en mai 2004.
[52] La preuve révèle que, au contraire, le travailleur a effectué une semaine de travail de 30 heures, une semaine de travail de 16 heures et une autre de 24 heures pour un total de 70 heures en trois semaines.
[53] Au cours de cette période, les douleurs vont en augmentant, tout comme les tâches qui vont en augmentant quant à la charge normale pour un tel emploi.
[54] Or, le médecin traitant, le Dr Côté, n’est pas surpris de voir le travailleur présentant une récidive de son entorse lombaire qui l’amène, compte tenu qu’il connaît bien son patient, à émettre une attestation médicale en date du 25 mai 2004 recommandant un arrêt de travail immédiat et la reprise des traitements.
[55] Son examen du 25 mai 2004 indique que le rachis lombaire est raide, qu’il y a une diminution de la flexion, que l’extension est nulle et qu’il a de la difficulté à exécuter les mouvements de flexion latérale droite. Il y a donc augmentation de la sciatalgie et une diminution de la mobilité du rachis lombaire. Il note même une irradiation droite au niveau du mollet. Il s’agit des mêmes symptômes qu’en 2003.
[56] Enfin, le travailleur sera examiné par le Dr Parent, physiatre, dont l’opinion principale consiste à retenir que le travailleur présente des douleurs depuis deux ans et, compte tenu de la permanence de celles-ci, il y a lieu de recommander que le travailleur soit déclaré porteur de limitations fonctionnelles permanentes, ce qui aurait dû être le cas dès le 17 mars 2004.
[57] Le représentant du travailleur souligne que la période fut très courte entre l’essai de retour au travail et le nouvel arrêt de travail et que le court délai entre les deux permet donc d’établir une relation entre ceux-ci.
[58] Le représentant du travailleur complète son argumentation par le dépôt d’une affaire qu’il estime similaire à la présente[1].
[59] Le représentant de l’employeur soumet que l’affaire déposée par le représentant du travailleur est très différente et qu’elle ne s’applique pas à la présente affaire.
[60] Il soumet également que l’entorse survenue en 2003, même si des qualificatifs comme «rebelle» et «réfractaire» sont présents, n’implique pas la présence d’une lésion grave.
[61] Une entorse rebelle ne signifie pas que celle-ci est grave, mais plutôt que le traitement n’est peut-être pas approprié et qu’il y a lieu de modifier le plan de soins.
[62] Quant au délai relatif à la consolidation de la lésion, il faut considérer que le travailleur a également fait face à un problème au niveau de la hanche droite et au niveau de son épaule, retardant d’autant la consolidation de la lésion initiale. Il faut donc retrancher cette période pour évaluer la gravité de la lésion initiale.
[63] Le travailleur mentionne lui-même (pages 20 et 22 du dossier) «qu’il est guéri» de sa lésion.
[64] Quant aux allusions d’une stratégie «employeur CSST» pour retourner le travailleur au travail, cette interprétation des faits doit être rejetée puisque le médecin traitant, le Dr Côté, a été consulté et est demeuré à l’origine de l’émission du rapport médical final émis le 17 mars 2003, consolidant la lésion du travailleur sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[65] Le représentant de l’employeur soumet qu’à la page 64 du dossier, relativement au rapport qui fut complété le 17 mars 2004, les notes consignées par le médecin traitant indiquent «absence de symptôme», ce qui signifie qu’il y a eu examen du travailleur.
[66] Le représentant de l’employeur soumet également que le Dr Pichette de la CSST consigne, à la page 20 du dossier, son opinion quant à l’absence de relation. Pour ce médecin, rien n’explique la reprise des symptômes, d’autant plus qu’une entorse lombaire doit nécessairement impliquer une cause traumatique, ce qui n’est pas le cas en l’espèce au moment de la rechute, récidive ou aggravation alléguée.
[67] Quant à l’attitude du travailleur, dès le 15 juillet 2003, ce dernier discute des possibilités de recyclage au plan professionnel. Il indique déjà (page 4 du dossier) qu’il ne pourra pas faire son travail.
[68] Le 18 décembre 2003 (page 13 du dossier) il est noté une attitude négative face à ses traitements.
[69] À la page 18 du dossier, il est fait état d’un manque d’assiduité du travailleur à ses traitements au Centre de réadaptation au point même de s’y être présenté en état d’ébriété.
[70] Il est aussi noté que le travailleur n’a jamais allégué la reprise de douleurs entre le mois de mars et le mois de mai 2004 à son médecin traitant.
[71] Le représentant de l’employeur souligne également le long délai avant que le travailleur ne consulte entre la reprise alléguée de ses douleurs le 15 mai 2004 et la consultation qui intervient le 25 mai 2004.
[72] Le représentant de l’employeur soumet qu’il n’y a aucune démonstration objective permettant d’établir qu’il y a un lien entre les douleurs ressenties par le travailleur le 25 mai 2004 et la lésion survenue en 2003.
[73] Le représentant de l’employeur reprend les critères prévus par la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles pour conclure que la prépondérance de la preuve ne permet pas d’établir qu’il y a un lien entre les douleurs ressenties par le travailleur au mois de mai 2004 et le fait accidentel survenu en 2003.
L’AVIS DES MEMBRES
[74] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que le travailleur a subi une lésion professionnelle en 2003 qui a été consolidée le 17 mars 2004 sans atteinte permanente à son intégrité physique et sans limitation fonctionnelle.
[75] De plus, il estime que la condition personnelle qui affecte le travailleur est davantage la cause de la reprise d’une douleur lombaire et qu’il n’existe aucune preuve que celle-ci est reliée au fait accidentel initial.
[76] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête du travailleur.
[77] Le membre issu des associations des travailleurs estime que le travailleur n’était pas totalement guéri au moment où il a repris un travail à temps partiel au mois d’avril 2004 et le court délai entre cette reprise du travail et l’apparition d’une récidive de ses douleurs est tout à fait acceptable pour permettre de conclure qu’il y a un lien direct entre cette récidive et le fait accidentel survenu en 2003.
[78] Le membre issu des associations de travailleurs est d’avis d’accueillir la requête du travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[79] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 19 mai 2004 en relation avec sa lésion professionnelle survenue initialement le 30 avril 2003.
[80] L’article 2 de la Loi prévoit la définition suivante de la notion de « lésion professionnelle » :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[81] Les notions de récidive, rechute ou aggravation d’une blessure ou d’une maladie survenue par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail sont donc comprises dans la notion de « lésion professionnelle ». Comme elles ne sont pas définies dans la Loi, il faut s’en référer à leur sens courant pour en comprendre la signification.
[82] Un survol rapide des définitions qui en sont données dans les dictionnaires de la langue française permet de dégager une tendance dans le sens d’une reprise évolutive, d’une réapparition ou d’une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes.
[83] La jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la CALP) a depuis longtemps établi qu’il n’est, par ailleurs, pas nécessaire que la récidive, rechute ou aggravation résulte de nouveaux faits, à caractère accidentel ou non. Il faut toutefois que la preuve prépondérante établisse qu’il y a relation entre la pathologie présentée par un travailleur à l’occasion de la récidive, rechute ou aggravation alléguée et celle survenue par le fait ou à l’occasion de l’accident du travail initial.[2]
[84] De même, la jurisprudence de la CALP et de la Commission des lésions professionnelles permet d’établir certains paramètres afin de déterminer plus objectivement s’il existe effectivement une relation entre une récidive, rechute ou aggravation alléguée et l’événement initial. Les paramètres, bien qu’énoncés parfois sous différents vocables, peuvent être ainsi résumés :
1. L’importance du fait accidentel initial;
2. La continuité de la symptomatologie;
3. L’existence ou non d’un suivi médical;
4. Le retour au travail avec ou sans limitation fonctionnelle;
5. La présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique;
6. La présence ou l’absence de conditions personnelles;
7. La compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la rechute, récidive ou aggravation avec la nature de la lésion initiale;
8. Le délai entre la rechute, récidive ou aggravation et la lésion initiale.[3]
[85] Il faut toutefois souligner qu’aucun de ces critères ou paramètres n’est à lui seul primordial ou décisif, mais pris ensemble, ils facilitent la prise de décision quant vient le moment d’établir la prépondérance de la preuve soumise à l’attention du tribunal.
[86] En l’instance, la Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle sous forme d’une récidive, rechute ou aggravation le 19 mai 2004.
[87] En effet, il est en preuve que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 30 avril 2003 alors qu’en soulevant un poids important, il s’inflige une entorse lombaire avec sciatalgie droite.
[88] La symptomatologie qui affecte le travailleur sera d’ailleurs présente pendant plusieurs mois au point où il devra s’astreindre à des traitements au Centre de réadaptation en plus des traitements usuels sous forme de médication, glace et infiltration.
[89] La durée de consolidation de cette lésion sera particulièrement longue puisqu’elle s’étalera sur plusieurs mois, même en considérant que les traitements ont été poursuivis au-delà du mois de février 2004 pour des lésions personnelles affectant la hanche et l’épaule du travailleur.
[90] La Commission des lésions professionnelles estime que le traumatisme initial n’est pas bénin sans être toutefois d’une importance majeure. Toutefois, il est suffisamment important pour nécessiter des soins sur une longue période, même en considérant que le travailleur est affecté d’une condition arthrosique multiétagée.
[91] De plus, la symptomatologie en cause est la même tout au long des traitements qu’a subit le travailleur en 2003, de même que lors de la reprise des douleurs au printemps 2004. Il s’agit d’une lombalgie droite avec sciatalgie au membre inférieur droit dans les deux cas. On ne peut donc parler ici de sites différents et d’absence de continuité.
[92] En effet, le témoignage du travailleur est à l’effet qu’il y a toujours eu persistance d’une certaine douleur lombaire, non seulement depuis l’événement de 2003 mais aussi antérieurement à cette période, en raison d’un autre accident du travail survenu en 2001.
[93] Il faut également noter la présence de cette symptomatologie tout au long des traitements reçus au Centre de réadaptation. Il s’agit également de la même symptomatologie signalée par le travailleur à son médecin traitant au moment de la récidive, rechute ou aggravation survenue au mois de mai 2004.
[94] Par ailleurs, le travailleur a déclaré qu’il était «guéri» auprès de la CSST lorsque interrogé quant à la date de son retour au travail par l’agent d’indemnisation de la CSST au printemps 2004. Toutefois, dans l’esprit du travailleur, cette expression voulait simplement dire qu’il était maintenant à nouveau apte à retourner au travail, tout en sachant fort bien qu’il était porteur d’une certaine douleur résiduelle telle que mentionnée à l’audience, témoignage qui apparaît fort crédible dans les circonstances, compte tenu de l’importance de la lésion initiale.
[95] La Commission des lésions professionnelles constate que la CSST a mis l’emphase dans sa décision de refus de la réclamation du travailleur quant à une éventuelle récidive, rechute ou aggravation au printemps 2004, sur le fait que la lésion initiale avait été consolidée sans aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle et ce, en date du 17 mars 2004.
[96] Or, la preuve contenue au dossier permet d’établir que le rapport médical complété par le médecin traitant à cette époque, l’a été à partir d’informations transmises par la CSST ou par d’autres sources, mais nullement en fonction d’un examen fait directement sur la personne du travailleur.
[97] Dans ce contexte, en l’absence d’examen et d’entrevue avec le travailleur, le rapport médical final ne comporte qu’un aspect administratif, sans qu’il puisse apparaître déterminant quant à l’octroi ou non de limitations fonctionnelles ou d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique découlant de la lésion survenue le 30 avril 2003.
[98] D’ailleurs, l’opinion du Dr René Parent, physiatre, appelé à examiner le travailleur en date du 18 novembre 2004, apparaît davantage probante quant à la présence de limitations fonctionnelles, en considérant l’ensemble de l’analyse qu’il fait du dossier qui lui est soumis et de l’examen qu’il pratique auprès du travailleur.
[99] Le Dr Parent évalue, à juste titre, que deux ans après l’événement traumatique survenu en 2003, le travailleur est toujours symptomatique de douleurs l’affectant à la région lombaire basse avec sciatalgie droite.
[100] Évidemment, il appartiendra au médecin traitant, compte tenu de l’actuelle récidive, rechute ou aggravation, de déterminer si le travailleur est effectivement porteur de limitations fonctionnelles permanentes ainsi que d’une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique.
[101] Toutefois, la preuve permet de retenir que le travailleur n’a pas bénéficié d’une évaluation complète de la part de son médecin traitant au mois de mars 2004, avant d’établir qu’il était alors dans une situation où sa lésion était consolidée sans limitation fonctionnelle ni atteinte permanente.
[102] La CSST a également fait reposer sa décision sur le fait que le travailleur, selon l’information transmise par l’employeur à cette époque, avait repris un travail régulier, incluant toutes les exigences de son emploi, depuis le 17 mars 2004.
[103] Or, le témoignage présenté par le travailleur à l’audience, de même que les pièces T1 à T3 confirment que le travailleur n’a pas effectué un retour au travail le 17 mars 2004, mais bien au mois d’avril 2004, pour une courte période d’environ trois semaines, et encore là, des semaines incomplètes compte tenu du nombre d’heures effectivement travaillées.
[104] La Commission des lésions professionnelles estime donc que le travailleur n’a effectué qu’un retour au travail partiel qui apparaît éloquent dans les circonstances puisque, avant même que le travailleur n’occupe son emploi à plein temps, les douleurs lombaires sont réapparues ou encore se sont exacerbées au point où il a dû cesser à nouveau de travailler.
[105] La courte période qui s’écoule entre la date de la consolidation de la lésion selon le rapport médical fourni par le médecin traitant en date du 17 mars 2004 et la nouvelle récidive, rechute ou aggravation, compte tenu d’une courte exposition de trois semaines en regard du marché du travail, apparaît tout à fait dans la suite logique et cohérente d’un retour au travail infructueux typique d’un travailleur porteur d’une lombalgie plus ou moins stabilisée.
[106] La Commission des lésions professionnelles retient également qu’un élément a sans doute teinté le dossier à savoir l’absence de crédibilité du travailleur, compte tenu des notes portées à son dossier lors de son stage de rééducation au Centre de réadaptation et également en fonction de sa participation à une activité sportive au printemps 2004.
[107] Dans un premier temps, il convient de noter que le travailleur fait face à des difficultés familiales personnelles qui ont amené un rappel à l’ordre du travailleur de la part des autorités, mais qu’aucune autre remarque n’a été ajoutée au dossier par la suite, le stage étant même qualifié de succès.
[108] Par ailleurs, le travailleur a témoigné à l’audience qu’à titre de capitaine d’une équipe de baseball, il devait être présent à l’ouverture de la saison et il le faisait, conformément à une recommandation des spécialistes qui l’avaient encadré au Centre de réadaptation en lui ayant fortement suggéré de reprendre des activités normales.
[109] De plus, il est en preuve que le travailleur n’a pas joué deux parties de baseball mais une seule et, encore là, il n’a participé qu’aux trois premières manches compte tenu de sa condition lombaire. Il n’a fait aucun autre effort ou activité physique par la suite.
[110] Cette affirmation du travailleur n’est pas contredite par d’autres documents contenus au dossier ou d’autres témoignages entendus lors de l’audience. De plus, il n’existe aucune preuve que le travailleur se soit blessé au cours de cette partie de baseball ou ait aggravé sa condition lombaire à cette occasion.
[111] Enfin, l’employeur a soumis, lors de son argumentation à l’audience, que le travailleur avait déjà depuis au moins une année, manifesté son désir de changer d’emploi et qu’il s’agit sans doute là de la preuve qui explique davantage l’arrêt du travail survenu au printemps 2004.
[112] La Commission des lésions professionnelles ne fait pas la même lecture des notes consignées au dossier à ce sujet. Si tel a été le cas à l’époque, la situation s’est améliorée au point où le travailleur était très satisfait de son stage et qu’il espérait même reprendre son emploi normal. Il a effectué en toute bonne foi cet essai de retour au travail au printemps 2004 avec le résultat que l’on connaît maintenant. Il n’y a pas lieu de mettre en doute sa bonne foi à cette occasion et aucune note n’apparaît d’ailleurs au dossier permettant de confirmer cette interprétation des faits soumis par l’employeur.
[113] La Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion, comme mentionné précédemment, que la preuve lui apparaît prépondérante quant à la relation entre la récidive, rechute ou aggravation survenue le 19 mai 2004 et la lésion professionnelle survenue le 30 avril 2003 et qu’il y a lieu de faire droit à sa réclamation.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Claude Cliche, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 19 octobre 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 19 mai 2004 en relation avec sa lésion professionnelle survenue initialement le 30 avril 2003 et qu’il a droit aux indemnités prévues par la loi en pareilles circonstances.
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Alain Trembay |
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Commissaire |
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M. Jean-Pierre Devost |
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JEAN-PIERRE DEVOST CABINET-CONSEIL |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Francis Bélanger |
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GROUPE AST INC. |
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Représentant de la partie intéressée |
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